المقالات بلغتها الأصلية Originaux Originals Originales

27/02/2025

Allemagne : l’Alliance Sahra Wagenknecht et ses cinq contradictions principales


L’Alliance Sahra Wagenknecht, le nouveau parti né d’une scission du parti Die Linke en janvier 2024, échoué à entrer au parlement fédéral allemand le 23 février 2025, 13 435 voix lui manquant pour passer le seuil des 5% [de nombreux électeurs résidant à l'étranger [213 000 inscrits] ont reçu leurs bulletins de vote trop tard pour voter et des votes pour l'Alliance SW ont été comptabilisés comme votre pour une autre liste, celle de l'Alliance pour l'Allemagne, de droite]. Dans un article publié avant ces élections, ses deux auteurs analysent les contradictions principales de cet OVNI, « ni de gauche ni de droite », ou « de gauche et de droite », qui a échoué dans sa tentative de récupérer une partie des électeurs de l’AfD en reprenant le discours anti-immigration du parti d’extrême-droite, lequel a obtenu 20% des voix et 152 députés, ce qui en fait le 2ème parti d’Allemagne en termes électoraux. Une fois de plus, il semble bien que les électeurs préfèrent les originaux aux photocopies.-FG

Lors des élections régionales est-allemandes, l’Alliance Sahra Wagenknecht a connu un grand succès. Mais à l’approche des élections fédérales, les sondages sont en baisse.

Sebastian Friedrich et Ingar Solty, Junge Welt, 18/1/2025
 Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

Sebastian Friedrich est un chercheur en sciences sociales et journaliste allemand.
Ingar Solty est un collaborateur de la fondation allemande Rosa-Luxemburg.

Des cris de joie ont retenti lors du congrès fédéral de l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW) lorsque la fondatrice, présidente et éponyme du parti est finalement montée sur scène vers la fin. Une grande partie des 600 personnes présentes se sont levées de leurs chaises, ont applaudi et acclamé. « Bon sang, quelle bonne ambiance ! », a-t-elle dit. Ceux qui pensent que l’ambiance est mauvaise ont dû se tromper de salle, selon Wagenknecht.

Un an après sa création officielle, la BSW se bat pour faire son entrée au prochain Bundestag. Les sondages actuels placent le parti autour de quatre à six pour cent - une zone critique qui détermine le succès ou l’échec. Il s’agit de la première crise sérieuse du jeune parti, après avoir fait sensation avec un départ impressionnant : lors des élections européennes de juin, la BSW a obtenu 6,2 pour cent des voix en partant de zéro, et lors des élections régionales dans le Brandebourg, la Saxe et la Thuringe, il a même obtenu des résultats à deux chiffres. Mais la crise actuelle ne vient pas de nulle part. Elle est le résultat de cinq contradictions centrales qui accompagnent la BSW depuis sa création.

« Bon sang, quelle bonne ambiance ! » : Sahra Wagenknecht lors du congrès fédéral de la formation politique qui porte son nom, Bonn, 12 janvier 2025)

 Capital contre travail

Lors de la conférence de presse fédérale de l’automne 2023, au cours de laquelle la création a été annoncée, et lors du congrès fondateur du 27 janvier 2024, la jeune formation a mis l’accent sur quatre thèmes centraux : la raison économique, la justice sociale, la paix ou la politique de détente ainsi que la revendication de la liberté d’expression. Ces thèmes centraux révèlent déjà des contradictions. Celles-ci sont particulièrement évidentes dans le rapport de tension entre l’orientation plutôt à gauche de la politique salariale et du marché du travail et le concept de “raison économique”. Ce dernier s’oriente en premier lieu vers les intérêts des classes moyennes et des petites et moyennes entreprises (PME) en crise et promet d’éviter les augmentations d’impôts. Dans le même temps, le parti prône la justice sociale, par exemple en augmentant les salaires minimums et le niveau des retraites, ce qui est toutefois en contradiction avec son orientation favorable aux classes moyennes.

Cette contradiction n’est pas résolue au sein de la BSW, mais elle est masquée par des priorités. Depuis sa création, la “raison économique” a toujours occupé la première place, avant même des thèmes comme la "justice sociale" ou le travail. Cela se reflète également dans le programme électoral pour le Bundestag, qui commence par un “come-back pour l’économie allemande”, avant que le deuxième chapitre ne traite de la justice sociale. Cet ordre peut être interprété comme une décision stratégique d’un nouveau parti qui souhaite se démarquer - notamment de la gauche en crise - et qui reste volontairement vague sur le plan programmatique afin de gagner le plus de voix possible dans différents camps politiques. Le fait de se décrire comme le représentant d’un “conservatisme de gauche”, comme l’a formulé Wagenknecht, renforce le caractère d’un parti “attrape-tout”.

Le programme politico-économique de la BSW reflète également le changement idéologique de la fondatrice du parti. Dans ses publications, Wagenknecht est passée de ses débuts socialistes au sein de la Plateforme communiste du PDS et de ses convictions marxistes, qui ont marqué par exemple son livre “Kapitalismus im Koma” (2003) ainsi que des travaux sur la théorie marxienne de la valeur travail, à des approches ordolibérales. Cela apparaît clairement dans ses livres ultérieurs tels que “Freiheit statt Kapitalismus” (2011) et “Reichtum ohne Gier” (2016). Cette transformation idéologique marque également l’orientation fondamentale de la politique économique de la BSW, qui se distingue clairement de la politique de classe et du programme social-démocrate de gauche de la gauche.

Néanmoins, une certaine évolution se dessine au sein de la BSW. Alors que dans la phase initiale, la rhétorique était encore très axée sur les PME, les revendications concrètes du programme électoral pour le Bundestag sont désormais davantage orientées vers les intérêts des salariés. Le parti offre étonnamment peu aux PME. D’un côté, il promet de réduire la bureaucratie. Cela correspond à l’expérience bien réelle des petites entreprises, à savoir que la dérégulation profite aux grands groupes, mais que pour elles-mêmes, le néolibéralisme s’est accompagné d’un nombre croissant de réglementations. D’autre part, il y a la promesse des conséquences macroéconomiques possibles d’une politique conjoncturelle intérieure plus forte. La solution proposée pour sortir de la crise économique - le soi-disant retour de l’économie allemande - repose sur un mélange d’investissements dans l’avenir et d’augmentation de la demande agrégée.

La contradiction fondamentale entre l’orientation de la politique économique et l’accent mis sur la classe ouvrière demeure cependant. La BSW veut- elle être un parti ordolibéral dans l’intérêt de la classe moyenne, ce qui le mettrait en concurrence avec le FDP et l’AfD ? Ou veut-il être un parti de la classe ouvrière ? Cette question est centrale pour l’orientation stratégique et le développement futur de la BSW. Elle reste pour l’instant sans réponse.

La BSW tente de traiter la contradiction entre la raison économique et la justice sociale en soulignant le lien évident entre la crise économique actuelle et les conséquences de la gestion de la guerre en Ukraine par le gouvernement fédéral. Une préoccupation centrale est de réduire les coûts énergétiques pour l’industrie et les ménages. Pour cela, la BSW propose d’entamer des négociations avec la Russie après un accord de paix diplomatique en Ukraine, afin que la partie encore opérationnelle du gazoduc Nord Stream soit à nouveau utilisée pour les livraisons de gaz en provenance de Russie. L’objectif est de réduire la dépendance vis-à-vis du gaz de schiste coûteux en provenance des USA, qui pèse sur la compétitivité de l’industrie et sur le coût de la vie des ménages.

D’autres mesures prises par le gouvernement actuel, telles que la loi sur le chauffage et la tarification du CO2, qui, selon la BSW, font peser les coûts de la protection du climat de manière inégale sur les individus, doivent également être retirées. Le parti reconnaît néanmoins la nécessité de protéger le climat et demande des investissements dans les technologies d’avenir. En matière de politique fiscale, la BSW plaide pour la réintroduction de l’impôt sur la fortune et une réforme du frein à l’endettement, à l’instar de Die Linke, du SPD, de l’Alliance 90/Die Grünen et d’une partie de l’Union - non pas pour augmenter les dépenses d’armement, mais pour financer des projets sociaux et économiques.

La croissance économique, la BSW l’espère surtout en renforçant la demande intérieure. Le parti réclame entre autres un salaire minimum plus élevé de 15 euros, une augmentation des conventions collectives et une plus grande cogestion au sein des entreprises, ce qui la rapproche des positions du SPD et de La Gauche. L’État social doit être renforcé : Il est prévu de réformer les retraites en vue d’une assurance citoyenne à laquelle cotiseraient également les fonctionnaires. En matière de politique de santé, une caisse d’assurance maladie obligatoire doit également être introduite sous forme d’assurance citoyenne, couvrant des prestations supplémentaires telles que les prothèses dentaires et les lunettes. En outre, la BSW demande un système de soins dans lequel les coûts seraient pris en charge par les pouvoirs publics.

Il est frappant de constater que la BSW dirige désormais l’idée de la méritocratie moins fortement contre les bénéficiaires du revenu citoyen que contre les bénéficiaires de revenus non performants issus de capitaux boursiers ou immobiliers. L’objectif est un pays « où les travailleurs, et non les héritiers, sont récompensés ».

En matière de politique du marché du travail et de politique sociale, la BSW se positionne ainsi à gauche du SPD, notamment par rapport à sa pratique gouvernementale. Le programme semble en grande partie classiquement social-démocrate et réformiste et s’engouffre dans le vide laissé par le SPD. En même temps, le programme apparaît en grande partie comme une version édulcorée de l’ancien programme du parti et de l’actuel programme électoral du Parti de gauche moins une systématique globale. En effet, Die Linke, qui se rapproche lentement de la barre des 5 % et mise sur une entrée tout à fait réaliste au Bundestag grâce à au moins trois mandats directs, propose toujours des concepts plus élaborés, même si sur certains points, il existe encore (ou à nouveau) des recoupements programmatiques importants.

La contradiction entre l’orientation vers les PME d’une part et la classe ouvrière d’autre part va s’accentuer pour la BSW dans les années à venir, car celles-ci seront probablement marquées par de durs affrontements de classe, notamment par une lutte de classe accrue par le haut. La tentative de la BSW de s’adresser à la fois aux PME et aux salariés sera mise à rude épreuve dans le contexte de l’“Agenda 2030” annoncé par le nouveau chancelier putatif Friedrich Merz (CDU). Ces plans comprennent des mesures telles que des réductions d’impôts pour les entreprises et les personnes aisées, un démantèlement social, une retraite “volontaire” à 70 ans, des luttes pour le maintien du salaire en cas de maladie et une extension du temps de travail normal à 42 heures par semaine.

Sahra Wagenknecht vue par Paolo Calleri

Visions illusoires

Dans cette situation, le « modèle allemand de la fin du XXe  siècle » propagé par la BSW, dans lequel règne l’harmonie des classes et où le capital profite de l’État social , s’avère être une dangereuse illusion. La crise actuelle du modèle d’exportation allemand - due à la somnolence du passage à l’électromobilité, à la concurrence croissante de l’étranger et à l’inflation liée aux prix de l’énergie en raison de la guerre économique usaméricaine contre la Chine et de la guerre en Ukraine - rend cette idée irréaliste.

Ce qui sera décisif, ce sont les lignes de front et les antagonismes que la BSW ouvrira dans le débat public. Wagenknecht a souvent formulé sa critique du gouvernement de coalition “feu tricolore” [SPD, FDP, Verts] et des conséquences de la guerre et de la crise dans une perspective de classe moyenne. Ce faisant, elle voit la contradiction principale entre l’Allemagne et les USA, mais moins celle entre les classes. Cela pose problème, car les PME apparaissent souvent comme les adversaires les plus véhéments des syndicats, des comités d’entreprise, des conventions collectives régionales, des salaires minimums, des impôts et de la redistribution. Leur dépendance structurelle vis-à-vis du grand capital et leur position dans la lutte concurrentielle font d’elles une base peu fiable pour un parti qui souhaiterait également défendre les intérêts des travailleurs.

Certains observateurs considèrent que la mise en avant de vagues intérêts nationaux, comme l’exprime le slogan central de la BSW « Notre pays mérite mieux », n’est ni une rhétorique populiste ni une stratégie durable, mais une alliance temporaire entre le capital non monopoliste et les salariés. Même dans un tel contexte, la perspective des salariés pourrait être défendue plus clairement. Or, c’est précisément ce que Wagenknecht omet souvent de faire, comme l’a critiqué Torsten Teichert, ancien social-démocrate, devenu par la suite politicien de Die Linke et qui a entre-temps quitté le BSW.

Dans la critique nécessaire de l’alliance étroite du gouvernement fédéral avec les USA, il est important d’utiliser des formulations précises afin de ne pas tomber dans des discours nationalistes qui masquent l’antagonisme de classe à l’intérieur et attisent les illusions politiques sur un nouveau compromis de classe dans une situation de crise.

Verticalisme contre capacité d’action

La deuxième contradiction occupe également la BSW depuis sa création : celle qui existe entre la forme choisie pour le parti et les exigences d’une force politique capable d’agir. Les fondateurs du parti ont opté pour une structure verticale stricte, organisée du haut vers le bas. Il ne s’agit toutefois pas d’un retour au modèle marxiste-léniniste du parti d’avant-garde ou de cadres. Le caractère autoritaire et hiérarchique du parti n’est pas motivé par l’idéologie, mais résulte plutôt d’une nécessité pragmatique.

Il résulte des conditions particulières qui ont permis l’émergence même de la BSW. Le parti n’aurait probablement pas existé si nous n’étions pas dans un moment propice au populisme, caractérisé par la conjonction de trois évolutions : une crise économique, une crise politique et une méfiance croissante d’une partie significative de la population envers les partis établis. De plus en plus de personnes se détachent des partis traditionnels et cherchent des alternatives - comme la BSW.

Mais une telle situation de départ entraîne également des défis spécifiques pour les partis populistes. Parmi les nombreuses personnes en recherche qui servent de surface de projection à une nouvelle force politique comme la BSW, on trouve souvent des personnes qui n’ont été politisées qu’au moment de la crise. Ces personnes sont souvent inexpérimentées sur le plan politique et n’ont pas de vision du monde solide. Beaucoup ont été politisées par la gestion sociale de la pandémie de coronavirus – la BSW demande une commission d’enquête sur la politique pandémique du gouvernement, des indemnités pour les victimes de la vaccination, etc. De plus, la BSW - comme tout nouveau parti - est confronté à des aventuriers, des intrigants et des fouteurs de merde, qui représentent un potentiel de perturbation considérable pour le projet du parti.

Pour faire face à de tels défis, la BSW a mis en place des règles strictes concernant la composition de ses membres. Les demandes d’adhésion doivent être approuvées par le conseil d’administration et peuvent être refusées sans justification. En outre, un délai d’opposition d’un an a été introduit pour les adhésions, afin de pouvoir agir ultérieurement contre les membres indésirables. Ce contrôle strict a pour conséquence que le nombre de membres du parti est très faible. Selon ses propres informations, la BSW compte 25 000 soutiens, mais seulement environ 1 100 membres.

La composition du noyau interne du parti reflète également ce besoin de contrôle. Sahra Wagenknecht, marquée par les conflits internes acharnés au sein du Parti La Gauche, a créé un environnement d’affidés qui se caractérise en premier lieu par la loyauté et moins par des convergences idéologiques.

Cette approche comporte toutefois des défis. D’une part, la BSW veut tenir à l’écart du parti ceux qui pourraient mettre le projet en péril. D’autre part, elle doit maintenir l’enthousiasme et l’engagement militant - une tâche qui ne peut guère être accomplie sans une base plus large. Les flyers ne se distribuent pas tout seuls, des stands d’information doivent être mis en place et tenus, des affiches électorales doivent être collées. Même la BSW, qui bénéficie de quelques dons individuels très importants, ne peut pas compter à long terme sur des forces rémunérées. Après les campagnes électorales passées et l’organisation de deux congrès du parti, les millions de dons pourraient être en grande partie épuisés.

Cette contradiction a déjà des conséquences négatives. Le mécontentement grandit, même parmi les membres éminents du parti. Ainsi, le député européen BSW Friedrich Pürner a critiqué dans une interview au Spiegel l’admission restrictive des membres, la qualifiant de “catastrophique” : « On doit travailler et payer pour le parti, mais on ne peut pas être membre ». Les querelles internes autour de différentes associations BSW à Hambourg sont également l’expression de ce conflit. Il semble que le parti ait actuellement du mal à mobiliser sa base et ses partisans. Jusqu’à présent, seuls quelques événements ont été annoncés pour la campagne électorale, et il n’y a plus eu de mobilisation de masse - par exemple contre la politique ukrainienne du gouvernement fédéral - depuis longtemps. La BSW tente de désamorcer cette contradiction en assouplissant les règles strictes d’adhésion. Lors du congrès du parti à Bonn, Oskar Lafontaine a annoncé vouloir ouvrir davantage le parti aux personnes qui le soutiennent.

Anti-establishment contre participation à des gouvernements régionaux

La troisième contradiction réside dans l’autoprésentation simultanée de la BSW en tant que parti anti-establishment et la volonté formulée d’assumer des responsabilités gouvernementales. C’est surtout dans le traitement des mesures Corona, dans la guerre en Ukraine et dans la critique des crimes de guerre du gouvernement israélien et de son soutien par le gouvernement fédéral que la BSW peut se positionner comme une véritable alternative aux partis établis. Dans ces domaines, le parti donne l’impression d’être rebelle et inadapté. C’est surtout sur la question de la paix que la BSW apparaît, pour de nombreux anciens fonctionnaires et électeurs de Die Linke, comme le parti pour la paix le plus conséquent, libre de l’attitude d’opposition “oui, mais” de l’organisation mère. Pour de nombreux anciens électeurs de Die Linke qui ont soutenu la BSW pour la première fois lors des élections européennes de l’année dernière, le comportement des anciens dirigeants de Die Linke en est la preuve : alors que la tête de liste sans étiquette Carola Rackete a voté en faveur de nouvelles livraisons d’armes à l’Ukraine, l’ex- président du parti Martin Schirdewan s’est abstenu - un acte qui a été perçu comme un abandon d’une politique de paix conséquente.

Mais la BSW a souligné sa volonté de participer aux gouvernements de Länder, notamment lors des campagnes électorales en Saxe, en Thuringe et dans le Brandebourg. Cette volonté, qui n’était peut-être que rhétorique au départ, est rapidement devenue réalité : en Thuringe et dans le Brandebourg, la BSW a effectivement assumé des responsabilités gouvernementales. Cela est sans doute moins dû à l’enthousiasme des partenaires de coalition potentiels pour le nouveau projet qu’au fait que, compte tenu du fort score de l’AfD aux trois élections, il n’aurait guère été possible d’obtenir des majorités en dehors d’alliances avec l’extrême droite. Le fait que la BSW soit désormais aux affaires devrait également être lié au soutien de ses propres partisans. Selon une enquête menée par ARD-Deutschlandtrends peu avant les élections régionales en Saxe et en Thuringe, 99 % des partisans de la BSW au niveau national étaient favorables à une participation à un gouvernement régional. Dans le même temps, Wagenknecht s’est privée de sa propre position de négociation lorsque, le soir des élections, elle a elle-même et sans nécessité écarté la possibilité de tolérer un gouvernement minoritaire en déclarant à la télévision que les Länder est-allemands avaient besoin d’un gouvernement stable.

Le double rôle de la BSW, à la fois parti de gouvernement et alternative populiste anti-establishment crédible, recèle cependant une contradiction insoluble. La BSW hérite ainsi en quelque sorte d’une contradiction de son ancien parti mère, Die Linke, dont la résistance au feu tricolore a été freinée avant les élections par des espoirs illusoires d’un gouvernement fédéral rouge-rouge-vert” et ensuite par la force des fédérations régionales dans lesquelles Die Linke gouverne ou a gouverné avec le SPD et les Verts. Pour la BSW, la contradiction de l’establishment pourrait également être une cause de son bas niveau actuel dans les sondages. Depuis les élections régionales dans les Länder est-allemands en septembre dernier, où la BSW se situait encore à environ neuf pour cent au niveau national, les valeurs ont chuté de manière presque linéaire. L’aggravation de ce conflit interne semble peser durablement sur le parti.

Socio-économie contre choc des cultures

L’autodésignation de la BSW comme force conservatrice de gauche, souvent entendue surtout au début, repose sur l’hypothèse qu’il existe en Allemagne un déficit de représentation : un groupe de personnes plutôt conservateur sur les questions sociopolitiques, mais de gauche sur les questions socio-économiques. Cette thèse, longtemps débattue en sciences politiques, a été l’une des conditions centrales de sa fondation. Indépendamment du bien-fondé de cette hypothèse et de la question de savoir si l’ampleur réelle de cet écart de représentation correspond aux attentes des politologues, le fait de se concentrer sur les positions conservatrices en matière de politique sociétale et sur les positions sociales-démocrates (de gauche) en matière socio-économique comporte le risque d’une nouvelle contradiction.

La politique migratoire est un sujet particulièrement sensible. Au début, celle-ci jouait un rôle secondaire au sein de la BSW, mais elle est devenue une priorité à partir de l’été 2024. Outre les thèmes de la guerre en Ukraine, de l’économie et du social, la politique migratoire a été reprise activement et à plusieurs reprises, notamment par Wagenknecht. En juillet 2024, elle a durci sa rhétorique en parlant de “bombes à retardement” à propos des demandeurs d’asile gravement criminels. Sur le plan programmatique également, la BSW défend ici des positions qui sont plutôt à classer à droite : ainsi, le parti demande que les procédures d’asile se déroulent autant que possible en dehors de l’UE et que les immigrants gravement criminels soient refoulés et, si nécessaire, expulsés. Aucun droit de séjour ne doit être accordé aux ressortissants de “pays tiers” [hors UE et Suisse] et il est souligné que l’Allemagne a besoin d’un “répit” par rapport à l’immigration incontrôlée.

En se concentrant de plus en plus sur les thèmes de la politique migratoire, la BSW se place dans l’arène politique de l’AfD et reprend les champs de discours de celle-ci. Cette orientation provoque également des tensions au sein du parti. D’une part, les représentants de la BSW les plus proches des syndicats et les plus à gauche misent notamment sur la politisation des conflits, c’est-à-dire sur les conflits de classe entre le ceux d’en haut et ceux d’en bas D’autre part, il y a une tendance à lier la question sociale à la question de la migration. Wagenknecht a par exemple mis en relation les coûts mensuels des réfugiés - par exemple pour les prestations en espèces, le logement et l’infrastructure - avec la retraite d’une femme « qui a travaillé dur toute sa vie et a élevé deux enfants » [exemple classique des discours de l’extrême-droite en Europe, notamment Vox en Espagne, NdT].

Au-delà de la gauche et de la droite ?

Enfin, la cinquième contradiction réside dans l’auto-description du parti comme se positionnant au-delà des catégories de gauche et de droite, considérées comme dépassées, et le problème d’un manque de clarté sur ce que le parti représente réellement. C’est justement sur le thème de la « gauche et de la droite » que règne un désaccord considérable, même au sein du parti. Aujourd’hui, gauche signifie souvent tout et rien, y compris des choses opposées. Mais la BSW ne veut pas non plus être “socialiste”. Christian Leye, secrétaire général de la BSW, l’a qualifiée de parti de gauche au sens classique du terme dans une interview accordée à Neues Deutschland - Der Tag. Une telle classification est toutefois en contradiction avec l’auto-classification que l’ancienne députée de Die Linke au Bundestag, Sabine Zimmermann, a effectuée lors de la campagne électorale du Land de Saxe, lorsqu’elle a déclaré - en s’emmurant ainsi dans l’establishment - que l’on se situait « à droite du SPD et à gauche de la CDU ».

Cette désorientation politique se manifeste également dans l’approche contradictoire de l’AfD. Au début, la BSW se positionnait comme une “alternative sérieuse” au parti d’Alice Weidel et de Björn Höcke. Wagenknecht, en particulier, a souligné la différence entre ceux qui, au sein de l’AfD, sont considérés comme des fascistes et ceux qui, selon elle, ne sont pas d’extrême droite. En février 2024, Wagenknecht a déclaré à propos d’Alice Weidel que la coprésidente de l’AfD « ne défend pas des positions d’extrême droite, mais des positions conservatrices et économiques libérales ». Weidel tient certes des discours agressifs, mais Wagenknecht ne voit pas d’idéologie völkisch [national-populiste] chez elle.

Alors que Wagenknecht et ses compagnons de route avaient misé, dans la phase de fondation, sur le fait de ne pas s’attaquer à l’AfD, mais de se présenter comme une opposition résolue aux Verts, l’AfD semble désormais avoir été choisie comme adversaire stratégique principal de la BSW dans la phase chaude de la campagne électorale pour le Bundestag. Quoi qu’il en soit, l’AfD a également été durement attaquée lors du congrès fédéral du parti à Bonn.

Ce changement de cap pourrait s’expliquer par les résultats actuels des sondages : Alors que la BSW perd continuellement des voix depuis septembre, l’AfD enregistre des valeurs en hausse. Avec 21% actuellement, elle n’a aucun souci à se faire pour entrer au Bundestag - contrairement à la BSW qui doit craindre pour son existence.

 

RAMZY BAROUD
L’“arabe” perdu : Gaza et l’évolution du langage de la lutte palestinienne


Ramzy Baroud, Middle East Monitor, 26/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

La langue a son importance. Outre son impact immédiat sur notre perception des grands événements politiques, y compris la guerre, la langue définit également notre compréhension de ces événements à travers l’histoire, façonnant ainsi notre relation avec le passé, le présent et l’avenir.


Mohammad Sabaaneh, 2018

Alors que les dirigeants arabes se mobilisent pour empêcher toute tentative de déplacer la population palestinienne de Gaza, frappée par la guerre - et aussi de la Cisjordanie occupée d’ailleurs-, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à la langue : quand avons-nous cessé de parler de « conflit israélo-arabe » pour commencer à utiliser l’expression « conflit israélo-palestinien » ?

Outre le problème évident que les occupations militaires illégales ne devraient pas être décrites comme des « conflits » – un terme neutre qui crée une équivalence morale – le fait de retirer les « Arabes » du « conflit » a considérablement aggravé la situation, non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour les Arabes eux-mêmes.

Avant de parler de ces répercussions, de l’échange de mots et de la modification de phrases, il est important d’approfondir la question : quand exactement le terme « arabe » a-t-il été supprimé ? Et tout aussi important, pourquoi avait-t-il été ajouté en premier lieu ?

La Ligue des États arabes a été créée en mars 1945, plus de trois ans avant la création d’Israël. La Palestine, alors sous « mandat » colonial britannique, a été l’une des principales causes de cette nouvelle unité arabe. Non seulement les quelques États arabes indépendants comprenaient le rôle central de la Palestine dans leur sécurité collective et leur identité politique, mais ils percevaient également la Palestine comme la question la plus cruciale pour toutes les nations arabes, indépendantes ou non.

Cette affinité s’est renforcée avec le temps.

Les sommets de la Ligue arabe ont toujours reflété le fait que les peuples et les gouvernements arabes, malgré les rébellions, les bouleversements et les divisions, étaient toujours unis par une valeur singulière : la libération de la Palestine.

La signification spirituelle de la Palestine s’est développée parallèlement à son importance politique et stratégique pour les Arabes, ce qui a permis d’ajouter une composante religieuse à cette relation.

L’attaque à la bombe incendiaire perpétrée en août 1969 contre la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem occupée a été le principal catalyseur de la création de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) plus tard dans l’année. En 2011, elle a été rebaptisée Organisation de la coopération islamique, bien que la Palestine soit restée le sujet central du dialogue musulman.

Pourtant, le « conflit » restait « arabe », car ce sont les pays arabes qui en ont supporté le poids, qui ont participé à ses guerres et subi ses défaites, mais qui ont aussi partagé ses moments de triomphe.

La défaite militaire arabe de juin 1967 face à l’armée israélienne, soutenue par les USA et d’autres puissances occidentales, a marqué un tournant. Humiliées et en colère, les nations arabes ont déclaré leurs fameux « trois non » lors du sommet de Khartoum en août-septembre de la même année : pas de paix, pas de négociations et pas de reconnaissance d’Israël tant que les Palestiniens seront retenus captifs.

Cette position ferme n’a cependant pas résisté à l’épreuve du temps. La désunion entre les nations arabes est apparue au grand jour, et des termes tels qu’Al-’Am al-Qawmi al-’Arabi (la sécurité nationale arabe), souvent axés sur la Palestine, se sont fragmentés en de nouvelles conceptions autour des intérêts des États-nations.

Les accords de Camp David signés entre l’Égypte et Israël en 1979 ont approfondi les divisions arabes - et marginalisé davantage la Palestine – même s’ils ne les avaient pas créées.

C’est à cette époque que les médias occidentaux, puis le monde universitaire, ont commencé à inventer de nouveaux termes concernant la Palestine.

Le terme « arabe » a été abandonné au profit de « palestinien ». Ce simple changement a été bouleversant, car les Arabes, les Palestiniens et les peuples du monde entier ont commencé à établir de nouvelles associations avec le discours politique relatif à la Palestine. L’isolement de la Palestine a ainsi dépassé celui des sièges physiques et de l’occupation militaire pour entrer dans le domaine du langage.

Les Palestiniens se sont battus avec acharnement pour obtenir la position légitime et méritée de gardiens de leur propre combat. Bien que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ait été créée à la demande de l’Égypte lors du premier sommet arabe au Caire en 1964, les Palestiniens, sous la direction de Yasser Arafat du Fatah, n’en ont pris la tête qu’en 1969.

Cinq ans plus tard, lors du sommet arabe de Rabat (1974), l’OLP était collectivement considérée comme le « seul représentant légitime du peuple palestinien », et devait plus tard se voir accorder le statut d’observateur aux Nations unies.

Idéalement, un leadership palestinien véritablement indépendant devait être soutenu par une position arabe collective et unifiée, l’aidant dans le processus difficile et souvent sanglant de la libération. Les événements qui ont suivi ont toutefois témoigné d’une trajectoire bien moins idéale : Les divisions arabes et palestiniennes ont affaibli la position des deux camps, dispersant leurs énergies, leurs ressources et leurs décisions politiques.

Mais l’histoire n’est pas destinée à suivre le même schéma. Bien que les expériences historiques puissent sembler se répéter, la roue de l’histoire peut être canalisée pour aller dans la bonne direction.

Gaza, et la grande injustice résultant de la destruction causée par le génocide israélien dans la bande de Gaza, est une fois de plus un catalyseur pour le dialogue arabe et, s’il y a assez de volonté, pour l’unité.

Les Palestiniens ont démontré que leur soumoud (résilience) suffit à repousser toutes les stratagèmes visant à leur destruction, mais les nations arabes doivent reprendre leur position de première ligne de solidarité et de soutien au peuple palestinien, non seulement pour le bien de la Palestine elle-même, mais aussi pour celui de toutes les nations arabes.

L’unité est désormais essentielle pour recentrer la juste cause de la Palestine, afin que le langage puisse, une fois de plus, évoluer, en insérant la composante « arabe » comme un mot essentiel dans une lutte pour la liberté qui devrait concerner toutes les nations arabes et musulmanes, et, en fait, le monde entier.


26/02/2025

BENJAMIN ORESKES
La pauvreté augmente à New York : une personne sur quatre n’a pas les moyens de satisfaire ses besoins primaires

Selon un rapport de l’université de Columbia et d’un groupe de lutte contre la pauvreté, la proportion de New-Yorkais vivant dans la pauvreté est près de deux fois supérieure à la moyenne nationale.

Benjamin Oreskes, The New York Times, 26/2/2025
Traduit par 
Fausto GiudiceTlaxcala 

Selon un rapport qui souligne le caractère urgent d’une crise de l’accessibilité financière à laquelle les élus ont du mal à faire face, un quart des habitants de New York n’ont pas assez d’argent pour des produits de première nécessité comme le logement et la nourriture, et beaucoup disent qu’ils n’ont pas les moyens d’aller chez le médecin.


Un nouveau rapport a révélé que plus de la moitié des New-Yorkais vivent dans des familles dont les revenus sont inférieurs à 200 % du seuil de pauvreté. Photo Spencer Platt/Getty Images

Le rapport, rédigé par un groupe de recherche de l’université Columbia et Robin Hood, une association de lutte contre la pauvreté, a révélé que la proportion de New-Yorkais vivant dans la pauvreté était près de deux fois supérieure à la moyenne nationale en 2023 et avait augmenté de sept points de pourcentage en seulement deux ans.

Cette hausse est en partie due à l’expiration de l’aide gouvernementale qui avait été étendue pendant la pandémie.

La gouverneure Kathy Hochul et le maire Eric Adams, semblant reconnaître que le mécontentement face au coût élevé de la vie pourrait mettre en péril leur avenir politique, ont axé leurs programmes et leurs espoirs de réélection en partie sur le fait de faire comprendre aux électeurs qu’ils essayaient de rendre New York plus abordable. C’est une tâche formidable, dit Richard Buery Jr, directeur général de Robin Hood.

La ville « a tellement de richesses, mais aussi tellement de besoins », ajoute-t-il « Ce sont des problèmes entièrement créés par l’homme ».

Le rapport fait partie d’une étude d’environ 13 ans qui porte sur un échantillon représentatif d’environ 3 000 ménages à New York. Les chercheurs utilisent une mesure différente de celle du gouvernement fédéral pour mesurer la pauvreté, en tenant compte des revenus, des aides non monétaires comme les crédits d’impôt et du coût de la vie local.

New York Poverty, par Granger, 1887

Selon cette méthode, le seuil de pauvreté pour un couple avec deux enfants dans un logement locatif à New York est désormais de 47 190 dollars [= 44 790 €]. L’étude a révélé que 58 % des New-Yorkais, soit plus de 4,8 millions de personnes, appartenaient à des familles dont les revenus étaient inférieurs à 200 % du seuil de pauvreté, soit environ 94 000 dollars pour un couple avec deux enfants ou 44 000 dollars pour un adulte seul*. Selon le rapport, les taux de pauvreté chez les résidents noirs, latinos et asiatiques étaient environ deux fois plus élevés que chez les résidents blancs.

Buery a applaudi plusieurs des propositions politiques du budget exécutif de Mme Hochul, qu’il considère comme un bon début pour faire face à cette crise. La gouverneure a proposé de réduire l’impôt sur le revenu de la plupart des résidents de l’État et souhaite accorder aux femmes enceintes bénéficiant de l’aide sociale une allocation mensuelle de 100 dollars pendant leur grossesse, ainsi qu’une somme de 1 200 dollars à la naissance de leur enfant.

Le rapport a révélé que 26 % des enfants de la ville de New York, soit 420 000 enfants, vivent dans la pauvreté.

La plus ambitieuse des propositions consisterait à accorder aux familles éligibles un allègement fiscal pouvant atteindre 1 000 dollars par enfant de moins de 4 ans ou 500 dollars par enfant âgé de 4 à 16 ans. Les chercheurs du Center on Poverty and Social Policy de l’université de Columbia ont estimé que cette réduction d’impôt, ainsi que plusieurs autres propositions antérieures soutenues par Mme Hochul, pourraient réduire la pauvreté infantile à New York d’environ 17 %.

« Cela me fait mal en tant que mère de penser aux petits estomacs qui gargouillent pendant qu’ils sont à l’école alors qu’ils sont censés apprendre », a déclaré Mme Hochul dans son discours sur l’état de l’État le mois dernier.

Avi Small, porte-parole de Mme Hochul, a souligné que les coupes dans des programmes tels que Medicaid que les républicains à Washington veulent mettre en place constituent une autre menace pour les New-Yorkais pauvres.

« La gouverneure s’attaque au coût élevé de la vie en réduisant les impôts, en accordant des crédits et des remboursements, tout en développant les services sociaux pour ceux qui en ont le plus besoin », a-t-il déclaré.


Relief Station (Poste de secours), par Saul Kovner, 1939

À la fin de l’année dernière, Adams a proposé de supprimer l’impôt sur le revenu de la ville de New York pour plus de 400 000 des salariés les moins bien rémunérés. Le conseil municipal a également adopté un plan de logement majeur qu’il a défendu, connu sous le nom de « City of Yes ». Le plan prévoit des milliards de dollars pour la construction de logements abordables et des incitations en matière de zonage qui permettent aux promoteurs de construire des bâtiments plus grands à condition qu’ils comprennent des logements moins chers.

« Le maire Adams a utilisé tous les outils de notre administration pour remettre de l’argent dans les poches des New-Yorkais et rendre la ville de New York plus abordable afin que les familles puissent s’épanouir », a déclaré Amaris Cockfield, porte-parole de M. Adams, dans un communiqué.

Le rapport Robin Hood a mis en évidence la pénurie de logements et leur coût croissant comme étant les principaux facteurs de l’augmentation du nombre de personnes vivant dans la pauvreté. La plupart des personnes interrogées travaillaient ou cherchaient un emploi. Pourtant, beaucoup ont déclaré avoir du retard dans le paiement de leur loyer ou avoir du mal à payer leur nourriture.

« Il y a un manque de volonté politique pour investir réellement dans les services destinés aux personnes les plus démunies », dit Chris Mann, vice-président adjoint de Women In Need, qui gère des refuges à New York.

Peter Nabozny, directeur des politiques de Children’s Agenda, et Buery ont fait partie d’un groupe de travail de l’État qui a formulé des recommandations politiques visant à réduire de moitié la pauvreté infantile d’ici 2032. Mme Hochul a rejeté leurs suggestions d’un crédit d’impôt plus important pour les enfants et d’un nouveau chèque logement.

Nabozny a déclaré que certaines mesures récentes du gouvernement contre la pauvreté ont été positives, mais « ne sont pas assez importantes pour atteindre ce que nous pourrions réaliser si nous nous y mettions vraiment en tant qu’État ».

L’une des propositions de Mme Hochul en matière d’accessibilité financière à laquelle certains élus se sont opposés consiste à accorder à des millions de New-Yorkais des réductions d’impôt pouvant atteindre 500 dollars en fonction de leurs revenus. Ce programme devrait coûter 3 milliards de dollars, soit le même montant que l’excédent budgétaire de l’exercice précédent.

Le sénateur démocrate James Skoufis a déclaré qu’une grande partie de ce financement pourrait, par exemple, être utilisée pour développer un programme visant à réduire la charge fiscale des personnes âgées.

NdT 

La Banque mondiale fixe le seuil de pauvreté  mondial à 747€ par an, soit 58 moins que le seuil de pauvreté new-yorkais. Dans l'UE, le seuil de pauvreté va de 3000 (Roumaine) à 15 000 € (Danemark) [France : 9700 €]. En Chine et en Inde, il tourne autour de 800€, en Amérique latine autour de 2 300€, en Russie, il est de 1 500 € et en Tunisie, de 763€.

 

 

CHRIS VOGNAR
“Zero Day”, un thriller rétro aux échos modernes

La nouvelle série Netflix est une mise à jour contemporaine d’un drame politique dans le style des années 70 qui est encore plus contemporain que ses créateurs ne l’avaient prévu.

Chris Vognar, The New York Times, 24/2/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

La nouvelle mini-série de Netflix, Zero Day, était en développement depuis plusieurs années, mais elle arrive à un moment où ses thèmes principaux - concernant les abus de pouvoir présidentiels, le piratage du gouvernement fédéral et la persistance de la désinformation - dominent le cycle de l’actualité. Il s’agit d’une mise à jour contemporaine d’un drame politique dans le style des années 70 qui est encore plus actuel que prévu.

Lorsqu’on lui a demandé si le moment était venu pour une résurgence du thriller conspirationniste, le producteur exécutif Eric Newman a été succinct : « On vit dedans ».

 

Créée par Newman et deux producteurs exécutifs ayant une formation en journalisme, Noah Oppenheim, ancien président de NBC News, et Michael S. Schmidt, journaliste d’investigation au bureau de Washington du New York Times, Zero Day dépeint un scénario cauchemardesque dans lequel les USA ont été attaqués et la personne chargée de la réponse pourrait ne pas être saine d’esprit.

 


Robert De Niro incarne un ancien président confronté à une crise nationale dans “Zero Day”. Photo Jojo Whilden/Netflix

Après qu’une cyberattaque a paralysé les systèmes de transport usaméricains, faisant 3 400 morts dans des accidents de la route et autres catastrophes, un ancien président nommé George Mullen (Robert De Niro) est choisi pour diriger une commission d’enquête. Mais Mullen a des hallucinations et n’arrête pas d’entendre en boucle la même chanson des Sex Pistols, « Who Killed Bambi ? », dans sa tête. Est-il en train de craquer ? Son cerveau a-t-il été trafiqué, à la manière du film « Le candidat mandchou » (1962) ?

 

Quelle qu’en soit la cause, Mullen bafoue rapidement les libertés civiles et recourt à des techniques d’ « interrogatoire renforcé » de l’époque du 11 septembre, y compris la torture, sur des citoyens usaméricains.

 

Si Zero Day fait explicitement référence au 11 septembre et au Patriot Act, ses détails sont plus actuels. Alors que des preuves semblent impliquer des agents russes dans l’attaque, Mullen devient obsédé par un collectif d’hacktivistes de gauche, un animateur de talk-show provocateur (Dan Stevens) qui attise les flammes du complotisme et une techno-milliardaire extrémiste (Gaby Hoffman) qui serait heureuse de détruire tout le système.

 

Alors qu’elle atteint son paroxysme de crise et d’hystérie, la série ressemble à un thriller paranoïaque - pensez à « The Parallax View » (1974) ou « Les Trois Jours du Condor » (1975) - conçu pour une époque où les figures d’autorité décident qu’elles ont droit non seulement à leurs propres opinions, mais aussi à leurs propres faits.

 

« Cela semblait être une façon vraiment intéressante d’explorer certaines des grandes dynamiques qui se produisent dans notre monde », dit Oppenheim. Plus précisément, le fait que, de plus en plus, « la vérité objective fasse l’objet de débats ».

 

De Niro, une star montante d’Hollywood pendant l’apogée des films conspirationnistes dans les années 1970, voit des similitudes entre “Zero Day” et ces films antérieurs, à une différence près.

 

« C’était comme faire trois longs métrages d’affilée », a-t-il déclaré à propos du tournage qui a duré 103 jours. « Ce n’étaient que des films. Ils ne sont pas aussi longs que celui-ci, donc on en fait beaucoup plus que ce que nous avons fait dans les situations précédentes. »

 

“Zero Day” est l’un des nombreux thrillers paranoïaques actuellement diffusés à la télévision. Il rejoint « Paradise », un drame de science-fiction à suspense sur Hulu, qui raconte l’histoire d’un agent des services secrets (Sterling K. Brown) enquêtant sur la mort du président des USA (James Marsden), et « Severance », la série Apple TV+ dans laquelle certains employés d’une mystérieuse société subissent une séparation chirurgicale de leur identité professionnelle et personnelle.

 


Matthew Modine et Lizzy Caplan, dans Zero Day, jouent des députés inquiets à propos de la commission d’enquête. Photo Sarah Shatz/Netflix

 

Bien sûr, le qualificatif de « paranoïaque » suggère que les préoccupations pertinentes sont infondées ou irrationnelles - une idée que certains acteurs de Zero Day rejettent.

 

« C’est une mise en garde contre la division que nous connaissons actuellement, et qui est bien trop réelle », dit Lizzy Caplan, qui joue une députée dans la série. « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une possibilité dystopique lointaine », ajoute-t-elle. « Je pense que c’est à portée de main. »

 

Quelle que soit sa pertinence politique contemporaine, la mécanique mélodramatique de l’intrigue de la série la maintient dans le domaine de la fantaisie télévisuelle. Le personnage de Caplan n’est pas n’importe quel députée : il s’agit d’Alexandra Mullen, la fille de l’ancien président, qui s’inquiète pour son père et son travail. Elle couche également avec son homme à tout  faire, Roger Carlson (Jesse Plemons), qui est victime de chantage de la part d’un mystérieux spéculateur (Clark Gregg) dont les intentions sont peut-être liées à la cyberattaque. La toile d’araignée “Zero Day” peut devenir un comiquement inextricable.

 

La réalisation du film est plus réaliste. La conspiration et la paranoïa ont leur propre esthétique conçue pour que le spectateur se sente impuissant, comme si un œil qui voit tout était toujours à l’œuvre. Lesli Linka Glatter, productrice exécutive qui a également réalisé les six épisodes de Zero Day, a cherché à créer un sentiment d’anxiété dans les scènes en alternant les points de vue objectifs et subjectifs et les différents modes de caméra, comme la Steadicam et les travellings.

 

« J’ai fait beaucoup de plans avec un plafond très lourd, qui donnent l’impression que le monde est oppressant, qu’il pèse sur vous, et qu’il y a un petit humain là-dedans », dit-elle. « Je voulais donner l’impression que le sol sur lequel nous nous tenons n’est pas solide. On le sent presque intérieurement, sans pouvoir mettre le doigt dessus. » (Glatter a également été réalisatrice et productrice exécutive de la série profondément paranoïaque de Showtime, Homeland.)

 

Le ton prédominant dans les films conspirationnistes des années 1970 est l’inanité. Les héros sont généralement confrontés à des forces qu’ils ne peuvent pas comprendre. Comme l’a dit Newman, « il y a cette sorte de thème oppressant d’un système monolithique et impénétrable. Nous avons parlé de tous ces films encore et encore, et nous aspirions à ça. »

 

Jake Gittes, interprété par Jack Nicholson, le ressent à la fin de Chinatown (1974), écrasé par des forces corrompues plus puissantes que lui. Dans La Conversation (1974) de Francis Ford Coppola, Harry Caul, l’expert en surveillance (Gene Hackman), déjà peu stable, devient fou après que son travail très secret a conduit à un meurtre.

 

C’était l’époque du rapport Warren, du Vietnam et du Watergate, où la méfiance envers le gouvernement se répandait rapidement dans un pays à cran. « Il y a une raison pour laquelle tant de grands films de conspiration ont été réalisés dans les années 60 et 70 », dit Oppenheim. « Chaque fois qu’il y a du tumulte dans la société, je pense que ce genre connaît une résurgence. »

 

Mais si les USA traversent actuellement une instabilité similaire, tout n’est pas perdu dans Zero Day. Il y a une lueur d’espoir à la fin de la série, ou du moins quelque chose qui va au-delà du pur fatalisme.

 

« Nous rejetons très consciemment l’inanité parfois suggérée par ces thrillers conspirationnistes des années 70 », dit Oppenheim. « Nous espérons montrer une voie à suivre pour les gens. Aussi défectueux que soit un système, chacun de nous a toujours une boussole morale en lui et peut choisir de faire ce qui est juste. »


25/02/2025

“Projet Harmonie Familiale” : le feuilleton de la succession de Citizen Murdoch
ou
Quand la réalité dépasse la fiction HBO

Plus de 3 000 pages de documents révèlent comment des années de trahison ont conduit à une bataille judiciaire désordonnée qui menace l’avenir de l’empire de Rupert Murdoch.

Jonathan Mahler et Jim Rutenberg, The New York Times, 13/2/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Jonathan Mahler, rédacteur pour le Times Magazine, et Jim Rutenberg, rédacteur général pour le Times et le Times Magazine, ont fait des reportages sur les Murdoch pendant plus de vingt ans et sur trois continents.

 1e partie : « Ces entreprises sont mon héritage »

Début décembre 2023, Rupert Murdoch se rend à Londres pour voir ses deux filles aînées, Prudence et Elisabeth. Il ne s’agissait pas d’une visite de courtoisie.

Depuis des mois, Rupert et son fils aîné, Lachlan, travaillaient sur un plan secret visant à modifier le trust familial afin de priver trois de ses autres enfants - Prue, Liz et James - de leur pouvoir d’influencer la direction de l’entreprise familiale. Leurs avocats avaient baptisé ce projet “Harmonie familiale”.

Le trust, qui détient les actions qui contrôlent l’empire médiatique mondial des Murdoch, donne à Rupert l’autorité sur ses deux sociétés jusqu’à sa mort. Ensuite, les droits de vote sont répartis à parts égales entre ses quatre enfants les plus âgés. Le contrat est irrévocable, mais il contient une disposition qui permet à Rupert d’apporter des modifications tant qu’il agit uniquement dans l’intérêt de ses bénéficiaires. C’est cette disposition qu’il entendait exploiter pour consolider le contrôle de Lachlan, le plus politiquement conservateur des quatre.

Le temps que Rupert prenne l’avion pour Londres, il avait déjà convoqué une réunion extraordinaire du conseil d’administration du trust - qui devait se tenir deux jours plus tard - pour ratifier les changements. Il avait les votes nécessaires pour faire passer la décision, mais il espérait que convaincrait Prue et Liz de soutenir l’idée afin d’éviter un conflit juridique avec ses propres enfants.

Rupert n’avait pas l’intention de prévenir James à l’avance. Les deux hommes se parlaient à peine. C’était James, âgé de 50 ans, qui avait amené son père dans cet endroit : Rupert et Lachlan, qui avait 52 ans, étaient convaincus qu’il avait l’intention de mener un coup d’État familial pour arracher le contrôle à Lachlan après la mort de leur père.

Rupert pensait qu’il aurait plus de chance avec Prue et Liz, avec qui il était toujours proche malgré les nombreux hauts et bas au fil des ans. Il espérait les persuader que le fait de maintenir le leadership de Lachlan était la meilleure chose à faire pour tout le monde.

Il n’y avait pas de temps à perdre. À 92 ans, Rupert était encore mentalement vif, même s’il avait tendance à marmonner, ce qui, avec son épais accent australien, pouvait le rendre difficile à comprendre. Mais il avait aussi eu son lot de graves problèmes médicaux ces dernières années ; il avait dû être héliporté du yacht de Lachlan en 2018 après une chute qui avait failli lui être fatale et avait été hospitalisé en raison d’un Covid durant l’été 2022. Même s’il détestait parler de sa mort - il avait une nouvelle petite amie d’une soixantaine d’années qui deviendrait bientôt sa cinquième épouse - il devait reconnaître qu’il n’allait pas y échapper. Il était temps de régler ce problème. 

Télécharger PDF