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19/12/2023

A. RUGGERI /M. VIETA
Javier Milei a su capter le mécontentement d’une nouvelle classe ouvrière informelle

Andrés Ruggeri et Marcelo Vieta, Jacobin, 14/12/2023
Original :
Javier Milei Has Tapped Into the Discontent of a New, Informal Working Class
Español:
Milei captó el descontento de la clase trabajadora informal

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Andrés Ruggeri (Buenos Aires, 1967) est anthropologue social (UBA) et dirige depuis 2002 le programme Facultad Abierta, une équipe de la faculté de philosophie et de lettres de l’UBA qui soutient, conseille et effectue des recherches sur les entreprises détenues par les travailleurs. Dans le cadre de ce programme, il a coordonné quatre enquêtes nationales sur les entreprises récupérées et plusieurs projets universitaires de volontariat et d’extension, ainsi que la création en 2004 du centre de documentation sur les entreprises récupérées qui fonctionne au sein de la coopérative Chilavert Artes Gráficas. Il est l’auteur et le co-auteur de plusieurs ouvrages spécialisés sur le sujet et a donné des conférences et des cours dans plusieurs pays d’Amérique latine, d’Europe et d’Asie. Depuis 2007, il coordonne l’organisation de la rencontre internationale L’économie des travailleurs ? , qui a déjà eu deux éditions en Argentine, une au Mexique et une autre au Brésil, ainsi qu’une rencontre européenne en France. Il est également l’auteur du livre Del Plata a La Habana. América en bicicleta, dans lequel il raconte son voyage de 1998 à travers l’Amérique latine en solidarité avec la révolution cubaine. Par la suite, il a fait le tour du monde à vélo tandem en traversant 22 pays du tiers-monde avec sa compagne Karina Luchetti. Il enseigne également un séminaire spécialisé en anthropologie et en histoire (UBA) et dirige la revue Autogestión Para otra economía.  Articles en plusieurs langues. @RuggeriAndres1

Marcelo Vieta est professeur associé au sein du programme d’éducation des adultes et de développement communautaire de l’université de Toronto. Il est l’auteur de Workers’ Self-Management in Argentina et coauteur de Cooperatives at Work. Bibliographie

Le plus surprenant dans l’élection du libertarien d’extrême droite Javier Milei en Argentine, c’est qu’il a recueilli une grande partie du vote de la classe ouvrière. Sa capacité à répondre aux inquiétudes du secteur précaire en pleine expansion dans le pays devrait être un signal d’alarme pour la gauche.

Le président argentin Javier Milei arrive pour un service interreligieux à la cathédrale métropolitaine après la cérémonie d’investiture présidentielle le 10 décembre 2023 à Buenos Aires, Argentine. (Marcos Brindicci / Getty Images)

Le “phénomène Milei” en Argentine a commencé à prendre de l’ampleur lorsque l’homme politique d’extrême droite a remporté une victoire inattendue lors des primaires présidentielles du mois d’août. Aujourd’hui, Javier Milei est le premier anarcho-capitaliste et libertarien autoproclamé à diriger une grande économie nationale.

Économiste de formation, Milei s’est d’abord fait connaître en tant que personnalité brûlante de la télévision et des médias sociaux, encline à des tirades misogynes et truffées de jurons. L’entrée officielle de Milei dans la politique argentine s’est faite peu de temps après, en 2021, lorsqu’il a remporté un siège au Congrès national. Adepte de longue date du sexe tantrique, dévot des gourous néolibéraux Friedrich von Hayek et Milton Friedman, et propriétaire de plusieurs mastiffs anglais clonés qu’il appelle ses "enfants à quatre pattes", Milei a proclamé quelques heures après avoir battu son adversaire péroniste que “tout ce qui peut être entre les mains du secteur privé sera entre les mains du secteur privé”.


Milei a en tête l’ensemble des 137 entreprises publiques argentines, telles que l’entreprise publique d’énergie Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF), le vaste réseau de médias publics du pays (Radio Nacional, TV Pública et l’agence de presse Télam), les services postaux et la compagnie aérienne nationale Aerolineas Argentinas. Il a également laissé entendre qu’il démantèlerait le système de santé publique argentin et qu’il privatiserait une grande partie des systèmes d’enseignement primaire et universitaire, y compris l’institution de recherche de l’enseignement supérieur financée par l’État. Milei a également courtisé les capitaux usaméricains pour procéder à l’extraction non réglementée des importantes réserves de lithium et de gaz de schiste du pays. Plus impudemment peut-être, il a promis de se débarrasser de la Banque centrale argentine, de dollariser l’économie (à l’instar de l’Équateur, du Salvador et du Zimbabwe), de libéraliser les marchés et de lever les contrôles stricts des changes du pays.

Ces propositions néolibérales sont certes choquantes mais ne sont pas nouvelles en Argentine. José Martinez de Hoz, ministre de l’Économie de la dictature sanglante de Jorge Videla à la fin des années 1970, et Domingo Cavallo, ministre de l’Économie de Carlos Menem dans les années 1990 néolibérales, ont lancé des politiques économiques tout aussi régressives. En fait, Roberto Dromi, ministre des Travaux publics de Menem, avait clamé presque mot pour mot le même message il y a plus de trente ans : “Rien de ce qui appartient à l’État ne restera dans les mains de l’État”.


Le “plan tronçonneuse” de Milei (plan motosierra, sa version du "drainage du marais" de Trump) sera probablement contesté dans les deux chambres du congrès du pays, où sa coalition “La liberté avance” est minoritaire. Néanmoins, les menaces de mesures d’austérité peuvent très bien être mises à exécution par des décrets présidentiels, et nombre d’entre elles seront sans aucun doute mises en œuvre. À long terme, les résultats seront dévastateurs pour l’Argentine.

Bien que, là encore, ces mesures ne soient pas sans précédent. Dans les années 1990, l’administration Menem a supervisé la vente massive d’actifs publics, l’arrimage du peso au dollar (de fait, un programme de dollarisation) et la libéralisation des marchés, le tout à l’enseigne du contrôle de l’inflation et de l’austérité. Ces mesures ont finalement conduit à un chômage massif (officiellement plus de 20 %), à des taux records de précarité et d’indigence (plus de la moitié de la population), à la délocalisation d’une grande partie de la capacité de production de l’Argentine, à la prise de contrôle de l’économie nationale par les multinationales et à des troubles sociaux extrêmes.

La victoire de Milei suggère que le souvenir de ces années s’est estompé pour une grande partie de l’électorat argentin, qui est accablé par un taux d’inflation de plus de 185 % pour 2023 et une forte augmentation de l’insécurité, alimentée par les infos quotidiennes et les médias sociaux.


Marcelo Spotti

Les mois à venir montreront jusqu’où le nouveau gouvernement de Milei sera capable de faire avancer son programme néolibéral et s’il conservera le soutien de la population au fur et à mesure que les mesures annoncées seront mises en œuvre. La réponse des secteurs populaires historiquement militants de l’Argentine pourrait être décisive. Ce qui est certain, c’est que pour l’opposition politique et la plupart des travailleurs, le chemin à parcourir sera rude.

“Nous n’avons rien vu venir !”

La véritable nouveauté du programme ultranéolibéral de Milei réside peut-être dans sa franchise. Les nouveaux ministres et porte-parole du gouvernement ont déjà averti les Argentin·es qu’ils·elles devaient se préparer à des jours d’austérité. Milei a également déclaré qu’il répondrait à toute forme de protestation sociale par des mesures répressives extrêmes, rappelant ainsi les jours les plus sombres de la dictature civico-militaire.

L’une des grandes surprises de la victoire de Milei en novembre est qu’elle a bénéficié du soutien des secteurs de la classe ouvrière argentine traditionnellement orientés à gauche : 50,8 % des électeurs salariés, 47,4 % des retraités, 50,9 % des électeurs du secteur informel, 52,3 % des ouvriers et près de 30 % de la base péroniste traditionnelle ont voté pour Milei. Outre les 25 à 30 % d’électeurs constituant la base de droite de Milei, environ 53 % des moins de 30 ans, et les votes transférés de la droite traditionnelle et de la classe supérieure qui ont soutenu la coalition Juntos por el Cambio de Mauricio Macri et Patricia Bullrich, cet électorat a permis à Milei de remporter une victoire confortable.

Pourtant, malgré le succès retentissant de Milei lors des primaires d’août et du second tour de novembre - sans parler de sa notoriété médiatique de longue date - la ligne qui circule dans les sphères politiques et intellectuelles argentines est la suivante : “nous n’avons rien vu venir”. C’était le point de vue officiel du gouvernement de gauche sortant d’Alberto Fernández et du candidat en lice Sergio Massa. La campagne perdue de Massa a tenté de rabaisser Milei au rang de caricature politique, mais en vain.

Ignorée par l’establishment politique et médiatique, la coalition d’extrême droite de Milei marque le durcissement de changements socio-économiques qui n’ont eux-mêmes reçu que peu d’attention. En y regardant de plus près, l’inflation persistante et aiguë sans réponse efficace du gouvernement, les défis continus liés à la pandémie, l’influence croissante des médias sociaux et la polarisation marquée du discours politique ont fait de la montée d’une personnalité comme Milei - la version argentine de Jair Bolsonaro ou Donald Trump - un phénomène prévisible.

L’éléphant que personne n’a vu

La question est de savoir pourquoi le “plan tronçonneuse” de Milei a trouvé un écho parmi les pauvres et les travailleur·ses argentin·es, qui souffriront le plus de ses politiques.

L’une des explications est que Milei arrive au sommet d’une vague néolibérale qui, depuis des décennies, érode l’État-providence et la base industrielle traditionnellement solide de l’Argentine (comme en témoigne le fait qu’entre les années 1950 et 1970, l’Argentine a connu de longues périodes de plein emploi). Cette vague néolibérale s’est accompagnée d’une adhésion totale à une rationalité économique qui semblait autrefois étrangère au sens commin argentin.

Pendant l’administration néolibérale de Mauricio Macri, de 2015 à 2019, il est devenu courant en Argentine de parler des “éléphants qui nous ont dépassés”, en référence aux politiques socio-économiques régressives mises en œuvre par le macrisme. Ces politiques comprenaient une dette massive financée par le Fonds monétaire international, une inflation élevée et une fuite des capitaux, que les médias du pays ont pour la plupart ignorées ou dissimulées. Cependant, il y avait un autre éléphant dans la pièce que beaucoup n’ont pas reconnu : la forte croissance du secteur du travail informel et précaire, qui existait en dehors de toute organisation syndicale ou de tout programme social gouvernemental. Le secteur informel, important et en pleine croissance, a été remarquablement absent du débat public argentin pendant une dizaine d’années, toujours considéré par les économistes et les dirigeants politiques comme un phénomène passager, sans représentation et dépourvu de voix politique. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’une personnalité comme Milei ne commence à utiliser un langage qui résonne dans ce nouveau secteur de la classe ouvrière.

Composé de travailleur·ses de l’économie parallèle, de freelances, de travailleur·ses occasionnels et de travailleur·ses des services, ce secteur a connu une croissance exponentielle pendant la pandémie. Alors que de nombreux·ses Argentin·es ont souffert pendant les périodes de confinement strict qui ont duré presque toute l’année 2020 et jusqu’en 2021, la pandémie a frappé de plein fouet ce nouveau groupe de travailleur·ses informel·les et sans contrat, car beaucoup ont continué à travailler sans bénéficier des protections sociales dont jouissent les autres secteurs.

Officiellement connu sous le nom d’Aislamiento Social, Preventivo y Obligatorio (isolement social, préventif et obligatoire, ou ASPO), le mandat de confinement national a mis en évidence les contradictions et les complexités liées au fait de devoir choisir entre prendre soin de la santé publique et prendre soin de l’économie. Le gouvernement d’Alberto Fernández est arrivé au pouvoir en décembre 2019, quelques mois seulement avant que la pandémie n’oblige la nouvelle administration à adopter un ensemble de mesures telles que l’ATP (aide au travail et à la production) - des subventions salariales pour les travailleurs du secteur formel afin d’éviter les licenciements et les fermetures d’entreprises - et l’IFE (revenu familial d’urgence), une garantie de revenu destinée aux travailleurs les plus précaires et les plus au chômage.

Le gouvernement a cependant mal calculé le nombre de bénéficiaires de l’IFE, puisque onze millions de personnes ont demandé des fonds qui n’étaient prévus que pour trois à quatre millions de personnes. Tout en grevant considérablement le budget national, le gouvernement Fernández a finalement accordé l’IFE à dix millions de personnes. À l’époque, on a supposé que le gouvernement Fernández avait commis un oubli, au pire, ce qui a donné du crédit aux accusations d’incompétence administrative. En réalité, le nouveau gouvernement n’avait pas vu à quel point la structure du tissu social et de la main-d’œuvre argentine s’était fondamentalement transformée et détériorée pendant les années néolibérales du macrismo.

Les politiques ultérieures du gouvernement Fernández, reprises dans la campagne de Sergio Massa, ont continué à ignorer le nouveau travailleur informel. Au cours des quatre dernières années, la politique sociale a ciblé les deux groupes de travailleurs les plus importants et les plus visibles d’Argentine : les travailleurs salariés et les segments de ce que l’on appelle en Argentine "l’économie populaire", alignés sur le syndicalisme de mouvement social d’organisations telles que l’UTEP (Union des travailleurs de l’économie populaire), qui sont officiellement autorisées à recevoir et à redistribuer aux travailleurs informels les subventions gouvernementales et les plans de travail pour la sécurité sociale. Outre l’erreur de calcul de l’IFE, les exclusions de l’administration Fernández ont montré l’existence de vastes secteurs de la classe ouvrière non inclus dans l’un ou l’autre des deux groupes.

Ce groupe d’exclus se compose d’un éventail diversifié de travailleurs non enregistrés, ou en negro, qui ne bénéficient d’aucune prestation de sécurité sociale, et de ce que l’on appelle les monotributistas, une catégorie hétéroclite qui regroupe les entrepreneurs indépendants, les travailleurs des microentreprises, les petits entrepreneurs qui ne génèrent pas suffisamment de revenus pour figurer dans le système fiscal national, diverses professions libérales, et les entrepreneurs précaires de l’État, entre autres. Cette dernière catégorie comprend également les travailleurs domestiques, les travailleurs des plateformes associées à des applications de livraison comme Uber et Rappi, les artisans indépendants, les vendeurs de rue, les jeunes qui oscillent entre des emplois de courte durée et mal rémunérés, et les freelances. Il y a également un plus petit nombre de travailleurs coopératifs qui, parce qu’ils n’ont jamais été considérés comme entretenant une relation de travail distincte, tombent également sous le régime fiscal monotributista.

Si nous analysons plus en détail ce groupe, nous constatons que, loin d’être une minorité, il représente une part considérable de la population active argentine, qu’il est en grande majorité jeune et que, à l’exception des travailleur·ses domestiques, il est essentiellement composé d’hommes. Beaucoup de ces travailleurs se sont sentis ignorés par l’essentiel des politiques publiques argentines. Par exemple, pendant la pandémie, alors que nombre d’entre eux ne pouvaient pas travailler ou devaient le faire dans des conditions dangereuses, ils n’ont pas bénéficié de l’ATP et ont été largement exclus de l’IFE. En tant que monotributistas ou travailleurs en negro, ils continuent d’être exclus de la plupart des filets de sécurité sociale argentins.

Susceptibles de faire l’objet d’une campagne médiatique dénonçant la gestion de la pandémie par le gouvernement, socialement inhibés par les mesures de confinement et chroniquement sous-payés, les conditions étaient réunies pour que les rancœurs se développent. Pour la grande majorité de ces travailleurs, l’État n’était pas seulement absent, il les avait oubliés, alors même qu’ils étaient considérés comme “essentiels” et qu’ils livraient la nourriture et les biens consommés par les “ayant droit” confinés.

Comme dans pratiquement tous les aspects de la vie sociale, la pandémie a exacerbé et accéléré des tendances existantes qui émergeaient déjà plus lentement et et de manière plus hésitante. L’éléphant du travail informel a échappé à tout le monde, au gouvernement comme à l’opposition. Il a été ignoré jusqu’à ce que le phénomène Milei attire l’attention. Et Milei lui a rendu la pareille en reconnaissant son désespoir et en capitalisant sur ses sentiments.

Un prolétariat divisé contre lui-même

Les transformations de la structure sociale apparaissent progressivement et mettent du temps à se manifester jusqu’au jour où elles semblent exploser. Ce n’est pas la première fois qu’une telle explosion se produit en Argentine. Dans les années 1940, l’intensité du soutien de la classe ouvrière à Juan Domingo Perón a surpris les classes dirigeantes, l’intelligentsia, la gauche et Perón lui-même. Le triomphe de Raul Alfonsín en 1983 pour le retour de la démocratie a été un autre moment de ce type. La révolte de masse qui a secoué l’Argentine les 19 et 20 décembre 2001 est également apparue comme un ouragan soudain, impossible à arrêter et sans destination précise. L’Argentine se trouve aujourd’hui dans une situation similaire : le mécontentement des masses est palpable, tout comme le besoin d’espoir et de sauveur. Mais pourquoi Milei représente-t-il un tel sauveur pour tant d’Argentins ? Comment se fait-il qu’une utopie d’extrême droite séduise aujourd’hui une grande partie de la classe ouvrière ?

L’attrait de Milei pour ces secteurs désenchantés et en colère de la classe ouvrière réside dans un discours combinant des solutions radicales (voire magiques), un ennemi facile et un avenir imaginaire : une fiction déséquilibrée qui promet une nouvelle vie en se débarrassant de l’État et de la "caste politique" qui a trop longtemps ignoré les travailleurs et les pauvres et les a laissés se débrouiller tout seuls. Le discours de “rupture” de Milei est basé sur une idéologie de néolibéralisme extrême dont le but ultime, pour paraphraser David Harvey, est la reconstitution du pouvoir de classe. Alors qu’auparavant les méchants de cette idéologie étaient l’État-providence et le communisme, de nouveaux mandataires sont à portée de main. Pour le macrismo, c’était le populisme du kirchnerismo, le mouvement associé au péronisme de gauche de Néstor et Cristína Fernández de Kirchner. Pour Milei, comme pour Bolsonaro, il s’agit d’un socialisme et d’un communisme flous qui mêlent les centristes et les gauchistes les plus radicalisés.

Ce qui rend ce nouveau néolibéralisme d’extrême droite unique, c’est que son idéologie est trop grossière pour les classes aisées, qui veulent la domination mais aussi la prévisibilité pour leurs intérêts commerciaux. Le message de Milei n’est pas un discours préparé pour la classe d’affaires, même si Milei lui-même pense qu’il l’est, et même si de nombreux entrepreneurs et biznessmen se sont bouché le nez et ont voté pour Milei à la fin. En réalité, Milei articule un discours nihiliste pour le nouveau prolétariat contre lui-même et ses propres intérêts.

Ce nihilisme s’explique par l’impuissance du gouvernement d’Alberto Fernández à satisfaire, ne serait-ce que nominalement, les attentes sociales élevées qui l’ont porté au pouvoir en 2019. L’inefficacité de l’administration sortante peut être liée à plusieurs facteurs : ses objectifs non atteints de “gouvernement tranquille” (gobierno tranquilo) ; le factionnalisme permanent qui l’a immobilisé, créant une opposition interne souvent plus dure que l’opposition officielle ; et ses aspirations ratées à négocier des accords avec l’opposition et les principaux secteurs économiques. Dans l’ensemble, l’administration Fernández a été marquée par un manque d’acuité théorique et politique qui s’est révélé lorsqu’elle n’a pas su répondre aux problèmes structurels de la nouvelle configuration sociale de l’Argentine.

Bien entendu, il ne s’agit pas d’un problème propre à l’Argentine. Les parallèles entre Milei et Trump, Bolsonaro, l’extrême droite européenne, et d’autres partisans de l’extrême droite latino-américaine, comme le Chilien José Kast et le Colombien Rodolfo Hernández - deux personnalités qui ont failli accéder au gouvernement lors des dernières élections - montrent que l’Argentine n’est pas l’exception, mais la nouvelle règle.

No Future ?

La capacité de Milei à exploiter la frustration d’une grande partie de la société argentine n’absout pas le gouvernement sortant et le projet politique associé au kirchnerismo. Comme dans d’autres pays où l’autoritarisme s’est installé, la gauche a été incapable de communiquer un projet alternatif convaincant à une grande partie de la classe ouvrière qu’elle prétend représenter. Trop souvent, nous, les gens de gauche - en Argentine et dans le monde - n’avons pas réussi à proposer autre chose qu’un retour aux “bons moments”, en ignorant que pour les plus marginalisés, cette période n’a jamais été si bonne que cela. Qu’il s’agisse du progressisme tiède ou de la gauche radicale, nous avons été tellement occupés à défendre les victoires passées que nous avons rarement offert des propositions claires et complètes de futurs alternatifs.

La gauche argentine ne peut apparemment qu’offrir plus de la même chose - ce qui est précisément ce que Milei et ses partisans ont effectivement reformulé comme la cause de tous les maux. Il n’y a pas de projet, et encore moins de discours alternatif, pour les perdants de la réalité socio-économique actuelle. Même l’“économie populaire” et les perspectives autrefois prometteuses du syndicalisme de mouvement social semblent trop conservatrices pour les secteurs informels ciblés par Milei, son apologie de programmes de travail ressemblant trop aux corvées auxquelles les travailleurs indépendants et informels, les freelances, les employé·es de maison et les travailleur·ses des plates-formes veulent échapper.

Si nous ne parvenons pas à articuler un projet visant à améliorer les revenus, les conditions de vie et les capacités productives de tou·tes les travailleur·ses, les solutions actuellement proposées par les organisations représentant la classe ouvrière argentine ne seront jamais suffisantes. Si la gauche ne parvient pas à construire et à communiquer efficacement un projet transformateur qui donne de l’espoir aux rangs croissants du prolétariat émergent, le mieux que nous puissions faire est d’attendre l’échec de cette dernière vague d’autoritarisme d’ultradroite, qui aura sans aucun doute un coût social, économique, politique et culturel intolérable.

18/12/2023

GIDEON LEVY
Come se la violenza dei coloni non bastasse: Israele ora sta privando dell’acqua i palestinesi della Valle del Giordano

 Gideon Levy Alex Levac (foto), Haaretz, 16/12/2023
Tradotto da Alba Canelli, Tlaxcala

Dall’inizio della guerra, circa venti famiglie palestinesi sono state costrette ad abbandonare le loro case nella Valle del Giordano a causa della crescente violenza dei coloni. Nel frattempo, l’esercito nega alle comunità di pastori l’accesso all’acqua. I volontari israeliani cercano di proteggerli giorno e notte

Questo lunedì alle dodici e quarantacinque nella valle settentrionale del Giordano. Il tratto settentrionale della strada di Allon (strada 578) è deserto, come al solito, ma a lato della strada, tra gli insediamenti di Ro'i e Beka'ot, un piccolo convoglio di cisterne d'acqua, trainate da trattori e camion, è parcheggiato e aspetta. E aspetta. Sta aspettando che le pecore tornino a casa. I soldati delle Forze di Difesa Israeliane sarebbero dovuti venire qualche ora fa ad aprire il cancello di ferro, ma l'IDF non si è presentato e non ha nemmeno chiamato, come dice la canzone. Quando chiami il numero indicato dall'esercito sul cancello giallo, dall'altra parte rispondono, poi sei subito disconnesso. Un'attivista di Machsom Watch: Women for Human Rights, Tamar Berger, questa mattina ha provato tre volte e ogni volta, non appena si è identificata, l'altra parte ha riattaccato in modo dimostrativo. Gli autisti palestinesi hanno paura di chiamare.

Un accampamento beduino abbandonato dai suoi abitanti a causa della violenza dei coloni.

 

È il tempo del vento giallo, il tempo dei portatori d'acqua nel nord della Valle del Giordano, costretti ad aspettare ore e ore finché le forze dell'esercito che detengono la chiave arrivano e aprono la porta per far entrare chi porta l'acqua. In questa regione arida, Israele non consente ai residenti palestinesi di allacciarsi ad alcuna fornitura d’acqua: loro e le loro pecore devono fare affidamento sulla costosa acqua trasportata in cisterne, e gli autisti di camion e trattori dipendono totalmente da un soldato con la chiave.

Il soldato che ha la chiave avrebbe dovuto essere qui in mattinata. Gli autisti aspettano qui dalle 8 del mattino e tra pochi minuti saranno le 13. Dopo aver aperto il cancello, si dirigeranno verso Atuf e riempiranno i serbatoi d'acqua, per poi ritornare attraverso la strada sterrata verso i villaggi sul lato est della strada, dove dovranno nuovamente attendere un soldato con le munizioni. aprire loro la porta, affinché possano distribuire l'acqua agli uomini e agli animali che non hanno altra fonte di approvvigionamento.

Dall’inizio della guerra questa barriera è stata chiusa di prassi, dopo essere rimasta aperta per anni. Dopo l'attacco con un'autobomba qui due settimane fa, in cui due soldati sono rimasti leggermente feriti, i soldati con la chiave hanno tardato ad arrivare o non sono arrivati ​​affatto. Durante quest'ultimo periodo sono trascorse intere giornate senza che la porta venisse aperta e senza che i residenti avessero accesso all'acqua. I camionisti e i pastori devono essere puniti per un attacco terroristico (non mortale) compiuto da un abitante della città di Tamun, a ovest di qui, che è stato ucciso a colpi di arma da fuoco. Pertanto, i palestinesi vengono lasciati a bocca asciutta.

Il lato est della strada è ufficialmente senz'acqua. Per ordinanza è vietato bere e irrigare. Questo è ciò che ha deciso Israele, con il secondo scopo di rendere la vita dei pastori più difficile fino a renderla per loro insostenibile, espellendoli poi da questa zona. Anche i coloni terrorizzano i palestinesi con l’obiettivo di espellerli, in modo ancora più intenso all’ombra della guerra. Come all’altro capo dell’occupazione, sulle colline meridionali di Hebron, anche qui, nel punto più settentrionale, nella zona chiamata Umm Zuka, l’obiettivo principale è sbarazzarsi dei pastori – il gruppo più debole e impotente della popolazione – e impossessarsi della loro terra.

Nuove recinzioni sono già state erette lungo la strada, apparentemente dai coloni, attorno all'intera area, nel tentativo di completare il processo di bonifica. Ad oggi, una ventina di famiglie, ovvero quasi 200 persone, compresi i bambini, sono fuggite, portando via le loro pecore e lasciando dietro di sé, nella fuga, pezzi di vita e proprietà.

Un camion bloccato davanti a un posto di blocco improvvisato nella Valle del Giordano in attesa che l'esercito decida di sbloccare la barriera. Se i camion che trasportano l’acqua non possono passare, i pastori e i loro greggi non avranno nulla da bere


Ritorno alla barriera gialla. Dafna Banai, una veterana di Machsom Watch nella Valle del Giordano, che da anni aiuta i residenti con incrollabile dedizione, aspetta con i camionisti fin dal mattino. Lei e Berger sono stati arrestati dai soldati al posto di blocco di Beka'ot con la falsa motivazione che erano entrati nella zona A. "So chi siete e cosa state facendo", ha detto loro il comandante dell'esercito. Rafa Daragmeh, un camionista che aspetta dalle 9:30, dovrebbe fare quattro giri di consegna d'acqua al giorno, ma ormai è metà giornata, il suo serbatoio è pieno e non ne ha ancora completato nemmeno uno. Un giorno chiese a un soldato perché non sarebbero venuti. Il soldato ha risposto: "Chiedetelo a chi ha commesso l'attacco terroristico", che suona come una punizione collettiva, ma non è possibile, poiché la punizione collettiva è un crimine di guerra (e l'esercito più morale del mondo non commette crimini di guerra. N.d.T.).

Dall'altra parte del posto di blocco attende fin dal mattino anche un'autocisterna vuota. L'autista, Abdel Khader, del villaggio di Samara, è lì dalle 8 del mattino. Un altro camion è pieno di mangime per animali: difficilmente i soldati lo lasceranno passare. L'autista deve portare il carico in una comunità che vive a 200 metri a est della barriera. Due trappole per mosche sono appese accanto al posto di blocco, il tempo stringe.

Dopo l'una del pomeriggio, una Jeep Nissan civile con la luce gialla lampeggiante si è fermata. Le forze armate emergono determinate e fiduciose: quattro soldati, armati e protetti come se fossero a Gaza. Prendono subito posizione. Un soldato sale su un cubo di cemento e ci punta contro il fucile senza batter ciglio; il suo comandante, mascherato e con i guanti, ci chiede di “non interferire con i lavori” e ci minaccia di non far passare i camion se osiamo scattare foto. Forse si vergogna di quello che fa.

Un terzo soldato apre il bagagliaio della Nissan e tira fuori una chiave appesa a un lungo laccio delle scarpe. Questa è la chiave ambita, la chiave del regno. Il soldato va al cancello e lo apre. Ora è la fase del controllo di sicurezza. Forse l'acqua è avvelenata, forse è acqua pesante, forse è un ordigno esplosivo. Con gli arabi non si sa mai.

Per arrivare fin qui serve “coordinazione”. Un autista beduino israeliano del nord del paese dice di avere il coordinamento. Il suo camion trasporta materiali da costruzione. L'autista della cisterna ci dice che il carico è destinato ai coloni; l'autista beduino nega e dice che è per i pastori. Ma non c'è un solo pastore in queste regioni che abbia l'autorizzazione a costruire anche solo un muretto.

Un pastore tedesco si scalda al sole e osserva meravigliato gli avvenimenti. Un trattore passa senza incidenti; un camion, quello proveniente da ovest, è in ritardo e il suo autista è seduto a terra al posto di blocco in attesa. Ma il grottesco è appena cominciato. Il culmine viene raggiunto quando un minibus con targa israeliana arriva e scarica un gruppo di studenti haredi yeshivah, dotati di un amplificatore che suona musica chassidica e di un vassoio di sufganiot, le ciambelle di Hanukkah. Gli autisti palestinesi ancora in attesa non credono ai loro occhi: pensavano di aver già visto tutto ai checkpoint.

Dafna Banai, una veterana di Machsom Watch nella Valle del Giordano, vicino al posto di blocco questa settimana.

 

Gli studenti della Yeshiva, della città israeliana settentrionale di Migdal Ha'emek, eseguono una mitzvah distribuendo ciambelle inviate dal centro Chabad di Beit She'an ai soldati a questo checkpoint e ad altri, con grande stupore dei trasportatori d'acqua palestinesi che sono desiderosi di attraversare e consegnare il loro carico d'acqua.

Il soldato con il fucile puntato su di noi mastica pigramente la sua ciambella, tenendola con una mano, con l'altra sul grilletto. Tutti insieme adesso: “Maoz tzur yeshuati” – “O possente fortezza della mia salvezza”. Il camion del cibo per animali non arriva. Nessun coordinamento. Viene chiamato sul posto un agente che indossa una yarmulke e, da lontano, ci scatta una foto con il suo cellulare.

Il portavoce dell'IDF, in risposta ad una domanda di Haaretz sull'operazione irregolare del checkpoint: "A seguito di una serie di eventi legati alla sicurezza accaduti qui, il cancello è stato parzialmente bloccato. Il passaggio attraverso il varco è solo coordinato e viene autorizzato in base alla valutazione della situazione operativa del settore”.

Pochi chilometri a nord, ci sono vestigia di vita sul ciglio della strada. Due famiglie di pastori hanno vissuto qui per anni, ma i coloni provenienti dagli avamposti vicini hanno reso la loro vita un inferno finché non se ne sono andati due settimane fa, abbandonando i loro magri possedimenti. Un box, due frigoriferi, un letto di ferro arrugginito, due recinti per animali, alcuni libri per bambini e un disegno di calzini con didascalia la parola calzini in ebraico, probabilmente tratto da un libro scolastico.

Dafna Banai spiega che i coloni hanno recintato l’intera area della riserva naturale di Umm Zuka, circa 20.000 dunam (2.000 ettari), per liberarla dai pastori. È sempre lo stesso sistema, spiega Banai: prima si impedisce alle pecore di pascolare e si riducono i pascoli, poi si attaccano quasi ogni notte gli abitanti delle piccole comunità - a volte gli aggressori urinano sulle loro tende, a volte si mettono anche ad arare terra nel cuore della notte, al fine di creare “fatti sul terreno”. Tareq Daragmeh, che viveva qui con la sua famiglia, non ce la fece più e se ne andò, così come suo fratello, che viveva accanto a lui con la sua famiglia. Non siamo a Gaza, ma anche qui le persone sono costrette a lasciare le proprie case sotto minacce e attacchi violenti.

Ancora più a nord c'è una comunità di pastori ben sviluppata e vivace. Siamo El-Farsiya, nell'estremo nord della Valle del Giordano, quasi alla periferia di Beit She'an. Qui vivono tre famiglie di pastori e altre due non lontano. Sono rimaste due famiglie. Uno è tornato dopo che i volontari israeliani hanno iniziato a dormire qui ogni notte dopo l’inizio della guerra, proteggendo i residenti. Ci sono dai 30 ai 40 di questi bellissimi israeliani, la maggior parte dei quali relativamente anziani (60 anni o più), che condividono i turni per proteggere i palestinesi nella parte settentrionale della Valle del Giordano, che si estende dalla colonia di Hemdat a Mehola. “Ma per quanto tempo possiamo proteggerli 24 ore su 24?" chiede Banai, che ha organizzato questa forza di volontari.

Yossi Gutterman, uno dei volontari, questa settimana. “Non credo che lo scopo della violenza dei coloni sia causare danni in quanto tali: è logoramento, intimidazione, creazione di disperazione”, afferma.


Tre dei volontari scendono dalla collina. Amos Megged di Haifa, Roni King di Mazkeret Batya e il veterano del gruppo Yossi Gutterman di Rishon Letzion. Ce ne sono due o tre per turno di 24 ore. King è stato fino a poco tempo fa il veterinario del Dipartimento della Natura e dei Parchi; Megged, fratello minore dello scrittore Eyal Megged, è uno storico specializzato negli annali degli indiani del Messico; e Gutterman è un professore di psicologia in pensione. È dotato di una fotocamera corporea.

Oggi stanno tornando da un episodio di furto di pecore ai palestinesi e non ci sono ancora volontari per la notte a venire. Dall'inizio della guerra è diventato urgente dormire qui, spiega Gutterman. “La violenza dei coloni è diventata una questione quotidiana, data per scontata, e comprende invasioni notturne delle tendopoli, rottura di oggetti e distruzione di pannelli solari. Non penso che lo scopo sia causare danni in quanto tali: è logoramento, intimidazione, creazione di disperazione”.

Una famiglia se n'è andata, dicono i volontari, dopo che i coloni di Shadmot Mehola e i loro ospiti dello Shabbat di un collegio religioso nel Kibbutz Tirat Zvi hanno rotto il braccio del padre. “Due settimane fa”, racconta Gutterman, “mentre tre dei nostri amici erano qui, i coloni hanno svegliato l’intero campo tendato alle 2:30 del mattino con urla e torce elettriche, e hanno spaventato tutti. Hanno poi iniziato ad arare un pezzo di terreno privato che era stato recentemente dichiarato “terreno abbandonato”.

Meno di due settimane fa, due volontari sono stati aggrediti qui. Uno è stato colpito con una mazza e spruzzato di peperoncino negli occhi, l'altro è stato colpito con una pietra in testa. “Qui è in corso una campagna di pulizia etnica”, ha detto Gutterman.

Dopo una telefonata, i tre uomini si sono precipitati alla loro macchina e si sono diretti a nord verso Shdemot Mehola. Un pastore racconta loro che i coloni gli hanno appena rubato dozzine di capre. Sul posto si sono recati la polizia e l'esercito e, con l'aiuto dei tre volontari, sono state ritrovate e restituite al proprietario 37 capre. Non tutte le capre sono state rubate.

Nel frattempo, gli autisti dei trattori e dei camion finiscono di fare il pieno d'acqua e tornano di corsa per varcare lo stesso cancello, che sarebbe dovuto rimanere aperto per un'ora. Quando sono arrivati ​​alle 14:30, hanno scoperto che la barriera era chiusa e che i soldati se n'erano andati. Attesero il loro ritorno per quattro ore, fino alle 18,30. Senza dubbio “per la valutazione della situazione operativa del settore”.


GIDEON LEVY
En Israël, 20 000 habitants de Gaza sont responsables de leur propre mort : je n’ai jamais eu aussi honte d’être Israélien

Gideon Levy, Haaretz, 17/12/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le journaliste Ben Caspit incarne le centre israélien. Il vit à Hod Hasharon et anime une émission de radio avec le journaliste Yinon Magal [élu député sur la liste Foyer Juif de Naftali Bennett en 2015, il démissionna rapidement suite à des accusations de harcèlement sexuel, NdT], qui se situe à l’extrême droite. Caspit, lui, est censé ne pas l’être. C’est un journaliste qui a de bonnes relations, qui est très respecté et qui a du succès.

Au cours du week-end, le directeur exécutif du groupe anti-occupation Breaking the Silence a écrit sur X : « Ne détournez pas le regard. Une correspondante de CNN est entrée dans le sud de la bande de Gaza et a ouvert une “fenêtre sur l’enfer” de Gaza ».

Voici la réponse de Caspit, qui se considère un homme modéré et honnête: « Pourquoi devrions-nous regarder ? Honnêtement, ils ont mérité leur enfer; je n’ai pas une once de sympathie ». Caspit, comme d’habitude, est le porte-parole du courant dominant d’Israël.

Hôpital Al-Najjar à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, dimanche. Photo de l’hôpital Al-Najjar :  Said Khatib/AFP

Huit mille enfants sont responsables de leur propre mort ; 20 000 personnes sont responsables d’avoir été tuées ; 2 millions de personnes ont causé leur propre déracinement. C’est ainsi qu’un riche parle toujours des pauvres, une personne prospère des moins fortunés, une personne en bonne santé des handicapés, les forts des faibles, les Ashkénazes des Juifs Mizrahi : ils sont responsables de leur statut de victime.

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Le journaliste israélien Ben Caspit :  Tomer Appelbaum

Dans l’Israël de l’après-7 octobre, on peut accuser 10 000 enfants et bébés d’être responsables de leur propre mort sans qu’Israël ait le moindre soupçon de responsabilité ou de culpabilité. Dans l’Israël de l’après-7 octobre, on peut se sentir irréprochable uniquement parce que le Hamas a commencé à commettre des atrocités en premier.

Un pays est en ruines et tous ses habitants sont en enfer, et le générateur de cet enfer ne porte aucune culpabilité, pas même un tout petit peu, pas même avec la culpabilité du Hamas. L’incarnation du centre israélien n’a même pas une once de sympathie pour les enfants amputés montrés dans le courageux et horrible reportage de Clarissa Ward dans un hôpital de Rafah.

Qu’ils se fassent amputer, que les enfants meurent, que tous les habitants de Gaza expirent, qu’ils suffoquent en enfer, ce n’est pas notre affaire. Ils sont responsables de leur désastre, eux seuls. Caspit est sur la bonne  voie : la victime est responsable de son statut de victime.

Abstraction faite de la question de la culpabilité et de la responsabilité - elles incombent toutes au Hamas, et pas du tout à Israël, dont les soldats et les pilotes se déchaînent à Gaza - nous n’avons rien à voir là-dedans, l’essentiel est que nous ne nous sentions pas coupables de quoi que ce soit.

Si l’on met cela de côté pour un moment, il faut être incroyablement obtus, cruel et même barbare pour ne pas ressentir au moins un peu d’empathie pour les enfants qui meurent par terre dans les hôpitaux, pour un père qui pleure sur le corps de son enfant, pour un nourrisson couvert de la poussière de sa maison bombardée, qui cherche en vain quelqu’un dans le monde, pour les personnes qui vivent depuis deux mois dans la terreur, le désespoir et sans plus rien dans leur vie, pour les affamés, les malades, les handicapés et les dépossédés de la bande de Gaza.

Même l’empathie est interdite aux yeux de Caspit et de ses semblables, de peur qu’une pensée dangereuse et interdite ne s’insinue : que ce sont des êtres humains qui vivent à Gaza. C’est une chose à laquelle les Israéliens ne peuvent pas faire face.


Une femme palestinienne sur le site d’une frappe israélienne sur une maison à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, samedi. Photo : BASSAM MASOUD/Reuters

On franchit là une ligne dangereuse, ce qui pourrait entraîner des pensées étrangères aux Israéliens, concernant jusqu’où il est permis d’aller pour une cause juste, ce qui est permis et, surtout, ce qui est interdit en toutes circonstances.

Il y a des choses qui sont interdites en toutes circonstances. L’assassinat de 8 000 enfants en deux mois, par exemple. Caspit et les siens ne veulent qu’acclamer l’armée héroïque sans voir son travail.

La compassion humaine est interdite, nous sommes israéliens. Lorsqu’un tremblement de terre se produit n’importe où dans le monde, nous envoyons de l’aide et nous sommes fiers de nous, mais les massacres à Gaza ne nous concernent pas. C’est ainsi que fonctionne la morale israélienne. Elle doit permettre à Caspit, et pas seulement à Magal, de se sentir bien dans sa peau à propos de Gaza.

Lors d’une conférence internationale qui s’est tenue le week-end dernier à Istanbul, j’ai déclaré, entre autres, que je n’avais jamais eu autant honte d’être Israélien qu’en regardant les images de Gaza. Ces propos ont été publiés sur un site web israélien de divertissement très populaire. Au cours du week-end, j’ai reçu des centaines (voire des milliers) d’appels et de SMS injurieux. C’est souvent par les égouts que l’on apprend à connaître une société. Tous unis, nous vaincrons, tel est le slogan actuel.

Cependant, la distance entre les eaux de cloaque qui se déversent sur moi et les paroles ostensiblement respectables de Caspit est plus petite qu’on ne l’imagine. Il n’y a aucune différence entre la haine pour les Arabes et leur déshumanisation, telles qu’elles s’expriment dans le langage vulgaire et inarticulé de mes interlocuteurs, et les paroles bien formulées de Caspit.

L’Israël d’en bas et l’Israël d’en haut ont perdu toute figure humaine. C’est une raison suffisante pour avoir honte d’être israélien.