المقالات بلغتها الأصلية Originaux Originals Originales

22/05/2024

MATTHEW GINDIN
L’échec du sionisme et ce que cela doit enseigner au monde

 Matthew Gindin, 29/10/2023
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Matthew Gindin est un Canadien d’origine juive qui a été moine bouddhiste et pratique l’acupuncture chinoise, la médecine ayurvédique et le yoga. Il enseigne à la synagogue Or Shalom Bet Midrash de Vancouver (Colombie-Britannique) et contribue à diverses publications anglophones sur des thèmes liés au dialogue interreligieux.

 À l’heure où j’écris ces lignes, cela fait 23 jours qu’Israël bombarde Gaza, une zone de 365 km² abritant 2,3 millions d’êtres humains précieux. Les bombes israéliennes ont tué, en moyenne, 110 enfants par jour. Les mères palestiniennes ont commencé à écrire les noms de leurs enfants sur leurs corps, afin de pouvoir les identifier lorsque leurs cadavres seront retirés des décombres laissés par les bombardements israéliens.

 Joe Biden, le président du plus grand soutien militaire du projet sioniste, a dit quelque chose que j’ai également entendu de la part de certains de mes amis juifs : que le ministère de la santé dirigé par le Hamas gonfle le nombre de morts. Il a dit cela sans vérifier les preuves réelles ou les opinions des experts, qui affirment que les rapports du ministère de la santé sur les victimes se sont avérés exacts lors de conflits précédents. Le ministère a réagi en publiant une liste détaillée des noms de tous les civils tués jusqu’alors, soit près de 7 000 personnes (ce chiffre dépasse aujourd’hui les 8 000).

Le Premier ministre israélien, un homme politique au long passé de corruption et d’idéologie d’extrême droite, a décrit aujourd’hui l’assaut actuel contre Gaza en évoquant la mémoire de l’ancienne tribu d’Amalek (vers 1400 avant notre ère).

Un passage de la Bible hébraïque dit : « Vous devez vous souvenir de ce qu’Amalek vous a fait, dit notre Sainte Bible. 1 Samuel 15:3 : “Va maintenant, frappe Amalek, et voue à la destruction tout ce qui lui appartient; tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et brebis, chameaux et ânes” », a déclaré M. Netanyahou. Les rabbins qui ont créé le judaïsme que nous connaissons aujourd’hui ont décidé il y a longtemps (il y a des siècles) qu’aucune nation moderne ne pouvait être assimilée à Amalek, mais Netanyahou se soucie peu des valeurs rabbiniques progressistes, c’est le moins que l’on puisse dire. En citant ce passage, il signale explicitement son intention génocidaire et achève le mariage du sionisme - à l’origine un mouvement laïc qui répudie la religion juive - avec une vision tordue et cauchemardesque du judaïsme.

Dans l’imaginaire religieux des Juifs entre 136 de notre ère et le XIXe  siècle, Israël était une terre magique. Les Juifs priaient plusieurs fois par jour pour le retour messianique en Israël et la rédemption du monde. La prophétie, disaient-ils, était plus facilement accessible en Israël (ou seulement accessible en Israël selon certains) ; les produits étaient énormes et avaient un goût incroyable ; le sol avait des propriétés magiques. Pendant des siècles, cependant, bien que de nombreux petits groupes de Juifs soient allés vivre en Palestine pour des raisons religieuses, la loi juive elle-même a été interprétée comme interdisant un retour massif en Palestine. Les rabbins du Talmud ont écrit que trois serments empêchaient les Juifs de reprendre Israël par la guerre ou le transfert de population : Le premier est que les Juifs ne doivent pas monter sur Eretz Yisrael comme un mur (le reprendre en revenant en masse). Une autre est que le Saint, béni soit-il, a recommandé aux Juifs de ne pas se rebeller contre les nations du monde. Enfin, le Saint, béni soit-il, a recommandé aux nations du monde de ne pas soumettre les Juifs de manière excessive.

Les trois serments mentionnés ci-dessus, ou plutôt les deux qui s’appliquent aux Juifs, étaient pris très au sérieux, tout comme l’enseignement rabbinique selon lequel les Juifs devaient entretenir des relations non violentes avec les nations, même s’ils étaient opprimés par elles. Avant 1890, la loi et le consensus juifs stipulaient que les Juifs devaient se défendre hardiment devant les nations, mais seulement en paroles. Dans les années 1890, certains ont soutenu que, puisque les nations avaient rompu le troisième serment, les Juifs étaient libérés des deux premiers. Les rabbins orthodoxes n’étaient pas d’accord, estimant au contraire que si les nations rompaient le serment qu’elles avaient prêté à Dieu, celui-ci s’en chargerait lui-même.

Au XIXe siècle, un groupe a commencé à soutenir que les Juifs étaient un peuple comme les autres - c’est-à-dire un peuple défini par son ethnie ou sa culture, et non par les idées de la religion juive - et qu’à ce titre, ils devaient vivre dans l’autodétermination et la liberté comme les autres. Selon eux, les Juifs ne peuvent vivre dans la liberté, la paix et la force que s’ils se débarrassent de la religion traditionnelle et de ses promesses et s’ils construisent leur propre État-nation pour se protéger. Après quelques débats sur le lieu, il a été décidé qu’il s’agirait d’un “Altneuland” (Vieux-nouveau pays) en Palestine.

Les rabbins de tous horizons - orthodoxes et réformés - ont généralement exprimé leur désaccord. Les bundistes - militants juifs non sionistes et non religieux - n’étaient pas non plus d’accord, estimant que le seul moyen de trouver la liberté et la paix pour les Juifs était de construire un monde de liberté et de paix pour tous. Cependant, à mesure que le sionisme prenait de l’ampleur, les Juifs affluaient en Palestine, où, entre 1878 et 1917, ils sont passés de 3 % à 10 % de la population palestinienne.

 Ahad Ha’am lisant Altneuland, de Theodor Herzl, par Mark Anderson

 Alors que la nouvelle colonie juive se développe, une minorité de sionistes juifs critique le gratin sioniste juif pour son racisme, son mépris des préoccupations des Arabes palestiniens et son injustice à leur égard. Ahad Ha’am (1856-1927), le sioniste juif russe, a écrit en 1891 :

« Nous devons certainement apprendre, de notre histoire passée et présente, à quel point nous devons veiller à ne pas provoquer la colère des autochtones en leur faisant du tort, à quel point nous devons être prudents dans nos relations avec un peuple étranger parmi lequel nous sommes revenus vivre, à traiter ce peuple avec amour et respect et, cela va sans dire, avec justice et discernement. Et que font nos frères ? Exactement le contraire ! Ils étaient esclaves dans leurs diasporas, et soudain ils se retrouvent avec une liberté illimitée, une liberté sauvage que seul un pays comme la Turquie [l’Empire ottoman] peut offrir. Ce changement soudain a semé dans leur cœur des tendances despotiques, comme cela arrive toujours aux anciens esclaves [‘eved ki yimlokh - quand un esclave devient roi - Proverbes 30:22]. Ils traitent les Arabes avec hostilité et cruauté, les violent injustement, les battent honteusement sans raison suffisante et se vantent même de leurs actes. Il n’y a personne pour arrêter le flot et mettre fin à cette tendance méprisable et dangereuse.

    « Nous, qui vivons à l’étranger, avons l’habitude de croire que les Arabes sont tous des sauvages du désert qui, comme des ânes, ne voient ni ne comprennent ce qui se passe autour d’eux. Mais c’est une grave erreur....Les Arabes, en particulier l’élite urbaine, voient et comprennent ce que nous faisons et ce que nous voulons faire sur la terre, mais ils se taisent et font semblant de ne rien remarquer. Pour l’instant, ils ne considèrent pas que nos actions représentent un danger futur pour eux. ... Mais si le temps vient où la vie de notre peuple en Eretz Yisrael se développe à un point tel que nous prenons leur place, que ce soit légèrement ou de manière significative, les indigènes ne vont pas s’écarter si facilement ».

Ahad Ha’am, sioniste juif russe, 1891 – « Vérité de la terre d’Israël [Eretz Israël] »

En 1907, dans un article paru dans HaShiloah, l’une des premières publications modernes en hébreu et reprenant une intervention faite au 7ème congrès sioniste de Bâle en 1905, l’enseignant et militant Yitzhak Epstein, né à Odessa, revient sur les propos d’Ahad Ha’am. Epstein appartenait au Hovevei Tzion, la première organisation sioniste. Il avait assisté à l’achat des terres de Ras al-Zawiya et al-Metulla (aujourd’hui connues en hébreu sous le nom de Rosh Pina et Metullah) plusieurs années auparavant. Lorsque les sionistes achetaient ces fermes à leurs propriétaires arabes, ils dépossédaient les métayers arabes et les remplaçaient par de la main-d’œuvre juive. Il se souvient de la colère des fermiers druzes dépossédés :

« Les lamentations des femmes arabes ... résonnent encore à mes oreilles » », écrit-il. « Les hommes montaient sur des ânes et les femmes les suivaient en pleurant amèrement, et la vallée était remplie de leurs lamentations. En chemin, ils s’arrêtaient pour embrasser les pierres et la terre».

Epstein a averti que les relations avec les Arabes étaient la “question cachée” que le mouvement sioniste n’abordait pas. Il affirme que les sionistes ont tendance à « oublier un petit détail : il y a sur notre terre bien-aimée un peuple entier qui y est attaché depuis des centaines d’années et qui n’a jamais envisagé de la quitter....Que feront les fellahin [éleveurs de faisans arabes] après que nous aurons acheté leurs champs ? » demande-t-il, « nous devons admettre que nous avons chassé des gens appauvris de leur humble demeure et que nous leur avons ôté le pain de la bouche ». Son argumentation n’a guère suscité de réactions, comme celle d’Ahad Ha’am avant lui.

Buber (à g.) et Scholem

Martin Buber (1878-1965), le grand philosophe et mystique juif, a proposé au 12e congrès sioniste de 1921 une résolution exhortant les Juifs à rejeter « avec horreur les méthodes de domination nationaliste dont ils ont eux-mêmes longtemps souffert » et à renoncer à tout désir « de supprimer un autre peuple ou de le dominer », puisque dans le pays « il y a de la place à la fois pour nous et pour ses habitants actuels ».

Buber et d’autres, notamment des universitaires affiliés à la toute nouvelle université hébraïque de Jérusalem, comme Gershom Scholem, le grand spécialiste de la mystique juive, ont créé en 1925 Brit Shalom, le premier grand groupe sioniste arabo-juif pour la paix. L’association existait pour « parvenir à une entente entre Juifs et Arabes [...] sur la base de l’égalité politique absolue de deux peuples culturellement autonomes, et pour déterminer les lignes de leur coopération pour le développement du pays ».

Les fondateurs de Brit Shalom venaient d’horizons politiques et personnels différents. Certains d’entre eux étaient des dirigeants du Yichouv bien établis, qui considéraient la réconciliation avec les Arabes comme une nécessité pratique (comme Arthur Ruppin, un haut fonctionnaire sioniste chargé de la colonisation). D’autres encore étaient inspirés par des convictions morales et voyaient la nécessité d’intégrer les besoins et les préoccupations des populations locales - et pas seulement des Juifs - dans la mission sioniste.


Ruppin, en tant que haut responsable de la colonisation, est critiqué par ses alliés travaillistes qui considèrent Brit Shalom comme “délirant”. Ruppin, à son tour, craint que le sionisme ne « se détériore en un chauvinisme inutile » et qu’il devienne impossible « d’attribuer une sphère d’action à un nombre croissant de Juifs en Palestine sans opprimer les Arabes ».

 Le courant sioniste dominant a toujours affirmé que le nationalisme palestinien était superficiel et qu’il résultait de la manipulation des “masses ignorantes” d’Arabes par une élite désireuse de détruire le projet sioniste. Il s’agit là d’un dangereux malentendu. En fait, comme l’ont constaté d’autres sionistes, les non-Juifs de Palestine étaient profondément attachés aux fermes et aux villages où leurs familles vivaient depuis des générations et s’identifiaient à leur terre et à leur culture tout autant que les Juifs s’identifiaient à la leur.


Hans Kohn (1891-1971), sioniste, philosophe et critique du nationalisme, a écrit : « Je ne peux pas être d’accord avec cette politique lorsque le mouvement national arabe est dépeint comme l’agitation gratuite de quelques grands propriétaires terriens. Je ne sais que trop bien que la presse impérialiste la plus réactionnaire d’Angleterre et de France dépeint souvent les mouvements nationaux en Inde, en Égypte et en Chine de la même manière - en bref, partout où les mouvements nationaux des peuples opprimés menacent les intérêts de la puissance coloniale ».

Il écrit : « Nous sommes en Palestine depuis douze ans [depuis 1917] sans avoir une seule fois fait une tentative sérieuse pour rechercher par la négociation le consentement des populations indigènes. Nous nous sommes appuyés exclusivement sur la puissance militaire de la Grande-Bretagne. Nous nous sommes fixé des objectifs qui, par leur nature même, devaient conduire à un conflit avec les Arabes. Nous aurions dû reconnaître que ces objectifs seraient la cause, la juste cause, d’un soulèvement national contre nous... Mais pendant douze ans, nous avons prétendu que les Arabes n’existaient pas et nous étions heureux qu’on ne nous rappelle pas leur existence ».

Avec une prescience lucide, Kohn écrit que sans le consentement des Arabes locaux, l’existence des Juifs en Palestine ne sera possible que « d’abord avec l’aide britannique, puis plus tard avec l’aide de nos propres baïonnettes ... mais à ce moment-là, nous ne pourrons pas nous passer des baïonnettes. Les moyens auront déterminé le but. La Palestine juive n’aura plus rien de ce Sion pour lequel j’ai risqué ma vie ».

Judah Magnes, par Bernard Sanders, 1932

Ihud (Unité) est un nouveau mouvement bi-nationaliste qui succède à Brit Shalom. L’association appelle à un « gouvernement en Palestine basé sur l’égalité des droits politiques pour les deux peuples ». Elle était dirigée par Judah Magnes (1877-1948) et Martin Buber, critiques chevronnés de la politique traditionnelle, ainsi que par la célèbre intellectuelle juive antifasciste Hannah Arendt (1906-1975). Dans une lettre adressée en 1942 à un rabbin réformiste américain, Magnes définit le nationalisme juif comme « malheureusement chauvin, étroit et terroriste dans le meilleur style du nationalisme d’Europe de l’Est ».

Lorsque cette déclaration a été rendue publique, Magnes a été sévèrement critiqué. Il a défendu son point de vue : « Ce que j’avais à l’esprit, ce n’était pas les quelques extrémistes ... mais plutôt des actes précis que certains dirigeants et groupes importants n’ont pas répudiés et qui prennent l’aspect, pour le moins, de ne pas être contraires à leur politique nationale ».

En Palestine même, le leader émergent du nouveau Yichouv est David Ben-Gourion (1886-1973), qui joue un rôle clé dans l’élaboration des politiques du courant sioniste dominant. Celles-ci comprenaient un gouvernement de gauche (B-G était un socialiste modéré) et l’espoir d’une paix avec les Arabes qui serait basée, comme il le disait, sur le “pouvoir juif”.

En 1948, la population totale était composée de 68 % d’Arabes et de 32 % de Juifs. En novembre 1947, à la suite des horreurs de l’Holocauste, les Nations unies ont approuvé une résolution visant à partager le pays entre les deux parties, 61 % des terres allant à l’État juif et 39 % à l’État arabe.

Les Nations unies votent en faveur de la partition, un résultat accueilli avec enthousiasme par le Yichouv, alors même que des violences intercommunautaires éclatent entre les populations juives et arabes. Ben-Gourion déclare l’indépendance, puis une guerre internationale éclate entre l’État juif naissant et cinq pays arabes. Buber déplore que l’État ait été « construit dans le sang » et déclare que même si le Yichouv l’emportait, ce serait une fausse victoire, car ce serait une défaite du véritable idéal sioniste de renaissance nationale – « pas simplement la sécurité de l’existence de la nation », mais la renaissance de sa mission éthique. Pour Buber, la normalisation de l’État juif équivalait à l’assimilation. Les Juifs réussissaient à devenir un État normal, écrivait-il, « à un degré terrifiant »

« Je ne peux pas me réjouir en anticipant la victoire », écrit-il, « car je crains que l’importance de la victoire juive ne soit la chute du sionisme »

Le premier gouvernement israélien a choisi de ne pas autoriser les réfugiés palestiniens à retourner dans leurs villages et sur leurs terres, dont certaines appartenaient à leurs familles depuis des générations. Le jeune gouvernement israélien, confronté à la tâche colossale de construire un pays quasiment à partir de zéro et d’intégrer des réfugiés juifs venus de nombreux pays différents, dont beaucoup parlaient des langues différentes, considérait les réfugiés palestiniens comme un fardeau indésirable et dangereux.

Les appels de pacifistes juifs comme Martin Buber à les accueillir dans le nouvel Israël ont été ignorés. La société israélienne se préparait à ce qui est certainement l’une des réalisations les plus remarquables de l’histoire de l’humanité : la naissance intentionnelle d’un pays, doté d’une nouvelle langue et d’une infrastructure économique, politique, technique, agricole et sociale fonctionnelle, y compris une riche communauté d’artistes, d’écrivains, de musiciens et de philosophes, ainsi que la création d’une nouvelle patrie pour les Juifs orthodoxes (même si nombre d’entre eux continuaient à être officiellement antisionistes et à ne pas reconnaître l’État).

Les réfugiés arabes palestiniens se sont installés dans des camps ou sont devenus des citoyens de seconde zone en Égypte, en Jordanie, en Syrie et au Liban. Un homme d’État arabe de l’époque a déclaré que les camps de réfugiés n’étaient pas une mauvaise chose : ils produiraient les futurs combattants qui détruiraient l’État sioniste injuste.

L’entrée du camp de réfugiés palestiniens d’Al Aida, à Bethléhem

La destruction de la société palestinienne d’avant Israël est connue des Palestiniens sous le nom de “Nakba”, ou Catastrophe, et est commémorée aujourd’hui le lendemain du jour de l’indépendance d’Israël, bien que le gouvernement pénalise financièrement toute institution israélienne qui la reconnaîtrait. Certains Palestiniens portent les clés de leurs anciennes maisons sur des colliers transmis dans leur famille ou fabriquent des “symboles de clés” pour marquer le “droit au retour” qu’ils estiment avoir.

C’est ainsi qu’est né le conflit israélo-palestinien, qui, 76 ans plus tard, fait toujours rage comme une plaie suppurante.

Aujourd’hui, le sionisme est un échec juif et humain.

Le rêve sioniste était qu’Israël fournisse un refuge sûr pour les Juifs, une base à partir de laquelle la culture juive s’épanouirait, et une solution à l’antisémitisme.

Dans la pratique, Israël a connu un état de guerre quasi permanent depuis sa création. Bien qu’à bien des égards, la culture juive y ait effectivement prospéré grâce à ses grandes réussites technologiques et créatives, le maintien et la défense d’un État dont l’identité est exclusivement juive et qui donne la priorité aux Juifs par rapport aux autres a compromis les valeurs éthiques juives fondamentales. Il a totalement échoué à réaliser la vision fondamentale de la culture juive traditionnelle : la création d’une société utopique dédiée à ce que nous croyions être les valeurs de Dieu : une justice édifiante et une bonté réparatrice (chesed u’ mishpat).

Aujourd’hui, en Israël, nous avons une société fondée, fondamentalement, sur la croyance que le pouvoir est synonyme de sécurité, un État-nation qui est une incarnation du golem en grand. Afin de maintenir ce pouvoir, Israël est devenu un marchand d’armes mondial pour les super-vilains et les États tyranniques, un fournisseur de technologies d’espionnage pour les services secrets les plus perfides du monde, et une société qui, afin de préserver son caractère juif, dispose d’une armée massive. Elle est un leader mondial dans le développement d’armes, dispose d’un réseau d’espionnage infâme et rejette et brutalise les réfugiés africains et autres qui cherchent refuge en son sein. Plus grave encore, il persiste dans une occupation illégale et extrêmement destructrice de la Cisjordanie et de Gaza qui s’accompagne, depuis des décennies, d’une oppression routinière et omniprésente et de violations des droits de l’homme, et qui est une source permanente de violence à l’encontre des civils israéliens.

Il est incendiaire de dire cela, mais je pense que la vérité est que le projet sioniste est l’une des principales causes de la haine des Juifs dans le monde aujourd’hui. J’en veux pour preuve le fait que depuis le début du siège israélien de Gaza, les incidents antisémites au Royaume-Uni ont augmenté de près de 1 500 %. (Mise à jour le 9 novembre avec des informations sur les sondages américains). C’est cela notre protection ? C’est notre guérison ? C’est la fin de l’antisémitisme ? Chaque agression violente d’Israël contre les Palestiniens au cours des dernières décennies entraîne une recrudescence du vandalisme antijuif, des discours de haine et des agressions violentes dans le monde entier. Ces mêmes agressions sont ensuite invoquées comme la raison pour laquelle nous avons besoin d’Israël en premier lieu.

Il est peut-être temps de se demander si les Bundistes - des socialistes juifs non sionistes du début du XXe siècle - avaient raison. Ils affirmaient que la liberté juive ne serait acquise que par la liberté pour tous, et non par la construction d’une forteresse militarisée pour nous-mêmes. Une comparaison rapide entre la situation du Canada pluraliste et multiculturel et celle d’Israël semble indiquer qu’ils avaient raison.

Mais qu’en est-il du Hamas ? Son désir d’éliminer l’État sioniste ne prouve-t-il pas que nous avons besoin d’une forteresse militarisée et ne justifie-t-il pas les attaques éclair d’Israël contre ses camps de réfugiés ?

Stephen M. Walt, chroniqueur à Foreign Policy et professeur de relations internationales Robert et Renée Belfer à l’université de Harvard, note qu’ « Israël a pilonné la bande de Gaza lors de l’opération Plomb durci en décembre 2008, l’a refaite lors de l’opération Bordure protectrice en 2014, puis l’a refaite (à plus petite échelle) en mai 2021. Ces attaques ont tué plusieurs milliers de civils (dont peut-être un quart d’enfants) et appauvri davantage la population piégée de Gaza, mais elles ne nous ont pas rapprochés d’une solution durable et juste ».

Sur la plupart des points, le sionisme est donc un échec, un échec qui s’est fait au détriment des droits et de la dignité de millions de Palestiniens et qui a piégé des générations de civils israéliens dans la guerre, la violence et les traumatismes.

Certains Israéliens diront, bien sûr, avec colère et de manière compréhensible : « Êtes-vous en train de dire que tout mon pays bien-aimé est un échec ? »

Il y a beaucoup, beaucoup de choses belles et étonnantes dans la société juive de l’Israël moderne. Mais oui, tout pays qui repose sur les fondations de trois millions de réfugiés déplacés, contrôlés par un appareil de sécurité élaboré et une guerre sans fin, est, jusqu’à présent, un échec.

On est loin de l’ancien rêve juif d’être une lumière pour le monde.

Il y a cependant un moyen par lequel le régime sioniste peut encore être une telle lumière, et c’est dans son échec même.

Le sionisme démontre avec des détails douloureux et horribles la faillite totale de l’idée selon laquelle la solution au problème juif réside dans la puissance et le pouvoir.

L’État moderne d’Israël est un avertissement pour toutes les nations et tous les peuples : la suprématie ethnique, le chauvinisme, l’isolationnisme et la violence non seulement ne sont pas des solutions à nos problèmes, mais les aggraveront considérablement et les propageront au-delà de nos frontières pour infecter le corps politique de l’humanité en général.

Je n’écris pas cela pour inciter à la haine du sionisme ou d’Israël, Dieu m’en garde, mais plutôt pour affirmer que la seule façon d’avancer passe par le démantèlement de la suprématie juive en Israël, le retour des droits politiques aux Palestiniens et un effort de vérité et de réconciliation dans l’ensemble d’Israël/Palestine, comme cela s’est produit en Afrique du Sud.

Ceux qui affirment que nous ne devrions pas critiquer les structures de l’occupation et de l’apartheid en Israël au milieu de cette guerre sont comme ceux qui disent qu’un patient qui se frappe au visage ne devrait pas être diagnostiqué avec la tumeur cérébrale qui en est la cause.

Oui, il faut faire quelque chose d’humain pour immobiliser son bras ; oui, il peut avoir besoin de médicaments contre la douleur, mais nous devons aussi comprendre que la tumeur est la source des problèmes. Les cris "Comment pouvez-vous parler de tumeurs cérébrales alors qu’ils ont des blessures si graves après s’être frappés eux-mêmes !" n’aident pas, surtout quand c’est ce qu’ils crient chaque fois que le patient commence à s’automutiler, année après année après année.

C’est d’autant plus vrai lorsque les personnes présentes dans la pièce injectent activement au patient des produits chimiques qui aggravent la tumeur - si je peux me permettre de pousser la métaphore un peu plus loin - pour couvrir le financement à l’étranger et l’aide militaire que le gouvernement israélien, ouvertement juif et suprémaciste, reçoit des USA et du Canada.

Les dangers très réels associés à une telle voie ne sont pas plus grands que ceux associés à la voie sur laquelle Israël est actuellement engagé. De nombreux Israéliens voient et savent que le statu quo actuel est intolérable, et qu’aucun “État juif” ne vaut la peine de maintenir une prison à ciel ouvert pour 2,3 millions de personnes.

Pendant ce temps, à l’heure où j’écris ces lignes, l’assaut sur les civils palestiniens à Gaza, qui risque d’être génocidaire, se poursuit. La communauté juive ne doit pas soutenir cet effort de guerre, pas plus qu’elle ne doit soutenir l’État d’Israël jusqu’à ce qu’il devienne une démocratie pluraliste et juste pour tous ses peuples.

21/05/2024

AYELETT SHANI
“J’ai demandé à Sinwar si ça valait la peine de faire tuer 10 000 Gazaouis innocents. Il a répondu que même 100 000 en valaient la peine”
Le Hamas vu par un ennemi intime

Ayelett Shani, Haaretz, 13/4/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala


En tant que chef de la division des renseignements de l’administration pénitentiaire israélienne [SHABAS, Sherut Batei HaSohar/Idārat al-Sujūn al-Isrā’īlīyyah/Israel Prison Service], Yuval Bitton a connu de près le chef du Hamas, Yahya Sinwar, dont l’organisation a assassiné le neveu de Yuval Bitton le 7 octobre.

Yuval Bitton. Photo Eliyahu Hershkovitz

Veuillez vous présenter.

Je suis père de trois enfants et je donne des conférences publiques sur le Hamas. Il y a deux ans, j’ai pris ma retraite de l’administration pénitentiaire israélienne, où j’avais commencé en 1996 comme dentiste.

Vous avez terminé votre carrière à la tête de la division “Renseignement” du service.

J’ai suivi un cours pour officiers de renseignement et j’ai servi en tant que tel à la prison de Ketziot* [au sud-ouest de Be’er Sheva], puis j’ai gravi les échelons jusqu’à ce que j’atteigne le sommet de la pyramide.

En préparant cette interview, j’ai trouvé un article datant de 2005 dans lequel vous expliquiez les différences entre les dents des prisonniers affiliés au Fatah et celles des prisonniers membres du Hamas.

Les dents des détenus du Fatah sont en mauvais état, tandis que les prisonniers du Hamas conservent hygiène et pureté. Leur mode de vie est religieux. Ascétique. Avec une discipline rigide. Ils prient cinq fois par jour, ne touchent pas aux sucreries, ne fument pas. Au Hamas, on ne fume pas. Vous voyez un prisonnier de 50 ans qui ne présente aucun signe de maladie. Pas de carie dentaire. Je lui dis : « Vous êtes du Hamas ? » Ils me disaient : « Oui, comment le savez-vous ? » « Par les dents », répondais-je. Une idée très simple. Tout a un sens - c’est la même chose pour leur mode de vie, par exemple. À 21 heures, il y a une extinction totale des feux dans les ailes Hamas de la prison ; dans les ailes Fatah, ils regardent la télévision toute la nuit.

À l’époque, vous étiez un dentiste curieux, doté de bonnes capacités de diagnostic. Comment avez-vous fini par devenir officier de renseignement ?

Je connaissais un agent des services de renseignement qui traînait souvent dans la clinique, qui est censée être un endroit sûr pour les prisonniers. Ils s’y sentent libres de parler, car leurs organisations ne les surveillent pas et ne les écoutent pas. Il a vu que je leur parlais tout le temps et que je lui faisais part de toutes sortes d’idées que j’avais sur eux. Il s’est rendu compte que je pouvais servir de plateforme pour recruter des sources et m’a suggéré de rejoindre la division du renseignement du service pénitentiaire.

Vous savez, lorsque j’ai commencé à travailler au service, des milliers de prisonniers avaient déjà été libérés dans le cadre des accords d’Oslo. Qui était encore incarcéré ? Environ 800 détenus. Il y avait les éléments les plus durs du Hamas et du Jihad islamique, et 200 autres prisonniers du Fatah qui avaient du “sang sur les mains”. Lorsque je suis arrivé à la prison de Nafha [dans le Néguev], en tant que dentiste, tous les dirigeants du Hamas étaient emprisonnés : [Yahya] Sinwar, son bras droit Rawhi Mushtaha, Tawfiq Abu Naim, le chef des services de sécurité, Ali al-Amoudi, le directeur de la communication du Hamas et le directeur du bureau de Sinwar. Et comme j’avais aussi travaillé deux fois par semaine dans une prison pour criminels de droit commun, j’ai compris que le comportement que j’ai vu à Nafha [parmi les prisonniers de sécurité] était très inhabituel.

De quelle manière ?

La discipline y était d’un niveau insensé. Il y a une direction et c’est elle qui décide de tout. Il n’y a pas de prisonnier qui fait ce qu’il veut.

Dans les années 1990, il n’y avait toujours pas de séparation dans les prisons entre les membres du Hamas et ceux du Fatah.

Jusqu’en 2007, les deux organisations avaient une direction commune, avec une répartition ordonnée des tâches. Je regardais autour de moi et je me rendais compte que non seulement cette “entreprise” était gérée comme une organisation militaire à tous égards, mais qu’ils avaient simplement copié leurs modèles de l’extérieur, avec la même structure complexe impliquée dans l’élection des dirigeants, les mêmes postes, mais derrière des barreaux. Il y avait le chef du bureau politique du Hamas - en prison. J’étais fasciné.

Une sorte de microcosme de l’organisation en prison. Un bateau dans une bouteille. Mais il existe des hiérarchies et des organisations [parmi les détenus] dans tous les centres de détention.

C’est vrai, mais parmi les prisonniers criminels, j’ai vu un comportement complètement différent. À l’époque, il n’y avait pas de familles criminelles avec de soi-disant soldats et une infrastructure économique. Il y avait des prisonniers importants, comme Herzl Avitan, par exemple, mais il n’y avait pas de gangs à proprement parler. Les détenus d’une prison de sécurité sont également différents. Ce ne sont pas des violeurs et des voleurs.

Prisonniers libérés dans le cadre de l'accord Shalit, en 2011. « Le Hamas de Gaza est très influencé par les Frères musulmans extrémistes d'Égypte ; le Hamas de Cisjordanie est affilié aux Frères musulmans de Jordanie. Ils sont plus pragmatiques ». Photo Tal Cohen

Ce sont des personnes qui ont des ambitions politiques, qui ont des fondations idéologiques.

Les prisonniers du Fatah de cette époque étaient en fait les fondateurs de l’organisation ; ils étaient incarcérés depuis les années 1980. Il s’agissait de personnes dotées d’une idéologie solide. Il en va de même pour les détenus du Hamas : ce sont eux qui ont créé le Hamas, qui à l’époque était déjà le Hamas responsable des attentats suicides.

Le Hamas, qui n’est plus l’organisation qui s’occupe des problématiques de charité, de veuves et d’orphelins.

Ce n’était pas l’organisation à vocation sociale, pour ainsi dire, qu’Israël souhaitait cultiver dans les années 1980 en tant qu’entité susceptible de constituer une menace pour le Fatah. C’était déjà une organisation militaire à l’époque. Le Hamas a toujours été une faction des Frères musulmans. Ils se sont fixé des objectifs islamistes : anéantir l’État d’Israël, libérer les terres musulmanes sacrées. Les Israéliens n’ont pas compris : pour eux, le Hamas et le Fatah, c’était la même chose.

J’aimerais que nous évitions la sagesse rétrospective, si possible. Maintenez-vous ce que vous dites ? Que vous pensiez, en tant que dentiste de prison, que le Hamas représentait un danger pour l’existence même d’Israël il y a déjà 30 ans ?

Je maintiens. Donc, oui, déjà à l’époque. En tant que dentiste. Le Fatah parlait des frontières de 1967, de l’occupation, du peuple palestinien. Pour moi, les détenus du Hamas disaient : « Il n’y a ni 1967 ni 1948. Il n’y a pas de frontières et il n’y a rien à dire. Vous êtes sur une terre waqf [inaliénable], une terre sacrée musulmane, et vous n’avez rien à faire ici ». Lorsque je suis devenu officier de renseignement, j’ai utilisé l’idée que le Hamas et le Fatah appartenaient à deux mondes différents. Cela n’a été compris de l’extérieur qu’en 2007.

Après la prise de contrôle terrifiante de la bande de Gaza par le Hamas, après que les membres du Fatah ont vu leurs concitoyens se faire jeter des immeubles.

Les membres du Fatah n’ont pas compris ce qui était sur le point de se produire. De leur point de vue, le Hamas était leur frère dans la résistance. Ils pensaient qu’ils affrontaient Israël ensemble ; ils n’avaient jamais imaginé que le Hamas était capable de massacrer leurs gens.

Jusqu’à ce que le Hamas fasse exactement cela, ce que nous connaissons bien.

Nous [les Israéliens] avons été pris par surprise par l’horrible désastre du 7 octobre. Je suis certain que les membres du Fatah n’ont pas été surpris. Ils avaient déjà vu ce qui se passait - ils avaient déjà vu comment les gens étaient jetés du toit, sans la moindre pitié. Ils [le Hamas] ont attaché des militants du Fatah, encore vivants, à des voitures et les ont traînés dans les rues jusqu’à ce qu’ils meurent. Du point de vue du Hamas, les membres du Fatah ne sont pas leurs frères. Et s’ils sont aussi musulmans ? Ils sont un obstacle sur la route qui mène à l’objectif : un État régi par la charia.

Après ces événements, le Fatah a compris. Leurs dirigeants en prison sont venus nous voir [à l’administration pénitentiaire] et nous ont dit : « Si vous ne les faites pas sortir de nos cellules - maintenant - nous les massacrerons tous ». De nombreux détenus, dont les familles et les amis avaient été massacrés, voulaient se venger. Le Fatah a compris que le Hamas avait un autre objectif.

Un programme islamiste.

Islamiste, pas nationaliste. Ce clivage persiste encore aujourd’hui. Nous l’avons également vu dans le comportement du Fatah en Cisjordanie. Ils ont compris qu’ils ne seraient pas en mesure d’écraser le Hamas là-bas, que les mêmes choses se reproduiraient. Ils ont compris que leur grand ennemi était le Hamas, pas Israël. Ils ont changé de cap. Je vous dis que lorsque j’ai parlé avec d’importants dirigeants du Fatah à l’époque, en prison, ils m’ont dit : « Le Hamas vous fera ce qu’il nous a fait. Vous cultivez le Hamas, vous injectez de l’argent à Gaza, vous humiliez le Fatah, mais en fin de compte, ils vous feront ce qu’ils nous ont fait ».

Vous avez passé de nombreuses heures avec Sinwar. Parlez-moi de votre relation avec lui. Quand l’avez-vous rencontré pour la première fois ?

Nous avons passé de nombreuses heures ensemble. La première rencontre a eu lieu alors que j’étais encore dentiste. En 2004, lorsque les renseignements m’ont paru plus clairs, je le voyais déjà différemment. Je voyais sa domination en tant que chef du Hamas à Gaza et la rivalité acharnée entre le Hamas-Cisjordanie et le Hamas-Gaza. Le Hamas-Gaza est très influencé par les Frères musulmans extrémistes d’Égypte ; le Hamas-Cisjordanie est affilié aux Frères musulmans de Jordanie. Ces derniers coexistent avec le roi Abdallah et [dans le passé avec] le roi Hussein. Ils sont plus pragmatiques.

Quelle forme ont pris les différences entre eux ? Comment les avez-vous perçues en temps réel ?

Par exemple, lorsque j’ai essayé de faire avancer l’accord Shalit [en 2011, pour le retour du soldat israélien Gilad Shalit, enlevé par le Hamas à Gaza en 2006, en échange de 1 026 prisonniers palestiniens] depuis l’intérieur de la prison, Israël n’était prêt à libérer que les prisonniers arrêtés avant l’Intifada d’Al-Aqsa - en d’autres termes, toute personne placée en détention après 2000 n’était pas incluse dans la liste de ceux qui seraient libérés. Mais comment pense un Hamasnik de Gaza, et pas seulement Sinwar, d’ailleurs ? « Non, je veux tout ». Il n’y a pas de pragmatisme. Il veut que les principaux prisonniers du Hamas soient libérés, comme Abdullah Barghouti, l’ingénieur en explosifs à l’origine des attentats de Sbarro, Café Hillel, Moment et Apropos [restaurants et cafés de Jérusalem et Tel-Aviv attaqués par des terroristes], qui a été condamné à dix peines de prison à perpétuité. Ou encore Abbas al-Sayed, responsable de l’attentat terroriste du Park Hotel [à Netanya, en 2002, dans lequel 30 personnes ont été tuées].

Sinwar (à gauche) en prison. « Je n'ai rien à attendre de lui. Il ne me doit rien. Les responsables du retour de Tamir et des autres otages sont le gouvernement et la personne qui le dirige ». Photo Channel 12 News

Sinwar lui-même a été libéré dans le cadre de l’accord Shalit : il avait assassiné des Palestiniens [soupçonnés de collaborer avec Israël], et non des Juifs, de sorte qu’il n’avait techniquement pas de “sang sur les mains”.

C’est une décision que je peux comprendre sur le plan moral, mais lorsqu’il s’agit du niveau de danger ? C’est un signe d’ignorance totale. Il est dix fois plus dangereux que quiconque a du “sang sur les mains”. Sinwar, Tawfiq Abu Naim, Rawhi Mushtaha - ils n’ont pas de sang [israélien] sur les mains, et ils sont les dirigeants du Hamas aujourd’hui.

À l’époque, vous êtes-vous opposé à la libération de Sinwar ?

Bien sûr.

Qu’avez-vous dit, et à qui ?

Vous devez comprendre : le Shin Bet [service de sécurité] n’a même pas demandé l’avis du service pénitentiaire ; il ne l’a pas inclus. Je faisais partie de l’équipe de Haggai Hadas [l’équipe de négociation de l’accord Shalit], j’ai donc pu faire connaître mon point de vue, mais il n’y a pas eu de discussion au cours de laquelle les représentants des services pénitentiaires ont participé activement à la prise de décision sur les noms [des personnes devant être libérées]. Je ne comprends pas pourquoi. Sinwar était détenu en Israël depuis 1988. Qui savait ce qui s’était passé et ce qui se passait avec lui jusqu’à sa libération, ce qu’il faisait ? Seule l’administration pénitentiaire le savait.

Alors, vous êtes restés assis à la maison et vous avez gardé le silence ? N’avez-vous pas essayé de faire du grabuge ? D’approcher les décideurs politiques ?

Je n’ai pas pu les atteindre - ils ne communiquent pas avec le personnel de l’administration pénitentiaire. J’ai fait ce que j’ai pu là où j’ai pu, avec les services de renseignement militaire des forces de défense israéliennes et le Shin Bet. À l’époque, j’étais une personnalité relativement modeste. C’est ce qui me frustre le plus aujourd’hui. Je suis certain que si j’avais été à la tête de la division du renseignement à l’époque, je n’aurais tout simplement pas permis la libération de Sinwar. J’ai fait entendre ma voix, mais cela n’a eu aucun effet. AMAN [renseignements militaires] et Tsahal ne surveillent pas les prisonniers qu’ils ont placés en détention 22 ans plus tôt. Ce n’est pas leur travail. Ils s’occupent de ce qui se passe sur le terrain. Le fait est que la libération de ces prisonniers affecte les opérations d’AMAN et du Shin Bet sur le terrain.

Et ils ne le savent pas ? Ils doivent le savoir.

Nous aimerions penser qu’une personne qui s’est éloignée de son territoire pendant 22 ans perd son influence. Mais ce n’est tout simplement pas vrai. C’est exactement ce que nous ne comprenons pas. Ils ne disparaissent pas en prison. Ce n’est pas comme un détenu criminel qui sort après 20 ans et qui n’a personne à qui parler. C’est dans les centres de sécurité que ceux qui veulent devenir des leaders forment leur leadership. En prison, ils interagissent avec les personnalités de haut rang, avec ceux que l’organisation considère comme des personnes d’envergure.

La prison en tant qu’institut de leadership.

Tout à fait. Et une autre question cruciale que nous, Israéliens, oublions est que, de leur point de vue, ceux qui ont payé le prix d’une peine d’emprisonnement ont une valeur ajoutée.

Et plus la durée est longue, plus la valeur est élevée.

Bien sûr. Pensez à Sinwar, qui quitte la prison après avoir orchestré les arrangements pour l’accord [Shalit], ayant établi son statut de leader, alors que d’autres membres de la direction, [Ismail] Haniyeh et [Mahmoud] al-Zahar, n’ont jamais vu l’intérieur d’une prison. Comparé à eux, il est un héros. À propos, j’étais également opposé à la libération de [Saleh] Al-Arouri [une haute personnalité du Hamas libérée en 2007 et tuée dans une attaque de drone des FDI au Liban en janvier dernier]. J’ai discuté avec le Shin Bet, je leur ai dit de ne pas l’expulser, qu’il ne resterait pas tranquille. Qu’il enverrait des tentacules de pieuvre partout et qu’il dirigerait l’organisation à distance. C’est bien sûr ce qui s’est passé et ce qu’il a fait, avec l’aide du groupe qu’il a rassemblé autour de lui en prison. Il n’est pas nécessaire d’être particulièrement intelligent pour s’en rendre compte.

Qu’avez-vous vu en Arouri ?

J’ai vu une personne dont l’autorité était respectée par des milliers de prisonniers du Hamas, dont la parole faisait loi. Il avait d’incroyables capacités de persuasion. Il n’utilisait pas la force, mais seulement sa personnalité. Il pouvait rendre une salle silencieuse d’un simple regard. Il était tellement charismatique, bien plus charismatique que Sinwar.

Sinwar après sa libération de prison dans le cadre de l'accord Shalit en 2011. Photo  MOHAMMED SALEM/Reuters

On dirait que vous l’aimiez bien.

Regardez...

Je vais reformuler. Son charisme a-t-il également fonctionné sur vous ?

Non. Parce que je savais très bien ce qui se cachait derrière ce charisme. La ténacité des idées. La ténacité de l’objectif. Lorsque j’ai terminé mon mandat à la tête de la division des renseignements, ils [les prisonniers du Hamas] étaient heureux de me voir partir, ils savaient que j’étais une menace pour eux, simplement parce que je les connaissais. Je vais vous donner un exemple. En 2010, Sinwar voulait faire sortir deux détenus qui avaient été placés en isolement. Il a décidé d’organiser une grève de la faim de 1 600 prisonniers, des attentats terroristes et d’embraser toute la Cisjordanie. Je lui ai tendu une embuscade. J’ai fait venir deux dirigeants du Hamas de Cisjordanie - qui ne faisaient pas partie de son groupe de Gaza. Ils lui ont dit : « Non, pour deux prisonniers, nous ne lancerons pas une telle guerre avec l’administration pénitentiaire. Pour qui tu te prends ? Tu ne décides pas tout seul ». J’ai créé des frictions. Une confrontation. Un face à face.

En d’autres termes, vous avez réellement généré de l’intelligence ? Activement, je veux dire. Vous avez créé une réalité.

Le renseignement pénitentiaire est le seul type de renseignement qui soit préventif. En d’autres termes, vous façonnez également l’image du renseignement, car vous les contrôlez [les prisonniers]. Vous décidez où ils seront et ce qu’ils feront. Ils [les Palestiniens] sont très tribaux. Par exemple, les prisonniers du Fatah originaires d’Hébron seront fidèles à un dirigeant d’Hébron. Il en va de même pour Naplouse, Ramallah, Toulkarem, etc. Et parmi tous ces groupes, il y a aussi des différences culturelles et psychologiques.

Non seulement entre le Hamas et le Fatah, mais aussi au sein des organisations elles-mêmes.

Oui, les prisonniers d’Hébron sont différents de ceux de Naplouse. Nous l’avons également constaté lorsque nous avons délibérément organisé des rencontres entre eux. Les choses ont explosé. Des guerres ouvertes ont éclaté entre eux. Les luttes de pouvoir de ce type sont excellentes pour nous. Elles aident le personnel des services de renseignement, car chaque camp veut que vous soyez de son côté. Nous en sommes arrivés à une situation où les détenus du Fatah eux-mêmes ont demandé à être séparés des prisonniers du Hamas. Je me suis tenu à l’écart et je me suis réjoui. Ils s’en sont pris les uns aux autres, mais ont cessé d’attaquer les gardiens. C’était une bonne chose pour moi. Laissons-les s’occuper d’eux-mêmes et non de nous. C’est le pouvoir de diviser pour régner, mais pour cela, il faut les connaître en profondeur. J’ai fait la même chose avec la célèbre grève de la faim de Marwan Barghouti.

La grève dite de Tortit [la grève de la faim lancée par le leader du Fatah en 2017, au cours de laquelle il a été filmé en train de manger une barre chocolatée].

Vous savez ce qu’il a dit lorsqu’il a entamé sa grève de la faim ? « Je vais démanteler les royaumes de Bitton maintenant ».

Que signifie “les royaumes de Bitton” ?

Les prisonniers ont coopéré avec moi. Lorsqu’il a déclaré la grève, il s’est mis d’accord pour que tout le monde s’y joigne : Hamas, Jihad islamique, Front populaire. J’ai clairement indiqué à ces organisations ce qui se passerait si elles se joignaient à la grève. Les prisonniers du Fatah devaient être démantelés de l’intérieur, j’ai donc parlé à leurs dirigeants. Je leur ai dit que pendant 20 ans, Barghouti n’avait rien fait pour le peuple palestinien et qu’aujourd’hui encore, tout ce qu’il voulait, c’était leur imposer quelque chose, se prendre pour Nelson Mandela. Ils n’ont pas non plus rejoint la grève - [ceux de] Hébron, Naplouse, Toulkarem, Jénine. Il s’est retrouvé avec 600 prisonniers sur 3 600. Il a maintenu la grève pendant 42 jours, et pendant tout ce temps, j’ai travaillé de l’intérieur, y compris avec des détenus qui avaient fait grève avec lui. L’histoire du Tortit n’est qu’un aspect des jeux de l’esprit. Pourquoi lui ai-je donné une barre de Tortit ?


En raison de la couleur de son emballage ? Vert Hamas ?

Correct.

Vraiment ?

Oui. Lorsqu’il a mis fin à la grève en silence [en secret], la première fois, il a mangé une sorte de gâteau ou de pain et a bu de l’eau. Plus tard, j’ai dit à mes collaborateurs de lui donner du chocolat. Il a fait semblant de faire une grève de la faim, ceux qui étaient avec lui étaient sur le point de mourir, et il mangeait du chocolat. Je voulais que tout le monde voie qu’il mangeait du chocolat.

Une haine brûlante

Dites-moi, que ressentiez-vous à leur égard ? Vous avez décrit calmement comment vous les avez manipulés, comment vous avez joué avec leur esprit. Qu’étaient-ils pour vous ? Les haïssiez-vous ?

Les personnes qui se livrent à la haine sont faibles. La haine n’est pas un mode opératoire.

Et vous les détestiez ?

J’avais peur d’eux.

Même lorsque vous vous êtes assis avec eux, en tête-à-tête ? Cela vous effrayait-il ?

Dans le renseignement, on est censé mettre ses émotions de côté. Mais oui, il y avait des prisonniers dans les yeux desquels on pouvait vraiment lire une haine brûlante. Dans leur regard. J’ai senti que je les haïssais aussi. J’ai aussi vu comment les dirigeants du Hamas maltraitaient les autres prisonniers. Leur foi est si forte qu’ils disent : « Au nom de la foi, voici ce que nous devons faire. Peu importe qu’ils aient des enfants ou une femme ». C’est fou, parce que pourquoi est-il en prison ? Il a été arrêté parce qu’il a fait quelque chose en leur nom. Pour le mouvement.

C’est un point de vue psychopathique. Il n’y a pas de compassion, pas de sentiments, pas d’émotions. Tout le monde est un objet. Un pion.

Absolument. Il y avait en prison un Hamasnik de haut rang que Sinwar soupçonnait de collaboration. Lorsqu’il est sorti, ils l’ont pendu sur la place de la ville et ont amené son fils de 9 ans pour qu’il assiste à la scène. Y a-t-il quelque chose de plus cruel que cela ? Sinwar lui-même aussi - après tout, nous l’avons sauvé. Lorsqu’il s’est effondré en prison [il souffrait d’une tumeur au cerveau], nous l’avons immédiatement emmené à l’hôpital. Les médecins israéliens se sont battus pour le sauver. Y a-t-il eu une once de gratitude ? Pas du tout.

Vous étiez présent lors de sa libération ?

Bien sûr.

Vous souvenez-vous de ce jour ?

C’était assez traumatisant. Tous les prisonniers qui devaient être libérés ont été amenés à Ketziot et il a été décidé de leur faire signer un formulaire dans lequel ils s’engageaient à ne pas retourner au terrorisme. Les prisonniers de rang inférieur ont signé - qu’est-ce que cela pouvait leur faire ? Mais Mushtaha et Sinwar ont déclaré : « Nous ne signerons pas, et personne d’autre ne signera ». À partir de ce moment-là, personne n’a signé, mais nous les avons tout de même libérés. Cela revenait à céder. Ils ont donc compris qu’ils pouvaient faire plier Israël.

Quelle différence cela aurait-il fait ? Sinwar se serait-il dit : « Non, c’est tout. J’ai promis à Israël. Je vais devenir comptable » ?

Bien entendu, ce n’est pas le cas. Mais alors pourquoi leur donner un document à signer ? Si nous devons le libérer, vous savez, même s’il ne signe pas. Pourquoi lui donner ce pouvoir ?

Quels sont les autres souvenirs de cette journée ? Où étiez-vous ? De quoi avez-vous parlé ?

J’étais avec eux, je me suis promené avec eux - ils étaient en pleine forme. Ketziot est une installation en plein air. Cette aile particulière est entourée d’un mur et d’un filet, mais on voit le ciel. Les prisonniers qui sont arrivés là pour être libérés n’avaient pas vu le ciel depuis 20 ans. Dans les prisons d’où ils venaient, ils passaient toute la journée dans leur cellule, ne sortant qu’une heure ou deux. Soudain, ils voient l’horizon. Ils sont heureux. Euphoriques. « Nous vous avons battus », disent-ils.

Que leur avez-vous dit ?

J’ai eu un pincement au cœur, car je savais que le prix était élevé. Et j’ai dit : « C’est nous qui vous battons, et non l’inverse. Parce que nous sommes plus éthiques que vous. Nous sommes prêts à payer ce prix pour un seul soldat. Vous n’auriez pas été prêts à payer ce prix si la situation avait été inversée. Nous sommes prêts à le faire, parce que nous avons des valeurs et une morale - mais n’interprétez pas cela comme de la faiblesse ». Soit dit en passant, je le crois sincèrement.

Que s’est-il passé lorsqu’ils sont partis ? Ont-ils chanté ? Applaudi ?

Ils n’ont pas osé. Ils savaient que tant qu’ils étaient détenus par le Shin Bet, ils ne pouvaient pas le faire. Ce n’est que lorsqu’ils ont été chassés à une certaine distance que je les ai vus ouvrir les fenêtres et faire le signe de la victoire. Pendant toutes ces années, ils m’ont dit : « Nous serons libérés » et je leur ai répondu : « C’est impossible », afin d’étouffer leur motivation. Et pourtant, aujourd’hui, ils étaient enfin libérés, comme ils l’avaient cru. Ils pensent différemment de nous. Lorsque Gilad Shalit a été enlevé, Israël est entré dans la bande de Gaza, a éliminé quelques centaines de terroristes et a détruit des bâtiments ; bien sûr, quelques milliers de civils supplémentaires en ont payé le prix.

J’ai dit à Sinwar : « Dis-moi, cela vaut-il la peine que 10 000 innocents meurent pour libérer 100 prisonniers ? » Il m’a répondu : « Même 100 000 en valent la peine ». Leur notion du temps est différente, et le prix du sang qu’ils sont prêts à payer pour atteindre leur objectif est différent. Car chaque personne qui meurt est un shahid [martyr]. C’est une guerre au nom de Dieu.

Sont-ils eux-mêmes prêts à mourir ?

Pas tous. Par exemple, j’ai eu une conversation avec Abbas al-Sayed. Je lui ai demandé : « Pourquoi n’avez-vous pas entrepris vous-même une mission suicide ? Pourquoi envoyez-vous d’autres personnes ? » Il m’a répondu : « Chacun a un rôle à jouer. Moi, je commande ».

Pensez-vous que Sinwar est prêt à mourir ?

Il l’est. Absolument. C’est la différence entre lui et les dirigeants du Hamas qui ont été libérés dans le cadre de l’accord Shalit et qui mènent une vie décadente en Turquie ou au Qatar. Ils ont oublié leur peuple. Sinwar n’est pas comme ça. C’est un ascète. Depuis qu’il a créé les comités de choc à Gaza [l’organisation Al-Majad, dont l’objectif était de liquider les collaborateurs et les contrevenants à la loi religieuse], il n’a pas changé. Aujourd’hui, il se sent comme Saladin, parce qu’il a réussi à faire ce qu’aucun leader arabe n’avait fait avant lui. Il se voit jouer un rôle central dans la réalisation des ambitions islamistes des Frères musulmans. Il pense être entré dans les annales de l’histoire. Et il se moque bien que 200 000 personnes soient tuées et qu’il ne reste plus une seule maison achevée à Gaza. Ce qui compte, c’est l’objectif, la grande idée.

Une théocratie musulmane sous l’égide de l’argent qatari.

Oui. Le Qatar, c’est les Frères musulmans. Le Qatar est la grande idée. Nous avons effectivement permis au Qatar de financer cette idée.

Pas “nous”. Je n’ai pas transféré de valises d’argent au Hamas, et je suppose que vous ne l’avez pas fait non plus.

Ensuite, celui qui a effectué le transfert, et celui qui a imaginé l’idée de permettre aux Qataris d’entrer à Gaza, de payer le Hamas et de le soutenir. Je peux vous dire que l’un des hauts responsables du Hamas, dont je ne citerai pas le nom, m’a dit : « Comment se fait-il que vous laissiez le Qatar soutenir le Hamas ? Soutenir Gaza ? Pourquoi ne vous adressez-vous pas à l’Égypte, voire à la Turquie ou aux Émirats arabes unis ? Le Qatar, de tous les pays ? Vous n’avez pas la moindre idée ».

Les événements du 7 octobre vous ont également touché personnellement. Votre neveu Tamir Adar a été enlevé puis assassiné par le Hamas.

Tamir, le fils de ma sœur, qui avait 38 ans, a grandi et a été éduqué dans le [kibboutz] Nir Oz pour aimer le pays. Dans son héroïsme, Tamir est sorti pour défendre sa famille, sa communauté et le pays. Il n’a pas hésité. Avec ses quatre camarades de l’équipe de défense d’urgence, il s’est battu seul contre des centaines de terroristes et a empêché un désastre bien plus grand. [La grand-mère de Tamir, Yaffa Adar, faisait partie des otages libérés en novembre]. Des familles entières de Nir Oz ont été effacées. Abattues. Brûlées. C’était un holocauste. Pour vous dire que j’ai été surpris par ces atrocités ? Malheureusement, non. Je connais cet ennemi. Personnellement. Sinwar ne pouvait pas me surprendre. Ma seule surprise est que Tsahal, les forces de sécurité et le gouvernement d’Israël aient permis que cet holocauste ait lieu sur le sol israélien.

Sinwar n’a pas pu vous surprendre ?

Je ne pense pas que ce soit le cas. Je sais comment il pense. Ecoutez, lorsque le premier accord [de libération d’otages] a été mis en œuvre, j’ai été invité à m’asseoir dans les studios de télévision et à accompagner la diffusion de la libération [en tant que commentateur]. J’ai refusé, car je ne voulais pas dire à l’antenne ce que je pensais vraiment. Sinwar a opté pour le premier accord, parce qu’il y avait un intérêt. Il craignait la pression que le Qatar exerçait sur lui, sous la pression des USA - un rouleau compresseur insensé pour l’amener à libérer les femmes et les enfants. Dès que cet intérêt a disparu, l’accord a été rompu.

Ma sœur considérait cet accord comme une préface à d’autres accords, elle était euphorique, elle pensait que ce n’était que le début, qu’elle allait rapidement récupérer son fils. J’étais persuadé que c’était la première et la dernière affaire, que son fils ne reviendrait pas. Mais je ne pouvais pas le dire. Je ne pouvais pas regarder ma sœur dans les yeux.

Pendant la période où Tamir était considéré comme un otage, jusqu’à ce que vous appreniez qu’il avait été assassiné [en janvier], avez-vous essayé d’exploiter vos relations avec des membres du Hamas ? Pour faire passer des messages ?

Je n’ai pas essayé. Ce n’est pas la peine. Il est impossible de parler au cœur de gens comme eux. Je suis certain que Sinwar sait que Tamir était mon neveu. Cent pour cent. Et alors ? Je n’attends rien de lui. Il ne me doit rien. Les responsables du retour de Tamir et des autres otages sont le gouvernement d’Israël et la personne qui le dirige.

Note de l’éditeur

*La prison de Ketziot, dans le désert du Naqab/Néguev, est le plus grand camp de détention d’Israël et du monde. Ouverte pendant le première Intifada en 1988, elle hébergeait en 1990 6 216 prisonniers palestiniens. Fermée en 1995, elle fut réouverte en avril 2002. En 2010, de nouvelles sections ont été ouvertes pour des demandeurs d’asile et immigrants irréguliers érythréens et soudanais. Le camp a fait l’objet de nombreux rapports critiques d’organisations de défense des droits humains. En décembre 2023, une enquête a été ouverte sur 19 gardiens suite à la mort violente sous les coups d’un membre du Fatah détenu, Tair Abou Asab.