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29/07/2024

Larry Itliong et les “manongs”, de Stockton à Delano : l’épopée des travailleurs pinoys* de Californie

En pleine guerre du Vietnam, les soldats US furent soudain submergés de quantités industrielles de raisin. Le Pentagone avait acheté l’entier produit des vendanges exécutées par des briseurs de grève de Delano, dans la vallée de San Joaquin, en Californie. Les ramasseurs de raisin philippins, bientôt rejoints par leurs camarades mexicains, y avaient déclenché en septembre 1965 une grève qui dura jusqu’en 1970 et aboutit à une victoire des travailleurs.
Les organisateurs de la grève avaient eu l’idée géniale d’appeler les commerçants et les consommateurs au boycott des raisins en solidarité avec les grévistes. La figure légendaire qui émergea de ce combat fut celle de César Chávez, le “Martin Luther King chicano”, laissant dans l’ombre le principal dirigeant réel des travailleurs philippins, Larry Itliong.
Il a fallu attendre 50 ans pour que la figure de l’organisateur de cette grève -et de beaucoup d’autres – accède à une reconnaissance publique pleine et entière. Ceci grâce au travail     de récupération historique des enfants et des petits-enfants des “manangs” (les grands frères) de la première génération, émigrés aux USA dans les années 1940 depuis les Philippines, qui furent une colonie yankee jusqu’en 1946 puis une néo-colonie de l’Oncle Sam.

Ci-dessous trois articles qui racontent cette épopée, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala. [ 

*NdT : *Pinoy -féminin Pinay – est le terme tagalog par lequel les Philippin·es s’autodésignent.

 

SOMMAIRE

Gayle Romasanta
Pourquoi tous les USAméricains d’origine philippine devraient connaître Larry Itliong...................................................................2

Dawn Bohulano Mabalon
Mabuhay ang Causa ! [Vive la Cause !] Le lien entre Stockton, la grève du raisin de Delano et les Travailleurs agricoles unis................................................................................................12

David Bacon
Les migrants philippins ont donné à la grève du raisin son caractère politique radical .........................................................17

 

 


28/07/2024

ALEX DE JONG
Comment la gauche a organisé la diaspora philippine
Note de lecture du livre “Insurgent Comunities”

Alex de Jong , Jacobin, 2/7/2024
Versión española
Cómo la izquierda organizó la diáspora filipina
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Alex de Jong est codirecteur de l’Institut international pour la recherche et l’éducation (IIRE) à Amsterdam, aux Pays-Bas, et rédacteur en chef du site ouèbe néerlandais Grenzeloos [Sans Frontières], édité par le groupe Politique alternative socialiste (SAP), section néerlandaise de la Quatrième Internationale (trotskyste)

 Plus de 10 % de la population des Philippines travaille à l’étranger et envoie des fonds qui sont essentiels à l’économie du pays. Un nouveau livre explique comment la gauche a conquis ce groupe, pour ensuite le perdre.

Note de lecture de Insurgent Communities : How Protests Create a Filipino Diaspora, par Sharon M. Quinsaat (University of Chicago Press, 2024) 

Lorsque des personnes partent à l’étranger et s’installent dans d’autres pays, elles ne forment pas automatiquement une diaspora. C’est plutôt l’activité politique et la mobilisation qui façonnent une diaspora, affirme Sharon M. Quinsaat, professeure agrégée de sociologie au Grinnell College (Iowa, USA), dans son ouvrage intitulé Insurgent Communities : How Protests Create a Filipino Diaspora.

 Pour plusieurs raisons, les migrants philippins constituent un cas intéressant. Non seulement la population migrante philippine, qui compte plus de dix millions de personnes réparties dans plus de deux cents pays et territoires à l’étranger, est l’une des plus importantes de tous les pays. La migration de la main-d’œuvre est un aspect essentiel de la politique économique de l’État. Et bien que les persécutions politiques aient poussé une partie de la diaspora philippine à quitter le pays, surtout pendant la dictature de Ferdinand Marcos entre 1972 et 1986, ce n’est pas le résultat de persécutions ethniques ou religieuses, les causes “classiques” des populations de la diaspora.

 Manifestation de Philippines sur la place du Dam à Amsterdam, Pays-Bas, contre les violations des droits humain aux Philippines, le 21 septembre 1987. (Sepia Times / Universal Images Group via Getty Images)

 Tant Bongbong Marcos, l’actuel président philippin et fils de l’ancien dictateur, que son prédécesseur, Rodrigo Duterte, ont joué un rôle important dans le blanchiment de l’héritage de Ferdinand Marcos, qui a été enterré en 2016 avec les honneurs militaires au cimetière national.

La diaspora philippine était autrefois une source importante de résistance contre la dictature, que les gouvernements conservateurs successifs ont cherché à réhabiliter. Aujourd’hui, une grande partie de la diaspora soutient des dirigeants de droite comme Duterte et Bongbong Marcos. Cette évolution ne s’est pas produite de manière isolée. Elle est, comme le montre Quinsaat, le résultat des transformations de la politique mondiale et du capitalisme.

 Modèles coloniaux et néocoloniaux

 Le colonialisme « a prédisposé les Philippines à devenir une nation d’émigration », écrit Quinsaat. La migration a commencé pendant la colonisation espagnole de l’archipel, mais à la fin du XIXe siècle, l’Espagne n’était plus le pays de destination que pour un groupe restreint mais influent de Philippins qui essayaient d’éviter les persécutions des autorités coloniales ou qui cherchaient à poursuivre leurs études.

Les demandes de réformes libérales de ces “Ilustrados” [éclairés], philippins éduqués et fortunés, initialement plutôt modestes, se sont inévitablement heurtées à l’attitude intransigeante des autorités coloniales - un nationalisme naissant fusionnant avec le mécontentement populaire suite à l’éclatement de la révolution philippine en 1896. Deux ans plus tard, les USA déclarent la guerre à l’Espagne et la nouvelle puissance montante prend le contrôle des Philippines, marquant une nouvelle ère coloniale et le « véritable début de l’émigration philippine ».

La politique coloniale usaméricaine a fait des Philippins des “ressortissants américains”, leur refusant les droits politiques tout en leur permettant de circuler librement à l’intérieur des frontières usaméricaines. Au début du XXe siècle, le gouvernement usaméricain a commencé à recruter des Philippins pour travailler dans les bases navales. Un grand nombre d’entre eux ont commencé à travailler dans des plantations à Hawaï et sur la côte ouest des USA. Nombre d’entre eux étaient des travailleurs saisonniers, voyageant entre les plantations et les fermes, occupant des emplois de grooms, cuisiniers, plongeurs et concierges pendant l’hiver. L’un d’entre eux, Carlos Bulosan, s’est inspiré de ses propres expériences et de celles des travailleurs philippins qui l’entouraient pour écrire le roman “America Is in the Heart” (L’Amérique est dans le cœur), un classique de la littérature prolétarienne.

En 1946, les USA ont officiellement déclaré l’indépendance des Philippines. Mais des traités liant les politiques économiques des Philippines à celles de leur ancien colonisateur, en offrant un traitement préférentiel aux entreprises usaméricaines, ont permis de consolider les liens entre les deux pays. La marine usaméricaine a également continué à recruter des Philippins, dont beaucoup ont fini par obtenir la nationalité usaméricaine et ont fait venir leur famille. Parmi les pionniers de l’émigration de main-d’œuvre philippine moderne, on trouve les infirmières qui, formées selon les normes usaméricaines, ont pu travailler à l’étranger.

En tant que communauté importante et établie de longue date, les Philippins des USA constituent un groupe évident à aborder dans le cadre d’une étude sur la diaspora philippine. Quinsaat compare leur cas à celui d’un autre groupe, moins connu : les Philippins des Pays-Bas. À partir des années 60 et 70, un petit nombre de travailleuses sont arrivées aux Pays-Bas, d’abord comme infirmières, puis dans l’industrie textile.

La maîtrise généralisée de l’anglais, héritage du colonialisme usaméricain et du système éducatif qu’il avait mis en place, a facilité cette migration, mais c’est la position néocoloniale des Philippines dans le capitalisme mondial qui a réellement fait du pays un exportateur de main-d’œuvre. En 1974, Ferdinand Marcos a officiellement institué le programme d’emploi à l’étranger et « déplacé le lieu de la migration internationale des USA vers de nouvelles destinations à travers le monde ». L’encouragement à la migration internationale s’est poursuivi après que le dictateur a été renversé par la protestation populaire en 1986.

Les mesures néolibérales, sous la forme d’un programme d’ajustement structurel imposé par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, ont entraîné une augmentation du chômage, l’agriculture et les entreprises philippines n’étant pas en mesure de faire face à la concurrence internationale. Combinées aux réductions des services publics et de la protection sociale imposées par le même programme, ces mesures ont conduit à l’extension de la pauvreté.

Dans ces conditions, « la migration n’est pas seulement devenue une solution politique officielle pour atténuer l’impact des crises grâce aux envois de fonds, mais aussi une stratégie d’adaptation - un mode de vie accepté - pour les Philippins ordinaires afin de surmonter les difficultés quotidiennes », écrit Quinsaat. Plutôt que d’essayer d’introduire des mesures qui s’attaqueraient aux causes profondes poussant les gens à quitter leur foyer et leur famille, les gouvernements philippins successifs ont poursuivi des politiques économiques qui ont enfermé le pays dans une position de fournisseur de main-d’œuvre et de ressources bon marché pour les capitaux internationaux.

Quinsaat souligne que « le cas des Philippines est unique en raison du rôle de l’État philippin dans la stimulation et la gestion de la migration de ses citoyens, reconnu par la Banque mondiale pour “son système d’aide aux travailleurs migrants très développé, qui est un modèle pour les autres pays d’origine” ».

Aujourd’hui, les travailleur·ses philippin·es basé·es à l’étranger constituent une partie essentielle de la classe ouvrière du pays. Représentant environ 10 % de la population totale du pays, ils·elles envoient plus de 30 milliards de dollars US, soit plus de 9 % du PIB des Philippines. L’émigration fonctionne également comme une “soupape de sécurité”, attirant de jeunes travailleur·ses à la recherche d’une vie meilleure pour eux·elles-mêmes et leurs proches. En d’autres termes, il s’agit du type de personnes qui constituerait un électorat naturel pour les mouvements d’opposition dans le pays.

 S’organiser pour le changement

 Insurgent Communities ne traite pas les Philippin·es travaillant à l’étranger comme de simples victimes des relations capitalistes internationales. L’essentiel de l’ouvrage traite des différentes manières dont il·elles se sont organisé·es pour résister à l’exploitation et à l’oppression dans leur pays et à l’étranger. Plus que toute identité ethnique naturelle, cette activité a été, selon Quinsaat, cruciale pour la formation de la diaspora philippine.

L’une des organisations qui a joué un rôle important dans ce processus est la Katipunan ng Demokratikong Pilipino (Union des démocrates philippins, KDP), basée aux USA. FondéE en 1973, la KDP a rassemblé différentes générations, unissant des militants nés aux USA et des migrants récents, et a fait le lien entre les luttes nationales et internationales. LA KDP « a mené une lutte transnationale sur deux fronts : contre la dictature de Marcos aux Philippines et contre le capitalisme aux USA ».

On espérait que la démocratie aux Philippines mettrait fin à la nécessité pour les Philippins de quitter le pays, tandis que la lutte pour le socialisme aux USA était considérée comme faisant partie de la lutte pour mettre fin à l’exploitation et au racisme auxquels les travailleur·ses philippin·es étaient confronté·es dans ce pays. L’idéologie de la KDP était fortement influencée par le maoïsme du parti communiste clandestin des Philippines (PCP), auquel ellel était étroitement lié pendant les années 70.

La KDP faisait partie intégrante de la radicalisation générale de la fin des années 60 et des années 70. De jeunes militants philippins-usaméricains « ont exprimé leur solidarité avec les communistes du Viêt Nam qui, selon eux, luttaient pour l’indépendance et l’autodétermination ». Ces radicaux considéraient la guerre du Viêt Nam comme le prolongement de l’impérialisme raciste usaméricain en Asie, qui avait déjà colonisé les Philippines. L’histoire des premières luttes anticoloniales aux Philippines a été récupérée, les jeunes radicaux se considérant comme les héritiers de cet héritage.

Comparée à celle des USA, la communauté philippine des Pays-Bas était petite et homogène. La première génération d’activistes est née en dehors de cette communauté. En 1975, des volontaires de l’aide au développement et des missionnaires néerlandais ont créé le Filippijnengroep Nederland (Groupe Philippines néerlandais) dans le but d’attirer l’attention sur les violations des droits humains dont ils avaient eu connaissance lors de leur séjour aux Philippines. Par un hasard de l’histoire, les Pays-Bas ont ensuite accueilli les principaux dirigeants du PCP qui, avec l’aide de congrégations religieuses, ont réussi à obtenir le statut de réfugiés dans le pays. Utrecht a accueilli le bureau du National Democratic Front (NDF) des Philippines, un front d’organisation de masse contrôlé par le parti et qui lui servait d’aile diplomatique.

La discussion de Quinsaat sur deux communautés très différentes montre les similitudes des défis auxquels les militant·es ont été confrontés. Tant aux États-Unis qu’aux Pays-Bas, les militant·es ont été confronté·es à des tensions liées au fait qu’ils·elles s’organisaient au sein de communautés ayant des liens différents avec des pays différents. La KDP a été confrontée à l’opposition de militant·es qui considéraient que son opposition à la dictature de Marcos était “source de division” et que son radicalisme dans les luttes menées aux États-Unis n’était pas apprécié par les militants libéraux philippins, y compris les exilés bourgeois des Philippines, qui voulaient faire pression sur l’État usaméricain pour qu’il fasse pression sur Marcos. Mais c’est le radicalisme de la KDP qui lui a permis de rassembler les migrants récents et les exilés de la lutte anti-dictatoriale aux Philippines et les jeunes générations aux USA, radicalisées par leur propre expérience du racisme et de l’exploitation.

« L’activisme façonne le moi et l’identité » : c’est ainsi que Quinsaat résume l’un des principaux thèmes de son livre. Ce n’est pas seulement l’identification des militants qui a changé ; en faisant partie de communautés et de mouvements plus larges, ils ont changé celle de groupes plus vastes. L’identification au peuple philippin a été séparée de la loyauté à l’État philippin par l’organisation de la lutte contre la dictature. Le nationalisme philippin s’est enrichi d’un nouveau contenu anti-impérialiste en se rattachant à l’histoire des révoltes anticoloniales, tandis que les identités culturelles se politisaient.

 Des marées politiques changeantes

 Insurgent Communities documente les tentatives des militant·es de la diaspora pour s’opposer à l’occultation de la dictature de Marcos, mais aujourd’hui, le soutien des travailleur·ses émigré·es à ces dirigeants de droite est très élevé. Alors que Marcos a obtenu 58 % des voix parmi les Philippins du pays, ce chiffre s’élève à 72 % pour les membres de la diaspora.

De nombreuses analyses de la popularité de Duterte et de Marcos évoquent le rôle de la désinformation qui présente la dictature comme un âge d’or pour les Philippines. Quinsaat souligne que, bien qu’il s’agisse d’un facteur important, la question se pose de savoir comment ces informations ont été reçues ; pourquoi les gens les ont-ils trouvées crédibles, comment ont-elles semblé avoir un sens pour eux ? Insurgent Communities est en partie un document sur le déclin des influences de gauche dans la diaspora philippine et leur remplacement par d’autres points d’identification qui présentent les difficultés du pays non pas en termes d’impérialisme et d’exploitation capitaliste, mais comme le résultat d’un prétendu manque de “discipline” et de la nécessité d’un leadership fort.

Tout comme son ascension, le déclin de l’influence de la gauche usaméricano-philippine ne peut être dissocié du déclin international de la gauche et de la perte de crédibilité du socialisme en tant qu’alternative. L’évolution de la situation aux Philippines n’entre pas dans le cadre de ce livre, mais la crise dans laquelle est entrée la principale organisation de la gauche philippine, le PCP, à la fin des années 80, a affecté les efforts internationaux qui étaient parfois directement liés au parti. L’attitude incohérente du parti et de son réseau transnational à l’égard de Duterte n’a pas aidé non plus. Malgré le nombre croissant de victimes de la soi -disant guerre contre la drogue, un certain nombre d’éminents militants nommés par le NDF ont continué à servir Duterte à des postes ministériels jusqu’après l’enterrement de Marcos.

 Insurgent Comunities est un ouvrage relativement court mais dense. Les lecteurs qui cherchent à comprendre l’évolution du sens de l’identification et les défis auxquels est confronté le militantisme transnational en tireront sans doute beaucoup d’enseignements. Pour les militants qui cherchent à créer de nouvelles communautés insurgées, ce livre est un outil précieux.

NdT

 

Larry Itliong (1913-1977) dirigeant ouvrier philippin, organisateur de la longue grève des vendangeurs de raisins à Delano (Californie) dans les années 1960 et de nombreuses autres luttes d’immigrés philippins, de l’Alaska à la Californie, a vu son rôle reconnu longtemps après sa mort. En 2015, à l'occasion du 50ème anniversaire du déclenchement de la grève de Delano, le gouverneur de Californie Jerry Brown a instauré le « Larry Itliong Day », fixé au 25 octobre, jour de sa naissance. 

 Manifestation à Times Square à New York le jeudi 30 juin 2022 contre le duo présidentiel élu, Marcos fils et Duterte fille, organisée par la Coalition du Nord-Est pour l’avancement d’une démocratie authentique aux Philippines, Gabriela New York, Bayan USA, Damayan Migrant workers Association et Malaya Movement. Les manifestants exigeaient notamment justice pour les victimes de l’état d’urgence durant la dictature de Marcos père et des exécutions extrajudiciaires sous Duterte. Photo DAVE LLAVANES JR.

 


 

RASHA HILWI
D’Akka à Téhéran : être mère face à l’injustice

Rasha Hilwi, Raseef22, 9/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Rasha Hilwi est une écrivaine palestinienne, mère de famille, journaliste, éditrice, programmatrice culturelle, conteuse, DJ, féministe, et activiste culturelle. Née et élevée dans la ville d’Akka (Acre) en Palestine de 1948, elle vit aujourd’hui à Amsterdam.
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Je n’ai pas écrit un seul article depuis le début de la guerre génocidaire contre mon peuple à Gaza. Pendant des mois, j’ai évité d’écrire.

Lorsque j’ai commencé à écrire à la fin de mon adolescence à Akka, c’était parce que j’étais convaincue que l’écriture ne se résume pas à poser un stylo sur du papier ou des doigts sur un clavier. Même la création d’un texte personnel peut avoir des implications plus larges dans le monde extérieur et peut influencer le changement. Pour moi, l’écriture est un acte de résistance face à l’injustice, une tentative d’élever la voix des opprimés.

Mais la machine à tuer israélienne qui extermine les Palestiniens de Gaza - enfants, femmes et hommes - sous les yeux des gouvernements du monde et de leurs justifications, a créé un espace de doute quant à l’efficacité de l’écriture.

Je suis une femme palestinienne dont l’identité, les sentiments et les choix ont été façonnés par l’injustice qui a frappé sa famille lors de la Nakba de 1948, ainsi que par ce qu’elle a vécu à l’intérieur de la Palestine pendant plus de trente ans. Alors que j’étais partie, mon peuple était toujours là. Naturellement, l’écriture a été la première action face à ceux et celles qui tentaient d’effacer les récits de notre peuple, ses journaux intimes, ses peurs, ses rêves et sa résilience, ainsi que son insistance sur la vie.

Plus important encore, l’écriture est une tentative de récupérer la maison volée, ou du moins d’y appartenir, à l’intérieur d’un État qui a tout fait depuis la Nakba pour que les Palestiniens se sentent étrangers. La ghorbah est un sentiment pénible que nous ne connaissons que trop bien.

Plus important encore, l’écriture est une tentative de récupérer la maison volée, ou du moins d’y appartenir, dans un État qui, depuis la Nakba, a tout fait pour que les Palestiniens se sentent étrangers. Ghorbah est un sentiment difficile que nous ne connaissons que trop bien.

“Ghorbah” (غربة) vient du mot arabe “Gharb” (l’Occident), le mot “Tagharraba” (تغرّب) signifie se déplacer vers un autre endroit, loin de chez soi, être éloigné ou étranger. “Ghorbah” ne désigne pas seulement un lieu géographique, mais implique également la distance émotionnelle par rapport à la maison, même pour quelqu’un qui n’a jamais déménagé physiquement.

J’ai décidé de quitter la Palestine il y a neuf ans, à la recherche d’une autre maison à l’étranger. C’était un choix qui, au fond, était un privilège, car je suis une Palestinienne détentrice d’un passeport israélien, ce qui me permet de circuler librement en Europe.

Je ne m’attendais pas à ce que cette recherche de Ghorbah me permette de fonder un foyer, de former une famille et de devenir mère.


Mais maintenant que c’est fait, j’ai reçu une autre leçon : la maternité n’est pas une identité qui vous est donnée d’un seul coup, c’est une pratique avec laquelle vous devez vous familiariser chaque jour, dont vous devez apprendre et même désapprendre des choses. La maternité est une pratique qui a commencé lorsque j’ai donné naissance à mes filles, un événement qui s’est produit loin de mon premier foyer, la Palestine. Pendant les jours, les mois et les années où j’ai été confrontée à cette nouvelle identité, la Palestine a connu le « soulèvement de mai », l’assassinat de sa journaliste Shireen Abu Akleh, la guerre génocidaire contre Gaza et tant d’autres événements qui l’ont placée, ainsi que moi, la mère palestinienne éloignée, face à la question suivante : « Comment puis-je continuer à faire quoi que ce soit ? Comment puis-je continuer à faire quelque chose, même si c’est un simple acte, face à l’injustice ? »

Il y a quelques semaines, je me préparais à quitter la maison pour rejoindre une manifestation pour Gaza à Amsterdam. L’une de mes filles m’a demandé où j’allais. Lorsque je le lui ai dit, elle n’a d’abord pas compris. Puis j’ai dit : « Free, free Palestine ! ». En tant que famille, nous étions allées à une manifestation quelques jours auparavant, et j’ai pensé que ce chant clarifierait mon propos. Elle a réagi en portant la main à son oreille et en disant « Mama, owie » - elle se souvenait avoir été dérangée par les chants bruyants. Je lui ai dit : « Ce n’est pas grave, ma chérie. J’ai une vieille oreille. Elle a plus de soixante-dix ans ». Elle m’a souri, même si elle ne comprenait rien.

Je suis devenue mère de mes jumelles à la fin du mois de mars 2021. J’ai toujours voulu être mère, même lorsque je vivais encore en Palestine. Mais lorsque je pensais à la maternité, je n’imaginais pas que le père de mes enfants serait un non-Palestinien, ou même un non-arabe. Ce que nous imaginons est sans importance, car le cœur a toujours d’autres plans. Mon cœur s’est tourné vers la Perse. Plus précisément, vers un Iranien qui avait été contraint de quitter l’Iran et de fuir à Amsterdam. Lorsque j’ai fait part à ma mère de nos projets de mariage, elle m’a dit d’un ton sarcastique : « Nous t’avons envoyée en Europe pour que tu épouses un Iranien ? Qu’est-ce qui ne va pas avec les Néerlandais ? » Elle a ri, j’ai ri, et je lui ai dit : « Mais, maman, mon cœur va toujours vers celui qui a la même douleur ».

Sa douleur, même si elle n’est pas exactement la même que la mienne, est aussi celle de la perte de sa maison. Je n’ai pas perdu ma maison directement, mais mes grands-parents ont perdu la leur après que les milices sionistes ont procédé au nettoyage ethnique de leur village d’Iqrith. Ils ont vécu leur vie comme des réfugiés dans leur patrie et sont morts avant que leur rêve de retourner dans leur village natal ne se réalise. Un fait qui a façonné ma vie, mon identité, mes rêves et mes peurs. C’est ce qu’on appelle le traumatisme intergénérationnel.

Mon mari a perdu sa maison directement. Il était un enfant de trois ans lorsque son père s’est enfui pour la première fois afin d’éviter d’être tué après la prise de pouvoir des islamistes en Iran. Il s’est enfui à travers les montagnes et a atteint la Turquie. Son fils en bas âge et sa femme l’ont ensuite suivi sur la même route jusqu’à ce qu’ils se retrouvent à Istanbul pour finalement arriver aux Pays-Bas en tant que famille de réfugiés. Mon mari, qui a grandi en exil, ne peut pas se rendre dans sa ville natale, Téhéran, et sa mère, qui a souffert de démence pendant de nombreuses années, est morte en exil alors qu’elle rêvait de retourner dans son pays.

La question de la confrontation de l’injustice à l’intersection de la maternité s’est élargie depuis que je suis devenue mère de filles iraniennes-palestiniennes. Il aurait peut-être été plus facile d’y répondre si je ne m’étais pas réveillée chaque jour à la maison avec la douleur de la Palestine et de l’Iran. Cette douleur est présente et vit dans deux tableaux accrochés à notre mur. Notre propre galerie d’exilés décédés, expulsés de leur pays mais ayant une place dans notre maison, est exposée : ma grand-mère Salma et la mère de mon mari, Parvin.

Dans ma vie, l’espace personnel est un espace de deuil partagé, mais c’est aussi un espace de questions difficiles, de légitimité d’une réalité complexe qui ne veut pas que le deuil d’une partie de la maison soit plus important que le deuil de l’autre. Plus important encore, la confrontation avec l’injustice, cette graine qui m’anime, ne se fait pas au détriment d’une autre injustice.

Je ne parle pas beaucoup de la Palestine à mes filles. Plus précisément, je ne leur parle pas avec des mots. J’ai trouvé d’autres méthodes indirectes pour le faire. Je m’efforce de préparer les plats palestiniens que j’ai appris de ma mère et nous écoutons ensemble des chansons palestiniennes, des plus traditionnelles à celles qui sont sorties hier. Je leur parle dans mon dialecte hétéroclite, qui est un mélange de la montagne (ma mère) et de la mer (mon père), et tous les soirs, je leur chante des berceuses palestiniennes avant qu’elles s’endorment.

En novembre dernier, après une journée passée à regarder des images et des vidéos en provenance de Gaza, et avec le sentiment de culpabilité qui me rongeait en comparant la sécurité du toit qui me protège à celle des mères gazaouies et de leurs enfants, je me suis jetée entre mes filles ; la première tenait ma main droite et la seconde ma main gauche. Je leur ai demandé : « Que voulez-vous que je chante pour vous ? » Elles ont répondu ensemble : « Ya Siti ! (Oh ma grand-mère !) ». C’est la berceuse qui leur tient le plus à cœur. Au milieu de la chanson, la sonnette de la maison a retenti. « Maman, n’aie pas peur », a dit l’une de mes filles, ce qui était sa façon de dire qu’elle avait peur.

Je leur ai dit que c’était le facteur et j’ai recommencé à chanter jusqu’à ce qu’elles s’endorment.

Tout comme je ne leur parle pas directement de la Palestine, je ne leur dis pas non plus que j’ai souvent très peur de beaucoup de choses, d’un monde qui ne considère pas l’enfant palestinien comme aussi précieux que les autres enfants. J’ai peur que des filles et des femmes iraniennes soient encore tuées parce qu’elles ne portent pas le hijab “correctement”. J’ai peur qu’Israël ne soit pas tenu pour responsable de ses crimes, les anciens, les nouveaux et ceux à venir. Je crains que la République islamique d’Iran ne soit pas tenue de rendre des comptes pour les exécutions de jeunes gens qu’elle continue de commettre... et la liste est encore longue.

Je reviens à l’écriture aujourd’hui, au milieu de ce qui se passe, pour me dire et souligner que ma maternité, en effet, est un fil qui s’étend vers la réflexion sur la justice pour la Palestine dans ma maison, à travers la nourriture, les odeurs, les chansons, ma voix, mon visage, et ma tristesse héritée qui flotte à la surface fortement ces jours-ci. Mais c’est aussi un fil qui s’étend vers la réflexion sur la justice pour l’Iran. Parce que Téhéran devrait être un jour une maison pour mes filles, tout comme Akka. La douleur est la même, même si les “garde-barrières” de nos pays sont différents ou prétendent être des ennemis.

 

27/07/2024

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
Algunas observaciones sobre impunidad judeoisraelí

Luis E Sabini Fernández, Revista Futuros, 23-2-2024

Mis últimas notas han procurado enfocar situaciones gravísimas y generalizadas que entiendo se ignoran o ante las cuales “esquivamos el bulto”; incluyendo la expansión del narcotráfico  y otros tráficos igualmente lesivos o peores, como el de humanos, la plastificación generalizada y lo que ello significa en términos de salud, ambiental, animal y humana y también señalábamos la actual existencia de un genocidio a cielo abierto y la no menos llamativa ausencia de reacción del universo institucional.

Como esto último persiste, y aun tiene visos de afianzarse, por normalización, por acostumbramiento, por miedo, no tenemos más remedio que hincarle el diente otra vez al asesinato generalizado, de día o de noche, de gente armada o desarmada, de niños de cualquier edad, y en muy variadas formas, con muy peregrinas justificaciones.

Nos referimos a la política genocida abierta del Estado de Israel sobre la población palestina cada vez más despojada de su territorio en una lenta y progresiva política de pinzas del sionismo, que se aceleró bruscamente el 7 de octubre de 2023.


Que nuestros ángeles nos protejan”, por Mira Shihadeh, octubre de 2023

Hasta entonces, la táctica y la técnica del sionismo para la apropiación del territorio palestino, se había caracterizado por dos momentos: uno primero, muy pausado y fragmentario, adueñándose de tierras de propietarios ausentistas mediante escrupulosas compras de esas tierras a los propietarios rentistas que en general aceptaban la transacción, incluso contentos porque los sionistas solían comprarles esas tierras a buen precio.

Ese período, grosso modo, coincidió con la primera mitad del Siglo XX. Con la instauración del Estado de Israel se produce un cambio en el ritmo y el alcance de la apropiación. Hasta 1947/1948, se echaba de tierras a campesinos inmemoriales que carecían de títulos de propiedad, y la Agencia Judía encargada ahora de administrarlas, las asignaba a kibutzim o a moshavim de judíos que habían hecho la aliah, en castellano que habían ‘retornado a las fuentes’.

Este concepto de retorno tiene, como diría el inolvidable Bartolomé Hidalgo, “su dificultad”: cuesta hablar de retorno, mediando dos grandes obstáculos  conceptuales para ello: los antepasados con que se ligaba ese retorno, eran, si habían vivido allí, de dos mil años atrás. Ardua tarea reconocer esa ligazón. Pero si los judíos que hacían la aliah tenían sus ancestros provenientes de otras tierras, por ejemplo, jázaras, entonces se perdía toda ligazón física, material. Podría argumentarse que se tratara de una ligazón religiosa, pero ¿cómo validar con ello muy concretas y materiales apropiaciones de tierras?

Lo cierto es que, “por la razón o la fuerza”, los sionistas ampliaron enormemente la apropiación de tierras después de 1948. El período 1948-2023 fue el de un cada vez más intenso despojo de lo que iba quedando como “territorios palestinos”, usando la fraseología de la ONU. Esos territorios formaban parte fundamental de un hipotético “estado palestino” que figuró en las tratativas palestino-israelíes más de una vez.


Mohammed Sabaaneh

Pero permanentemente fue ensanchándose el poder israelí y achicándose, licuándose la presencia palestina. Si lo graficáramos con imágenes animales diría que Israel empleó la técnica de la boa constrictor, sobre todo cuando tiene que enfrentar una víctima de porte mayor.

Una medida tomada en 2006 por Israel lo grafica nítidamente: luego de varios años con colonias sionistas enclavadas en la Franja de Gaza –un territorio altamente densificado sobre todo por el expansionismo israelí (Guerra de los 6 días)–, “El Carnicero” Ariel Sharon decide evacuar las escasas colonias instaladas en la Franja y anuncia hacerle –a los palestinos– la vida imposible. Al retirarse, desmantelan y rompen todas las instalaciones agrícolas y habitacionales, las  redes de riego, que habían erigido en Gaza, en medio de las privaciones generalizadas de su población y dejan  todo el estropicio sobre las maltratadas tierras gazatíes. Y esa misma noche aviones israelíes sobrevuelan  rasantes la Franja a la velocidad del sonido: a la mañana, la Franja tendrá muchos niños con enuresis y con tímpanos rotos.

La técnica constrictor se profundiza: la Franja de Gaza queda aislada por los cuatro costados: se bombardea  y desmantela el aeropuerto y el puerto; únicos de la Franja, se cortan todos los caminos salvo uno hacia Egipto celosamente cuidado por israelíes y egipcios, y otro de acceso a Israel, que se convierte en “el cordón umbilical” de ese territorio “embolsado”. E Israel  dictamina acerca del ingreso de alimentos instaurando dosis con un máximo de calorías per cápita. Con la pesca fuertemente limitada, porque los gazatíes no pueden salir al mar  –son baleados–, apenas pescar en la orilla, con una agricultura –la Franja de Gaza fue uno de los primeros territorios agrícolas de la humanidad– totalmente saboteada por la depredación israelí, la alimentación de casi dos millones de seres humanos pasó a estar dosificada por las hostiles autoridades israelíes.

Cuando decimos hostilidad, la idea es demasiado débil: valga lo acontecido con un suceso infrecuente; en 2005 un soldado israelí es tomado prisionero: cuando las fuerzas policiales y militares israelíes procuran “liberar” a ese preso (único) que milicianos palestinos habían secuestrado en una escaramuza (y que los palestinos liberarán mediante canje, sano y salvo, años después; Gilad Shalit), en una serie de allanamientos -donde jamás encontraron nada- terminan matando  entre un centenar y dos centenares de “allanados”. Le queda a uno la interrogante: ¿estaban buscando a Shalit o usaban el pretexto de buscarlo para poder ir matando a mansalva? Porque el descuido, el error, el simple exceso están descartados (ya veremos un comportamiento similar ante el copamiento del 7 de octubre).

Observemos otro ejemplo que refleja la creencia que los judíos sionistas, israelíes  tienen de su propia excelencia: la carta abierta que los decanos de las universidades israelíes Ben Gurion del Negev, lnstituto de Ciencia Weizman,  Universidad Hebrea de Jerusalén, Universidad Ariel, Universidad Abierta de Israel, Universidad de Haifa, y el Instituto Technion-Israel del Instituto de Tecnología, todos ellos alarmados por los discursos académicos posteriores al 7 de octubre de 2023, con lo que consideran “inadecuada respuesta”.

Los decanos adoptan acríticamente la versión oficial israelí de “los más de 1400 víctimas niños, jóvenes y adultos, judíos, musulmanes y cristianos por igual” [sic].  En el momento de su carta abierta, ya existían numerosas fuentes de información que discriminaban en el tendal de muertos; que el principal caudal de víctimas había sobrevenido con la reacción israelí, unas 6 horas después del copamiento de Hamás y otros agrupamientos palestinos sobre el cuartel regional israelí y algunos kibutzim aledaños.

Pero el nudo problemático radica no en repartir culpas y muertos entre milicianos armados  atacantes y militares contraatacando, sino en algo previo.

¿Por qué? ¿Por qué la acción palestina del 7 de octubre?

Leamos a los decanos, que con increíble tranquilidad de conciencia establecen el estado    de situación: “Nos enfrentamos atendiendo dos frentes: uno contra las atrocidades de Hamás, otro en la arena global de la opinión pública. Lamentablemente, observamos una tendencia alarmante según la cual Israel, pese a su derecho a la autodefensa, es caracterizado como un opresor. Esto  establece una equivalencia falsa entre las acciones de una organización asesina y terrorista y un estado soberano con su derecho a defender  a sus ciudadanos, lo cual desafortunadamente  tiene como resultado la pérdida de vidas palestinas inocentes. Todo intento de justificar o apelar equívocamente a las acciones brutales y grotescas de Hamás es intelectual y moralmente indefendible. Es preocupante que muchos colegas universitarios se ha[ya]n convertido en campo propicio para sentimientos antiisralíes y antisemitas, insuflados  por una comprensión sesgada e ingenua del conflicto.” [1] Aquí, en la penúltima palabra, aparece la superioridad intelectual, y moral, que presumen los decanos para sí. Con su planteo maniqueo de que Israel –un estado colonialista– sea el bien. Claro que lo es, para los colonialistas.

GIDEON LEVY
À Gaza, Israël a perdu ce qu’il lui restait d’humanité

Gideon Levy, Haaretz, 24/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les cris sont montés jusqu’au ciel. Sa mère les a entendus. Elle ne les oubliera jamais. Un chien terrifiant et bien dressé a déchiré la chair de son fils de 25 ans, atteint du syndrome de Down. Le chien a déchiré et arraché et elle n’a pas pu le sauver. Les soldats ont chassé la mère de la maison par la force (un porte-parole de Tsahal, qui n’a pas perdu son sens de l’humour même en temps de guerre, a déclaré qu’ils avaient “supplié” la famille de partir), et elle a été forcée d’abandonner son fils à ses cris. 


Les soldats ont promis d’appeler un médecin, mais c’était la dernière chose à laquelle ils pensaient. Ils n’ont pas appelé de médecin, ni même de secouriste. Ils ont déguerpi, laissant Mohammed Bhar se vider de son sang. Une semaine s’est écoulée avant que la famille puisse rentrer chez elle pour voir ce qui était arrivé à leur bien-aimé – un jeune homme qui a été photographié une fois alors qu’un membre de sa famille lui donnait à boire avec compassion. Ils ont trouvé son corps en décomposition.

Personne ne sait combien de temps il a mis à mourir, à quel point ses tourments ont été terribles et ce qui s’est passé dans son esprit handicapé. Quelqu’un a dit qu’avant que le chien ne l’attaque, Mohammed a essayé de le caresser. Qu’est-ce qu’il en sait ?

Les maîtres-chiens, apparemment des soldats de la célèbre unité canine Oketz, qui organise des cérémonies d’enterrement émouvantes et très médiatisées pour chaque chien tué au combat, ont abandonné Mohammed à la mort. Ils ont entendu ses cris et n’ont pas bougé le petit doigt.


L’unité Oketz utilise des Malinois (chiens bergers belges) importés de Belgique et des Pays-Bas. Ceux-ci ont leur propre cimetière, à la différence des humains de Gaza

Les Israéliens étaient censés entendre les cris de Mohammed, eux aussi. Il y a une semaine, le site ouèbe Sicha Mekomit (Local Call) a republié l’histoire, parue sur le site d’information Middle East Eye. Haaretz l’a publié lundi. Le bureau du porte-parole de l’IDF a confirmé tous les détails. Il a parlé d’un missile qui a touché un char, raison pour laquelle l’équipe médicale n’a pas pu soigner un jeune homme sur lequel les soldats avaient lâché leur chien. Pourquoi n’ont-ils pas arrêté le chien à un moment donné et pourquoi ont-ils abandonné Mohammed ? Ce ne sont pas des questions qu’on pose en Israël, c’était un Palestinien. L’histoire est restée dans les pages de Haaretz et de Sicha Mekomit. La BBC l’a également rapportée. Les Britanniques ont peut-être été plus choqués, ce sont des antisémites.

Israël est en train de perdre ce qui lui reste d’humanité. L’une des pires choses que le 7 octobre nous ait faites a été de provoquer la perte finale de notre humanité. Il n’est pas certain que les dégâts soient réversibles. Désormais, seules les vies juives comptent. Désormais, nous pouvons faire n’importe quoi aux Palestiniens. Même lâcher des chiens sur des personnes ayant des besoins particuliers. Ne nous dérangez pas avec nos atrocités, nous sommes occupés à nous complaire dans les atrocités du 7 octobre qui ont été commises contre nous, et seulement contre nous. Elles nous permettent de faire n’importe quoi.

À Sde Teiman, les membres des prisonniers palestiniens sont amputés de manière quasi industrielle. C’est ce qui arrive quand on est menotté pendant des mois sans relâche. La mort de jeunes hommes sous la torture ou par manque de soins médicaux est devenue une routine. Selon un rapport d’enquête de CNN publié en mai, certains détenus sont nourris à la paille et sont englués dans leurs couches. Parfois, des chiens sont lâchés sur eux la nuit pour effectuer des “fouilles”.

Sans le Comité public contre la torture en Israël, il n’y aurait pas de protestation contre cela dans ce pays. Israël, qui, il y a 25 ans, a été choqué par un documentaire de CBS montrant des soldats brisant les membres de Palestiniens avec des pierres sur le flanc d’une montagne près de Naplouse, ne veut même plus en entendre parler. Quiconque en parle est un antisémite.

Adolf Eichmann a été détenu en Israël jusqu’à son procès. Israël l’a traité avec humanité. Personne n’a imaginé l’enchaîner ou lui bander les yeux pendant des mois. Ils n’ont pas non plus lâché des chiens sur lui la nuit. Ses photos de prison reflétaient le visage d’Israël à l’époque. Les photographies de Sde Teiman reflètent le visage de l’Israël d’aujourd’hui.

«  la face de la génération sera comme celle du chien » [dans la période précédant la venue du Messie, NdT] , dit la Mishna, et cela n’a jamais été aussi juste que pour décrire le visage de l’État d’Israël aujourd’hui. La génération, c’est la nôtre, et le chien, c’est celui que les soldats ont lancé sur Mohammed Bhar, un jeune homme de Shuja’iyya aux besoins spécifiques. Ils l’ont ensuite laissé mourir dans d’atroces souffrances, ce qui n’a touché le cœur de presque personne en Israël en 2024.


Deux mères israéliennes d'enfants atteints du syndrome de Down manifestent leur solidarité avec la famille de Mohammed Bhar devant le quartier général de la défense nationale, à Tel Aviv, mercredi. Photo Linda Dayan