06/08/2023

GIDEON LEVY
Yigal Amir, le tabou le plus intouchable d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 6/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Aucun tabou dans la société israélienne n’est plus grand ou plus sacro-saint que celui de Yigal Amir.

Il est interdit de parler de lui ou même de mentionner son nom. Il n’y a pas de sujet qui, apparemment - seulement apparemment – unisse la gauche et la droite plus que l’assassin d’Yitzhak Rabin. Le pont Yigal Amir s’étend des confins de la droite aux confins de la gauche, étant entendu qu’aucun mot ne doit être prononcé sur le sujet.

Yigal Amir, vu par David Tartakover

Amir sert de feuille de vigne aux deux camps. La gauche se considère comme une victime de l’odieux assassinat politique qui lui a fait perdre son chemin, tandis que la droite démontre son opposition à la violence politique et répudie Amir, pour marquer sa légitimité.

Ce qui s’est passé la semaine dernière dans l’émission “Les Patriotes” de Canal 14 est révélateur de la situation : Ari Shamai, l’ancien avocat d’Amir, a osé dire que la loi interdisant effectivement la grâce ou la libération conditionnelle du meurtrier d’un premier ministre était une loi personnalisée - comment pourrait-on soutenir le contraire - ajoutant qu’il était temps qu’Amir soit libéré. Même le plus grand détecteur de sentiments populistes, le journaliste Yinon Magal, sest empressé, comme un possédé, de faire taire les applaudissements du public. Shamai a été licencié le soir même par la chaîne de droite.

Comme tous les tabous, celui-ci fait naître le soupçon que la dissimulation zélée cache un coin sombre que personne ne veut voir éclairé. Il est évident que lacte dAmir était ignoble et méprisable, comme nimporte quel meurtre et peut-être bien plus encore.

Alors pourquoi est-il interdit d’exprimer des opinions légèrement différentes ?

Étonnamment, le tabou autour d’Amir n’a fait que croître au fil du temps. Autrefois, il était encore possible de se demander pourquoi il avait dû rester en isolement pendant tant dannées, ou de se demander si son crime était bien le plus odieux commis en Israël - pire que nimporte quel tueur en série, violeur denfants ou tueur à gages, juste derrière Adolf Eichmann. Après tout, même la condamnation à mort dEichmann a suscité un débat public, quoique marginal, et personne na accusé ceux qui se sont opposés à son exécution dapprouver ses crimes.

Il n’y a aucune légitimité à poser de telles questions en ce qui concerne Amir. Il est devenu lennemi public par excellence. La droite le fuit comme le feu, de peur que son crime ne lentache. À cela s’ajoute peut-être la crainte de légitimer le meurtre politique par des personnes du camp adverse.

La gauche, pour sa part, a fait d’Amir la racine de tous les maux. Tout est de sa faute. Sil navait pas assassiné Rabin, la paix naurait pas été assassinée, Israël serait différent, il ne se serait pas effondré et nous vivrions dans un monde différent. Amir a tout gâché, et sil a tout gâché, la gauche na rien à se reprocher. Résultat : un intérêt commun à le rendre tabou.

Les protestations [contre la refonte judiciaire] ont rendu les frontières entre les camps plus claires. Tout est blanc ou noir. Vous êtes avec nous ou contre nous, et Amir est leur diable commun. Mais la salve dapplaudissements du public du studio la semaine dernière a prouvé que dautres sentiments bouillonnaient sous la surface. Ceux-ci ne doivent pas non plus être ignorés. Certains Israéliens considèrent Amir comme un héros qui a sauvé son pays du désastre. Les faire taire ne les fera pas changer davis.

Il est intéressant de constater que c’est Canal 14, qui fulmine contre ce qu’elle considère comme un silence de la part de la gauche, qui s’est jointe à ce silence d’une manière aussi extrême. Même cette chaîne a ses lignes rouges en matière dintérêts, dannonceurs et dargent. Pour le conglomérat alimentaire Strauss Group, le seul fait d’appeler à la libération d’Amir justifie le retrait de ses publicités sur Canal 14.

Mais Amir ne quittera jamais l’ordre du jour : il planera comme une ombre sombre, et une explosion occasionnelle comme celle de Shamai nous rappellera son existence. Amir est un assassin politique qui mérite une peine particulièrement sévère. Il na pas changé le cours de lhistoire et tous les intérêts politiques, quils soient de gauche ou de droite, doivent être tenus à lécart du débat sur son sort.

De même, l’apparence de consensus entre eux ne peut servir à éluder des questions telles que celle de savoir s’il était juste de voter une loi taillée sur mesure pour lui et d’affirmer ensuite que les lois personnalisées n’ont pas leur place dans une démocratie, et si, un jour, il pourra lui aussi bénéficier de la même humanité que n’importe quel criminel méprisable, et se voir accorder une libération conditionnelle sur ses vieux jours. Oui, vous avez bien lu.

ROMARIC GODIN
Karl Korsch, descongelar el marxismo

Romaric Godin , Mediapart, 3/8/2023
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala

Hace cien años, “Marxismo y filosofía”, el libro de un profesor de Derecho alemán, causó sensación en la izquierda. Marcó el inicio de una singular trayectoria intelectual en oposición a las ideologías marxistas de todo pelaje, llamando a valorar las luchas sobre el terreno, y que sigue tan vigente como siempre.


Ilustración Simon Toupet 

Hace poco menos de cien años, el 16 de octubre de 1923, un profesor de Derecho de la Universidad de Jena de 37 años, Karl Korsch, fue nombrado Ministro de Justicia del Estado federado de Turingia. Fue todo un acontecimiento en la política alemana, ya que era miembro del Partido Comunista de Alemania, el KPD, y se incorporó, junto con otros dos compañeros, a un gobierno dirigido por un socialdemócrata del SPD, August Frölich.

Este último habia decidido formar un gabinete de unidad de izquierdas, siguiendo los pasos de su homólogo en la vecina Sajonia, Ernst Ziegler, que incluyó a dos comunistas en su gobierno. Sin embargo, desde hace cuatro años, el KPD, que se adhirió a la IIIa Internacional bolchevique , y el SPD, que dirigió numerosos gobiernos en la República de Weimar, parecen irreconciliables.

Pero en 1923, el país parecía sumido en el caos. La hiperinflación y la invasión francesa y belga del Ruhr habían destruido la economía alemana. El gobierno federal del liberal Gustav Stresemann se embarcó en una política de severa austeridad, que provocó tentaciones separatistas en Baviera y Renania y golpes de extrema derecha, como el que intentaron los nazis en Múnich el 8 de noviembre.

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ROMARIC GODIN
Karl Korsch, scongelare il marxismo

Romaric Godin, Mediapart, 3/8/2023
Tradotto da Fausto Giudice, Tlaxcala

Cento anni fa, “Marxismo e filosofia”, il libro di un professore di diritto tedesco, fece scalpore a sinistra. Segnò l’inizio di un singolare percorso intellettuale in opposizione alle ideologie marxiste di ogni tipo, chiedendo di valorizzare le lotte sul campo, e che rimane più che mai attuale. 

Illustrazione Simon Toupet

Poco meno di cento anni fa, il 16 ottobre 1923, un trentasettenne professore di diritto dell’Università di Jena, Karl Korsch, veniva nominato Ministro della Giustizia del Land (Stato) di Turingia. Si trattò di un evento nella politica tedesca, in quanto egli era membro del Partito Comunista di Germania, il KPD, e si unì, insieme ad altri due compagni, a un governo guidato da un socialdemocratico dell’SPD, August Frölich.

Quest’ultimo aveva deciso di formare un gabinetto unitario di sinistra, seguendo le orme del suo omologo della vicina Sassonia, Ernst Ziegler, che aveva incluso due comunisti nel suo governo. Negli ultimi quattro anni, tuttavia, il KPD, che aveva aderito alla IIIa Internazionale bolscevica, e l’ SPD, che aveva guidato molti governi nella Repubblica di Weimar, sono sembrati inconciliabili.

Ma nel 1923 il Paese sembrava essere nel caos. L’iperinflazione e l’invasione francese e belga della Ruhr avevano distrutto l’economia tedesca. Il governo federale del liberale Gustav Stresemann intraprese una politica di severa austerità, che portò a tentazioni separatiste in Baviera e in Renania e a putsch di estrema destra, come quello tentato dai nazisti a Monaco l’8 novembre.

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ROMARIC GODIN
Karl Korsch, décongeler le marxisme

Romaric Godin , Mediapart, 3/8/2023

Voilà cent ans, « Marxisme et philosophie », le livre d’un professeur de droit allemand, faisait sensation dans la pensée de gauche. Le début d’un parcours intellectuel singulier en opposition aux idéologies marxistes de tout poil, appelant à valoriser les luttes sur le terrain, et qui garde une actualité brûlante.

© Illustration Simon Toupet 

Voilà un peu moins de cent ans, le 16 octobre 1923, un professeur de droit de l’université d’Iéna de 37 ans, Karl Korsch, est nommé ministre de la Justice du Land de Thuringe. C’est un événement dans la politique allemande, car il est membre du Parti communiste allemand, le KPD, et entre, avec deux autres de ses camarades, dans un gouvernement dirigé par un social-démocrate du SPD, August Frölich.

Ce dernier a décidé de constituer un cabinet d’union des gauches, imitant ainsi son homologue de la Saxe voisine, Ernst Ziegler, qui a fait entrer deux communistes dans son gouvernement. Depuis quatre ans pourtant, le KPD, qui a adhéré à la IIIe Internationale bolchevique, et le SPD, qui a dirigé maints gouvernements de la République de Weimar, semblent irréconciliables.

Mais en 1923, le pays semble en plein chaos. L’hyperinflation et l’invasion de la Ruhr par les Français et les Belges ont détruit l’économie allemande. Le gouvernement fédéral du libéral Gustav Stresemann engage une politique d’austérité sévère qui entraîne des tentations séparatistes en Bavière et en Rhénanie et des envies de putsch à l’extrême droite, à l’image de celui que les nazis tenteront le 8 novembre à Munich.

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Bibliographie Karl Korsch


05/08/2023

GIDEON LEVY
Une ambulance palestinienne est bloquée à un poste de contrôle de Jérusalem-Est : le patient, Mundal Jubran, meurt


Gideon Levy, Haaretz, 5/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une ambulance palestinienne transportant une victime inconsciente d'un accident vasculaire cérébral est empêchée de passer par un poste de contrôle de Jérusalem-Est, après quoi le patient subit des tentatives de réanimation infructueuses. Mundal Jubran, 40 ans, est mort

En deuil de Mundal, à Azzariyeh cette semaine : à gauche ses parents Ahmad et Zahur Jubran, avec Nahad et son fils Youssef. Photo Moti Milrod

L'ambulance palestinienne est arrivée au poste de contrôle sans coordination préalable, ce qui explique peut-être le décès du patient. Même une ambulance transportant une personne gravement malade ou mourante doit coordonner ses déplacements à l'avance par les voies habituelles - trois copies de deux documents ou deux copies de trois documents. Dans le cas contraire, l'ambulance ne sera pas autorisée à se rendre à l'hôpital le plus proche pour sauver la vie du patient. Une ambulance sans coordination préalable est une ambulance inexistante, tout comme la personne qui s'y trouve, dont la vie ne tient qu'à un fil, est considérée comme inexistante, morte.

Les agents de la police des frontières ont fait des allers-retours autour du mourant, qui a été placé par terre au poste de contrôle afin que des efforts désespérés puissent être déployés pour le réanimer - là, sur le sol d'une zone de sécurité sans l'équipement adéquat. Tout a continué à se dérouler selon le manuel, le manuel satanique des lois de l'occupation. Selon le règlement de la police des frontières, une ambulance dont les mouvements ne sont pas coordonnés à l'avance ne peut pas passer, et rien ne peut l'aider - ni un tribunal, ni un médecin, ni un auxiliaire médical, ni le frère du patient, qui a supplié les agents de laisser passer le véhicule.

Selon les enregistrements du chauffeur de l'ambulance palestinienne, la plaidoirie a duré 19 minutes, ainsi que les tentatives désespérées de réanimer l'homme sans équipement de sauvetage, au poste de contrôle, au vu et au su de tout le monde. Dix-neuf minutes pendant lesquelles il aurait été possible de sauver la vie de Mundal Jubran, originaire de la ville d'Azzariyeh, âgé de 40 ans et père de cinq enfants âgés de huit mois à 16 ans. Dix-neuf minutes pendant lesquelles chaque seconde a compté, scellant ainsi son destin après l'attaque cérébrale dont il avait été victime. Dix-neuf minutes au cours desquelles pas un seul agent de la police des frontières au poste de contrôle, pas un seul, n'a pensé que les règlements draconiens devraient peut-être être mis de côté momentanément, que, pour une fois, on devrait faire preuve d'un peu d'humanité à l'égard d'un homme mourant et que l'ambulance devrait être autorisée à passer rapidement pour lui sauver la vie.

Le caractère sacré de la vie a totalement disparu mardi dernier au poste de contrôle d'Al-Zaim, à Jérusalem-Est. En fait, elle a disparu dès qu'il est apparu que le mourant était un Palestinien. Le caractère sacré de la vie ? Strictement pour les Juifs, dont le sang est bien plus rouge que le sang palestinien et les vies mille fois plus précieuses. C'est ainsi que Mundal Jubran est mort, face à la dureté du personnel de la police des frontières. Si seulement l'un d'entre eux avait imaginé ce qu'il aurait pu ressentir si c'était son père qui était là, à terre, mourant, à un poste de contrôle, dont les collègues policiers ne permettaient pas que l'homme soit transporté d'urgence à l'hôpital le plus proche, à quelques minutes de là, et contrecarraient ainsi la tentative de lui sauver la vie.

C'est ce qu'a vécu Mundal Jubran, qui travaillait dans l’épicerie de sa famille à Anata, près d'Azzariyeh, en face de la colonie urbaine juive de Ma'aleh Adumim. Ce jour-là, il n'était pas allé travailler, apparemment parce qu'il se sentait malade. Vers 21 heures, il a dit à sa femme, Ibtisam, qu'il se sentait de plus en plus mal. Sa bouche était tordue, ses joues lui faisaient mal, ses lèvres picotaient, sa langue était lourde. Son élocution est devenue difficile. Effrayée, Ibtisam a appelé le frère de Mundal, Madhat, qui travaille à la télévision palestinienne et est chanteur amateur. Madhat étant à Naplouse, il lui a dit d'appeler un autre frère, Nahad, qui travaille dans une autre épicerie de la famille, à Azzariyeh. Nahad, âgé de 45 ans, a laissé tomber ce qu'il faisait et a couru jusqu'à la maison de son frère, située à quelques minutes de là.

Mundal Jubran. Un médecin a demandé à son frère Nahad : « Pourquoi es-tu en colère ? Ton frère est un chahid. L'occupation l'a tué ». Photo avec l'aimable autorisation de la famille Jubran

Lors de notre visite cette semaine, Nahad nous a raconté qu'alors qu'il courait, il a reçu un autre appel téléphonique d'un parent, il ne se souvient plus qui, disant que l'état de Mundal se détériorait rapidement. À la maison, il a rencontré un voisin qui sortait et qui lui a dit d'appeler rapidement une ambulance.

Le corps de Mundal était rigide et plié en deux, et son frère avait du mal à le faire s'allonger. Nahad a essayé de faire parler Mundal – “Tu m'entends ? Fais signe avec ta main si tu m'entends”, mais en vain. À part tendre la main pour toucher le visage de Nahad, Mundal ne réagit pas. Ses yeux étaient grands ouverts et fixes, mais on ne savait pas s'il comprenait quoi que ce soit. Il avait de l'écume à la bouche.

L'ambulance est arrivée au bout de cinq minutes. Rapidement, le chauffeur et l'ambulancier transportent Mundal sur un brancard dans le véhicule et se dirigent vers la clinique externe de l'hôpital Makassed, à Abou Dis. Nahad les accompagne. Le directeur de la clinique, le Dr Abdullah Ayyad, leur a demandé d'emmener immédiatement Mundal à Makassed, situé non loin de là, à Jérusalem-Est. Ayyad a également envoyé le médecin de garde de la clinique dans l'ambulance. Il leur a demandé d'aller le plus vite possible et leur a dit qu'il essaierait de se coordonner avec les personnes se trouvant au poste de contrôle sur le chemin de l'hôpital. L'option d'emmener Mundal à l'hôpital gouvernemental de Ramallah a été écartée en raison de l'importance de la circulation ; le trajet aurait duré au moins 40 minutes.

Mundal a été replacé dans l'ambulance et ils se sont mis en route pour l'hôpital, pensant y arriver en cinq à dix minutes. La sirène du véhicule a continué à retentir alors qu'ils approchaient du poste de contrôle, mais le personnel de la police des frontières leur a fait signe de tourner à droite dans la zone de contrôle de sécurité. Pourquoi se presser ?

Le chauffeur, qui a l'expérience de ce genre de situation, a pris les cartes d'identité des deux frères et a disparu pour ce qu'il pensait être cinq minutes de négociations avec les policiers. L'état de Mundal continuant de s'aggraver, le médecin accompagnateur de la clinique a décidé de le sortir de l'ambulance et de placer la civière au sol afin d'avoir plus de place pour le soigner. Sentant qu'il était en train de perdre Mundal, le médecin s'est lancé dans des efforts de réanimation. À ce moment-là, Nahad, consterné, est sorti de l'ambulance et a couru vers l'un des agents de la police des frontières, demandant, en hébreu, à parler à l'un de ses supérieurs.

Le point de contrôle d'Al-Zaim à Jérusalem-Est. Photo Moti Milrod

« Laissez-nous passer, nous n'avons pas le temps, son état se détériore », dit Nahad à l'officier. Il n'en est pas question. L'homme lui explique que l'ambulance ne peut en aucun cas passer, qu'ils doivent attendre qu'une ambulance israélienne vienne chercher son frère.

Les minutes passent et l'état de Mundal s'aggrave. Entre-temps, le chauffeur est revenu avec les deux cartes d'identité. Ils ne seront pas autorisés à franchir le poste de contrôle dans l'ambulance. L'un des agents parle sur son téléphone portable et, pendant ce temps, de plus en plus de membres de la police des frontières et de curieux se rassemblent autour de la civière posée au sol, observant la scène avec indifférence, se souvient Nahad. Ils jetaient un coup d'œil et passaient à autre chose. Il était impossible de ne pas comprendre que le patient était dans un état très critique.

Quelqu'un a de nouveau suggéré Ramallah, mais l'idée a été rejetée en raison de la distance. Une ambulance peut se rendre à Makassed depuis le poste de contrôle en quelques minutes. Une fois de plus, Nahad, excédé, implore le personnel de sécurité israélien : « Son état est grave, faites quelque chose : laissez-le passer dans l'ambulance ». Rien. Pas question. Ils ont dû attendre l'arrivée d'une ambulance du Croissant-Rouge en provenance de Jérusalem-Est ; ces ambulances portent des plaques d'immatriculation israéliennes.

De son côté, Madhat était venu de Naplouse en voiture et attendait près du poste de contrôle, où il a vu Mundal être transféré dans la deuxième ambulance. Mais la police des frontières ne l'a pas autorisé à s'approcher pour voir son frère dans ses derniers instants. Il avait peur qu'ils lui tirent dessus, nous dit Madhat.

Selon les registres du Croissant-Rouge, l'appel à une ambulance a été lancé à 22h27, le chauffeur est parti à 22h29, est arrivé à 22h34 au poste de contrôle, et à 22h36 est parti pour Makassed, arrivant à l'hôpital à 22h42. Les efforts pour réanimer Mundal se sont poursuivis tout au long de la journée, et l'équipe d'ambulanciers est restée en contact permanent avec l'hôpital. Une équipe médicale attendait à l'entrée des urgences pour accueillir le patient et commencer les soins, alors même qu'il était transporté en soins intensifs. Nahad est resté à l'extérieur, bouleversé. Des parents de Jérusalem-Est sont arrivés.

Le point de contrôle d'Al-Zaim à Jérusalem-Est, théâtre d'efforts infructueux pour réanimer Jubran Mundal, mourant. Photo Moti Milrod

Un document de l'hôpital indique que deux minutes après l'arrivée de l'ambulance, la respiration du patient s'est arrêtée. Nahad a vu l'équipe hospitalière courir dans tous les sens et a compris que la situation était grave. Personne, cependant, n'a osé lui dire que son frère était mort. Il a tenté d'entrer dans l'unité de soins intensifs, mais a été repoussé avec force. Il ne se souvient plus de rien. « Je ne me sentais plus moi-même », dit-il en hébreu. Un médecin s'est approché de lui et lui a dit : « Pourquoi es-tu en colère ? Pourquoi tu pleures ? Ton frère est un chahid. L'occupation l'a tué ».

À l'époque, les parents des frères, Ahmad et Zahur, étaient en visite dans leur ville natale de Sa'ir, près d'Hébron. Apprenant la nouvelle, Ahmad s'est rendu en voiture au poste de contrôle du Mont des Oliviers dans l'espoir d'être autorisé à passer - soit en raison de son âge, 72 ans, soit parce qu'il a dit aux forces de sécurité que son fils venait de mourir et qu'il voulait lui faire ses adieux en bonne et due forme à l'hôpital. Mais il a été repoussé et renvoyé honteusement chez lui.

« Tu n'as pas de cœur ? Vous avez des cœurs de pierre ? » demande Ahmad à un policier. Encore une fois, en vain. « Cela ne l'intéressait pas, tout comme cela n'intéressait pas le policier un peu plus tôt que mon fils se trouve au poste de contrôle ». Jusque-là, personne n'avait eu le courage de dire la vérité sur Mundal à sa mère, Zahur, 60 ans, qui s'est assise avec nous cette semaine, en silence, vêtue de noir. Ce n'est que très tard dans la nuit qu'elle a été informée.

Des sources au sein de la police des frontières ont expliqué cette semaine que la décision de laisser passer une ambulance relevait de l'administration “civile” du gouvernement militaire. Mais un fonctionnaire de l'administration a déclaré qu'en cas d'urgence, la décision est en fait entre les mains du commandant du poste de contrôle.

Interrogé sur l'incident, un porte-parole de la police israélienne (à laquelle est rattachée la police des frontières) a fourni la réponse officielle suivante : « L'ambulance est arrivée sans la coordination requise à [une unité du] Département de coordination et de liaison des FDI, qui est responsable des autorisations de transit. Le commandant sur place a demandé au DLC d'autoriser le passage de la personne blessée. Cependant, l'autorisation requise n'a pas été reçue [avant] l'arrivée d'une ambulance israélienne [pour permettre] son transfert conformément à la procédure. Dès l'arrivée de l'ambulance israélienne, le blessé a été transféré pour poursuivre son traitement en Israël3.

Réponse de l'unité de coordination des activités gouvernementales dans les territoires : « L'événement que vous décrivez est connu de l'Administration civile. Cet événement fait l'objet d'une enquête conformément aux procédures par les personnes habilitées ».

Avant que nous ne quittions cette maison de deuil, le neveu de Mundal, un petit garçon en sous-vêtements, a demandé à son père quelle langue nous parlions. Son père lui a expliqué que nous étions des Israéliens et que nous parlions hébreu. Le petit garçon nous a alors demandé, en arabe : « Pourquoi est-ce que vous tuez les Palestiniens ? »