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04/08/2022

5 questions à Kadda Benkhira, poète algérien

Milena Rampoldi et Fausto Giudice, 4/8/2022

Italiano: 5 domande a Kadda Benkhira, poeta algerino
Español 5 preguntas a Kadda Benkhira, poeta argelino

Nous avons publié Humeurs/Umori, un recueil bilingue (français/italien) de poèmes de Kadda Benkhira, un poète algérien qui a bien voulu répondre à nos questions.


Comment es-tu devenu poète ?

Je crois que mon goût pour la poésie a commencé à l’école primaire. L’instituteur, pour nous familiariser avec la langue française, nous donnait souvent un poème à apprendre par cœur et à réciter le lendemain en classe. Mais il n’y a pas que la récitation. J’avais aussi pris l’habitude de fréquenter chaque week-end un grand souk ou il n’y avait pas que des denrées à vendre, mais aussi des joueurs de flûte qui faisaient danser des serpents, des chanteurs…. Moi, ce qui m’intéressait dans cet endroit très vivant, c’était surtout ces gens qui avaient la manière de raconter des histoires sur divers sujets et de les rendre très attachantes, ils avaient aussi l’art de réciter des poèmes dans une langue populaire très limpide…plus tard, je me suis mis à écouter de la poésie classique arabe et à lire en français tous les recueils de poésie que je rencontrais… Voilà comment je suis devenu poète.

Le fait d’écrire en français- « un butin de guerre » selon Kateb Yacine –ne diminue-t-il pas la portée de tes poèmes en Algérie ?

Oui ça diminue la portée de mes poèmes en Algérie, Mais j’aimerais dire que « ce butin de guerre », quelle que soit son importance, finira bien par disparaitre, D’ailleurs, il ne se passe pas un jour sans que la langue de mes ancêtres gagne une petite parcelle de terrain qu’on lui a confisqué. Tranquillement, elle va reprendre toute sa place le plus naturellement du monde. Et qu’est-ce qu’il y a de plus beau, de plus noble, de plus naturel pour un peuple que de retrouver sa langue !...

Dans la constitution algérienne, l’arabe est, dès l’indépendance, décrété langue nationale et officielle. Quant au français, il est considéré comme langue étrangère.

Il ne faut pas oublier que la barbarie coloniale française est restée en Algérie 132 ans. On ne peut ôter cette langue de notre patrie comme on ôte un vieux clou d’une planche, il faut du temps et beaucoup de patience…

Aujourd’hui les jeunes Algériennes et Algériens, dans leurs majorité, préfèrent et de loin, l’anglais au français.

D’ailleurs, la prochaine rentrée scolaire, le gouvernement a décidé de commencer l’enseignement de l’anglais à partir de l’école primaire… « Si le français, disait le président, est un butin de guerre, l’anglais est une langue internationale. » c’est très clair…

J’ai aussi remarqué que les jeunes commencent à s’intéresser sérieusement à d’autres langues comme l’espagnol, l’italien, le turc…

Pour ma part, je continuerai à utiliser le français qui est (comme toutes les autres langues) un moyen de communication. Et je suis sûr que mes poèmes seront traduits en arabe. Ainsi, je retrouverai les lecteurs que le « butin de guerre « m’a fait perdre…

Vois-tu, un écrivain (ou un poète), même si sa patrie n’a jamais été colonisée, sa langue ne peut le faire connaitre que dans son pays. S’il veut franchir ses frontières, s’il veut devenir célèbre, il doit absolument faire appel à cette très honorable dame nommée : TRADUCTION…

Est-ce qu’il y a aujourd’hui en Algérie, une « scène poétique », des échanges, des rencontres entre poètes et autour de la poésie ?

Oui ! Il y a de plus en plus d’espaces destinés à la poésie. Et je dois dire que c’est la poésie arabe qui a la part du lion. Je crois que c’est normal. Dans tous les pays du monde, c’est la langue du peuple qui est la plus sollicitée…

132 ans de colonialisme barbare ne sont pas arrivés à briser cette langue. Sûrement parce qu’elle tire sa force du Coran…

Oui ! La poésie en arabe reste le genre adopté par le plus grand nombre d’écrivains, avec de nombreuses publications (recueils de poésie, journaux, revues…).

C’est ce que disent les spécialistes.

Plus généralement, quelle place la poésie occupe-t-elle dans l’Algérie d’aujourd’hui ?

Une place très honorable. Et là je parle de toute la poésie : arabe, amazighe et francophone…

Quel peut et doit être le rôle du poète dans la société ?

Le rôle du poète, partout dans le monde, doit être plein de noblesse et d’humanité. Toujours prompt à dénoncer tout ce qui ne tourne pas rond sur terre ! Tout ce qui fait du mal à l’humanité ! Et pas seulement ! Il doit aussi défendre la faune et la flore !...

Hélas ! Tous les poètes ne sont pas nobles et humains.

Certains ont tellement usé leurs langues sur des choses rugueuses et malsaines qu’ils n’arrivent plus à les retenir dans leurs bouches.

GIDEON LEVY
Kafr Qassem : les Israéliens refusent d'être hantés par les fantômes des massacres passés. Qu'est-ce que ça signifie pour l'avenir ?

Gideon Levy, Haaretz, 3/8/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Faire une bombe d'une taupinière. Pas la bombe que nous aurions dû souhaiter, mais une bombe bien plus dangereuse - la publication des minutes du procès de Kafr Qassem n'a même pas fait sourciller. Les médias, à l'exception de Haaretz, ont à peine commenté, le public a baillé, l'affaire est morte. Cela se produit à chaque fois : Les organisations de soldats remuent ciel et terre, la censure militaire interdit et ensuite, on n'entend qu'un bâillement. Le bâillement est toujours la bonne partie : ceux qui rendent public le sombre passé suscitent pour beaucoup des sentiments de fierté et de soutien, ou des déclarations tristement ridicules sur le manque d'autres choix. La guerre, quoi.

Rim Ammar, dont le grand-père paternel a été l’une des victimes du massacre de Kafr Qassem. Photo : Tomer Appelbaum

La procédure se répète : Tantoura ou Kafr Qassem, le massacre des prisonniers en 1967 ou le massacre de Lod en 1948, Jénine, Jénine ou le meurtre des adolescents sur la plage de Gaza - rien n'entame le sentiment de totale justesse des Israéliens, ou du moins leur autosatisfaction, du côté de la gauche sioniste comme de la droite. Ces dernières semaines, il s'agissait à nouveau de Tantoura et de Kafr Qassem. Même s'il était encore possible de discuter de Tantoura, pour Kafr Qasem les documents ont résolu la vérité qui aurait dû résonner. Si à Tantoura il était encore possible de tout mettre sur le dos de Teddy Katz et d'Alon Schwarz, le chercheur et le réalisateur du film, à Kafr Qassem la vérité officielle était exposée, tranchante et douloureuse.

Pour qui, exactement ? Les Arabes connaissaient la vérité depuis toutes ces années, et pour eux, la publication des documents n'était pas une nouvelle, ni un réconfort tardif. Les Juifs n'ont pas voulu savoir pendant toutes ces années et ne veulent pas savoir, même après qu'on leur a jeté la vérité au visage. Il était également possible de faire confiance aux médias israéliens qui sauraient une fois de plus choyer leurs consommateurs en cachant et en obscurcissant la vérité. En quoi avons-nous besoin de Kafr Qassem maintenant ?

Peut-être est-il possible de comprendre le détournement de notre regard des taches du passé héroïque telles qu'elles nous ont été racontées, mais ce passé n'est pas terminé, pas plus que le déni et les excuses fallacieuses. Quiconque n'a pas été ému par les révélations sur Kafr Qassem ne l'est pas non plus par les coups de pied donnés à un manifestant de 15 ans à Al Mughayyir, 66 ans plus tard. C'est pourquoi ignorer Kafr Qassem est si grave.

Le massacre de citoyens israéliens, après la création de l'État, avant une guerre et non au milieu de celle-ci - pour lequel personne n'a été puni sérieusement, personne n'a accepté de responsabilité, personne n'a pensé à offrir des réparations et seuls quelques-uns étaient prêts à s'excuser - ne suscite même pas de gêne morale. Le meurtre de personnes innocentes, dont les enfants sont ici parmi nous, ne nous intéresse pas, nous, les Juifs israéliens supérieurs. Nous ne pleurons que nos propres morts, et nous pleurons beaucoup. Dans l'État juif, seul ce qui arrive aux Juifs est considéré comme important.

Même aujourd'hui, tout n'a pas été publié : Le tristement célèbre plan Hafarperet ("Taupe") est toujours classé secret. Pourquoi ? Sa publication constitue également un "risque pour la sécurité". L'ennemi va savoir, les vents vont hurler. Alors, chers censeurs, ôtez toute inquiétude de vos cœurs, même les guerriers du passé peuvent dormir en paix. Leur bonne réputation ne sera jamais entachée. Personne en Israël ne s'offusquera d'un plan diabolique d'expulsion des Arabes israéliens. Tout peut être publié. À l'exception de quelques gauchistes bornés, personne n'en perdra le sommeil. Permettez la publication de Hafarperet et de toutes les autres vérités dérangeantes. Aucune tache du passé du pays ne peut assombrir le sentiment de satisfaction des Israéliens, qui n'a pas de frontières.

Il y avait un plan de transfert en 1956 ? De nombreux Israéliens déplorent qu'il n'ait pas été mis en œuvre. C'est trop tard ? Pas nécessairement. Combien d'Israéliens s'offusqueraient aujourd'hui d'un transfert de population sous les auspices de la prochaine guerre ? Il faut trouver le moment opportun, l'obscurité appropriée et la bonne excuse - et cela pourrait très bien arriver. Après cela, nous pouvons compter sur les médias : Ils le dissimuleront à la conscience du public, cette fois encore.

Quiconque ne s'émeut pas des révélations du passé ne s'émeut pas non plus de ce qui se passe dans le présent, et ne lèvera pas le petit doigt face à ce qui pourrait bien se produire dans le futur. La crainte des Arabes israéliens d'un nouveau transfert ne s'est pas seulement atténuée depuis Tantoura, elle s'est même renforcée, et à juste titre. L'apathie israélienne absolue à l'égard des ombres du passé contribue largement à alimenter cette peur paralysante. 

 
Une cérémonie commémorative marquant en 2006 le 50e  anniversaire du massacre de Kafr Qassem. Photo : Nir Kafri


02/08/2022

AMIRA HASS
L’administration « civile » des territoires occupés, avant-garde de l'humiliation des Palestiniens

Amira Hass, Haaretz,2/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Peu après trois heures du matin, le téléphone sonne dans la salle de crise du bureau de liaison et de coordination de la sécurité palestinienne. L'officier de service endormi entend la voix de son homologue, un soldat endormi de l'administration civile israélienne, qui lui annonce que l'armée est sur le point d'effectuer un raid dans telle ou telle localité palestinienne. Cela signifie que tous les policiers palestiniens doivent se rendre immédiatement dans leurs bureaux. Dans l'argot interne de l'administration civile, cette tâche est appelée « replier les SHOPIM », SHOPIM étant l'acronyme hébreu de « policiers palestiniens ». L'avertissement téléphonique et le "repli" sont une routine que les deux parties s'assurent de respecter, car « personne ne veut qu'un côté tire sur l'autre », comme l'a dit un ancien soldat de l'unité à Haaretz.

 

Les bureaux de l'administration civile, à El-Bireh, en Cisjordanie, en mars. L'organisation était censée avoir été démantelée, selon les accords d'Oslo. Photo : Amira Hass

Il se souvient que le délai donné aux Palestiniens pour "se replier" était d'environ une demi-heure. Une ancienne soldate de l'unité se souvient de 45 minutes. Un autre vétéran masculin se souvient que les Palestiniens ont obtempéré immédiatement ; elle, en revanche, se souvient qu'ils ont tergiversé. Ils se souviennent tous de l'interdiction de révéler la cible et l'objectif (arrestation, recensement, recherche d'armes, confiscation de fonds, démonstration de "gouvernabilité") du raid.

Ce sont trois des dizaines d'anciens soldats qui ont servi dans l'administration civile et qui ont témoigné sur l'unité pour l'ONG Briser le silence [Shovrim Shtika/Kasr as-Samtt/Breaking the Silence] dans sa nouvelle brochure, "Military Rule", publiée lundi. Cette organisation combative continue de déconstruire la domination militaire sur les Palestiniens, en exposant le mensonge de la "sécurité" et la fausseté de la "moralité".

Les soldats en service ne disaient pas à leurs collègues palestiniens qu'il y avait des "policiers qui se replient", mais plutôt qu'il y avait une "activité" en cours. Dans le jargon des forces de sécurité palestiniennes, la disparition de policiers palestiniens dans les rues en raison d'un raid israélien imminent est appelée "zéro-zéro". Une source de sécurité palestinienne n'était pas familière avec le terme "repli des SHOPIM" et a déclaré qu'il était humiliant. Mais la réalité - dans laquelle les policiers palestiniens se précipitent pour se cacher dans leurs bastions peu avant que les soldats israéliens ne fassent irruption dans une maison familiale, pointant leurs fusils sur les femmes et les enfants fraîchement réveillés - est encore plus humiliante. Il est mortellement humiliant d'interdire aux forces de sécurité palestiniennes de défendre leur peuple non seulement contre les soldats, mais aussi contre les civils israéliens qui les attaquent dans leurs champs et leurs vergers, à la maison et lorsqu'ils font paître leurs troupeaux. Le respect de cette interdiction par l'Autorité palestinienne est humiliant.

Et le contraire du repli est également humiliant : lorsque la partie palestinienne doit demander l'accord d'Israël pour que ses policiers aillent d'une ville donnée à un village voisin qui se trouve dans la zone B, ou parce que la route qui les relie traverse la zone C. « Ils ne font pas un pet sans notre feu vert. ... Même s'il n'y a pas de colons sur leur chemin, [même si] ils partent sans uniforme, sans arme, pour enquêter sur un accident de voiture, ils doivent quand même coordonner leur action avec la brigade », explique l'un des témoignages de la brochure.

Le facteur d'humiliation - un autre moyen d'expression du règne hostile d'une junte militaire - se lit aussi bien à l'intérieur qu'entre les lignes du livret : dans l'arabe approximatif parlé par les soldats aux guichets d'accueil des Palestiniens, dans le traitement méprisant même de ceux qui ont l'âge de leurs grands-pères et grands-mères, dans l'attribution de l'eau aux colons au détriment d'une communauté palestinienne, dans la révocation en bloc des permis de circulation. L'humiliation de l'autre est une partie inséparable de la violence bureaucratique - tueuse d'âme, de temps et d'espoir - que nous, Israéliens juifs, qui sommes les dépossesseurs d'un peuple de sa terre, avons transformée en une forme d'art. Nous utilisons le pouvoir des édits que nous avons composés, des lois, des procédures et des décisions rendues par des juges honorables pour abuser continuellement de l'autre peuple. L'administration civile n'a pas inventé le système, mais elle est le fer de lance et la lance de cette violence bureaucratique.

        

01/08/2022

ISSAWI FREJ
Le voyage de Kafr Qassem vers la guérison ne fait que commencer

 Issawi Frej, Haaretz, 1/8/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

[عيسوي فريج עיסאווי פריג']  (Kafr Qassem, 1963) est un Palestinien membre du parti israélien Meretz, dont il est député à la Knesset. Il est actuellement ministre israélien de la Coopération régionale. Son grand-père a été tué dans le massacre de Kafr Qassem en 1956. @EsawiFr

Comme tous les enfants de Kafr Qassem, j'ai grandi dans l'ombre du massacre. Le traumatisme qui a frappé le village sept ans avant ma naissance était présent tout au long de mon enfance. Je me souviens des regards effrayés de mes parents dans les rares cas où ils ont été contraints d'accepter que je quitte le village pour me rendre dans les zones juives.

Le monument de la place Al-Aqsa à Kafr Qassem commémorant le massacre de 1956. Photo : Tomer Appelbaum

Nous nous sommes tous enfermés, effrayés. Au début des années 1980, j'ai été parmi les premiers habitants de Kafr Qassem à étudier à l'université. Ce n'est qu'alors, 20 ans après le massacre, que le sentiment de peur a commencé à s'estomper. Mais la blessure n'a pas guéri.

Des générations d'enfants sont nées en sachant que, du point de vue du gouvernement israélien, rapporter la vérité sur un massacre qui a touché presque toutes les familles du village reviendrait à « porter atteinte à la sécurité de l'État ». Ce n'est pas comme si nous ne savions pas. Nous savions tout.

Nous savions que les meurtres avaient été planifiés, que la porte est du village avait été laissée ouverte au moment de la fusillade dans l'espoir erroné que les habitants s'enfuient pour sauver leur vie en Jordanie. Nous savions que le plan portant le nom de code « Taupe » visait à expulser les résidents du Triangle arabe, que l'esprit clairement illégal de l’ordre qui a été émis le soir du 29 octobre 1956, avec un drapeau noir figuratif flottant au-dessus, provenait de niveaux bien plus élevés que les commandants sur le terrain.

Nous le savions, mais le gouvernement préférait que ces connaissances restent des « allégations non fondées » aux yeux des citoyens juifs d'Israël - et il est resté imperturbable dans son refus de publier les transcriptions complètes du procès qui a suivi le massacre. Il a également refusé que le contenu du plan Taupe soit publié.

Je me souviens d'un moment en 2016, alors que nous marquions le 60e anniversaire du massacre, où le ministre du Tourisme de l'époque, Yariv Levin, s'est approché de moi à la Knesset et a dit : « Le massacre de Kafr Qassem est un mensonge ». Il s'agissait d'une réécriture de l'histoire qui n'aurait pu exister qu'en dissimulant la vérité.

Parfois, la détermination d'une seule personne suffit à apporter un changement majeur, et dans ce cas, c'est le travail de l'historien Adam Raz de l'Institut Akevot qui a pris sur lui de mener la bataille juridique pour la divulgation des dossiers - et il a réussi.

En juillet 2018, Raz m'a demandé de venir au tribunal militaire pour représenter les résidents de Kafr Qassem. Le juge m'a demandé si la crainte était fondée que la divulgation des documents ne provoque des troubles parmi les habitants de la ville. J'ai répondu que nous ne cherchions pas à nous venger. C'était seulement la vérité que nous recherchions.

La publication de l'intégralité des transcriptions nous rapproche de la vérité - le fait que les meurtres n'étaient pas le résultat d'une mauvaise compréhension des ordres venus d'en haut, mais faisaient plutôt partie d'un vaste plan émanant du niveau politique. Il est vrai que le plan Taupe lui-même n'a pas été autorisé à être publié, mais il est présent à chaque page des transcriptions. Et désormais, ce n'est plus une « allégation », mais un fait.

D'autres éléments n'ont pas été divulgués non plus. Les photos des personnes assassinées sont encore confidentielles, en plus, comme je l'ai noté, des détails du plan dans lequel le massacre devait s'inscrire. Mais la vérité a été révélée.

Cette vérité a la capacité de commencer à permettre à la blessure de se cicatriser. Il est vrai que dans le passé, les présidents Rivlin et Herzog avaient cherché à obtenir le pardon, mais tant que la dissimulation s'est poursuivie, la confrontation véritable avec ce qui s'était passé n'avait pas commencé. Maintenant, ce voyage commence.

La publication des transcriptions ne « nuit pas à la sécurité de l'État ». Au contraire, elle est essentielle pour donner de l'espoir, non seulement pour Kafr Qassem, mais aussi pour les relations entre Juifs et Arabes dans tout le pays et pour la construction d'un avenir coopératif. La position centrale de Kafr Qassem est à la fois une sorte de malédiction et de bénédiction - elle a entraîné le massacre et, à présent, l'épanouissement du village.

Nous pouvons maintenant nous concentrer sur la bénédiction et commencer le travail de guérison des blessures de la malédiction.

31/07/2022

TOM SEGEV
Les soldats israéliens auteurs du massacre de Kafr Qassem en 1956 pensaient bien faire

Tom Segev, Haaretz, 31/7/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Tom Segev (Jérusalem, 1945), est un historien, écrivain et journaliste, faisant partie des « Nouveaux historiens israéliens », dont les travaux ont remis en cause l'écriture sioniste de l'histoire. Parmi ses principaux livres : Le Septième million. Les Israéliens et le génocide, Les premiers Israéliens, C'était en Palestine au temps des coquelicots, et 1967 : six jours qui ont changé le monde.

Les transcriptions récemment déclassifiées du procès qui a suivi le meurtre de 53 Palestiniens à Kafr Qassem révèlent une vérité qui dérange sur le rôle marginal que les crimes de guerre ont joué dans la formation des valeurs fondamentales d'Israël.

 Une peinture murale représentant le massacre de 1956 dans un musée de Kafr Qassem. Photo : Tomer Appelbaum

Les minutes du procès de Kafr Qassem sont si choquantes et bouleversantes non pas parce qu'elles révèlent des informations inconnues des historiens, mais précisément parce que les crimes de guerre israéliens jouent un rôle si marginal dans la formation des principes fondamentaux de l'État.

Le plan Hafarperet (Taupe) d'Israël, conçu pour expulser les Arabes du "triangle" des villes arabes, est connu depuis 20 ans, depuis que la personne qui l'a rédigé sous les instructions de Moshe Dayan, alors chef d'état-major, a révélé son existence. Il s'agissait d'Avraham (Abrasha) Tamir, chef de la division des opérations du commandement central des FDI à l'époque, qui est devenu par la suite une curiosité dans le monde politique israélien.

L'idée de ce plan était d'exploiter une future guerre avec la Jordanie pour évacuer les villages arabes de ce triangle. Une partie de la population fuirait vers la Jordanie, tandis que d'autres seraient envoyées dans des camps de détention en Israël. Ruvik Rosenthal, journaliste, auteur et linguiste, a cité Tamir dans un livre qu'il a écrit, "Kafr Qassem, Faits et mythes", publié (en hébreu) par Hakkibutz Hameuchad en 2000.

 Des fonctionnaires israéliens et des résidents locaux assistent à une sulha (cérémonie de réconciliation) à Kafr Qassem en 1957, un an après le massacre. Photo : Moshe Pridan/GPO

Il y a trois ans, l'historien Adam Raz a publié une "biographie politique" du massacre, commis à Kafr Qassem par des policiers des frontières dans l'après-midi du 29 octobre 1956.

La campagne du Sinaï (Suez) a débuté ce jour-là et le couvre-feu a été imposé aux villages arabes du triangle, plus tôt que ce qui avait été annoncé initialement. Cinquante-trois villageois qui n'étaient pas au courant du couvre-feu et qui rentraient du travail après sa promulgation ont été abattus. Entre les massacres de Deir Yassin en 1948 et de Sabra et Chatila en 1982, rien n'a été plus horriblement emblématique de la nature meurtrière de la bataille pour la terre d'Israël.

Le massacre de Kafr Qassem a été reconnu par la suite comme une exception tragique qui n'aurait jamais dû se produire. Le plan Hafarperet a été relégué aux oubliettes, tout comme d'autres plans visant à réduire la population arabe du pays. Adam Raz a tenté de prouver un lien entre le plan et le massacre de Kafr Qassem. Les archives des Forces de défense israéliennes refusent de communiquer tout document relatif à cet incident. Raz a demandé à voir, entre autres documents, les procès-verbaux des procès des policiers qui ont perpétré le massacre, et suite à une campagne juridique et publique qui a duré des années, ces procès-verbaux ont été déclassifiés vendredi.

Comme cela arrive souvent lorsque des documents d'État sont déclassifiés, la première question qui vient à l'esprit est de savoir pourquoi ils ont été gardés si jalousement. Comme cela aurait pu être agréable et surprenant si les minutes avaient révélé un ordre de ne pas blesser des civils innocents. La question qui reste est de savoir s'il y avait une affinité opérationnelle entre le plan Hafarperet, qui a été annulé avant le massacre, et ce qui s'est réellement passé dans le village. L'impression donnée par ces procès-verbaux est qu'il y avait un lien circonstanciel : certains des auteurs du massacre étaient au courant du plan et de son annulation, mais ils ont quand même procédé à leurs actes.

Le lien exact entre le plan Hafarperet et le massacre n'est pas important. Ce qui importe, c'est que les deux étaient imprégnés du même esprit. Les personnes qui ont assassiné ces villageois n'ont pas agi avec l'impassibilité d'un soldat obéissant aux ordres. Ils croyaient qu'ils faisaient quelque chose qui devait être fait, dans l'esprit de leurs commandants. Les procès-verbaux le démontrent bien, et c'est là que réside leur principale signification.

En 1956, de nombreux Israéliens vivaient encore les événements de la guerre d'indépendance. Les Arabes israéliens étaient considérés comme des ennemis. Ils étaient contraints par les règles d'un gouvernement militaire, un mécanisme arbitraire et corrompu dont l'existence exprimait l'attitude de Ben-Gourion envers les Arabes de ce pays. Il les considérait comme un obstacle et une menace, et ne croyait pas à la possibilité de faire la paix avec eux. Il était en faveur de divers plans de transfert.

La fuite et l'expulsion des Arabes pendant la guerre de 1948 étaient conformes à ses vues, ce qui a conduit, entre autres facteurs, à la décision de ne pas conquérir leurs nouvelles zones d'implantation, notamment la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza. "Un Arabe est avant tout un Arabe", a déclaré Ben-Gourion quelques mois avant le massacre de Kafr Qassem. Son esprit a été encouragé par les FDI. "J'espère que dans les années à venir, il y aura une autre occasion de transférer ces Arabes de la terre d'Israël", a déclaré Moshe Dayan.

Des habitants de Kafr Qassem assistent à un événement commémoratif à l'occasion de l'anniversaire du massacre, en 2019.Photo : Moti Milrod

On aimerait croire que la mise au jour et la condamnation des crimes de guerre conduiraient à la prévention de tels crimes à l'avenir. L'inverse est également vrai : quiconque dissimule des crimes de guerre les couvre et les légitime. La contrition publique au sujet des crimes de guerre contribue parfois à la consolidation des principes humanitaires fondamentaux. Mais cela est particulièrement difficile en Israël, non seulement en raison du besoin perpétuel de se défendre contre l'inimitié arabe, mais aussi en raison du besoin de croire en la droiture du pays. C'est un besoin idéologique, sioniste, existentiel. Si nous ne sommes pas justes, nous ne resterons pas ici, c'est ce qu'on enseigne dans les écoles israéliennes.

Au lendemain du procès des assassins de Kafr Qassem, il semblait qu'Israël s'engageait dans une doctrine presque révolutionnaire dans les annales de la belligérance humaine. Il s'agissait de la doctrine du "drapeau noir". Ce drapeau doit flotter au-dessus de tout "ordre manifestement illégal", qu'un soldat doit identifier et refuser d'y obéir. C'est la leçon éthique que les Israéliens auraient dû tirer de l'Holocauste. C'est la base de l'affirmation selon laquelle les FDI sont l'armée la plus morale du monde.

Il fut un temps où chaque soldat des FDI était censé entendre parler du "drapeau noir" au cours de son service, au moins une fois. Je connais au moins un soldat qui n'en a pas entendu parler. Cependant, il semble que la "doctrine du drapeau noir" ait également été reléguée aux oubliettes. En fin de compte, cette doctrine reflétait l'aspiration à un sionisme plus moral qu'il ne pouvait l'être.

Entre-temps, tout a changé. L'oppression des Palestiniens dans les territoires occupés a réduit à néant les prétentions à représenter une existence (israélienne) juste. Seuls quelques Israéliens prêtent attention à cette difficulté, comme le montre l'une des réactions en ligne à la publication des minutes du procès de Kafr Qassem : « Et les minutes des pogroms de Kichinev ? »*

NdT

*Émeutes antisémites à Kichinev/Chișinău, en Moldavie, en 1903 et 1905.

        

 

 

 

 

GIDEON LEVY
La Cour Suprême d'Israël entrera dans l'histoire comme la promotrice de l'apartheid

Gideon Levy, Haaretz, 31/7/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Après la bataille entre les « Tout-sauf-Bibi » et les « Bibi-rien-que-Bibi », le seul autre sujet qui attire l'attention dans la politique israélienne est une question sans rapport qui est en train de devenir la seule question de principe qui subsiste. Il s'agit de la guerre entre ceux qui vénèrent le système judiciaire israélien et ses ennemis, et la position de chacun sur ce sujet dépend entièrement de son camp politique.

Si vous êtes un partisan de « Bibi-rien-que-Bibi », vous êtes contre les tribunaux, et si vous êtes « Tout-sauf-Bibi », vous révérez le système judiciaire. Il est tentant de rejoindre le second camp, éclairé et libéral, qui tente de protéger le système judiciaire des menaces violentes agitées par l'aile droite. Tentant mais impossible. 

Mitzpe Kramim

L'arrêt de la Cour suprême de la semaine dernière, par lequel la Cour a décidé que l'avant-poste de colons de Mitzpe Kramim ne devait pas être évacué, ne fait que démontrer à quel point il n'est plus possible de défendre la Cour - et combien les scénarios d'horreur et les prophéties de malheur diffusés par le camp libéral ne sont pas pertinents lorsqu'il s'agit de savoir ce qui se passerait si la droite s'en prenait à cette institution vénérée.

Le camp libéral s'accroche à son soutien au pouvoir judiciaire comme on s'accroche à une boussole sans laquelle on s'égare. Mais le chemin de la boussole a été perdu depuis longtemps. Elle est cassée, ou si nous devons l'admettre, n'a jamais fonctionné correctement. Le pouvoir judiciaire serait censé être la bannière que le camp éclairé embrasse, mais cette bannière est en lambeaux.

Le test suprême du pouvoir judiciaire, bien au-delà de toute autre question - plus encore que sa gestion du cas crucial de Netanyahou - est sa gestion de l'occupation, la question qui plus que toute autre définit Israël, dont la conduite est honteuse et lâche. La reconnaissance des voleurs de terres de l'avant-poste de Mitzpe Kramim et la récompense qui leur a été remise n'est que la dernière d'une interminable série d'affaires. On ne peut soutenir un tribunal qui se range systématiquement du côté des voyous et des criminels, qui approuve les crimes de guerre et méprise le droit international.

On ne peut même pas s'émouvoir des menaces d'un de ses adversaires de faire passer un bulldozer sur la Cour*. Si celle-ci est détruite, que se passerait-il exactement pour le pays, à part des dégâts immobiliers ? Israël deviendrait-il un pays qui ignore le droit international ? Deviendrait-il un pays qui tolère l'apartheid ? Qui blanchit les crimes de guerre ? Qui nourrit la suprématie juive ? Que se passerait-il exactement si ces juges éclairés et exaltés étaient remplacés par d'autres moins éclairés et exaltés ?

Même l'hypothèse selon laquelle, comme aux USA, les juges de la Cour suprême sont divisés entre libéraux et conservateurs est trompeuse. Dans les deux pays, les conservateurs sont majoritaires. Mais en Israël, même les libéraux ne sont pas libéraux.

Qui a soutenu le vol de terres à Mitzpe Kramim ? Noam Sohlberg [lui-même un colon, vivant à Alon Shvut, dans le Bloc d’Etzion, NdT], bien sûr, mais aussi les libéraux Daphne Erez-Barak et Isaac Amit. Eux aussi pensaient que les Juifs avaient le droit de voler les Arabes. Eux aussi pensent que les colons ont le droit de tout faire parce qu'ils sont juifs.

Concernant la Cour suprême, une chose est indéniable : il n'y a rien de tel pour exposer le vrai visage d'Israël. Il y a des libéraux bien-pensants au Meretz, au Parti travailliste et à Yesh Atid, en plus de la Cour suprême. Ils parlent tous plus gentiment que les sauvages de la droite.

Ils ont peur de la menace d'un bulldozer visant la Cour. Ils pensent que la « pieuvre de la corruption », comme l'a appelé le journaliste Mordechai Gilat dans Haaretz (édition hébreue, 29 juillet), est le membre de la Knesset David Bitan**, et au-dessus de lui, bien sûr, Benjamin Netanyahou, qui est le plus terrible de tous. Mais pas les juges de la Cour suprême qui donnent leur approbation aux familles criminelles et encouragent l'établissement de quartiers criminels dans les territoires occupés.

Lorsque les annales de l'époque actuelle et de celles qui l'ont précédée seront écrites, la Cour suprême sera inscrite du côté négatif et honteux de l'histoire, en tant que fondatrice et complice de l'État d'apartheid. Les crimes de Netanyahou et les délits de Bitan paraîtront alors blancs comme neige en comparaison.

NdT

*Moti Yogev, député du parti Habayit Hayehudi (Le Foyer juif), vice-président de la commission des Affaires étrangères et de la défense de la Knesset, avait déclaré en 2015 qu'un bulldozer Caterpillar D9 devrait être utilisé contre la Cour suprême.

**David Bitan : député du Likoud, très proche de Netanyahou, inculpé de corruption, fraude, abus de confiance, blanchiment d’argent et de délits fiscaux pour avoir touché des pots-de-vin de spéculateurs immobiliers (200 000 €) lorsqu’il était maire adjoint de Rishon Lezion