Gideon Levy, Haaretz, 28/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
En 1982, l’armée israélienne n’a pas empêché les phalangistes
de massacrer 600* hommes, femmes et enfants dans un camp de réfugiés palestiniens
au Liban ; cette semaine, en Cisjordanie, personne n’a arrêté les colons
phalangistes à Huwara.
Des
soldats de Tsahal et des colons israéliens à Huwara lundi. Photo : Moti Milrod
Dimanche après-midi, le jeune Radwan Dameidi a emmené sa femme
et son enfant en bas âge de leur maison dans la ville de Huwara, en
Cisjordanie, à la maison de la famille de sa femme à Naplouse. Dameidi possède
un magasin d’or à Naplouse et vit dans une maison spacieuse à Huwara.
Immédiatement après l’attaque terroriste de dimanche à Huwara, au cours de
laquelle deux Israéliens ont été tués, il a appris par les médias sociaux que
les colons préparaient un acte de vengeance majeur dans la ville, il a donc
rapidement transféré sa femme et son bébé dans un endroit sûr.
La journaliste de Haaretz, Hagar Shezaf, savait que les
colons organisaient une marche de vengeance. Elle en avait entendu parler le
dimanche après-midi alors qu’elle était à Paris. De Huwara à Paris, quiconque
le souhaitait savait qu’une grande opération de vengeance était sur le point de
secouer Huwara. Il n’y avait qu’un seul acteur qui ne savait pas, ne voyait pas
et n’entendait pas - ou peut-être entendait-il, savait mais l’ignorait : l’establishment
militaire israélien.
Les forces de défense israéliennes, la police aux frontières
et le service de sécurité Shin Bet ne se sont pas préparés à un quelconque
pogrom et n’ont rien fait pour l’empêcher, soit par apathie et complaisance,
soit parce qu’ils ont délibérément fermé les yeux. Selon une estimation de l’armée,
au moins 400 voyous colons, dont certains étaient masqués et armés et d’autres
munis de gourdins, de chaînes en fer et de jerricans ‘essence ont fait
irruption à Huwara. Personne ne les a arrêtés, et personne n’a sérieusement
essayé de le faire.
Radwan
Dameidi dans sa maison à Huwara, lundi, après que des colons israéliens ont
incendié la ville dans la nuit de dimanche à lundi : Moti Milrod
Lundi, la police aux frontières a déclaré que ses forces
avaient en fait empêché les émeutiers juifs d’entrer dans Huwara et que les
émeutiers avaient envahi la ville depuis un endroit qui relevait de la
responsabilité de l’armée. Les journalistes militaires ont également expliqué
que les soldats avaient tenté d’empêcher les colons d’entrer sur les routes de
la ville et qu’ils étaient donc descendus des collines. D’une manière ou d’une
autre, des centaines d’émeutiers ont envahi la ville dans le but de semer la
destruction. Personne ne les a arrêtés et personne n’en a assumé la responsabilité.
Cela a montré une fois de plus à quel point les Palestiniens
sont impuissants et qu’aucune entité sur terre ne protège leurs vies et leurs
biens. Dimanche, on a également soupçonné que le fait que l’armée ferme les
yeux n’était pas le fruit du hasard. Peut-être que les responsables des FDI
voulaient en fait que les colons fassent leur travail pour eux, en punissant
les Palestiniens et en obtenant un effet dissuasif avec un pogrom, comme l’avait
demandé Zvi Fogel, député d’Otzma Yehudit [Force juive, dirigé par Itamar
Ben Gvir, NdT].
"Je veux voir Huwara fermé et brûlé"
Fermer les yeux de cette manière rappelle des souvenirs
oubliés. En 1982, les FDI ont également fermé les yeux sur les camps de
réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila au Liban, permettant ainsi aux
milices phalangistes libanaises de commettre les terribles massacres qui y ont
eu lieu. Il n’y a pas eu de massacre à Huwara, pas encore, mais personne ne
pouvait savoir à l’avance comment les choses allaient se passer. Si les
émeutiers avaient aussi voulu massacrer la population, personne ne se serait
mis en travers de leur chemin dimanche. Personne n’a arrêté les phalangistes à
Sabra et personne n’a arrêté les phalangistes à Huwara.
Dimanche, ils se sont contentés de semer la destruction. Mais
attendez leur prochain acte de vengeance, surtout si personne n’est traduit en
justice et puni pour le pogrom de dimanche. Sabra et Chatila 2 est en route et
personne ne fait rien pour l’arrêter.
De la
fumée et des flammes s’élèvent après que des colons israéliens se sont
déchaînés dans la ville de Huwara, en Cisjordanie, incendiant plusieurs maisons
et voitures et blessant des dizaines de Palestiniens dimanche soir.Photo :
HISHAM K. K. ABU SHAQRA / Anadol
Huwara ressemblait lundi à une ville fantôme, une ville
assiégée en temps de guerre. C’était Kherson à Huwara. Les reporters étaient
déjà en tenue de combat. Tous les magasins étaient fermés et les rues vides.
Les habitants se sont blottis chez eux et rares sont ceux qui ont jeté un coup
d’œil à travers les barreaux que presque toutes les fenêtres de la ville possèdent
en raison des pogroms précédents.
Les visages de la poignée d’habitants dans la rue reflétaient
leur colère et leur désespoir. Seuls les colons ont été autorisés à circuler
dans les rues de la ville lundi, un autre signe évident d’apartheid, et la
plupart d’entre eux l’ont fait de manière provocante et grossière - klaxons de
victoire, doigt d’honneur et chants tels que “mort aux Arabes”, ”salopes” et
autres épithètes.
Voitures
brûlées à Huwara lundi, après que des colons israéliens ont mis le feu à la
ville palestinienne dimanche soir. Photo : Moti Milrod
D’autres se sont arrêtés, sont sortis de leur voiture sous les
auspices des soldats et ont commencé à railler les habitants de près, à l’entrée
de leurs maisons incendiées et de leurs voitures fumantes. Les habitants
débordaient de rage mais n’osaient pas dire un mot. La main qu’un soldat armé a
posé délicatement sur l’épaule de l’un des voyous a résumé la situation mieux
que ne le feraient des milliers de mots.
Dimanche soir, lorsque Radwan Dameidi est rentré de Naplouse,
où il avait laissé sa femme et son enfant à l’abri pour la nuit, il a été
stupéfait de voir des dizaines de colons armés se déchaîner dans sa cour. Ils
ont cassé des fenêtres et brûlé l’opulente maison d’hôtes de la famille, qui
venait d’être achevée il y a quatre mois. Cette racaille a pillé sa Smart TV et
mis le feu à son vélo d’exercice.
Quatre soldats se tenaient près de la maison et n’ont pas levé
le petit doigt.
*Le rôle de l’armée israélienne
et de son commandant Ariel Sharon dans le massacre de Sabra et Chatila (16-18
septembre 1982) reste controversé : il va de l’observation passive à la
direction opérationnelle. Selon les sources, le nombre de victimes du massacre
varie de 460 à 3 500, le chiffre de 2 000 étant souvent retenu. [NdT]