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03/08/2023

RAÚL ROMERO
Mexique : les trois guerres contre Ayotzinapa

Raúl Romero, La Jornada, 3/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis leur origine, il y a plus de 100 ans, les écoles normales rurales et leurs diplômés ont incarné un projet éducatif critique, d’en bas, en accord avec les besoins des peuples appauvris et opprimés. Dans l’esprit révolutionnaire, agrarien et socialiste de l’époque, les écoles normales rurales ont servi à former des enseignants qui boivent de l’atole, mangent des tortillas au chili et vivent avec le peuple, comme une communauté ñuu savi l’aurait demandé au général Lázaro Cárdenas il y a plusieurs décennies, selon Luis Hernández Navarro dans son merveilleux livre La pintura en la pared. Una ventana a las escuelas normales y a los normalistas rurales.

Le caractère critique de la formation des étudiants des écoles normales rurales, leur tradition organisationnelle, ainsi que leur origine populaire - essentiellement des enfants de paysans et d’indigènes - ont donné naissance à des générations d’enseignants qui luttent pour la défense de l’éducation publique, critique et scientifique, pour l’amélioration de leurs conditions de travail, pour des syndicats démocratiques, pour des projets pédagogiques critiques.

La tradition organisationnelle des normaliens, leur formation à la pensée critique et leur défense permanente de l’éducation publique et gratuite leur ont valu une menace constante de la part de l’État mexicain, qui a non seulement tenté de faire disparaître les écoles avec leurs dortoirs et leurs cantines, mais qui a également persécuté, criminalisé et réprimé leurs étudiants et leurs diplômés. En s’attaquant aux écoles normales et à leurs étudiants, l’État ne s’attaque pas seulement à un projet éducatif de grande valeur, il s’attaque aussi à la semence de lutte et de liberté que représentent de nombreux enseignants, maillons essentiels des processus d’organisation de la base et des nombreuses expériences de lutte dans tout le pays. C’est ce qui a motivé Gustavo Díaz Ordaz lorsqu’en 1969, il a porté un coup brutal en fermant 14 écoles normales rurales.

Que ce soit en les étouffant économiquement, en les réprimant directement, en espionnant et en infiltrant leurs organisations, l’État mexicain a mené une guerre contre-insurrectionnelle contre les normales rurales et leurs étudiants. Dans son objectif, l’État a non seulement cherché à éviter ou à effacer de l’histoire un long passé d’expériences révolutionnaires, mais aussi à empêcher cette tradition d’organisation et de réflexion critique de continuer à être présente dans le pays.

Luis García/ Mexico

À l’ère néolibérale, la guerre contre-insurrectionnelle de l’État contre les écoles normales et leurs étudiants a été complétée par la guerre du marché contre le secteur public en général et contre l’enseignement public gratuit en particulier. Pendant des décennies, les écoles normales et leurs étudiants ont non seulement subi la répression et la stigmatisation, mais ils ont également été confrontés à des problèmes économiques plus graves. Alors que les normaliens se sont battus et se battent encore pour obtenir plus de ressources et de places dans leurs écoles, pour des emplois dignes et bien rémunérés, ils ont dû faire face au discours de criminalisation qui a fait passer leurs écoles pour des écoles du diable et des nids de communistes à des groupes violents liés à la criminalité organisée.

Au Guerrero, en particulier pour les étudiants de l’école normale rurale Raúl Isidro Burgos, la guerre contre-insurrectionnelle et néolibérale contre le normalisme a revêtu une caractéristique également observable dans d’autres parties du pays : les conflits pour le contrôle territorial entre les entreprises du crime organisé avec leurs bras politiques et leurs forces armées légales et illégales. Grâce au Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI), nous savons aujourd’hui que les événements tragiques du 26 septembre 2014 ont impliqué la participation coordonnée des forces armées du crime organisé et des forces armées et autorités de l’État mexicain. À Ayotzinapa, nous avons vu et vécu le degré de symbiose entre l’État et le crime organisé, une association qui a fonctionné pendant le crime, qui a fonctionné pour le maintenir dans l’impunité, et qui a touché les présidences et les polices municipales, les gouverneurs et les polices d’État, l’armée, le Cisen [Centre de la Recherche et de la Sécurité Nationale, agence de rensoignements], la marine, l’état-major présidentiel et la présidence de la République. Ce narco-État du passé est toujours d’actualité, dans la mesure où il nous empêche d’accéder à la vérité et à la justice. L’État mexicain, par l’intermédiaire de certaines personnes et institutions, continue de garantir l’impunité de ce réseau criminel complexe et gigantesque.

Nous ne savons pas si l’État et son armée obéissent ou ont obéi au crime organisé, ou si le crime organisé est au service de l’État et de son armée. Il s’agit d’un travail de longue haleine qui permettra de lever les doutes et d’éclaircir le crime d’Ayotzinapa et bien d’autres qui se sont produits et se produisent encore. Pour l’heure, deux choses sont certaines : c’est dans cette symbiose entre l’État et son armée, d’une part, et le crime organisé, d’autre part, que réside la responsabilité du crime d’Ayotzinapa. Il y a des noms et des prénoms de responsables, certes, mais il y a aussi une responsabilité structurelle, institutionnelle et qui traverse les sexennats présidentiels. La deuxième certitude, plus grave, est que, près de neuf ans après cette nuit tragique, 43 étudiants normaliens sont toujours portés disparus.

 

México Despierta / Mexico Wakes Up
Elmer Sosa
Mexico, 2015

 

GIDEON LEVY
La capitulation est l’acte de courage le plus noblebr>Sortie due film israélien “The Stroinghold”

Gideon Levy, Haaretz, 3/8/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Dr Nahum Werbin est un héros israélien. À première vue, Werbin est un anti-héros - le moins héroïque aux yeux d’Israël, l’opposé complet des héros qu’Israël aime et vénère.

Lorsqu’il est revenu de la mission de sa vie, la plus audacieuse et la plus étonnante de toutes, il a même été interrogé par l’avocat général des armées. Il était sur le point d’être inculpé pour trahison, incitation à la rébellion ou Dieu sait quoi. Il n’est pas étonnant qu’il n’ait pas reçu la médaille du courage qu’il méritait.

Mais Werbin est un grand héros. Il y a tant à apprendre de son histoire, tant à saluer pour sa bravoure. 


Ce soir, le merveilleux long métrage de Lior Chefetz, “Le Bastion” [The Stronghold], superbement réalisé, qui raconte la chute du poste le plus au sud de la ligne Bar-Lev pendant la guerre du Kippour [octobre 1973], sortira en salles. “The Stronghold” est un film sur la bravoure de Nahum Werbin et, dans une certaine mesure, sur la bravoure de son rival, le commandant de l’avant-poste, Shlomo Erdinast, qui s’est opposé à la reddition jusqu’à ce qu’il soit persuadé et y consente, ce qui est tout à son honneur.

Cette reddition était la mesure la plus courageuse que les commandants de l’avant-poste auraient pu prendre dans leur position, après une semaine de siège suicidaire, des bombardements incessants et avec une grave pénurie de médicaments. Le médecin de l’avant-poste, le docteur Werbin, arrivé seulement un jour plus tôt, a non seulement sauvé ses patients, qu’il a soignés avec un dévouement sans bornes, mais il a également sauvé tous les soldats de la position. S’ils n’avaient pas cédé, ils seraient aujourd’hui tous enterrés dans des cimetières militaires.

Grâce à Werbin, ils ont assisté à la première d’un film festif sur eux-mêmes, avec de merveilleux acteurs jouant leurs personnages. Erdinast a fait une noble déclaration, Werbin est resté sur scène en silence et a laissé sa fille Rana lire les mots qu’il avait écrits sur le rôle d’un médecin. Et le film était déchirant.

Parfois, la reddition est l’acte de courage le plus noble. Imaginez le bastion sans Werbin. Erdinast l’aurait poussé à continuer à se battre, jusqu’à la mort. Cela aurait pu être un Masada moderne, avec tout le kitsch nationaliste répugnant, parce que c’était un combat qui n’avait aucune chance. Les fausses valeurs d’honneur et de bravoure auraient été maintenues, mais dans les cimetières. L’histoire de l’héroïsme et du sacrifice des soldats de “The Stronghold” serait enseignée dans les écoles, afin d’apprendre à une nouvelle génération qu’il est bon de mourir.

Si les 25 soldats du poste avaient été tués, comme on s’y attendait, nous chanterions des chants de deuil en leur mémoire à l’occasion de la Journée du Souvenir. Mais on ne chante pas la bravoure de la reddition, parce que céder est toujours une honte. Israël en a toujours honte. Le neveu de Werbin, l’écrivain Yishai Sarid, a attiré mon attention cette semaine sur le fait que son oncle n’a jamais présenté la capitulation comme un idéal, mais qu’il a insisté sur la réflexion angoissante qu’il a menée avant de choisir la vie. Mais on ne peut pas quitter ce film sans applaudir la reddition, qui demande parfois beaucoup plus de courage que son contraire.

La position “Stronghold” était un microcosme israélien, avec une guerre culturelle implicite entre les soldats qui allaient à la yeshiva [école religieuse] et le médecin semi-hippie de Tel Aviv qui venait pour le week-end. Lorsque j’ai rencontré Werbin, des années plus tard, il se promenait encore avec une queue de cheval dans les couloirs du service de chirurgie d’Ichilov. Werbin me connaît sur le bout des doigts. Il y a environ 25 ans, il m’a opéré au moins trois fois et a tout vu de mon intérieur. Je connaissais déjà l’histoire de sa bravoure pendant la guerre, mais le film a apporté la touche finale.

La capitulation est parfois la solution, et pas seulement en temps de guerre. Combien de fois n’avons-nous pas capitulé, juste pour ne pas céder, dans le domaine personnel et surtout national, et en avons-nous payé le prix fort ? Et qu’y a-t-il de mal à se rendre parfois ? Qu’y a-t-il de mal à sauver les soldats du bastion, même si c’est d’une manière apparemment humiliante, devant les caméras du monde entier ? Le poste du bastion, dirigé par son médecin, a choisi la vie. C’était une reddition glorieuse dont nous devrions nous inspirer.

SHEREN FALAH SAAB
Ce n’est pas une blague : des militants du BDS et de la droite sioniste ont tenté d’annuler des concerts d’Emel Mathlouthi en Palestine/Israël

Sheren Falah Saab, Haaretz, 2/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

NdT : le Festival international d’Hammamet, en Tunisie, vient d’annuler, sans explications et sans en informer la chanteuse, un concert d’Emel Mathlouthi programmé pour le 9 août [voir le message d’Emel en bas de page]. Ci-dessous l’arrière-fond de cette décision tout simplement stupide.

Emel Mathlouthi a annulé son spectacle à Haïfa à la suite d’une campagne BDS ; les partisans de la droite sioniste ont eu moins de succès à Jérusalem-Est.

La chanteuse tunisienne Emel Mathlouthi a été attaquée à la fois par le mouvement BDS et par des Israéliens d’extrême droite au cours de la même tournée, qui vient de s’achever, en Cisjordanie et en Israël.

Tout d’abord, elle a annulé la représentation prévue lundi dernier au Fattoush Bar à Haïfa, à la suite d’une campagne médiatique du BDS à son encontre. « Nous appelons les Tunisiens et les Arabes, ainsi que tous les partisans de la Palestine dans le monde, à boycotter Emel Mathlouthi, toute sa musique et tous ses spectacles », avaient écrit les militants du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

Jeudi dernier, Mathlouthi a publié sur sa page Facebook une déclaration rejetant les allégations du BDS selon lesquelles elle “normalise l’occupation par des moyens culturels”. Elle a indiqué que la question palestinienne était une priorité absolue pour elle, comme en témoignent ses chansons, ses prises de position et ses déclarations personnelles. Néanmoins, sa prestation prévue à Haïfa a suscité la controverse sur les médias sociaux, et la pression exercée par le BDS a eu l’effet escompté.

« Suite à la controverse soulevée par la tournée de concerts dans les territoires palestiniens, et afin d’éviter tout malentendu, nous avons décidé de ne pas donner de représentation dans la ville occupée de Haïfa, même si le lieu (Fattoush Bar) est sous propriété palestinienne », a-t-elle écrit.

L’attaque contre la chanteuse a suscité de vives discussions sur les réseaux sociaux de la part de jeunes Palestiniens qui s’opposent à la position du BDS. L’activiste Athir Ismail a écrit sur Facebook : « Je suis une Palestinienne. Et je veux parler de ce que je veux sans que quelqu’un de l’extérieur me regarde et me dise comment me battre et comment vivre ».

Ismail a adressé ses critiques aux militants du BDS vivant à l’étranger, dont les appels au boycott finissent par affecter les Palestiniens vivant en Israël. « Que savez-vous de notre vie ici, à part ce que vous voyez et entendez dans les journaux télévisés ? Vous mettez en doute notre identité palestinienne et vous agissez comme un homme qui pense devoir expliquer à une femme ce qu’elle peut ou ne peut pas faire dans sa lutte contre la masculinité toxique, ce qui est permis et ce qui est interdit ».

L’artiste Haya Zaatry, de Nazareth, a également critiqué les actions du BDS : « Empêcher ou annuler un spectacle musical donné par un artiste arabe dans un espace palestinien indépendant à Haïfa ne fait qu’accentuer l’embargo culturel dans lequel nous (citoyens palestiniens d’Israël) vivons, et c’est une chose mauvaise et dangereuse ».

Zaatry a également critiqué la politique du BDS concernant le boycott des Israéliens palestiniens. « Nous travaillons dur pour produire un art palestinien indépendant. Nous travaillons dur pour construire un espace culturel palestinien indépendant. Nous travaillons dur pour faire entendre notre voix dans le monde ». Faisant référence aux militants du BDS, elle a ajouté : « Et, malheureusement, nous n’entendons vos voix que comme une attaque contre nous, et c’est une contradiction ».

Mais ce n’est pas seulement le BDS qui a tenté de faire annuler le spectacle de Mathlouthi. Des militants de la droite sioniste ont également déployé des efforts. La semaine dernière, Shai Glick, directeur de B’tsalmo, et Ran Yishai, directeur du Centre de Jérusalem pour la politique appliquée, ont envoyé une lettre aux ministres Amichai Chikli, Moshe Arbel et Itamar Ben-Gvir, demandant l’annulation du spectacle de Mathouthi à Jérusalem-Est.

Glick et Yishai ont qualifié la chanteuse de “partisane du BDS et d’incitatrice à la haine”. Dans leur lettre, ils soulignent que « Mathlouthi a précédemment refusé de participer à un festival financé par l’ambassadeur d’Israël en Allemagne, et a été félicitée par le BDS pour cela ». Les tentatives visant à faire annuler le spectacle de Jérusalem ont échoué. La semaine dernière, Mathlouthi s’est produite au festival Layali al Tarab fi Quds al Arab [organisé par le Conservatoire national de musique Edward Said de l'Université Bir Zeit].

Mathouthi a été largement reconnue en Tunisie grâce à sa chanson contestataire Kelmti Horra (“Ma parole est libre”), qui est devenue l’hymne de la révolution tunisienne. À la suite de ce succès, elle a sorti son premier album, qui porte le même titre. Sa musique a été saluée pour son mélange de sonorités tunisiennes et occidentales. Son deuxième album, Ensen, sorti en 2017, fait également appel à la musique électronique et classique. En 2020, elle a publié une vidéo pour sa chanson Holm (“Rêve”), qui est chantée en arabe tunisien. Le clip compte plus de 13 millions de vues sur YouTube.

Le BDS a déjà appelé à boycotter les artistes du monde arabe qui se produisent en Israël. Un cas bien connu s’est produit lorsque le chanteur jordanien Aziz Maraka s’est produit à Kafr Yasif, dans le nord d’Israël, et qu’il a été interviewé par Haaretz.

À la suite de ce spectacle, il a été boycotté dans le monde arabe pendant plusieurs années et n’a plus été invité à se produire. Finalement, il a dû présenter des excuses pour s’être produit en Israël. Le BDS a également appelé au boycott du rappeur palestino-jordanien Msallam Hdaib, qui se produit sous le nom d’Emsallam, après son concert à Haïfa. Depuis ce spectacle, il ne s’est plus produit en Israël.

Il s’agissait de la première tournée de Mathlouthi en Cisjordanie et en Israël, qui s’est terminée par l’annulation de la dernière représentation à Haïfa. Ce qui a rendu la situation encore plus inhabituelle, c’est que, pour la première fois, des organisations de droite israéliennes se sont jointes à l’appel du BDS pour boycotter une chanteuse tunisienne dont le seul but était de se produire devant un public palestinien des deux côtés de la ligne verte.

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Emel Mathlouthi

Depuis mon arrivée en Palestine je fais l’objet d’attaques violentes de la part de certaines personnes en Tunisie qui estiment que ma présence en Palestine contribue à la normalisation avec l’occupation Israélienne.

Ces attaques ont conduit à l’annulation arbitraire de mon concert à Hammamet sans en justifier officiellement la raison jusqu’à présent.

D’autres artistes avant moi sont venus chanter en Palestine tels que Souad Massi, Lotfi Bouchnak, Saber Rebai qui pourtant sont invités dans les festivals tunisiens.

Il paraît donc évident que ces attaques et cette annulation visent spécifiquement ma personne et ce que je représente.

La question palestinienne est fondamentale et c’est ce que j’ai toujours affirmé tout au long de ma carrière.

Chanter pour la Palestine en Palestine et pour son peuple n’est pas seulement un acte artistique, mais pour moi et pour tous les Palestiniens que j’ai rencontrés dans leur pays, c’est un acte de résistance et un moyen de briser leur isolement.

Tous ceux qui se proclament plus palestiniens que les Palestiniens et qui essayent de semer le doute sur mes intentions et jeter de l’huile sur le feu confortablement depuis l’écran de leur ordinateur se trompent sur toute la ligne.

J’ai aussi pu observer et vivre le temps de mon séjour l’occupation avec eux et les intimidations quotidiennes aux checkpoints et a l’intérieur des villes a El khalil, Ramallah ou Jenin.

Je demande clarification et réparation de cette grave erreur envers le public tunisien et envers moi et mon équipe en tant qu’artiste tunisienne qui s’efforce toujours d’être une voix libre et indépendante.

Merci aux grands militants Rania Elias, Suheil Khoury et The Edward Said National Conservatory of Music pour votre invitation et m’avoir permis de réaliser ce rêve et de vivre ces moments hors du temps avec le public palestinien à Jérusalem, Ramallah et Bethléem.

Merci a tous pour tous vos précieux messages d’amour et de soutien et merci aux Palestiniens qui m’ont apporté leur soutien inconditionnel tout du long.


 

 

02/08/2023

GIDEON LEVY
Nous détruisons même leurs puits


Gideon Levy, Haaretz, 30/7/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La bétonnière a vomi le liquide grisâtre qui s’est écoulé bruyamment dans les puits, les obstruant. Il y avait là les soldats qui servaient de gardes, les employés de l’administration “civile” qui avaient conçu ce plan diabolique, les ouvriers qui l’avaient exécuté et les paysans qui voyaient leur subsistance réduite à néant pour l’éternité. 


Les soldats ont tenté de les disperser, comme on chasse un chien errant. Le béton a continué de couler et les gens de l’administration “civile” ont vérifié qu’il recouvrait bien tout. Bientôt, les trois puits étaient scellés. Cela s’est passé mercredi dernier, au sud d’Hébron, près du camp de réfugiés de Fawwar, et c’était l’œuvre du diable, l’un des actes les plus diaboliques de l’occupation - et la concurrence est féroce.

« Aux puits d’eau, aux puits d’eau / à la source qui palpite dans la montagne / mon amour trouvera toujours / l’eau de source / l’eau souterraine / et l’eau de la rivière », écrivait Naomi Shemer en 1982, dans “El borot hamayim”. Comme il est agréable de chanter les puits en public, et comme cette chanson est sioniste, comme toutes ses chansons. Il n’y avait pas d’eau de rivière dans ces puits ; l’amour de Shemer pour la Terre d’Israël n’y aurait trouvé que de l’eau de source et de la nappe phréatique, mais l’eau n’en coulera plus jamais. La haine des Arabes, l’apartheid, la brutalité et le mal recouvrent désormais la source et la nappe phréatique, ainsi que le faux amour pour la Terre d’Israël. Ceux qui bouchent les puits des agriculteurs sont motivés par le mal à l’état pur, et quiconque étouffe l’eau de source hait la terre.

Le mal de l’apartheid a de nombreux visages ; ce bouchage de puits, au cours duquel aucun sang n’a été versé et aucune personne n’a été arrêtée, est l’un des plus laids. Aucun mensonge ou prétexte de sécurité ne peut cacher les puits recouverts de béton, pas plus que l’excuse de la loi et de l’ordre, seulement le mal à l’état pur. Même si ce n’est pas le plus horrible des crimes commis chaque jour dans les territoires, c’est l’un des plus laids : la fermeture des puits d’eau.

Les membres de l’administration “civile” ont certainement une flopée de raisons juridiques et bureaucratiques pour affirmer que ces puits, dans lesquels coulait de l’eau souterraine vitale à la lisière du désert des collines du sud d’Hébron, sont interdits, illégaux, criminels, dangereux et menaçants. Mais rien, absolument rien, ne peut justifier un acte aussi vil et méprisable. Des parcelles de terre sur lesquelles de merveilleux légumes ont été cultivés pendant des années, des choux, des choux-fleurs, des laitues, des tomates et des concombres, un petit jardin potager face à la pression et à la misère du camp de réfugiés de Fawwar et à l’aridité de la montagne, vont maintenant réclamer de l’eau. Il est peu probable que les agriculteurs aient les moyens de faire venir de l’eau par camion. Il est plus probable que ces champs se dessèchent et meurent, tout comme la seule source de subsistance de ceux qui n’ont pas d’autre choix.

Le lendemain, lorsque la vidéo qui l’a documenté est devenue virale, le commandant de l’armée d’occupation, le général de division Ghasan Alyan, qui porte le titre de “coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires”, s’est empressé de publier une directive spécifiant que toutes les activités d’application de la loi contre les infrastructures hydrauliques pendant les mois d’été seraient examinées par le chef de l’administration “civile”. Réexaminée, pas complètement arrêtée ; seulement en été, pas à chaque saison. La destruction des puits et des réservoirs d’eau est la pierre angulaire des activités de démolition de l’administration “civile0”. Quand on veut nettoyer une zone et expulser des gens, il faut d’abord les priver d’eau. C’est le modus operandi. Un État qui empoisonne par les airs les champs de la bande de Gaza et du Néguev n’hésite pas, bien sûr, à priver d’eau les bergers et leurs troupeaux. J’ai vu plus d’un puits que l’administration “civile” a détruit au fil des ans, et aussi certains que les colons ont empoisonnés en y jetant des carcasses d’animaux. Cela ne s’arrêtera certainement pas maintenant.

Il me reste une question à poser : qu’est-ce que le personnel de l’administration “civile” et les soldats ont dit à leurs familles au sujet de leur travail ce jour-là ? Ont-ils dit à leurs enfants ou à leurs parents qu’ils détruisaient les puits d’eau de paysans qui veulent vivre sur leurs terres ? Que c’est leur travail et que quelqu’un doit le faire ? On ne peut qu’espérer que cette journée les hantera pour le reste de leur vie.

 

01/08/2023

HAARETZ
Dans l’Israël de Netanyahou, même les violeurs ont des privilèges s’ils sont juifs

 Éditorial de Haaretz, 1/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La Knesset est atteinte de kahanisme malin. Dimanche, elle a promulgué une loi sans rapport avec le coup d’État judiciaire en cours, et dont le processus législatif n’a pas rencontré d’opposition publique ou parlementaire et qui n’a pas valu à ses partisans des cris de « honte à vous ! » Pourtant, cette loi n’est pas moins dangereuse pour la démocratie que le coup d’État, et elle prouve que les processus de fascisation battent leur plein.

Cette loi double la peine pour un crime ou délit sexuel dans le cas où il a été commis pour des motifs nationalistes. L’organisation féministe israélienne Haredi Nivcharot a demandé, à juste titre, dans un document de synthèse soumis à la commission de la sécurité nationale de la Knesset, en coopération avec la commission de la Knesset sur le statut des femmes et l’égalité des sexes, alors que le projet de loi était en cours d’élaboration : « Un juif ultra-orthodoxe qui viole une fille de 12 ans cause-t-il moins de blessures ou de dommages qu’un Arabe palestinien qui viole une fille de 12 ans ? » Depuis cette semaine, la réponse à cette question en Israël est « oui ».

Une fois de plus, il apparaît clairement que lorsqu’il s’agit de haïr les Arabes, nous sommes bel et bien frères et sœurs. Ce projet de loi, avec son esprit de suprématie juive, a été soumis par les députés Limor Son Har-Melech et Yitzhak Kroizer du parti Otzma Yehudit avec certains de leurs rivaux supposés de l’opposition - les députés Yulia Malinovsky, Evgeny Sova et Sharon Nir de Yisrael Beiteinu. Il est horrifiant de constater que cette loi immorale, qui adapte la peine à la « race » du délinquant/criminel - une peine pour un violeur juif et une autre pour un violeur arabe - est le résultat d’une coopération entre différents partis.

Ceux qui pensaient que seuls les membres du parti Yisrael Beiteinu d’Avigdor Lieberman avaient ostensiblement renoué avec leurs habitudes racistes devraient jeter un coup d’œil sur le décompte des voix. Le projet de loi a été soutenu par 39 législateurs, dont les députés de Yisrael Beiteinu et Pnina Tamano-Shata du Parti de l’unité nationale. Seuls sept députés s’y sont opposés, et le seul de ces sept députés à ne pas appartenir à un parti arabe est Gilad Kariv, du parti travailliste. Tous les autres députés du parti travailliste, du parti de l’unité nationale et du parti Yesh Atid n’ont tout simplement pas pris la peine de se présenter au vote.

« Je ne peux pas comprendre les députés de Yesh Atid et du Parti de l’unité nationale, qui savent que cette loi fait partie d’une campagne menée par les forces kahanistes présentes ici, mais qui ont choisi de quitter le plénum », a déclaré Kariv, qui, une fois de plus (comme lors du vote sur l’élargissement de la loi sur les comités d’admission), a prouvé qu’il était le seul homme vertueux de Sodome. « Nous sommes dans une bataille majeure pour stopper cette vague kahaniste, ce tsunami, mais nous nous y opposons uniquement par cette astuce consistant à quitter le plénum », a-t-il ajouté.

Kariv avait raison. Tous ceux qui se disent démocrates mais qui ont abandonné le plénum au moment où la Knesset se comportait comme une foule excitée possédée par un dibbouk du Ku Klux Klan et qui ont ainsi prêté la main à cette abomination par leur silence, ne peuvent pas prétendre avoir les mains propres. Ils sont des partenaires à part entière de ce crime. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la Haute Cour de justice sauvera Israël de ses racistes et annulera cette loi raciale.

L’enlèvement de Dinah, par Giuliano Bugiardini, env. 1554