À
l'époque de la ruée vers l'or, les cérémonies d’accueil ont rapidement
fait place au sectarisme et à la violence.
Michael Luo, The New Yorker,
23/8/2021
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Michael M. Luo
(Pittsburgh, 1976) est un journaliste usaméricain et l'actuel rédacteur en chef
de newyorker.com. Il a
auparavant écrit pour le New York Times, où il était journaliste
d'investigation. Il rédige actuellement un livre sur l’exclusion des Chinois
aux USA.
Jusqu'au milieu du
XIXe siècle, la colonisation de la frontière occidentale de l'USAmérique
ne s'étendait généralement pas plus loin que les Grandes Plaines. Les terres
verdoyantes que les conquistadors espagnols appelaient Alta California avaient
été revendiquées par l'Espagne, puis par le Mexique, après l'obtention de son
indépendance, en 1821. En 1844, James K. Polk remporte la présidence en tant
que partisan de la « destinée manifeste » de l'USAmérique, la
croyance selon laquelle c'est la volonté de Dieu que les USA s'étendent de l'océan
Atlantique au Pacifique, et entraîne rapidement le pays dans une guerre avec le
Mexique. En vertu du traité de Guadalupe Hidalgo, en 1848, le Mexique cède la
Californie aux USA, ainsi que la vaste étendue de terre qui comprend
aujourd'hui le Nevada, certaines parties de l'Arizona et le Nouveau-Mexique.
Considérés comme une "race de coolies",
les Chinois étaient vus comme une menace pour la main-d'œuvre blanche libre.
Illustration par Mojo Wang
La Californie était peu
peuplée et presque entièrement séparée du reste du pays. Y naviguer depuis la
côte Est, en contournant l'Amérique du Sud, pouvait prendre six mois, et le
voyage par voie terrestre était encore plus ardu. La ville naissante de San
Francisco consistait en un ensemble de bâtiments à ossature de bois et en
adobe, reliés par des chemins de terre, répartis sur une série de pentes. Moins
de mille habitants robustes, dont beaucoup de Mormons fuyant les persécutions
religieuses, occupaient cette colonie sablonneuse et balayée par les vents.
Cela a changé avec une
soudaineté remarquable. Le matin du 24 janvier 1848, James W. Marshall
inspectait les progrès de la construction d'une scierie sur les rives de
l'American River, dans les contreforts des montagnes de la Sierra Nevada, à
environ 210 km au nord-est de San Francisco. Selon son récit, il a repéré
quelques reflets dans l'eau et a ramassé un ou deux fragments métalliques.
Après les avoir étudiés de près, il s'est rendu compte qu'il pouvait s'agir
d'or. Plusieurs jours plus tard, il est retourné à New Helvetia, un avant-poste
éloigné dans la vallée du Sacramento, où il a demandé à son partenaire
commercial, John Sutter, de le rencontrer seul. Les deux hommes ont effectué un
test avec de l'acide nitrique et se sont convaincus que la trouvaille était
authentique. Sutter implore ceux qui travaillent à l'usine de garder le silence
sur la découverte, mais, en mai 1848, un chef mormon qui possède un magasin
général dans l'avant-poste se rend à San Francisco et annonce une nouvelle
stupéfiante. « De l'or ! De l'or ! L'or de l'American River ! », aurait-il
crié en déambulant dans les rues, tenant en l'air une bouteille remplie de
poussière d'or et agitant son chapeau. En quelques semaines, la majorité de la
population masculine de San Francisco se rue dans les collines. Le port de la
ville fut bientôt rempli de bateaux abandonnés dont les équipages s'étaient
précipités en quête de richesse.
On ne sait
pas exactement comment la nouvelle de la ruée vers l'or a atteint la Chine.
Selon un récit, un marchand de la province de Guangdong nommé Chum Ming faisait
partie des nombreux hommes qui se sont aventurés dans les contreforts de la
Sierra Nevada et ont fait fortune. L'histoire raconte que Chum Ming a écrit à
un ami resté au pays et que la nouvelle a commencé à circuler. Mae Ngai,
professeur d'études asiatiques américaines à l'université Columbia, commence
son livre The Chinese Question (Norton) par un fait plus véridique : l'arrivée d'un navire
transportant de l'or californien - plus précisément, deux tasses et demie de
poussière d'or - à Hong Kong le jour de Noël 1848. Un agent de San Francisco de
la Compagnie de la Baie d'Hudson, l'entreprise de commerce des fourrures, avait
demandé que des experts britanniques en Chine l'évaluent. Le navire avait
également apporté des exemplaires du Polynesian, un journal d'Honolulu,
qui relatait les immenses quantités d'or extraites par les prospecteurs en
Californie.