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27/05/2024

THE WASHINGTON POST
Des titans du monde des affaires ont demandé entre-quatre-z-yeux au maire de New York d’envoyer sa police contre les manifestants de Columbia : des tchats le prouvent

Hannah Natanson et Emmanuel Felton, The Washington Post, 16/5/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Un tchat [groupe de discussion] sur WhatsApp lancé par quelques riches USAméricains après l’attaque du Hamas du 7 octobre révèle les pressions qu’ils ont exercé sur le maire noir de New York Eric Adams [ancien policier issu du ghetto, démocrate, diabétique, franc-maçon, végétarien, grand chasseur de SDF et pro-israélien virulent, NdE] et leur travail pour façonner l’opinion usaméricaine sur la guerre de Gaza.

 
Des manifestants propalestiniens scandent des slogans tout en faisant face à des agents de la police de New York à l’université de Columbia, à la fin du mois d’avril. (Ed Ou pour le Washington Post)

Un groupe de milliardaires et d’hommes d’affaires qui s’efforcent de façonner l’opinion publique usaméricaine sur la guerre à Gaza a fait pression en privé sur le maire de New York le mois dernier pour qu’il envoie la police disperser les manifestations propalestiniennes à l’université de Columbia, selon des communications obtenues par le Washington Post et des personnes familières du groupe.

Des hommes d’affaires, dont le fondateur de la société de snacks Kind, Daniel Lubetzky, le gestionnaire de fonds spéculatifs Daniel Loeb, le milliardaire Len Blavatnik et l’investisseur immobilier Joseph Sitt, ont tenu un appel vidéo Zoom le 26 avril avec le maire Eric Adams (Démocrate), environ une semaine après que le maire avait envoyé la police new-yorkaise sur le campus de Columbia, comme le montre un registre de messages de tchat. Pendant l’appel, certains participants ont discuté de la possibilité de faire des dons politiques à M. Adams, ainsi que de la manière dont les membres du groupe de discussion pourraient faire pression sur le président et les administrateurs de Columbia pour qu’ils autorisent le maire à envoyer la police sur le campus pour s’occuper des manifestants, d’après les messages de discussion résumant la conversation.

Un membre du groupe de discussion WhatsApp a déclaré au Washington Post qu’il avait fait un don de 2 100 dollars, la limite maximale légale, à Adams ce mois-là. Certains membres ont également proposé de payer des enquêteurs privés pour aider la police new-yorkaise à gérer les manifestations, comme le montre le journal de tchat - une offre qu’un membre du groupe a rapportée dans le tchat et que M. Adams a acceptée. Le département de la police de New York n’utilise pas et n’a pas utilisé d’enquêteurs privés pour aider à gérer les manifestations, a déclaré une porte-parole de la mairie.

Les messages décrivant l’appel avec Adams faisaient partie de milliers de messages enregistrés dans une discussion WhatsApp entre certains des chefs d’entreprise et financiers les plus importants du pays, notamment l’ancien PDG de Starbucks Howard Schultz, le fondateur et PDG de Dell Michael Dell, le gestionnaire de fonds spéculatifs Bill Ackman et Joshua Kushner, fondateur de Thrive Capital et frère de Jared Kushner, le gendre de l’ancien président Donald Trump [et chargé de mission au Moyen-Orient par lui, NdE].

Des personnes ayant un accès direct au contenu du journal de discussion l’ont communiqué au Post. Elles ont communiqué ces informations sous le couvert de l’anonymat, car le contenu de la discussion était censé rester privé. Des membres du groupe ont vérifié l’existence du tchat et leurs commentaires.

La discussion a été lancée par un collaborateur du milliardaire et magnat de l’immobilier Barry Sternlicht - qui ne s’est jamais joint directement au groupe, communiquant plutôt par l’intermédiaire du collaborateur, selon les messages de la discussion et une personne proche de Sternlicht. Dans un message daté du 12 octobre, l’un des premiers envoyés dans le groupe, l’employé qui s’exprimait au nom de Sternlicht expliquait aux autres membres que l’objectif du groupe était de “changer le discours” en faveur d’Israël, notamment en faisant connaître « les atrocités commises par le Hamas [...] à tous les Américains ».

Israël estime que 1 200 personnes ont été tuées lors de l’attaque du Hamas du 7 octobre. Au cours des mois qui ont suivi le début de la guerre, le nombre de morts à Gaza a dépassé les 35 000, selon le ministère de la santé de Gaza.

Le groupe de discussion s’est formé peu après l’attaque du 7 octobre et son activisme s’est étendu au-delà de New York, touchant les plus hauts niveaux du gouvernement israélien, le monde des affaires usaméricain et les universités d’élite. Intitulé “Israel Current Events”, le groupe de discussion a fini par compter une centaine de membres, comme le montre le journal de bord. Plus d’une douzaine de membres du groupe figurent sur la liste annuelle des milliardaires de Forbes ; d’autres travaillent dans l’immobilier, la finance et les communications.

Dans l’ensemble, les messages donnent un aperçu de la manière dont certaines personnalités ont utilisé leur argent et leur pouvoir pour tenter de façonner l’opinion des UAméricains sur la guerre de Gaza, ainsi que les actions de dirigeants universitaires, commerciaux et politiques, dont le maire de New York.

« Il est ouvert à toutes les idées que nous avons », a écrit Sitt, membre du tchat et fondateur de la chaîne de magasins Ashley Stewart et de la société immobilière Thor Equities, le 27 avril, le lendemain de l’appel Zoom du groupe avec Adams. « Comme vous l’avez vu, il est d’accord pour que nous engagions des enquêteurs privés et que l’équipe de renseignements de sa police travaille avec eux ».

Sitt s’est refusé à tout commentaire par l’intermédiaire d’une porte-parole.

Une demi-douzaine de membres éminents du groupe ont confirmé officiellement leur participation à la discussion. Plusieurs personnes connaissant bien le groupe ont confirmé les noms d’autres membres.

Le milliardaire chypriote israélien de l’immobilier, Yakir Gabay, a écrit dans une déclaration transmise par un porte-parole qu’il avait rejoint le groupe parce qu’il voulait « partager son soutien dans un moment difficile et douloureux », aider les victimes des attaques du Hamas et « essayer de corriger les informations fausses et trompeuses diffusées intentionnellement dans le monde entier pour nier ou dissimuler les souffrances causées par le Hamas ».

Interrogé sur la réunion e Zoom avec les membres du groupe de discussion, le bureau du maire n’a pas abordé directement la question, préférant partager une déclaration du maire adjoint Fabien Levy* qui souligne que la police new-yorkaise a pénétré à deux reprises sur le campus de Columbia en réponse à des « demandes écrites spécifiques » émanant de la direction de l’université. « Toute suggestion selon laquelle d’autres considérations auraient été prises en compte dans le processus de décision est totalement fausse », a déclaré Levy. Il a ajouté : « L’insinuation selon laquelle des donateurs juifs ont secrètement comploté pour influencer les opérations du gouvernement est un trope antisémite bien trop familier que le Washington Post devrait avoir honte d’évoquer, et encore plus de normaliser dans la presse ».

Dès le début, M. Adams s’est montré disposé à envoyer les forces de l’ordre pour s’occuper des manifestants sur les campus. Il a envoyé la police sur le campus de Columbia pour disperser les manifestants propalestiniens le 18 avril, à la demande de l’université, environ un jour après que les manifestants avaiient érigé leur campement de solidarité avec Gaza. Les policiers ont arrêté plus de 100 manifestants. Le maire a par la suite affirmé que les étudiants activistes étaient affectés par des « influences extérieures » et que l’intervention de la police était nécessaire pour empêcher que des « enfants » soient « radicalisés ».

Le président de Columbia et lui-même se sont depuis lors attirés des critiques - mais aussi des soutiens - pour avoir impliqué la police, ce qui vient s’ajouter à une période difficile pour Adams, qui doit être réélu en 2025 et qui fait face à une enquête du FBI pour corruption, selon laquelle sa campagne de 2021 aurait reçu des dons illégaux de la part de la Turquie. M. Adams a défendu cette campagne, affirmant qu’il l’avait menée dans le respect des « normes éthiques les plus strictes ».

Quatre jours après l’appel vidéo des membres du tchat avec M. Adams, des étudiants protestataires ont occupé un bâtiment du campus et le président de Columbia a invité la police à revenir sur le campus pour évacuer le bâtiment. Les policiers ont évacué et arrêté des dizaines de manifestants, bousculant, frappant et traînant des étudiants dans le processus, a rapporté le Post. Un officier a accidentellement tiré avec son arme.

Le maire de New York, Eric Adams, s’exprime lors d’une conférence de presse le 1er mai, après que les policiers new-yorkais ont évacué les manifestants du campus de l’université Columbia le 30 avril. (Mike Segar/Reuters)

Quelques mois avant les manifestations à Columbia au printemps, certains membres du tchat ont assisté à des réunions d’information privées avec l’ancien Premier ministre israélien Naftali Bennett, Benny Gantz, membre du cabinet de guerre israélien, et l’ambassadeur d’Israël aux USA, Michael Herzog, d’après les registres du tchat.

Les membres du groupe ont également collaboré avec le gouvernement israélien pour projeter à New York un film d’environ 40 minutes présentant des images compilées par les forces de défense israéliennes (FDI), intitulé « Bearing Witness to the October 7 Massacre » (Témoigner du massacre du 7 octobre). Le film présente des meurtres commis par le Hamas. Un membre du tchat a demandé l’aide d’autres membres pour projeter le film dans des universités ; il a ensuite été projeté à Harvard, une projection qu’Ackman, membre du tchat, a contribué à faciliter, à laquelle il a assisté et qu’il a promue publiquement.

Sternlicht s’est refusé à tout commentaire, bien qu’une personne proche de lui - s’exprimant sous le couvert de l’anonymat car elle n’était pas autorisée à discuter publiquement du groupe de discussion - ait confirmé que le magnat de l’immobilier était à l’origine de la discussion. D’autres membres du groupe de discussion, dont Ackman et Schultz, ont confirmé leur appartenance au groupe.

Un porte-parole a déclaré que M. Ackman n’avait pas participé au tchat depuis le 10 janvier, ajoutant qu’il n’avait jamais parlé à M. Adams des manifestations à Columbia et qu’il n’avait jamais fait de don à la campagne de M. Adams, même si M. Ackman « aime bien le maire et le soutient ». Joshua Kushner s’est refusé à tout commentaire.

 

Le magnat de l’immobilier Barry Sternlicht en janvier. (Bloomberg/Getty Images)

Le 12 octobre, un collaborateur de Sternlicht a transmis un message de son patron décrivant la mission du groupe : alors qu’Israël s’efforçait de « gagner la guerre physique », les membres du groupe de discussion « aideraient à gagner la guerre » de l’opinion publique usaméricaine en finançant une campagne d’information contre le Hamas. La campagne était désignée dans le tchat comme « Facts for Peace ».

Le site d’information Semafor a rapporté en novembre que M. Sternlicht lançait une campagne médiatique anti-Hamas de 50 millions de dollars avec divers milliardaires de Wall Street et d’Hollywood. Les personnes impliquées, selon le rapport de Semafor, comprennent certains membres du tchat WhatsApp, selon une étude du Post. Les messages du tchat, dont le contenu n’a jamais été rapporté auparavant, semblent révéler le début de la campagne, ainsi que des activités pro-israéliennes distinctes entreprises plus tard par les membres du tchat. On ignore dans quelle mesure le groupe de discussion et la campagne médiatique se sont chevauchés.

Certaines des activités de la campagne médiatique étaient publiques, notamment son site web et ses comptes Instagram, TikTok, YouTube, Facebook et X, qui ont attiré ensemble plus de 170 000 followers.

Contacts à haut niveau, briefings privés

Dans un contexte de montée de l’antisémitisme, le collaborateur de Sternlicht a écrit dans l’un des premiers messages de tchat que son patron était fier de son héritage juif et voulait soutenir Israël, mais qu’il était également préoccupé par la sécurité. L’anonymat, a écrit le collaborateur le 12 octobre au nom de Sternlicht, « est un besoin pratique et une préoccupation pour la sécurité de ma famille dans un monde de plus en plus complexe ».

Le membre du personnel a écrit que Sternlicht comprenait si d’autres membres ressentaient la même chose et a promis que toutes les contributions à la campagne médiatique resteraient anonymes. « Je suis sensible à la crainte d’être moins efficace s’il apparaît qu’il s’agit d’une initiative juive », a écrit l’employé au nom de M. Sternlicht.

Dès le début du tchat, les membres ont cherché à obtenir des conseils et des informations auprès de fonctionnaires du gouvernement israélien.

Certains membres du tchat WhatsApp ont déclaré avoir assisté à des réunions d’information privées sur la guerre de Gaza avec M. Gantz, membre du cabinet de guerre israélien, M. Bennett, ancien premier ministre, et M. Herzog, l’ambassadeur. Le journal du tchat montre des invitations de Zoom pour ces réunions.

« Je suis très reconnaissant à Naftali Bennett de m’avoir informé en coulisses », a écrit M. Schultz, l’ancien PDG de Starbucks, au groupe le 16 octobre. « « C’est tout à fait extraordinaire ! »

M. Bennett n’a pas répondu à une demande de commentaire. M. Gantz n’a pas pu être joint pour un commentaire. Un porte-parole de l’ambassade d’Israël à Washington a déclaré que la séance d’information donnée par M. Herzog aux membres du tchat était « l’une des dizaines » que l’ambassadeur avait données ce mois-là, ajoutant que « les communautés ici aux USA voulaient, à juste titre, en savoir plus sur ce qui se passait sur le terrain en Israël ».

Un porte-parole de M. Schultz a confirmé dans un communiqué qu’il avait assisté à la réunion d’information avec M. Bennett, mais il a précisé que M. Schultz « n’a pas participé ni contribué financièrement aux travaux du groupe ». M. Schultz n’a pas participé aux discussions sur M. Adams et les manifestations à Columbia, ni aux projections du film, selon le porte-parole.

À la fin du mois d’octobre, les enregistrements du tchat montrent que des membres du tchat semblent avoir suggéré aux responsables israéliens d’organiser une projection privée à New York pour les membres des médias de « Bearing Witness », le film de l’armée israélienne présentant des séquences choquantes enregistrées par les tireurs du Hamas sur des caméras corporelles et des téléphones portables alors qu’ils attaquaient Israël. Sitt a écrit dans un message adressé au groupe le 27 octobre que les responsables israéliens voulaient les remercier « d’avoir eu l’idée d’organiser un événement pour la presse à New York ».

Le mois suivant, le groupe a projeté le film à New York. Sitt a écrit le 10 novembre que le gouvernement israélien « s’est arrangé pour que nous » projetions le film au Gotham Hall le 17 novembre, ajoutant dans un message ultérieur que la projection « sera répertoriée comme un événement des FDI non affilié à Facts for Peace afin de les séparer ».

Au cours des mois suivants, les membres du groupe ont écrit dans le tchat pour signaler des articles de presse ou des messages sur les médias sociaux concernant Israël, les événements à Gaza ou, plus tard, les manifestations sur les campus universitaires.

Pour que la police de New York puisse revenir

Les étudiants de Columbia ont d’abord installé un campement le 17 avril, ce qui a conduit certains étudiants juifs à alléguer que les manifestations avaient créé une atmosphère hostile et de harcèlement. La police est intervenue pour dégager le campement à la demande du président de Columbia le 18 avril, arrêtant plus de 100 manifestants.

Lors du tchat, la discussion sur la manière dont Adams gérait les manifestations à Columbia - et sur la manière dont les membres du groupe pouvaient aider - a pris de l’ampleur le lendemain, après que les étudiants protestataires ont construit un nouveau campement pour remplacer celui qui avait été démoli.

Lubetzky, de la société de snacks Kind, a posté dans le tchat partageant un lien vers une vidéo Instagram montrant un journaliste arabe israélien se faire frapper par un homme que la légende de la vidéo affirme être un « manifestant anti-israélien ». Peu de temps après, le milliardaire Blavatnik a posté une photo d’Adams et a écrit : « Il a besoin d’aide ».

Daniel Loeb, dirigeant d’un fonds spéculatif, en janvier. (Bloomberg/Getty Images)

M. Sitt a répondu qu’il avait déjà « apporté son aide mais qu’il [Adams] avait besoin de plus de soutien ». Il a demandé si d’autres personnes étaient « prêtes à donner » [de l’argent] à Adams.

Gabay, le milliardaire chypriote israélien de l’immobilier, a répondu : « Veuillez envoyer l’information. Merci ». Puis Blavatnik a posté un lien ActBlue [plateforme de donations à des candidats démocrates] permettant de faire des dons au comité Eric Adams 2025.

Lubetzky a envoyé un message : Sitt a répondu qu’il était en train de mettre en place un « code » pour de tels dons ; interrogé sur ce message, Vito Pitta, conseiller de la campagne 2025 d’Adams, a déclaré « qu’il n’y a pas de ‘code spécial’ pour les contributions ».

Une porte-parole de M. Blavatnik a déclaré qu’il avait contribué à hauteur de 2 100 dollars à la campagne de réélection de M. Adams en avril. Elle a précisé que ce don avait été fait « pour soutenir le maire Adams dans son soutien indéfectible à Israël et sa position ferme contre l’antisémitisme ».

Les porte-parole de Lubetzky, Sitt et Gabay ont déclaré qu’ils n’avaient pas fait de dons à Adams. Loeb s’est refusé à tout commentaire.

Lors du tchat, la discussion a porté sur le fait que Columbia devait accorder une autorisation à Adams avant qu’il puisse envoyer la police municipale sur le campus.

Un membre a demandé si le groupe pouvait faire quelque chose pour pousser les administrateurs de Columbia à coopérer avec le maire. En réponse, l’ancien membre du Congrès Ted Deutch (Démocrate De Floride), PDG du Comité juif américain, a partagé le PDF d’une lettre que son organisation avait envoyée le jour même à la présidente de Columbia, Minouche Shafik, lui demandant de « mettre fin à ces manifestations ».

« Je suis également en contact avec le conseil d’administration », a écrit M. Deutch au groupe de discussion, « pour que la police de New York puisse revenir ».

Interrogée pour un commentaire, une porte-parole de Deutch a écrit dans un courriel au Post que le Comité juif américain « apprécie toutes les occasions de s’engager avec diverses personnes et institutions qui soutiennent le peuple juif et l’État d’Israël ». Interrogé sur le groupe de discussion et ses activités, un porte-parole de Columbia a répondu : « Nous n’en avons pas connaissance ».

Un appel vidéo Zoom avec les membres du groupe de discussion et Adams a eu lieu un peu après 11 heures le 26 avril, selon les enregistrements du tchat.

On ne sait pas exactement combien de membres ont assisté à la réunion, qui a duré environ 45 minutes, selon les registres de discussion. Parmi les personnes présentes figuraient au moins Blavatnik, Sitt, Loeb et Lubetzky, selon les registres.

Sitt a écrit quelques minutes après la fin de l’appel pour résumer les points « discutés aujourd’hui », y compris les dons à Adams, l’utilisation de l’ « influence » des membres du groupe pour aider à persuader le président de Columbia de laisser la police de New York revenir sur le campus, et le financement des « efforts d’enquête » pour aider la ville.

Lubetzky a répondu en énumérant des actions concrètes que les membres du groupe devraient entreprendre. Il s’agissait notamment de partager à nouveau un lien pour offrir un soutien financier à Adams, d’appeler et d’écrire au président et au conseil d’administration de Columbia, et d’ « amener les leaders noirs à condamner l’antisémitisme ». Il a cité plusieurs personnes qu’il contacterait et a demandé si l’un des membres du groupe connaissait Jay-Z, LeBron James ou Alicia Keys.

Interrogé sur ses commentaires, M. Lubetzky a écrit dans une déclaration au Post que « construire des ponts entre les communautés noire et juive (...) est plus important que jamais ».

M. Blavatnik, par l’intermédiaire d’une porte-parole, a confirmé qu’il avait participé à la conférence Zoom avec M. Adams, mais a déclaré qu’il n’avait pas « participé à une conversation sur les enquêteurs privés et qu’il n’était pas au courant des discussions liées à ce sujet ». La porte-parole a fait remarquer que d’autres participants à la conférence ont dit des choses que M. Blavatnik « n’a pas commentées ou avec lesquelles il n’était pas d’accord ». Elle a ajouté que le milliardaire, ancien élève et donateur de Columbia, n’avait rejoint le Zoom que pour comprendre comment Adams « pensait aux manifestations de Columbia ».

Le soir suivant l’appel, Sitt a partagé le lien ActBlue pour les dons au comité Adams 2025.

 

Daniel Lubetzky, PDG de Kind, en 2017. (Mark Lennihan/AP)

Le tchat n’indique pas qui a donné de l’argent à Adams ni quel en est le montant. Le site web de la commission de financement des campagnes de la ville de New York n’indique que les dons envoyés jusqu’en janvier de cette année ; les dons plus récents ne seront rendus publics qu’en juillet.

M. Pitta, l’avocat de la campagne d’Adams, a déclaré que la campagne n’avait pas reçu de dons de la part de Lubetzky, Loeb, Sitt ou Gabay. Il a confirmé que M. Blavatnik avait fait un don, mais n’a pas répondu aux questions portant sur la date de son don.

Un jour après le Zoom du 26 avril avec Adams, Loeb a écrit au groupe de discussion pour partager ses réflexions sur ce qui s’était passé pendant l’appel. Il a écrit qu’il était « triste que nous ressentions le besoin de ramper pour demander à nos élus de faire leur travail ». Il a ajouté : « Je serai reconnaissant lorsque les auteurs de ces actes seront traînés hors du campus ».

La police est revenue à Columbia le 30 avril, arrêtant des dizaines de manifestants qui avaient occupé un bâtiment de l’université. La présidente de Columbia, Mme Shafik, avait demandé l’aide des forces de l’ordre dans une lettre, écrivant que l’occupation du Hamilton Hall soulevait de « graves problèmes de sécurité ». Elle a demandé à la police de rester sur le campus au moins jusqu’au 17 mai.

Le lendemain matin, Adams a donné une conférence de presse pour résumer l’action. « Nous sommes entrés et avons mené une opération », a-t-il déclaré, « pour éliminer ceux qui ont transformé les manifestations pacifiques en un lieu où l’antisémitisme et les attitudes anti-israéliennes étaient omniprésents ».

Des étudiants propalestiniens et d’autres sympathisants se rassemblent devant la bibliothèque Elmer Holmes Bobst de l’université de New York en mai (Spencer Platt/Getty Images)

Début mai, sept mois après sa création, le tchat a été fermé. Une personne proche de Sternlicht a déclaré qu’il avait décidé de fermer le groupe parce que les activités dépassaient les objectifs initiaux et que les personnes qui l’avaient lancé - y compris lui-même - n’y participaient plus activement, et ce depuis des mois.

« Nous sommes incroyablement reconnaissants pour le dialogue et le soutien que ce groupe nous a apportés au cours des sept derniers mois », a écrit un collaborateur de Sternlicht. Il a ajouté que les membres « ne devaient pas hésiter à nous contacter s’ils avaient besoin de quoi que ce soit ».

« Nous sommes plus forts ensemble », a écrit le collaborateur en guise de conclusion.

NdE

*Fabien Levy, fils d’immigrés iraniens juifs né à Long Island, a été nommé en 2023 maire-adjoint chargé des communications -un poste nouvellement créé – après avoir été le porte-parole d’Eric Adams depuis lentrée en fonction de ce dernier comme maire le 1er janvier 2022.

 


Hannah Natanson est une journaliste du Washington Post qui couvre l’éducation nationale de la maternelle à la 12e année.
 

 

 

Emmanuel Felton est journaliste spécialisé dans les questions raciales [sic] et ethniques au bureau des USA du Washington Post.

 

 

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Suivez l’argent : Comment des milliardaires liés à Israël ont fait taire les manifestations sur les campus usaméricains, par Alan Macleod

26/05/2024

GIDEON LEVY
Obéir à l’ordonnance de la CIJ est la dernière chance pour Israël de ne pas devenir un État paria

Gideon Levy, Haaretz, 26/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Israël n’a qu’une seule issue : il ne la choisira pas. Le seul moyen d’éviter de tomber dans l’abîme dont nous longeons les bords est de dire oui à l’arrêt rendu vendredi par la Cour internationale de justice.


Montrez-moi vos mains !”, par Swaha

C’est ainsi que doit se comporter un État de droit. C’est ainsi que doit se comporter un État qui aspire à être un membre légitime de la famille des nations. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou aurait déjà dû promettre de s’y conformer vendredi soir. Les portes de l’enfer qui menacent de s’ouvrir sur Israël resteraient fermées, du moins brièvement. Un Israël qui obéit à la Cour sera un État régi par des lois et qui doit être respecté.

En disant oui, il aurait non seulement évité une nouvelle effusion de sang inutile à Rafah, mais il aurait également arrêté la boule de neige internationale qui se dirige vers l’État. Mettre fin aux combats à Rafah et à la guerre dans son ensemble est la dernière chance pour Israël de retrouver son statut international d’avant-guerre. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est beaucoup plus que ce qu’il a aujourd’hui.

Si Israël décide d’ignorer l’ordonnance - ce qui est presque certain - il se déclarera un État paria. Il faudra des années pour sortir de cette situation et chaque Israélien devra payer un prix intolérable, en partie personnel.

Mais comme toujours, Israël cherche des moyens d’ignorer l’ordre et de recruter Washington pour saper le droit international. Il est difficile d’imaginer une plus grande folie. Nous devons bien sûr espérer, pour l’USAmérique et pour Israël, que cette fois-ci les USA mettront un terme à leur volonté de défier le monde entier et le droit international pour le bien de leur État protégé récalcitrant.

À un pas de l’abîme, Israël doit prendre deux mesures urgentes : mettre fin à la guerre et remplacer son gouvernement. C’est ce que lui ont ordonné les deux plus hautes juridictions du monde. Le procureur général de la Cour pénale internationale a demandé l’émission de mandats d’arrêt internationaux à l’encontre du Premier ministre et du ministre de la Défense israéliens, et la Cour internationale de justice a ordonné l’arrêt des combats à Rafah.

Si des mandats d’arrêt sont délivrés à l’encontre de Netanyahou et du ministre de la Défense Yoav Gallant, ils devront remplacer le gouvernement s’ils veulent survivre. L’arrêt des combats à Rafah entraînera la fin de toute la guerre et la libération des otages. Israël ne se pliera à aucune de ces décisions. Elles sont trop logiques, correctes et justes pour cela.

Depuis le retrait précipité du Sinaï en 1956, Israël ne s’est jamais plié à la volonté de la communauté internationale, comme si le monde et ses décisions n’avaient rien à voir avec lui. Invulnérable et protégé par l’USAmérique, la Bible et un certain centre de recherche nucléaire à Dimona, il a toujours agi comme s’il avait le droit de se moquer du monde entier. Cela a pris fin le jour où il a envahi Gaza de manière aussi brutale et incontrôlée.

Le juge Nawaf Salam, président de la CIJ, avait à peine fini de lire le verdict qu’Israël intensifiait ses attaques sur Rafah, une ville que près d’un million de personnes ont fuie pour rejoindre les plages et dans laquelle il ne reste plus qu’un hôpital de huit lits.

M. Salam était encore en train de lire le jugement lorsque, pour la première fois depuis des années, Sufyan Abu Zaydeh, ancien ministre des Affaires des prisonniers au sein de l’Autorité palestinienne, qui a fui Gaza pour se réfugier au Caire, m’a appelé : Huit membres de sa famille ont été tués mercredi à Jabalya.

Marwa, sa nièce, était la seule à ne pas dormir lorsque le missile a frappé la maison familiale. Elle a tout vu, comme dans un film d’horreur, a-t-elle raconté à son oncle dans la capitale égyptienne. Le missile a tué son autre nièce, Iman ; dans ses bras se trouvait sa fille de 7 mois, qui a également été tuée. Son fils de 4 ans a été jeté dans l’appartement des voisins et tué. Elle a également vu comment le missile a déchiqueté les corps de ses jumeaux de 4 ans, Isr et Asr, et a sectionné le bras de son fils Nasser, 7 ans. La mère et le frère de Marwa ont également été tués sous ses yeux par le missile. Elle a perdu son mari au début de la guerre. Il a été tué pendant les funérailles de sa nièce.

C’est ce à quoi la Cour internationale de justice a demandé qu’il soit mis fin vendredi. C’est la dernière chance d’Israël.  

 

MANUEL TALENS
Le dieu des mots américain

Manuel Talens (1948-2015), janvier 2006
Original :
El dios americano de las palabras

Ce texte du cofondateur du réseau de traducteur·rices Tlaxcala, a conduit ses membres à décider, après un débat, de ne plus utiliser les termes États-Unis, Amérique, Américain·e, américain·e pour désigner les USA, leurs habitants et leurs entités, mais d’utiliser les termes USA, USAmérique, USAméricain·e (substantif) et usaméricain·e (adjectif), dans toutes les langues où cela est possible (anglais, espagnol, italien, français, portugais, allemand, néerlandais, suédois, catalan, esperanto).-FG, Tlaxcala


« Au début était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu ». C’est sur ce mode tout sémiotique que débute l’Évangile selon saint Jean. Les trois autres, Mathieu, Luc et Marc sont moins imaginatifs, et c’est la raison pour laquelle l’exégèse leur attribue une valeur littéraire inférieure par rapport au chef d’œuvre de Jean, l’auteur de L’Apocalypse. Jean, qui était un homme cultivé et un excellent romancier avant la lettre, n’a pas hésité B affirmer que l’Être commence avec le mot. En d’autres termes, sans les mots, rien n’existe, car tout objet, réel ou fictionnel, comme tout concept doit être nommé pour commencer à traverser cet espace que nous appelons la vie. Mais les noms ne naissent pas du hasard, ils appartiennent à la catégorie des codes inconscients, comme l’ont signalé les psychanalystes lacaniens, dévots du sens caché de la langue. L’un d’entre eux, Aldo Naouri, raconte dans son livre de divulgation Les filles et leurs mères le cas d’un jeune Parisien qui quitta en claquant la porte l’usine dont il allait hériter de son père parce qu’il ne supportait pas la façon dont celui-ci, un fieffé raciste, traitait le personnel maghrébin. Plus tard, le jeune homme eut une fille, dont le prénom « Houria » déclarait à la perfection sa rupture avec le passé : Houria signifie « liberté » en arabe. Et voici, pour compléter, une blague : l’histoire de cette dame qui avait souffert toute sa vie de rhume, et qui appela son fils Geffroy…

Voici maintenant les éléments du débat acharné que nous avons eu, entre traducteurs plurinationaux du groupe auquel j’appartiens, sur le nom d’un certain pays, les États-Unis d’Amérique, alias, l’Amérique. Oui, les citoyens de ce pays appellent leur pays Amérique, et se qualifient d’Américains, alors qu’il s’agit d’un continent qui contient plus de trente pays, grands et petits, dont chacun pourrait réclamer le même nom. Il s’agit donc d’un cas d’appropriation indue et unilatérale d’un nom collectif, ce qu’en rhétorique on appelle synecdoque ou métonymie, la désignation de la partie par le tout.

Conscient de cet abus de langage, le plus jeune interprète de l’ONU, un Argentin du nom d’Emilio Stefanovich, implanta à l’époque de la guerre froide la dénomination d’Etats-Unis d’Amérique du Nord, mais sans grand succès, car la nouvelle métonymie n’est pas plus licite : en effet, l’Amérique du Nord comporte également le Canada et le Mexique, comme on peut le constater sur n’importe quel atlas.

J’ai vu récemment le dernier film de Jean-Luc Godard, Éloge de l’amour, exercice lucide et impitoyable sur la mémoire ; le metteur en scène y fait état du larcin nominal opéré par les USA. Dans la scène qui m’a le plus impressionné, on voit un avocat d’Hollywood acquérir les droits cinématographiques sur le récit des avatars d’un vieux couple juif durant la Résistance. Il lit le contrat en anglais, et un interprète le traduit à leur fille. À un moment donné, lorsqu’il est mentionné que les acheteurs sont Américains, la petite-fille, militante contre la globalisation néo-libérale, l’interrompt : « Comment ça, Américains ? » « Oui, des États-Unis », répond l’autre surpris. « Mais les Brésiliens aussi sont des États-Unis », reprend la jeune fille. « Des États-Unis du nord », rétorque l’avocat. « « Mais les Mexicains aussi sont au nord, et sont des États-Unis. Votre problème, c’est que vous n’avez ni nom ni mémoire ». Peu après, dans un contrepoint extraordinaire, nous apprenons que le couple, dont le nom d’origine était Samuel, a gardé jusqu’à ce jour celui qu’ils utilisaient à l’époque de la résistance, Baillard, parce qu’ils ont, eux, un nom et n’ont pas envie de l’oublier.

Bien entendu, les fauteurs de la métonymie Amérique ne se demandent même pas si leur imposture fait des dégâts, mais sur le pourtour de l’empire, il y a eu des efforts pour venir à bout de cet écueil sémantique. Les termes « yankee » ou « gringo » auraient pu faire l’affaire, mais ils sont péjoratifs, comme « Usano » ("Usien"), que suggère le journaliste espagnol Julio Camba, qui sonne comme « gusano », en espagnol, c’est-à-dire ver de terre [terme par lequel les Cubains désignent les contre-révolutionnaires exilés à Miami, NdT].

Enfin est apparue la désignation « étatsunien », qui semble plus neutre, mais ce n’est pas une solution, dans la mesure où le nom officiel de l’ancienne Nouvelle-Espagne est Etats-Unis Mexicains, ce qui fait donc, au moins en théorie, des descendants de Cuauhtémoc (le premier résistant à la colonisation européenne) des étatsuniens de plein droit eux aussi.

Non seulement les citoyens des États-Unis se trouvent donc en manque de nom, ce qui est grave, mais le binôme États-Unis ne constitue même pas un nom au sens strict. En général, les pays ont un nom qui les distingue clairement, Australie, Gabon, Venezuela, par exemple, et personne n’utilise de circonlocutions bizarres pour les nommer ; mais il y a plus : la République Française ou le Royaume du Maroc figurent comme tels sur leurs documents légaux, mais nous n’avons nul besoin de nous y référer en ces termes. Au contraire, l’absurdité de ces États-Unis d’Amérique a exigé l’apparition d’abréviations. En anglais, c’est USA ; en Espagne, certains recommandent EE.UU, d’autres EE UU, et d’autres encore EEUU ; enfin l’agence EFE préfère EUA, tandis que les Mexicains ou les Chiliens hésitent entre EEUU et EE. UU. Choisir, dans ce cas, relève de la loterie. Une solution, suggérée par un ami, serait de renoncer à traduire le sigle anglais, et d’en faire dériver le nom des habitants, qui deviendraient Usaméricains, ce qui règlerait tout. Mais le poids politique planétaire du pays en question ne permet pas de s’en tenir là ; tous ces atermoiements ou divergences soulignent le rapport conflictuel que nous entretenons, nous gens de la périphérie, avec cette nation qui depuis le début du XXème Siècle s’est arrogé le rôle gendarme universel.

Reprenons notre bon Lacan, pour qui il n’y a pas de hasard, s’agissant des mots : s’il était vrai que nous sommes ce que nous dicte le nom que nous portons, certains patronymes très chargés de sens imprimeraient leur caractère au porteur. Ainsi par exemple Fidel Castro reste « fidèle » à certains postulats qui le bloquent, le retiennent de tout déviationnisme ; son nom de famille, qui vient du latin castrum (camp, fortification) me rappelle le temps du lycée, où nous traduisions de longs extraits de la Guerre des Gaules de Jules César. Je suppose qu’on le lui aura déjà fait remarquer : pour moi c’est là une évidence : le dirigeant cubain était prédestiné à devenir un soldat inflexible, (« castrense », dirions-nous en espagnol), ses études initiales d’avocat ne furent qu’un détour passager.

Autre exemple, très amusant. Jacques Chirac fit installer des cabinets d’aisance pour les piétons de Paris quand il en était maire. C’étaient des édicules assez luxueux, on y accédait moyennant quelque menue monnaie. Aurait-il obéi là inconsciemment à la prédestination par son nom, comme les Français l’entendirent aussitôt, en répandant le slogan humoristique, né de la rue : « Avec Chirac, tu chies et tu raques » ?

Et combien d’ingénieurs des Ponts et Chaussées qui s’appellent Dupont… Selon Lacan, tout cela ne relève pas seulement du hasard… Et voilà pourquoi, le pays qui s’autodénomme l’Amérique a peut-être bien un ADN spécifique, au cœur de ses chromosomes d’État, de prédateur et d’oppresseur : après avoir dépouillé ses voisins d’un nom qui était à tous, voilà qu’il nous impose sa langue mercantiliste, celle de son industrie du spectacle, celle de ses multinationales, de gré ou de force….

Qui aurait dit à saint Jean que le dieu de fiction de son évangile, dont la métaphore était le Verbe, prendrait vie des siècles plus tard, prendrait le nom du continent où il se situe, et depuis le bureau « ovale » d’une maison peinte en blanc, telle une métaphore embryonnaire de l’œuf fondateur, créerait un nouvel ordre mondial, et le mettrait à son service au moyen du contrôle des télécommunications et de la propagande, c’est-à-dire des mots ? 


 

MANUEL TALENS
El dios americano de las palabras

 

Manuel Talens (1948-2015), enero de 2006

Este texto, redactado por el cofundador de la red de traductor@s Tlaxcala, llevó a sus miembr@s a decidir, tras un debate, dejar de utilizar los términos Estados Unidos, América, American@, para referirse a los Estados Unidos de América., sus habitantes y sus entidades, y utilizar en su lugar los términos USA, USAmerica, usamerican@ en todas las lenguas en que esto sea posible (inglés, español, italiano, francés, portugués, alemán, neerlandés, sueco, catalán, esperanto). -FG, Tlaxcala


«En el principio existía aquel que es la Palabra y aquel que es la Palabra estaba con Dios y era Dios». Así, de una manera tan semiótica, arranca el evangelio de San Juan. Los otros tres, de Mateo, Marcos y Lucas, son menos imaginativos y, por eso, la exégesis suele atribuirles un valor literario inferior cuando los compara con la obra maestra del autor del Apocalipsis. Juan, que era un hombre culto y un magnífico novelista avant la lettre, no dudó en afirmar que el ser comienza con la palabra. Dicho de otra manera, sin palabra nada existe, pues cualquier ente real o de ficción, cualquier objeto o cualquier idea, necesitan ser nombrados para poder atravesar ese espacio que llamamos vida.

Pero los nombres no se deben al azar y pertenecen a la categoría de los códigos inconscientes, como bien han señalado los psicoanalistas de estirpe lacaniana, tan devotos del significado oculto del lenguaje. Uno de ellos, Aldo Naouri, cuenta en su libro de divulgación Madres e hijas el caso de un joven parisino que se fue dando un portazo de la fábrica que iba a heredar, porque no soportaba la manera en que su padre -un racista convencido- trataba al personal magrebí. Más tarde, el joven tuvo una hija, cuyo nombre, Huria, plasmaba a la perfección dicha ruptura con el pasado: Huria, en lengua árabe, significa «libertad». Otro caso, mucho más simpático, era el de una mujer que padeció toda su vida de resfriados. Como por casualidad, llamó a su hijo Geffroy, que en francés significa fonéticamente «tengo frío».

Y ahora, sentadas las premisas de mi exposición, me centraré en el nombre de un país que recientemente fue objeto de enconados debates en los intercambios internéticos del foro plurinacional de traducción al que pertenezco. El nombre no es otro que The United States of America, alias America. Sí, los ciudadanos de Estados Unidos llaman América a su propio país y, en consecuencia, se autodenominan «americanos». Sin embargo, América es todo un continente, con más de treinta países, grandes y pequeños, que podrían reclamar con el mismo derecho llamarse así. Nos encontramos, por lo tanto, ante un caso flagrante de apropiación indebida y unilateral de un nombre común, algo que en clave retórica podríamos calificar de sinécdoque o metonimia, es decir, el trasvase de significado desde un término que designa un todo hasta una sola de sus partes.

Consciente del disparate, un argentino llamado Emilio Stevanovich -el intérprete más joven que ha tenido la ONU-, acuñó durante la guerra fría la denominación de Estados Unidos de Norteamérica, pero tuvo poco éxito, pues conduce a una nueva metonimia igual de ilícita: la del gentilicio «norteamericano». Basta con echar un vistazo a cualquier atlas para ver que en América del Norte, además de Estados Unidos, también «existen» Canadá y México, asimismo norteamericanos.

Recientemente he visto la última película de Jean-Luc Godard, Éloge de l’amour, un lúcido y despiadado ejercicio sobre la memoria, y en ella el director deja bien claro que Estados Unidos ha robado el nombre que utiliza. En la escena que a mí más me impresionó vemos a un abogado hollywoodense adquiriendo los derechos cinematográficos de los avatares durante la Resistencia francesa de un viejo matrimonio de judíos. Lee el contrato en inglés y un intérprete traduce para la familia. En un momento dado, cuando dice que los compradores son americanos, la nieta del matrimonio -militante contra la globalización neoliberal- lo interrumpe: «Qué americanos?», pregunta. «De Estados Unidos», responde sorprendido el otro. «Pero los brasileños son también Estados Unidos», replica la joven. «De los Estados Unidos del Norte», continúa el abogado. «Los mexicanos también están en el norte y son Estados Unidos. Lo que pasa es que ustedes no tienen nombre, ni memoria.» Poco después, en un contrapunto extraordinario, aprendemos que el matrimonio, cuyo apellido original era Samuel, ha conservado hasta la fecha el que utilizaban en tiempos de la Resistencia, Baillard, porque ellos sí tienen nombre, y no lo quieren olvidar.

Por supuesto, los causantes de la metonimia America ni siquiera se plantean el trastorno que causa su impostura, pero en los aledańos del imperio se ha intentado remediar este escollo semántico. Los términos «yanqui» o «gringo» hubieran servido, pero son despectivos, como también lo es el malévolo «usano» -de USA, pero peligrosamente limítrofe con gusano- sugerido por el periodista español Julio Camba.

Por fin, apareció la designación «estadounidense» (los mexicanos lo escriben “estadunidense” y los franceses han comenzado tímidamente a utilizar états-unien), que parece más neutral, pero el arreglo dista de ser perfecto, ya que el nombre oficial de la antigua Nueva España es Estados Unidos Mexicanos y, al menos en teoría, los nietos de Cuauhtémoc son también -y con toda la razón- estadunidenses.

Las complicaciones no terminan aquí, pues no solamente los ciudadanos de Estados Unidos carecen de nombre -lo cual ya es grave-, sino que el binomio «Estados Unidos» tampoco es un nombre en sentido estricto. En general, los países suelen tener un apelativo claramente identificable -Australia, Gabón o Venezuela, por citar tres al azar- y nadie utiliza circunlocuciones extrañas a la hora de nombrarlos, pues una cosa es que existan la República Francesa o el Reino de Marruecos y otra muy distinta que nos refiramos a ellos así, salvo en documentos legales. En cambio, un nombre tan absurdo como Estados Unidos de América ha necesitado la creación de abreviaturas. En inglés la sigla es USA. ¿Y en nuestra lengua? La discusión en el foro al que me refería antes empezó cuando se intentó unificar la grafía castellana de la abreviatura de marras, con vistas a establecer los criterios editoriales de una revista electrónica que hemos empezado a publicar. Fue entonces cuando nos dimos cuenta del galimatías en que se ha enredado la cuestión, pues, en España, el libro de estilo de El País recomienda EE UU -separado y sin puntos-, El Mundo opta por EEUU -junto y sin puntos-, el Abc y La Vanguardia se ciñen al académico EE.UU. -junto y con puntos- y el Diccionario de dudas y dificultades de la lengua española de Manuel Seco escribe EE. UU. -separado y con puntos-, mientras que el Manual de español urgente de la Agencia EFE prefiere EUA (Estados Unidos de América) y una rápida visita a la red permite ver que, por ejemplo, el periódico mexicano La Reforma utiliza EU y El Mercurio chileno indistintamente EEUU o EE.UU. Elegir, en tales condiciones, equivale a una lotería.

Una última posibilidad, que recientemente me ha sugerido un compañero, sería renunciar por completo a traducir la sigla inglesa del país y derivar de ésta el nombre de sus habitantes, que pasarían a ser «usamericanos», es decir, americanos de USA. Eso acabaría de una vez por todas con la metonimia original y con las discordancias citadas más arriba.

Está claro que, a estas alturas de la historia, y dado el peso político planetario de Estados Unidos, nos enfrentamos a un problema insoluble, susceptible de análisis, pero carente de remedio. Es irrebatible que tantas discrepancias sugieren, como poco, una relación conflictiva de todos nosotros, los periféricos, con esa nación que desde principios del siglo XX se arrogó el papel de gendarme del universo.

Pero volvamos a Lacan, para quien nada en las palabras es casual: si fuese cierto que somos lo que nos dicta el nombre o el apellido que llevamos, algunos patronímicos muy cargados de sentido imprimirían carácter a su portador. Veamos un ejemplo: Fidel Castro permanece «fiel» a unos postulados que le bloquean en gran medida la posibilidad de desviacionismo; su apellido, del latín castrum («campamento», origen del término castellano «castrense»), me recuerda los tiempos del bachillerato, cuando traducíamos en clase largos fragmentos de La guerra de las Galias, de Julio César. Supongo que alguien habrá señalado ya estos detalles del líder cubano, que me parecen de una evidencia cristalina: tengo para mí que estaba predestinado a ser un inflexible soldado y que sus estudios iniciales de abogacía fueron solamente un desvío fugaz.

Veamos un segundo ejemplo, éste graciosísimo: Jacques Chirac, el actual Presidente francés, instaló un circuito de retretes para alivio de paseantes en las calles de París cuando fue alcalde de dicha ciudad. Eran bastante lujosos y se accedía a ellos a cambio de unas monedas. Quién sabe si, muy a su pesar, cumplió inconscientemente con el destino de su apellido -o al menos los franceses lo entendieron así-, pues en lenguaje vulgar las dos sílabas de Chirac complementan lo escatológico (del verbo chier, cagar) y lo económico (del verbo raquer, pagar), de tal manera que a los pocos días de inaugurar los retretes corría por toda Francia el siguiente eslogan humorístico, nacido en la calle: avec Chirac, tu chies et tu raques, es decir, «con Chirac, cagas y pagas».

No es nada extraño tropezarse con ingenieros de caminos que se llaman Puente, con policías Alguacil o con dermatólogos Pellejero, y así hasta el infinito. Todos ellos -siempre según Lacan- eligieron la profesión que les dictó el apellido. De la misma manera, el país America (es decir, su maquinaria política, no sus habitantes, a pesar de que la contaminación existe) incluye en el ADN de sus cromosomas estatales la esencia del depredador que luego ha sido, pues ya en 1787 inició su andadura expoliando un nombre colectivo y, después, ha impuesto el lenguaje mercantilista de su industria del espectáculo y de sus multinacionales, tanto por las buenas como por las malas.

Quién le iba a decir a San Juan que el dios de ficción de su evangelio, aquel cuya metáfora era la Palabra, cobraría vida muchos siglos después, adoptaría el nombre del continente en que está situado y, desde el despacho «oval» de una casa pintada de blanco -símil embrionario del huevo fundador-, crearía un nuevo orden mundial -imitando así el primer versículo del Génesis: «En el principio Dios creó los cielos y la tierra»- y lo pondría a su servicio a través del control de las telecomunicaciones y la propaganda, es decir, de las palabras.