23/07/2024

JEREMY SCAHILL
Kamala Harris peut-elle effacer le sang de ses mains ?

Si la probable candidate démocrate n'a pas les 50 ans d’histoire de soutien de Joe Biden au militarisme israélien, ses antécédents indiquent qu'elle maintiendrait une politique pro-israélienne sans faille.

Jeremy Scahill, Drop Site News, 22/7/2024
Schuyler Mitchell a contribué aux recherches pour cet article
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

  

Kamala Harris s'adressant à la conférence 2017 de l'AIPAC à Washington, D.C. Photo : Michael Brochstein/SOPA Images/LightRocket via Getty Images.

Quelques heures après que Joe Biden a annoncé qu'il ne se représenterait pas à l’élection présidentielle du 4 novembre prochain, l'élite du Parti démocrate a commencé à consolider son soutien à la vice-présidente Kamala Harris pour qu'elle prenne la tête de la campagne contre Donald Trump. Si elle obtient l'investiture démocrate, Kamala Harris devra notamment regagner le soutien des électeurs indignés par le fait que l'administration Biden a facilité la guerre génocidaire d'Israël contre les Palestiniens de Gaza. Rien que dans l'État critique du Michigan - où un sondage dévastateur de la Detroit Free Press a montré dimanche matin que Biden avait perdu 7 points de pourcentage par rapport à Trump dans l'ensemble de l'État - il y a eu plus de 100 000 électeurs primaires “non engagés”.

Le maire de Dearborn (Michigan), Abdullah Hammoud, ne s'est pas immédiatement prononcé en faveur de Mme Harris. Au lieu de cela, il a gazouillé : « Les démocrates ont l'occasion de faire preuve d'audace lors de cette convention. De désigner un candidat capable de mettre en place une politique intérieure historique ET d'abandonner la voie génocidaire tracée à Gaza et au-delà. L'Amérique a besoin d'un candidat qui puisse donner envie aux électeurs de se rendre aux urnes en novembre prochain ».

Mme Harris se trouve dans une position historique inhabituelle. L'équipe de presse de la Maison Blanche a donné l'image d'une Harris plus sensible à la situation humanitaire des Palestiniens, alors même qu'elle soutient l'agenda de Biden dans la région. En tant que candidate à la présidence, elle pourrait expliquer aux électeurs les divergences internes qu'elle a pu avoir dans les discussions autour de la guerre de Gaza. En tant que vice-présidente en exercice, cependant, de telles démarches poseraient des problèmes à Biden. 

La vérité est que, comme la plupart des démocrates, Harris a soutenu les politiques de Biden, même si elle a soulevé des objections tactiques ou exprimé un malaise moral face au nombre effroyable de morts. Si Harris n'est pas Biden - et n'a pas au compteur un demi-siècle de soutien massif à la brutalité et au militarisme d'Israël qui alimente ses positions - elle a ses propres antécédents de soutien intransigeant à Israël, à la fois en tant que sénatrice et que vice-présidente.  


Ben Jennings, The Guardian, 23/7/2024

 Peu après son élection au Sénat en 2016, Mme Harris a acquis une réputation d'ardente défenseuse d'Israël. Elle a pris la parole deux années de suite lors de conférences de l'AIPAC et a coparrainé une législation visant à saper une résolution des Nations unies condamnant l'annexion illégale de terres palestiniennes par Israël. L'un de ses premiers voyages internationaux en tant que sénatrice a eu lieu en Israël, où elle a rencontré le Premier ministre Benjamin Netanyahou en 2017. « Je soutiens l'engagement des USA à fournir à Israël une aide militaire de 38 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie", a déclaré Mme Harris lors d'une conférence de l'AIPAC cette année-là. « Je crois que les liens entre les USA et Israël sont indéfectibles, et nous ne pouvons jamais laisser quiconque creuser un fossé entre nous. Tant que je serai sénatrice usaméricaine, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour assurer un soutien large et bipartisan à la sécurité d'Israël et à son droit à l'autodéfense ».

Mme Harris a comparé le soutien à Israël aux coalitions forgées pendant le mouvement des droits civiques aux USA et a approuvé les accords d'Abraham du président Donald Trump, une série d'accords de normalisation entre Israël et les États arabes qui ont contourné les demandes d'un État palestinien indépendant. Mme Harris a coparrainé une loi qualifiant ces accords de “réalisation historique”. Dans un entretien en 2016, Mme Harris a déclaré : « Le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions repose sur l'hypothèse erronée qu'Israël est le seul responsable du conflit israélo-palestinien ». Elle a ajouté :  « le mouvement BDS cherche à affaiblir Israël, mais il ne fera qu'isoler le pays et braquer les Israéliens contre les compromis préalables à la paix ».

Lors d'une conférence privée de l'AIPAC en 2018, on a demandé à Mme Harris pourquoi elle soutenait Israël de manière aussi catégorique. « C'est simplement quelque chose qui a toujours fait partie de moi », a-t-elle répondu. « Je ne sais pas quand cela a commencé, c'est presque comme dire quand vous avez réalisé pour la première fois que vous aimiez votre famille, ou que vous aimiez votre pays, c'était juste toujours là. Cela a toujours été là ». 

 « Son soutien à Israël est au cœur de sa personnalité », a déclaré Lily Adams, directrice de la communication de la campagne de Mme Harris, en 2019, lorsque cette dernière était candidate à l'investiture démocrate. 

En mars 2019, au milieu des appels de militants du Parti démocrate à boycotter la conférence de l'AIPAC de cette année-là, Mme Harris a rejoint d'autres candidats, dont les sénateurs Bernie Sanders et Elizabeth Warren, pour ne pas participer à la réunion. Au lieu de cela, elle a gazouillé qu'elle avait rencontré en privé « les dirigeants de l'AIPAC de Californie pour discuter de la nécessité d'une alliance forte entre les USA et Israël, du droit d'Israël à se défendre et de mon engagement à lutter contre l'antisémitisme dans notre pays et dans le monde entier ».

Alors que Mme Harris s'exprime généralement en faveur de l'autodétermination palestinienne et d'une solution à deux États -conformément aux positions politiques générales du parti démocrate depuis l'accord d'Oslo de 1993 - elle s'est simultanément opposée aux efforts visant à imposer des conséquences à Israël pour ses violations flagrantes du droit international. 

Mme Harris a donné le ton de sa position sur Israël en tant que sénatrice lorsqu'elle a coparrainé en 2017 une loi condamnant la décision de l'ancien président Barack Obama de s'abstenir d'opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU critique à l'égard d'Israël. La résolution, adoptée en décembre 2016, affirmait que « L'établissement par Israël de colonies dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, n'a aucune validité juridique et constitue une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution à deux États et d'une paix juste, durable et globale ». Mme Harris et ses collègues du Sénat ont affirmé que le refus d’Obama de bloquer la résolution de l'ONU était « incompatible avec la politique menée de longue date par les USA ». Ils ont déclaré que la politique usaméricaine devrait viser à empêcher l'ONU de prendre des mesures qui « isolent davantage Israël par le biais de boycotts économiques ou autres ou de toute autre mesure » et ont exhorté les futures administrations « à maintenir la pratique du veto à toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui reconnaissent les actions palestiniennes unilatérales, dont la déclaproclamation ration d'un État palestinien, ou qui dictent les termes et le calendrier d'une solution au conflit israélo-palestinien ».

 « Je pense que lorsqu'une organisation délégitime Israël, nous devons nous lever et nous exprimer pour qu'Israël soit traité de manière égale », a déclaré Mme Harris à propos de son vote. 

Lors de la course à la présidence de 2020, le New York Times a demandé à Mme Harris si elle pensait qu'Israël respectait les normes internationales en matière de droits humains. « Dans l'ensemble, oui », a-t-elle répondu. 

Lors du premier appel de Mme Harris avec M. Netanyahou après sa nomination à la vice-présidence, le 3 mars 2021, elle a dit au dirigeant israélien que les USA s'opposaient à ce que la Cour pénale internationale enquête sur les crimes de guerre présumés d'Israël contre les Palestiniens. Harris et Netanyahou « ont noté l'opposition de leurs gouvernements respectifs aux tentatives de la Cour pénale internationale d'exercer sa juridiction sur le personnel israélie », selon un compte-rendu par la Maison Blanche de cet appel. 

Harris, le 7 octobre et le génocide à Gaza

Après les attaques menées par le Hamas en Israël le 7 octobre, Mme Harris a adopté une position publique qui divergeait rhétoriquement de celle de Joe Biden. Tout en plaidant pour un soutien militaire, financier et diplomatique des USA à la guerre d'Israël, Harris a fréquemment souligné qu'Israël devait respecter les lois de la guerre, protéger les vies civiles et permettre l'acheminement de l'aide humanitaire. Par rapport à  Biden, Harris a plus souvent mis l'accent sur les souffrances des civils palestiniens. « Israël a incontestablement le droit de se défendre. Cela dit, il est très important de ne pas faire d'amalgame entre le Hamas et les Palestiniens », a déclaré Mme Harris lors de l'émission “60 Minutes” diffusée sur la chaîne CBS le 29 octobre 2023. « Les Palestiniens méritent les mêmes mesures de sûreté et de sécurité, d'autodétermination et de dignité, et nous avons été très clairs sur le fait que les règles de la guerre doivent être respectées et que l'aide humanitaire doit être acheminée ».

Fin 2023, des proches de Harris ont commencé à divulguer aux médias que la vice-présidente avait fait pression sur Biden pour qu'il adopte une position plus “dure” à l'égard de Netanyahou et pour que l'administration exprime plus publiquement son inquiétude face aux décès de civils palestiniens. À certains moments, Biden et d'autres hauts responsables ont critiqué publiquement les bombardements israéliens “aveugles” et ont appelé Israël à faire preuve de plus de retenue dans ses tactiques. Au début de l'année 2024, il est devenu évident que l'administration Biden reconnaissait que son soutien à la guerre d'Israël allait probablement poser des problèmes majeurs à sa campagne de réélection. Elle a organisé une série de réunions avec des dirigeants arabo-usaméricains pour tenter de stopper l'hémorragie et a commencé à donner aux hauts fonctionnaires usaméricains les moyens de s'exprimer plus ouvertement sur le sort des civils palestiniens, tout en affirmant toujours qu'Israël avait le droit de se défendre.

Le 3 mars, après des mois de bombardements israéliens massifs sur la bande de Gaza et plus de 30 000 Palestiniens tués, Kamala Harris a pris l'initiative de plaider en faveur d'un cessez-le-feu conditionnel de six semaines à Gaza. « Ce que nous voyons chaque jour à Gaza est dévastateur. Nous avons vu des familles manger des feuilles ou des aliments pour animaux. Des femmes donnent naissance à des bébés souffrant de malnutrition, avec peu ou pas de soins médicaux, et des enfants meurent de malnutrition et de déshydratation », a déclaré Mme Harris. « Nos cœurs se brisent pour les victimes de cette horrible tragédie et pour tous les innocents de Gaza qui souffrent de ce qui est clairement une catastrophe humanitaire. Les habitants de Gaza meurent de faim. Les conditions sont inhumaines ». Le lendemain, le Washington Post titrait : « Harris joue un rôle plus public en critiquant les actions d'Israël à Gaza ».

Alors que de nombreux démocrates espèrent que l'abandon de Biden ouvrira la voie à une réinitialisation, l'histoire politique de Mme Harris indique qu'elle continuera à poursuivre l'agenda bipartisan du gouvernement usaméricain sur Israël et la Palestine, y compris les politiques qui ont aidé et encouragé la mort de plus de 40 000 Palestiniens en neuf mois.

En réalité, la guerre de Gaza n'est pas la question centrale de la campagne de 2024, même si, dans une course où chaque voix compte, elle pourrait causer des dommages substantiels aux démocrates. Le Parti démocrate mise sur l'espoir que les électeurs désillusionnés par la guerre sont tellement terrifiés par le retour de Trump à la Maison Blanche qu'ils mettront de côté leur indignation au sujet de Gaza et se rallieront à un candidat qui n'est pas Joe Biden. La question sera de savoir si les électeurs tiennent Harris pour responsable de la politique de l'administration à l'égard de Gaza ou s'ils se contenteront du retrait de Biden du ticket.

« Pendant des mois, nous avons prévenu que le soutien de Biden à l'assaut israélien contre Gaza nuirait à son éligibilité », a déclaré Layla Elabed, l'une des dirigeantes du mouvement Uncommitted*, qui a appelé Biden à mettre fin aux livraisons d'armes à Israël par les USA.

« En finançant un gouvernement qui commet des violations des droits humains, nous compromettons la position de notre parti contre l'extrémisme de droite et contredisons notre engagement en faveur de la démocratie et de la justice. Il est temps d'aligner nos actions sur nos valeurs. La vice-présidente Harris peut entamer le processus de reconquête de la confiance en tournant la page des politiques horribles de Biden à Gaza ».

 NdT

*Uncommitted= Non engagés. Lors des primaires présidentielles démocrates du Michigan 2024, du Minnesota 2024 et de Washington 2024, de nombreux militants et élus, dont le maire de Dearborn Abdullah Hammoud et la représentante à la Chambre des représentants Rashida Tlaib, ont fait campagne pour que les électeurs choisissent l'option de non-engagement en signe de protestation contre la gestion par Biden de la guerre contre Gaza. Certains USAméricains d'origine arménienne ont également suggéré de voter sans engagement en raison des actions de Biden concernant l'offensive azerbaïdjanaise de 2023 au Nagorno-Karabakh. À Washington, le plus grand syndicat de l'État, United Food and Commercial Workers, a soutenu l'option sans engagement. En réponse, le groupe de lobbying  Democratic Majority for Israel a diffusé des publicités arguant que voter “sans engagement” affaiblirait Biden et soutiendrait Donald Trump. Gretchen Whitmer, gouverneure du Michigan, a déclaré que bien qu'elle reconnaisse la “douleur” ressentie par les gens à propos de la guerre, elle encourageait tout de même à voter pour Biden car « tout vote qui n'est pas exprimé en faveur de Joe Biden soutient un second mandat de Trump ». Au final, dans le Michigan, Joe Biden a reçu 81,1 % des voix (618 426 votes), les candidats non engagés ont reçu 13,3 % des voix (101 100 votes), tandis que les autres candidats ont reçu 5,7 % des voix (43 171 votes). La part des non engagés a dépassé celle de Barack Obama en 2012, la dernière campagne de réélection d'un président démocrate (bien qu'en 2012 il se soit agi d'un caucus et non d'une primaire. Dans le Minnesota, les non engagés ont obtenu une part encore plus importante des voix, soit 18,9 %, tandis que Biden n’obtenait que 70,6 %.
Le Mouvement National Non-Engagé, né dans le Michigan, mène campagne pour appeler les électeurs à voter « Uncommitted » afin de promouvoir 3 revendications :

1-Assurer un cessez-le-feu immédiat et permanent

2-Arrêter toute livraison de munitions et toute aide militaire à Israël

3-Mettre fin au siège interminable de Gaza (6248 jours depuis le 15 juin 2007)

 


 

22/07/2024

WAQAS AHMED/RYAN GRIM
Un tribunal kényan conclut que le journaliste pakistanais Arshad Sharif a été torturé avant d’être assassiné par la police
Le juge a rejeté en bloc les arguments peu convaincants de l’État

Waqas Ahmed et Ryan Grim, Drop Site News, 15/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Waqas Ahmed est un journaliste pakistanais, ancien rédacteur en chef du Daily Pakistan et du Business Recorder. @worqas

 

 

Ryan W. Grim (Allentown, Pennsylvanie, 1978) est un auteur et journaliste usaméricain. Il a été chef du bureau de Washington du HuffPost et chef du bureau de Washington de The Intercept. En juillet 2024, Grim et Jeremy Scahill, cofondateur de The Intercept, ont quitté The Intercept pour cofonder Drop Site News. Grim est l’auteur des livres The Squad, We’ve Got People et  This Is Your Country On Drugs. @ryangrim

Dans une décision historique, un juge kényan a rejeté la défense de la police dans l’affaire de l’assassinat en 2022 du célèbre journaliste pakistanais Arshad Sharif et a déclaré qu’il avait été torturé avant d’être assassiné, selon des documents judiciaires examinés par Drop Site. Dans une sentence tranchante, le tribunal, dont la décision a été publiée la semaine dernière, a en outre estimé que sa mort constituait une violation de ses droits humains.


Arshad Sharif interviewe Imran Khan en mai 2022

Le fait que la police kényane  ait tué Sharif, qui était en exil et fuyait les persécutions de l’armée pakistanaise, n’a jamais été mis en doute. La police kényane , pour sa part, a fourni à plusieurs reprises des explications contradictoires et changeantes sur l’assassinat de Sharif. L’une des principales affirmations de la police, à savoir que quelqu’un dans la voiture de Sharif avait tiré sur des agents, en touchant un, n’a jamais été mentionnée au cours de la procédure judiciaire et ne figure nulle part dans le jugement, ce qui indique que l’explication fournie par la police à l’équipe pakistanaise chargée d’enquêter sur l’assassinat ne pouvait être étayée par la preuve qu’un policier avait été blessé. Les alliés de Sharif soutiennent qu’il avait fui le Pakistan vers les Émirats arabes unis, puis vers le Kenya, où il a finalement été assassiné, une affirmation confortée par la nouvelle décision du tribunal.

L’affaire, portée par la veuve de Sharif, Javeria Siddique, a abouti à une décision qui tient plusieurs organismes publics pour responsables de leurs actions et ordonne aux gouvernements pakistanais et kényan un examen plus approfondi.

Sharif, connu pour ses reportages et ses critiques intrépides de l’establishment militaire pakistanais, s’est réfugié d’abord aux Émirats arabes unis, puis au Kenya, après avoir fait l’objet de graves menaces dans son pays, lorsque le gouvernement démocratiquement élu d’Imran Khan a été renversé sous l’effet d’une intense pression militaire et d’une motion de censure soutenue par les USA. Moins de trois mois après avoir quitté le Pakistan, il a été tué par la police kényane sur un chemin de terre alors qu’il revenait d’un camp situé dans la banlieue de Nairobi. Une autopsie, dont les résultats ont été divulgués, a ensuite révélé qu’il avait peut-être été torturé.

Son assassinat brutal au Kenya a choqué la communauté journalistique internationale et soulevé de graves questions sur la sécurité des dissidents en exil. Au Pakistan, les militaires ont déployé des efforts considérables pour contrôler le récit de la mort de Sharif et faire taire les enquêtes sur son assassinat. De même, au Kenya, pays dont les liens militaires et économiques avec le Pakistan sont étroits, les enquêtes sur le meurtre ont été interrompues sans explication.

Les enquêtes de Sharif visaient souvent des personnalités influentes, notamment Shehbaz Sharif, qui avait été nommé premier ministre après l’éviction d’Imran Khan. Au moment de la mort de Sharif, l’armée pakistanaise entrait dans une période des plus sombres, le gouvernement dirigé par les militaires emprisonnant des milliers de militants, intensifiant la censure des médias et manipulant les élections.

Le juge kényan S.N. Mutuku a noté dans le jugement final, rendu le 8 juillet, que Mme Siddique avait dû introduire l’affaire un an après la mort de Sharif parce qu’“aucune information n’a été fournie [...] concernant la mise à jour de l’état d’avancement des enquêtes ou toute action entreprise contre les auteurs de la fusillade”.

Le jugement demande des comptes à plusieurs organes de l’État, notamment au bureau du procureur général - qui, selon le juge, a un devoir de conseil en matière de droits de l’homme -, à la police et à l’Autorité indépendante de surveillance de la police (Independent Policing Oversight Authority, ou IPOA).

La police, désignée comme le “troisième défendeur” dans le dossier, a été particulièrement critiquée pour n’avoir pas mené d’enquête indépendante et efficace. « Le troisième défendeur a la responsabilité de donner suite aux recommandations de l’Autorité indépendante de surveillance des services de police, notamment en ce qui concerne l’indemnisation des victimes de fautes policières », peut-on lire dans le jugement. « Le fait que les défendeurs n’aient pas mené d’enquête indépendante, rapide et efficace, qu’ils n’aient pas engagé de poursuites, qu’ils n’aient pas achevé ces enquêtes ou qu’ils n’aient pas donné suite de toute autre manière aux résultats de ces enquêtes, constitue une violation de l’obligation positive d’enquêter sur les violations du droit à la vie et d’engager des poursuites contre les auteurs de ces violations ».

YANIV COGAN
Israël étudie une proposition visant à installer un régime fantoche “musulman modéré” à Gaza

Ce plan, que des responsables israéliens ont qualifié de “brillant”, prévoit de “rééduquer” les Palestiniens, de détruire l’UNRWA et de raser les camps de réfugiés.

Yaniv Cogan, Drop Site News, 19/7/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Yaniv Cogan est un auteur vivant à Tel Aviv. Il a récemment contribué au livre DELUGE: Gaza and Israel from Crisis to Cataclysm, publié par OR Books.

Jeudi, la Knesset israélienne a voté à une écrasante majorité pour contrecarrer tout effort visant à établir un État palestinien indépendant et a de fait confirmé le projet de longue date d’Israël de confiner les Palestiniens dans des ghettos de plus en plus isolés et inhabitables. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a clairement indiqué qu’il s’opposait à tout cessez-le-feu avec le Hamas qui ne lui permettrait pas de poursuivre sa campagne militaire à Gaza et qu’il s’efforçait de saboter une fin négociée de la guerre.


La mosquée Abdullah Azzam est réduite en ruines par une frappe israélienne à Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 17 juillet 2024. Photo : Majdi Fathi/Nur Photo via Getty

Dans le même temps, le gouvernement israélien a élaboré des plans d’après-guerre dystopiques et fondamentalement irréalistes pour gouverner Gaza, soit par l’occupation, soit, comme le suggère un document influent, par l’installation d’un régime fantoche “musulman modéré”.

Les responsables israéliens de la sécurité ont fait l’éloge du récent document universitaire recommandant l’élimination de la démocratie à Gaza et la reconstruction de la société gazaouie en une “entité musulmane modérée” dans le moule des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite. Le plan contient plusieurs idées pour refaire entièrement la société gazaouie, notamment raser les camps de réfugiés, interdire “tous les livres scolaires existants” et établir un contrôle total des médias. La proposition appelle également à l’élimination de l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) et à la fermeture des programmes sociaux et humanitaires gérés par le Hamas pour les remplacer par une structure alternative contrôlée par Israël.

« Nous, au Conseil national de sécurité [israélien], avons lu cet excellent document », a déclaré son directeur, Tzachi Hanegbi, lors d’une récente interview à i24 News, « et en fin de compte, nous, les décideurs, devrons prendre en compte cette analyse, parce qu’elle est brillante ».

Alors que certains dirigeants politiques et responsables gouvernementaux israéliens de premier plan ont préconisé un plan plus extrême pour Gaza, qui impliquerait une occupation militaire permanente, voire l’expulsion de l’ensemble de la population palestinienne, la proposition des universitaires ouvre une fenêtre sur l’éventail des options envisagées aux plus hauts niveaux du pouvoir en Israël. Alors que les responsables israéliens mènent des jeux de guerre intellectuels sur l’avenir de Gaza, les Palestiniens restent pris au piège d’un enfer fait de bombardements constants, d’occupation militaire, de famine et de menaces d’anéantissement.

Selon les quatre universitaires israéliens auteurs du document, intitulé “From a Murderous Regime to a Moderate Society” [D’un régime meurtrier à une société modérée], celui-ci a eu une influence significative dans les allées du pouvoir. « Il a été très bien accueilli. Nous savons qu’il a été lu et diffusé. Des personnes très haut placées l’ont reçu plus d’une fois avec la recommandation de le lire et d’en discuter », a déclaré la professeure israélienne Netta Barak-Corren lors d’un récent podcast animé par Dan Senor, l’ancien porte-parole du régime d’occupation militaire des USA en Irak.

Le plan du “jour d’après” pour Gaza a été salué par l’éminent néoconservateur usaméricain qui a joué un rôle clé en Irak en 2003, lorsque l’administration Bush a imposé un vaste programme visant à éradiquer par la force l’idéologie du parti Baas de la société irakienne. « Je pense que l’ensemble des efforts déployés est extraordinaire », dit Senor dans son podcast. « Je connais un certain nombre de responsables israéliens qui partagent ce point de vue. Cela a certainement un impact et fait le tour du monde ». Senor a été conseiller principal de L. Paul Bremer, qui a dirigé l’occupation irakienne à ses débuts et a mis en place un régime désastreux pour les Irakiens, lequel a contribué à déclencher une insurrection d’une décennie contre les forces usaméricaines.

Le document a été distribué aux hauts responsables de la sécurité nationale israélienne, y compris aux membresl du Conseil de sécurité nationale, aux échelons supérieurs des Forces de défense israéliennes et à l’agence de renseignement Shin Bet à partir de février 2024. Il a également été présenté aux cinq membres du cabinet de guerre, l’organe de décision qui, jusqu’à sa récente dissolution, avait le dernier mot sur les politiques d’Israël à Gaza.

Les médias israéliens n’en ont toutefois pas parlé avant le mois de juin, notant que le document de 28 pages n’avait pas été rendu public. Danny Orbach, l’un des auteurs du document et professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, a expliqué dans un message sur Facebook que le document était resté confidentiel en raison des “recommandations opérationnelles spécifiques” qu’il contenait. Drop Site News a obtenu une copie peu de temps après - qui, avec 32 pages, semble être une version éditée ou mise à jour - et le Centre Moshe Dayan de l’Université de Tel Aviv a récemment publié la version de 32 pages (en hébreu).

Le document rassemble les enseignements tirés de quatre opérations historiques de changement de régime - le Japon et l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, l’Irak et l’Afghanistan après les invasions menées par les USA - et formule des recommandations pour les efforts actuels d’Israël visant à renverser le gouvernement démocratiquement élu du Hamas dans la bande de Gaza.

21/07/2024

HANNO HAUENSTEIN
“Se débarrasser de Netanyahou ne suffit pas : le monde doit mettre fin à l’apartheid d’Israël”
Entretien avec Gideon Levy

Hanno Hauenstein, jacobin.de, 16/7/2024
English original: Gideon Levy: Getting Rid of Netanyahu Is Not Enough
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Hanno Hauenstein (*1986) est journaliste indépendant qui vit à Berlin. Ses articles ont été publiés entre autres par le Guardian, the Intercept, Zeit Online, Haaretz et la taz. Il a été pendant plusieurs années rédacteur et chef de rubrique au service culturel de la Berliner Zeitung. En octobre 2022, il a été démis de ses fonctions pour avoir critiqué l’invitation de Viktor Orban à un débat avec l’éditeur de la BZ, Holger Friedrich. Il a également été le fondateur et l’éditeur de la revue artistique et littéraire germano- hébraïque aviv Magazine.
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https://www.facebook.com/hanno.frieder/

Gideon Levy est l’un des critiques les plus en vue de la politique d’occupation et de guerre israélienne. Dans un entretien avec JACOBIN, il illustre les effets dévastateurs de la guerre de Gaza, l’escalade de l’annexion de la Cisjordanie et la stagnation du discours public en Israël.

Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, Israël se trouve dans un état d’urgence absolu. Le pays est gouverné par un cabinet de guerre, les censures militaires noircissent des articles sélectionnés et expulsent certains médias étrangers, tandis que la guerre dévastatrice continue de faire rage à Gaza.

On entend souvent dire que tout ce qui se passe en Israël et en Palestine depuis le 7 octobre est de la seule faute du Hamas. Mais le conflit au Proche-Orient n’est pas né de l’attaque terroriste du Hamas. Ce conflit a une histoire longue et sanglante, au cours de laquelle la Palestine a été occupée pendant des décennies par Israël et la population arabe entre la Méditerranée et le Jourdain privée de ses droits.

Peu d’Israéliens le savent mieux que le journaliste Gideon Levy, qui couvre depuis des décennies la politique de colonisation et d’exclusion qu’Israël mène à l’égard des Palestinien·nes. Dans un entretien avec JACOBIN, il a évoqué l’histoire du conflit, la possible annexion de la Cisjordanie et ses espoirs pour la région.

 


Le 13 juillet, des dizaines de Palestinien·nes [92] ont été tué·es lors d’une attaque aérienne israélienne à Gaza, qui visait apparemment le chef militaire du Hamas, Mohammed Deif. Des images de l’attaque ont montré de grands cratères et d’énormes nuages de fumée à des endroits qu’Israël avait déclarés comme “zone sûre”. 279 Gazaouis ont été tués lors de l’opération de libération de quatre otages à Nuseirat il y a quelques semaines. La plupart étaient des civils. Le fait que le prix de cette guerre soit si élevé fait-il l’objet d’un débat au sein de l’opinion publique israélienne ?

Non, pas du tout. Je peux te garantir que s’il n’y avait pas eu 200 morts à Nuseirat, mais 2.000, cela aurait quand même été justifié pour la plupart des gens en Israël. À leurs yeux, Israël a le droit de faire ce qu’il veut après le 7 octobre. Et ce n’est pas au monde de nous imposer des limites. C’est la façon de penser. Bien sûr, il y a des gens qui voient les choses différemment. Mais ils sont une petite minorité et ont peur d’élever la voix. La plupart des Israéliens justifieraient en ce moment toute agression contre la population palestinienne. Dans n’importe quelle proportion.



Maternité
, par Malak Mattar

De nombreux objectifs déclarés de la guerre - comme la libération des otages ou la destruction du Hamas - ont à peine été atteints après neuf mois. L’opinion publique israélienne ne doute-t-elle pas de la poursuite de l’effusion de sang à Gaza ?

C’est là qu’Israël est divisé. On ne peut pas dire que les objectifs ont été atteints alors que le Hamas continue de tirer des roquettes et que la plupart des otages n’ont pas été libérés. Au niveau international, Israël devient un paria. Mais l’aile droite argumente que tout cela est dû au fait que nous ne nous sommes pas battus assez fort et que nous n’avons pas tué assez de gens. Ils pensent que l’armée israélienne n’est pas assez déterminée.

D’un autre côté, nombreux sont ceux qui commencent à comprendre, avec neuf mois de retard, que cette guerre ne peut pas atteindre ses objectifs, car ils sont par définition inatteignables. Des gens comme moi le disent depuis le premier jour. Mais malgré cela, personne ne tire la conséquence de mettre fin à la guerre aujourd’hui. Si elle n’a rien donné après neuf mois, elle ne donnera rien non plus après neuf autres mois, si ce n’est plus de tueries et plus de destructions. Alors pourquoi continuer ? 

La dernière fois que nous nous sommes parlés, c’était juste avant les dernières élections en Israël, qui ont porté au pouvoir le gouvernement actuel, dirigé par des extrémistes. Tu avais alors exprimé de très faibles attentes vis-à-vis de l’opposition. La guerre contre Gaza dure maintenant depuis neuf mois. Des dizaines de milliers de civils ont été tués. Vois-tu aujourd’hui une opposition significative en Israël ?

Il y a une opposition engagée, ils manifestent chaque semaine et bloquent même parfois la circulation. Mais ils ne se concentrent que sur deux choses : se débarrasser de Netanyahu et ramener les otages à la maison. Il n’y a pas de véritable opposition à la guerre. Pas d’opposition aux crimes d’Israël. Pas d’opposition à la tuerie de masse à Gaza. Pas du tout. C’est pourquoi, même si Netanyahou est remplacé, aucun des autres candidats ne s’attaquera aux questions fondamentales : la guerre, l’occupation, l’apartheid. Aucun d’entre eux n’est prêt à un véritable changement. Pour ce qui est des questions essentielles, Israël restera le même.

Avant le 7 octobre, il y avait eu des manifestations en Israël contre la soi-disant réforme de la justice. Un petit bloc constant dans ces manifestations, le bloc anti-occupation, a toujours abordé les thèmes que tu as mentionnés. Ils ont tenté d’établir un lien entre l’oppression d’Israël contre les Palestiniens et la réforme judiciaire. Est-ce que cela n’était que marginal ?

Définitivement. Premièrement, lors de ces manifestations également, la majorité des manifestants ne voulaient pas de ce groupe. Ils n’ont pas toléré les drapeaux palestiniens. Ils ne voulaient pas être impliqués dans cette question, car ils craignaient que cela irrite la plupart des Israéliens. Et ce bloc se rétrécit encore plus aujourd’hui. Les gens qui sont vraiment contre la guerre et l’occupation forment un camp beaucoup plus petit après le 7 octobre.


Depuis des années, tu ne cesses de soulever toi-même des questions qui restent souvent taboues en Israël. Tu as toutefois assez souvent défendu le Premier ministre Benjamin Netanyahu et remis à leur place ses critiques libéraux. Pourquoi ça ?

Le front uni contre Netanyahu était exclusivement focalisé sur l'idée de se débarrasser de lui, tout en faisant l’impasse sur tous les autres problèmes. Comme si Israël allait se transformer en une sorte de paradis dès que nous serions débarrassés de Netanyahou. Comme si tout était de sa seule faute. L’occupation et les colonies - tout cela est dû au Parti travailliste israélien, pas à Netanyahou. Shimon Peres, qui a reçu le prix Nobel de la paix, est responsable de plus de colonies que Netanyahou. Être contre Netanyahu est très confortable. Il n’y a pas besoin de courage pour cela. Mais si l’on n’a pas d’alternative, ni personnelle, ni programmatique, ni idéologique, cet argument est creux. En outre, je suis également d’avis que Netanyahou a personnellement un niveau bien plus élevé en tant qu’homme politique que tous les autres candidats.

Ta position a-t-elle changé ?

Aujourd’hui, je ne dirais plus un seul bon mot sur Netanyahou. Il doit dégager. Il n’y a aucun doute à ce sujet.

20/07/2024

JEREMY SCAHILL
Palestine : la parole à la Résistance

Ci-dessous, traduits par Tlaxcala, une série de trois articles consacrée aux perspectives de la résistance palestinienne après le 7 octobre et au dixième mois d’une guerre asymétrique opposant des combattants défendant leur peuple à une armée d’occupation surarmée, équipée et soutenue par les puissances impériales. La stratégie génocidaire des occupants n’est pas parvenue à écraser cette résistance en 285 jours. Une fois de plus se vérifie cette vérité historique : aucune armée d’occupation ne peut écraser une armée populaire. Ni au Vietnam, ni en Algérie, ni en Afghanistan, ni en Irak, ni en Palestine. L’auteur de ces articles, Jeremy Scahill, est un journaliste usaméricain d’investigation chevronné, qui vient de créer avec ses amis le site ouèbe Drop Site News, après avoir travaillé pendant 11 ans au site The Intercept, qu’il avait créé avec Glenn Greenwald. Le mérite de ces articles est de donner la parole aux protagonistes de la résistance, une parole universellement censurée par les médias dominants. Une belle leçon de journalisme.

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18/07/2024

RENÁN VEGA CANTOR
Pendant qu’Israël massacre les Palestiniens, la littérature sur l’Holocauste prolifère


Renán Vega Cantor, La Pluma, 18/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Renán Vega Cantor (Bogotá, 1958) est un historien et enseignant colombien.
Il est professeur à l’Universidad Pedagógica Nacional de Bogotá. Bibliographie Articles

“Israël est une nation nécrophile, obsédée et possédée par la mort, et en particulier par les camps de la mort de l’Holocauste, incapable de comprendre l’atrocité et pourtant suffisamment capable d’user et d’abuser de ses souvenirs au nom de ses objectifs politiques.”
-Ilan Pappé,
The Idea of Israel: A History of Power and Knowledge (L’idée d’Israël : une histoire du pouvoir et de la connaissance), Verso Books, 2014.

Je suis devant une librairie, l’une des dernières de Bogotá, et comme je le fais depuis des années, je m’arrête pour regarder les nouveaux livres proposés dans les vitrines qui donnent sur la rue. Quelque chose attire immédiatement mon attention : il y a des dizaines de livres sur l’holocauste nazi contre les Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je me méfie un peu, car nous sommes en 2024, en plein génocide de l’État d’Israël contre les Palestiniens. Je regarde plus attentivement pour voir si je peux trouver des livres sur ce génocide en cours. Il n’y en a pas.


-Plus jamais ça !
-Encore une fois !
Carlos Latuff, 2009

Cette prolifération de littérature sur les nazis, la Deuxième Guerre mondiale et les Juifs éveille ma curiosité. J’entre dans la librairie et sur les premières étagères où sont exposés les livres les plus récents, il y a des dizaines de textes sur l’Holocauste. Il y a de tout : histoire, mémoires, romans, chroniques, témoignages, essais, analyses historiographiques, études sociologiques... Les livres traitent des enfants, des femmes, des homosexuels, des personnes âgées... qui ont été persécutés par les nazis et l’épicentre spatial se limite à ce qui s’est passé dans les territoires européens occupés par les armées hitlériennes en Pologne, en Tchécoslovaquie et dans d’autres pays de l’Europe centrale et orientale. Un thème qui ressort est celui des camps de concentration, en particulier Auschwitz. Il n’y a pas de livre, du moins à première vue, sur l’invasion allemande de l’Union soviétique et les crimes qui y ont été commis.

Cette exposition et cette propagande bibliographique se caractérisent par le fait que les livres ont été écrits et publiés récemment, pour la plupart entre 2022 et 2024. Bien sûr, certains titres connus sont exposés, comme les œuvres de Primo Levi ou le Journal d’Anne Frank.

Pour vous donner un avant-goût de certains des titres des livres que j’ai pu voir en direct : Le photographe d’Auschwitz ; L’Holocauste rose ; Les 999 femmes d’Auschwitz ; La fille qui s’est échappée d’Auschwitz ; Ma grand- mère était à Auschwitz ; Le peintre d’Auschwitz ; J’ai survécu à l’Holocauste ; Pour comprendre l’Holocauste ; Fuir l’Holocauste ; Une brève histoire de l’Holocauste ; Le mystère de l’Holocauste dévoilé ; Représenter l’Holocauste ; Le garçon au pyjama rayé ; Le journal d’Helga. Témoignage d’une jeune fille dans un camp de concentration ; La chance. Echapper à l’Holocauste ; Questions que l’on m’a posées sur l’Holocauste ; Mémoires d’un historien de l’Holocauste...

Et il ne s’agit là que d’un petit échantillon représentatif de la profusion de littérature sur les Juifs et l’Holocauste que l’on peut observer de nos jours. À l’intérieur de la librairie, il n’y a pas de livres sur les Palestiniens, du moins pas en exposition publique, et si vous interrogez les libraires sur la Palestine et le génocide en cours, ils vous répondent qu’il n’y a pas grand- chose à montrer.