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12/01/2024

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
Yémen : un peuple indomptable

Sergio Rodríguez Gelfenstein, Blog, 4 et 11/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

I

En 2015, le Yémen, pays méconnu de nombreux Occidentaux, a lancé une guerre pour défendre sa souveraineté, menacée par une alliance interventionniste menée par l’Arabie saoudite. Le peuple yéménite a dû payer de la vie de près de 400 000 de ses enfants le maintien de son indépendance. Beaucoup se sont demandé comment un pays considéré comme le plus pauvre d’Asie occidentale a pu résister et vaincre une coalition composée de pays parmi les plus riches de la planète.


Mary Zins, 2018

Bien que le conflit dure depuis près de dix ans, il semble avoir atteint une situation qui pourrait conduire à une éventuelle cessation du conflit. Bien que la situation reste tendue et que des actions de guerre de toutes sortes se poursuivent, les actions militaires ont diminué au cours des derniers mois. Il ne s’agit plus d’une guerre totale, mais il n’y a pas non plus de paix. Avec la médiation de la Chine, l’Arabie saoudite et l’Iran se sont réconciliés, ouvrant la voie au règlement de plusieurs conflits en Asie occidentale et dans le nord de l’Afrique [Soudan]. Celui du Yémen est apparemment l’un d’entre eux.

Aujourd’hui, après l’invasion israélienne de Gaza, le Yémen, avec le Hezbollah libanais et d’autres forces révolutionnaires arabes et musulmanes, a joué un rôle actif dans la solidarité avec la Palestine. Une fois de plus, le Yémen a surpris tout le monde en prenant des décisions qui ont un impact non seulement local, mais aussi régional et mondial. Une fois de plus, le monde s’est demandé comment cela avait pu se produire. Je fournirai  ici quelques éléments qui permettront aux lecteurs de connaître le Yémen, la lutte historique et l’héroïsme de son peuple, afin de les aider à comprendre la portée et la dimension de la décision du Yémen de soutenir la juste lutte du peuple palestinien avec toutes les ressources à sa disposition.

La République du Yémen occupe une position stratégique sur la planète, dans une région où se croisent les routes commerciales reliant l’Asie, l’Afrique de l’Est et la Méditerranée. Son territoire, situé sur les rives de la mer d’Arabie et aux portes de la mer Rouge, donne sur le détroit de Bab el Mandeb, ce qui lui confère une position privilégiée sur le globe, surtout depuis le XXe siècle, lorsque, d’une part, d’importants gisements d’énergie (pétrole et gaz) ont été découverts dans la région et, d’autre part, compte tenu de l’énorme croissance économique et du développement de l’Asie orientale, qui ont transformé le Yémen en un passage obligé pour la plupart des échanges commerciaux du monde.

Les cités antiques du territoire ont été unifiées dans l’Antiquité au sein du royaume biblique de Saba. La lutte pour la libération et l’indépendance des habitants de l’actuelle région du Yémen a commencé dès le 1er siècle de l’ère chrétienne, lorsqu’ils ont dû affronter l’Empire romain. La puissante Rome a été vaincue dans sa tentative de domination.

Contrairement au reste de la péninsule arabique, le Yémen d’aujourd’hui possédait une végétation prodigieuse qui procurait à sa population une grande richesse en raison des vastes possibilités de consommation et de commerce qu’elle offrait. C’est ainsi que le mathématicien et géographe grec Ptolémée aurait appelé le Yémen “l’Arabie heureuse”.

Atlas Teatrum Orbis Terarum, Abraham Ortelius, Anvers, 1570

Au cours de l’histoire, les Yéménites ont dû lutter contre les Himyarites qui, convertis au judaïsme en 380, ont persécuté la population majoritairement chrétienne jusqu’à l’intervention des Éthiopiens au VIe siècle. L’islam est arrivé dans la région au cours du VIIe  siècle et a commencé à façonner une culture basée sur l’entrelacement de diverses formes de connaissances qui ont apporté de grandes contributions à l’humanité.

Cependant, pendant de nombreux siècles, le Yémen est resté en marge du développement culturel et économique instauré par l’Islam. C’est au XVe siècle que le territoire de l’actuel Yémen a commencé à prendre une valeur stratégique. Dans leur quête d’expansion commerciale, les Européens ont commencé à dominer des territoires à travers le monde. Les premiers Européens à arriver dans la région sont les Portugais, qui dominent le pays afin de contrôler la voie maritime qui leur permet de faire le commerce des épices entre l’Asie et l’Europe via la mer Rouge.

Carte du royaume d’Yémen dans l’Arabie heureuse, Guillaume Delisle, 1715

Le XVIe siècle a vu le début de la conquête ottomane avec l’occupation d’une partie de la côte de la mer Rouge, tandis que l’intérieur et la côte sud restaient indépendants, gouvernés par un imam. Peu après, les Britanniques font leur apparition dans la région, en établissant un comptoir de la Compagnie des Indes orientales dans le port de Mokha, sur la mer Rouge [d’où le terme moca, ou mocca, pour désigner une variété de café, NdT].  

Vue de Moka du côté de la mer. Dessin anonyme publié en 1737 après la première expédition militaire française des deux navires Le Curieux et Le Diligent contre ce port

Au XIXe siècle, les Britanniques ont étendu leur présence en occupant toute la pointe sud-ouest du pays, s’installant en 1839 à Aden, le meilleur port de la région, tandis qu’en 1872, les Turcs ont réussi à consolider leur emprise sur l’intérieur du pays en installant une monarchie héréditaire de facto portant le nom d’un imam local. Cette division a de fait scindé le Yémen en deux pays.

Dans les années 1870, avec l’ouverture du canal de Suez et la consolidation de la domination turque sur le nord du Yémen, Aden revêt une importance nouvelle pour la stratégie globale de la Grande-Bretagne : c’est la clé de la mer Rouge et donc du nouveau canal.


Au début du XXe siècle, la Turquie et le Royaume-Uni ont tracé une frontière entre leurs territoires, rebaptisés respectivement Yémen du Nord et Yémen du Sud.  En 1934, la Grande-Bretagne a pris le contrôle de toute la partie sud du pays jusqu’à la frontière avec Oman.


 Pendant la Première Guerre mondiale, l’imam s’allie à l’Empire ottoman et lui reste fidèle jusqu’à la fin de la guerre. La défaite des Turcs permet au Yémen de retrouver son indépendance en novembre 1918. Cependant, la Grande-Bretagne, après avoir reconnu l’indépendance du Yémen, fait d’Aden un protectorat en 1928 et, en 1937, une colonie. Une fois de plus, les Yéménites ont dû recourir à la lutte armée pour obtenir leur indépendance. En 1940, le mouvement nationaliste “Yémen libre” voit le jour pour lutter contre le contrôle du pays par les imams qui se sont alliés à la Grande-Bretagne.



La révolution de 1967

 La lutte a pris des voies distinctes au nord et au sud. En 1962, la République arabe du Yémen est créée au nord, tandis qu’au sud, le Front de libération nationale, créé en 1963, s’empare d’Aden en 1967 et proclame l’indépendance, initiant une révolution socialiste.

Soldats britanniques des Northumberland Fusiliers, fer de lance de la contre-insurrection britannique, en action à Aden  en 1967

Le Yémen du Sud est rebaptisé République démocratique populaire du Yémen, il ferme toutes les bases britanniques en 1969, prend le contrôle des banques, du commerce extérieur et de l’industrie maritime, tout en entreprenant une réforme agraire. En matière de politique étrangère, il a maintenu une alliance étroite avec l’Union soviétique. Il a également encouragé une lutte antisioniste ouverte et un soutien au peuple palestinien.

En octobre 1978, lors d’un congrès bénéficiant d’un soutien populaire considérable, le Front de libération nationale fonde le Parti socialiste yéménite. En décembre, les premières élections populaires depuis l’indépendance sont organisées pour désigner les 111 membres du Conseil révolutionnaire du peuple.

Dès les premières années de son existence, la République démocratique populaire du Yémen a été confrontée à l’hostilité constante de l’Arabie saoudite, qui cherchait à contrôler certaines parties du territoire, en particulier celles où des gisements de pétrole avaient été découverts. Les tensions ont été exacerbées par la présence militaire croissante des USA en Arabie saoudite.

Pendant ce temps, au nord, le Front démocratique national (FDN), qui regroupe toutes les forces progressistes du pays, mène une lutte armée contre Ali Abdullah Saleh, arrivé au pouvoir en 1978. Alors que le FDN est sur le point de prendre le pouvoir, l’Arabie saoudite intrigue pour détourner le conflit en une guerre contre la République démocratique populaire du Yémen. La médiation des pays arabes aboutit à un cessez-le-feu et à un accord sur la reprise des négociations de réunification, suspendues depuis 1972.

        

Enfin, le 22 mai 1990, les deux républiques se sont unies pour former la République du Yémen, qui a fait de Sanaa (ancienne capitale de la République arabe du Yémen) sa capitale politique et d’Aden (ancienne capitale de la République démocratique populaire du Yémen) sa capitale économique. Lors d’une session conjointe des assemblées législatives des deux États à Aden, un conseil présidentiel dirigé par le général Ali Abdullah Saleh a été élu. L’unification du Yémen n’a pas été bien accueillie par l’Arabie saoudite, qui a entamé une politique de soutien à la sécession. En mai 1994, des sécessionnistes ont proclamé une république yéménite dans le sud du pays, mais ont été vaincus par les forces loyales au gouvernement.

Entre juin et août 2004, un mouvement exprimant les croyances d’une branche spécifique de l’islam d’orientation chiite est apparu : les zaïdites, dont le chef était le religieux Hussein al-Houthi. En son honneur, après sa mort au combat en septembre de la même année, le mouvement a pris le nom de Houthi, Huthi ou Ansar Allah (partisans de Dieu). Bien que ce mouvement soit l’expression d’une minorité au Yémen, son histoire n’est pas récente puisqu’elle remonte au milieu du VIIIe siècle. Le zaïdisme se caractérise par l’éducation supérieure de ses membres et est associé à la lutte pour la justice et à la défense de l’éthique musulmane. Cette idéologie, ainsi que la marginalisation à laquelle ils ont été soumis après avoir perdu le pouvoir en 1962, constitueront le substrat sur lequel la pensée houthie se développera à l’avenir.

La lutte des Houthis contre le gouvernement pro-occidental et pro-saoudien d’Ali Abdullah Saleh a été longue et sanglante. Ils ont dû prendre les armes à cinq reprises entre 2006 et 2008 pour défendre leur territoire dans le nord du pays jusqu’à ce qu’ils commencent à étendre leur base de soutien et l’espace géographique qu’ils contrôlent. En 2009, Saleh, tentant d’arrêter les Houthis, s’est tourné vers l’Arabie saoudite pour obtenir son soutien.

Pour les Houthis, le fait qu’un pays comme l’Arabie saoudite, aux tendances wahhabites extrêmement conservatrices, soit présent et interfère dans les affaires du pays était perçu comme une menace pour la souveraineté de la nation en général et pour la leur en tant que minorité en particulier.  À partir de ce moment, leur lutte, qui avait un caractère strictement interne, s’est transformée en une confrontation contre l’intervention étrangère.

Bien que les combattants houthis aient initialement subi de lourdes défaites, y compris (comme mentionné ci-dessus) la chute de leur principal dirigeant, ils se sont renforcés au fil du temps et, à partir de 2011, sous la nouvelle direction du frère cadet d’Al Houthi, Abdul Malik, ils ont commencé à infliger des revers importants à l’ennemi. La rhétorique anti-impérialiste et antisioniste a été renforcée en identifiant l’Arabie saoudite comme un partenaire dans la mise en œuvre des plans usaméricains et israéliens dans la région.

Le mal nommé “printemps arabe” a été particulièrement influent dans la croissance du soutien à la pensée houthi dans sa lutte contre le gouvernement répressif de Saleh. Au Yémen, le tremblement de terre qui a secoué une partie importante du monde arabe a suscité une réaction beaucoup plus organisée que dans les pays voisins. Face à la force des protestations, Saleh a fui le pays et s’est réfugié en Arabie Saoudite, pour être remplacé par son vice-président, Abdo Rabu Mansour Hadi, qui a tenté de ramener l’ordre dans le pays en concluant un accord avec les factions opposées à Saleh “pour que tout change sans que rienne  change”, en laissant de côté le mouvement houthi.

Fin 2014, les Houthis ont décidé de lancer une offensive sur la capitale. Dans ce contexte, Saleh - dans une tentative étonnante de reconquête du pouvoir - a établi une alliance avec les Houthis pour affronter Hadi. Les Houthis, qui n’avaient pas soutenu les accords de paix signés par Hadi, se sont alliés à leur plus grand ennemi pour prendre la capitale. La Garde républicaine, une force loyale à Saleh, a encouragé les Houthis à entrer dans Sana’a. Hadi s’est réfugié à Riyad, la capitale saoudienne, d’où il “commande” les territoires non encore contrôlés par Ansar Allah, agissant de fait comme une marionnette de la monarchie wahhabite.

Une fois au pouvoir, les Houthis ont formé un comité révolutionnaire pour diriger le pays.  Ils ont également été contraints de combattre simultanément les forces terroristes d’Al Qaïda et l’Arabie saoudite, qui les protège.

Estimant que les Houthis n’avaient pas respecté les accords qui, selon lui, lui permettaient de reprendre le pouvoir, Saleh s’est retourné contre eux, avec le soutien de l’Arabie saoudite. Lorsque la trahison a été consommée, les Houthis ont attaqué la maison de Saleh, le tuant au passage.

Depuis Riyad, Hadi a demandé une intervention saoudienne au Yémen. En réponse à cette demande, la monarchie saoudienne a organisé une coalition de pays sunnites pour lancer l’opération “Tempête décisive” en 2015, structurée autour de frappes aériennes sur les principales enclaves contrôlées par les Houthis, qui ont fait des milliers de morts.

Cette action était envisagée comme une offensive définitive pour prendre le contrôle du pays afin de lancer une seconde opération appelée “Restaurer l’espor”, qui se concentrait davantage sur le rapprochement diplomatique. En revanche, les actions terrestres, aériennes et maritimes de l’alliance ont été renforcées par un blocus naval qui a empêché l’entrée de l’aide internationale, plongeant le pays dans la pire crise humanitaire de l’histoire jusqu’au déclenchement des actions sionistes actuelles à Gaza, toutes deux avec le soutien explicite des USA.

Les Houthis, utilisant une large marge de manœuvre basée sur une connaissance de plus en plus grande du terrain et maniant des tactiques de guérilla inspirées - selon eux - de la lutte de libération au Vietnam et des “mouvements de résistance en Amérique latine”, ont démontré une grande capacité à frapper une armée d’invasion manquant de volonté, de moral, de discipline et de motivation pour se battre. De même, le large éventail de soldats de la coalition, qui a inclus la participation d’un très grand contingent de mercenaires engagés par des sociétés privées, a sapé la capacité de combat de l’alliance dont l’Arabie saoudite est le fer de lance.

Riyad a reçu des coups durs même sur son territoire, car les opérations de combat d’Ansar Allah ont pénétré profondément dans la géographie saoudienne grâce à un système avancé de drones et de missiles à longue portée qui ont frappé des casernes des forces armées, des raffineries de pétrole et des infrastructures critiques à des distances éloignées de la frontière commune.

Rahma Cartoons, Turquie

 II

Les médias transnationaux ont fait circuler l’idée que les Houthis agissent sous l’influence du gouvernement iranien. Si ni l’Iran ni les Houthis n’ont nié leur appartenance à un axe de résistance à l’impérialisme, au colonialisme et au sionisme qui intègre également des forces politiques du Liban, de la Syrie, de Bahreïn et de la Palestine elle-même, simplifier l’équation à une relation de “subordination” est à la fois superficiel et banal, compte tenu de l’histoire des luttes du peuple yéménite.

En Asie occidentale, l’agressivité croissante d’Israël et la présence interventionniste des USA ont polarisé la situation politique. Le récent accord règlement du différend entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ainsi que d’autres accords qui ont rapproché l’Égypte et la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, entre autres, après des années d’éloignement, et l’enlisement de la guerre au Yémen, indiquent l’affaiblissement du pôle impérialiste-sioniste et le renforcement de la résistance.

Dans ce contexte, le Yémen et le mouvement houthi jouent un rôle décisif, tant sur le plan historique que géographique. Il convient de noter qu’Ansar Allah n’a jamais caché ses relations avec l’Iran. Ils sont unis par leur appartenance commune à la branche chiite de l’islam. Tant le fondateur du mouvement Ansar Allah que son frère, qui le dirige aujourd’hui, ont passé une partie de leur vie à Qom (Iran), se formant politiquement et idéologiquement, tout en étudiant la doctrine chiite, basée sur l’idée que la succession légitime de Mohammed appartient aux descendants de son gendre Ali, par opposition aux sunnites qui estiment que les successeurs de Mohammed doivent être les compagnons du prophète. Sunnite vient de “Ahl al-Sunna”, qui se traduit par “les gens de la tradition” et chiite vient de “Chiat Ali”, qui signifie “partisans d’Ali”.

Mais cela ne signifie pas que les Yéménites sont de simples “accessoires” de l’Iran. Au-delà du soutien financier, militaire, communicationnel et politique qu’il a reçu de Téhéran, le mouvement Ansar Allah a fait preuve d’autonomie et d’autodétermination dans la conception et l’exécution de ses actions, que ce soit dans la guerre contre l’Arabie saoudite et ses alliés depuis 2015 ou aujourd’hui dans le soutien à la cause palestinienne.

Il faut savoir qu’en plus de son aide à la Palestine, le Yémen est en conflit direct avec Israël pour le soutien que l’entité sioniste a apporté aux Émirats arabes unis (EAU) lors de la guerre lancée en 2015 qui leur a permis d’occuper les îles stratégiques yéménites de Socotra, situées en mer d’Arabie à quelque 350 kilomètres au sud des côtes du pays, afin d’y établir une série de bases d’espionnage dans le but de collecter des renseignements dans toute la région, en particulier dans le détroit de Bab El Mandeb.

Hamzeh Hajjaj

Il est important de noter que la base israélo-émiratie de Socotra profite également aux USA, car elle leur permet de contrôler le port de Gwadar au Pakistan, qui fait partie du corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), dans le cadre duquel Pékin a développé un port afin que les marchandises qui y sont déchargées puissent être expédiées par voie terrestre vers la Chine, en particulier vers sa région occidentale.

Mais, pour ce qui est des événements actuels, les actions du Yémen en faveur de la Palestine ont commencé presque immédiatement après le 7 octobre. Le 19 octobre, un navire de guerre usaméricain a abattu des missiles et des drones tirés par les Houthis contre Israël, selon des informations du Pentagone publiées à l’époque.

Quelques jours plus tard, le 27 octobre, six personnes ont été blessées lorsque deux drones ont atterri au-dessus de Taba, ville égyptienne frontalière d’Israël, après avoir été interceptés par l’armée de l’air israélienne. Le 31 octobre, les Houthis ont revendiqué une attaque de drone contre l’entité sioniste. L’armée houthie a déclaré avoir intercepté un missile lancé depuis le sud.

Le porte-parole militaire des Houthis, le général Yahya Sari, a déclaré dans un communiqué télévisé que le groupe avait lancé un “grand nombre” de missiles balistiques et de drones en direction d’Israël et qu’il y aurait d’autres attaques à l’avenir “pour aider les Palestiniens à remporter la victoire”. En réponse, le conseiller en chef à la sécurité nationale d’IsraÊL, Tzachi Hanegbi, a déclaré que les attaques des Houthis étaient intolérables, mais il a refusé de donner des détails lorsqu’on lui a demandé comment Israël réagirait.

À la mi-novembre, Ansar Allah a annoncé que ses forces armées attaqueraient tous les navires battant pavillon israélien ou exploités ou détenus par des sociétés israéliennes. Quelques jours plus tard, le général Sari a déclaré que « les forces armées yéménites continueront d’empêcher les navires de toutes nationalités à destination des ports israéliens de naviguer en mer d’Oman et en mer Rouge jusqu’à ce qu’ils transportent la nourriture et les médicaments nécessaires aux Palestiniens de la bande de Gaza ».

Ossama Hajjaj

En réponse à cette décision, et après les premières attaques contre des navires à destination d’Israël, quatre grandes compagnies maritimes (la plus grande compagnie de transport de conteneurs au monde, Mediterranean Shipping Co [MSC], basée en Suisse, la compagnie danoise Maersk, la compagnie française CMA CGM et la compagnie allemande Hapag-Lloyd) ont suspendu le passage de leurs navires par la mer Rouge. Ces compagnies transportent environ 53 % des conteneurs maritimes du monde et environ 12 % du commerce mondial en termes de volume. Il convient de noter que 30 % du trafic mondial de conteneurs passe par le Bab El Mandeb.

En réponse, les USA ont décidé, le 19 décembre, de créer une alliance navale pour lancer une opération baptisée “Guardian of Prosperity”, censée « assurer la liberté de navigation en mer Rouge ». En pratique, cela signifie déclarer la guerre au Yémen et militariser la mer Rouge. Mais le pays arabe n’a pas fléchi dans sa position. Ses forces armées ont affirmé que « toute attaque contre les biens yéménites ou les bases de lancement de missiles du Yémen ferait couler du sang sur toute la mer Rouge », affirmant qu’elles possédaient « des armes capables de couler vos porte-avions et vos destroyers ».

Liu Rui, Global Times

L’escalade des actions depuis lors est manifeste. Dans un discours prononcé le 20 décembre, le chef d’Ansar Allah, Sayyed Abdul Malik Al Houthi, a déclaré que la responsabilité du monde islamique dans le conflit en Palestine était grande, en particulier celle de la région arabe, qui est « le cœur de ce monde" » À cet égard, il a déploré la position arabo-islamique lors des sommets organisés pour discuter de la question, en particulier celui qui s’est tenu en Arabie saoudite. Al Houthi a qualifié cette position de faible. Il a déclaré que les peuples arabes et musulmans devraient s’engager à soutenir la Palestine, tout en déplorant l’approche de certains pays à l’égard de ce qu’il a appelé la « conspiration contre la Palestine ». Le dirigeant yéménite a déclaré que son pays n’attendait pas des USA et des pays européens une position ou un rôle positif à l’égard de la Palestine. Pour ces raisons, il a estimé que la perspective de l’axe de la résistance devrait viser à élever le niveau de soutien militaire à la Palestine.

Dans ce contexte, Al Houthi a averti qu’Ansar Allah « attaquerait les navires de guerre usaméricains si ses forces étaient attaquées par Washington après le lancement de l’opération Prosperity Guardian ». Selon Al Houthi, les USA n’essaient pas de protéger la navigation mondiale, mais cherchent à militariser l’espace maritime.

Toutefois, les USA ne sont pas parvenus à un consensus sur la manière de mener à bien les missions de l’alliance navale ainsi créée. Les désaccords avec les pays arabes appelés à rejoindre la coalition ont empêché une réponse cohérente aux attaques des Houthis contre les navires transitant par la mer Rouge. Deux pays clés de la région impliqués dans la longue guerre contre le Yémen - les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite - ont des positions opposées à l’égard des Houthis, ce qui a constitué un obstacle majeur au plan usaméricain visant à mettre fin aux attaques maritimes. L’une des possibilités envisagées par Washington est une réponse militaire aux Houthis, mais certains alliés arabes ont refusé de le faire. Ils préfèrent insister sur la voie diplomatique et renforcer la protection maritime des navires.

Les analystes spécialisés consultés sur le sujet s’accordent à dire que les objectifs de l’opération sont vagues si l’on considère que les commandants navals n’ont pas reçu de missions précises. De même, les navires de guerre de la coalition, bien qu’équipés d’un armement de pointe, ne peuvent que se limiter à repousser les attaques de missiles en escortant les navires marchands, ce qui est discutable étant donné que l’arsenal de missiles du Yémen est inépuisable à la lumière des actions entreprises au cours des huit dernières années, De plus, « ni les dirigeants des compagnies maritimes mondiales, ni les capitaines des navires marchands, ni les assureurs ne seront prêts à jouer à la loterie », selon Ilya Kramnik, expert russe des forces navales.

De même, Michael Horton, cofondateur de Red Sea Analytics International, une société de conseil indépendante qui se consacre à l’analyse impartiale de la dynamique de la sécurité en mer Rouge, a noté que les Houthis « n’ont déployé qu’une fraction de leurs armes, n’utilisant pas de missiles à plus longue portée, de drones plus avancés et de mines marines difficiles à détecter ».

Dans cette situation, le vice-amiral usaméricain Kevin Donegan a noté que « les USA ont également accepté comme normales les attaques persistantes [...] des Houthis ». Selon le New York Times, cette situation a contraint le président Biden à faire un choix difficile concernant les futurs plans de dissuasion à l’égard des Houthis. Pour ce faire, il doit se demander si l’Arabie saoudite ne cherche pas une escalade du conflit qui pourrait faire échouer une trêve durement négociée avec les rebelles. Pour sa part, Tim Lenderking, l’envoyé spécial des USA pour le Yémen, a déclaré à la mi-décembre : « Tout le monde cherche un moyen de désamorcer les tensions ».

De l’autre côté du conflit, le 24 décembre, le commandant des Gardiens de la révolution iraniens, le général de division Hossein Salami, a annoncé que le blocus naval d’Israël pourrait évoluer vers un blocus naval total si la mer Méditerranée, le détroit de Gibraltar et d’autres voies d’eau étaient fermés. À ce jour, le Yémen a déjà réussi à bloquer la quasi-totalité du port israélien d’Eilat, sur la mer Rouge, qui ne fonctionne qu’à 15 % de sa capacité. Il convient de noter que les milices d’Ansar Allah ont réussi à frapper un navire israélien en mer d’Oman, près de l’Inde, loin du territoire yéménite. De son côté, l’Iran dispose de drones et de missiles hypersoniques à longue portée qui, en cas de guerre totale contre le sionisme, pourraient facilement viser les navires commerciaux traversant la Méditerranée en direction des ports israéliens.

De même, en préparation d’une bataille plus large contre Israël, l’armée yéménite a annoncé qu’elle disposait de 20 000 soldats réservistes entraînés, prêts à combattre aux côtés des forces armées du pays contre l’entité sioniste et la coalition dirigée par les USA.

Le 28 décembre, le Yémen a mis en garde les USA et ses partenaires contre la militarisation de la mer Rouge et a déclaré qu’il intensifierait ses attaques contre ses ennemis si le blocus de Gaza se poursuivait. Dans ce contexte, un jour plus tôt, les hauts commandants des forces armées du Yémen se sont réunis pour discuter des derniers développements régionaux et examiner l’état de préparation au combat des troupes. À l’issue de la réunion, ils se sont déclarés prêts à exécuter les ordres du chef d’Ansar Allah.

Le 4 janvier, après qu’un contingent naval yéménite s’est retrouvé face à face avec des forces militaires usaméricaines en mer Rouge, perdant trois petits bateaux et dix combattants, le commandant des forces de défense côtière yéménites, le général de division Mohhamed Al Qadiri, a averti que le Yémen ne se réservait pas le droit de répondre, mais qu’il répondrait en déterminant la cible dans chaque cas sur les îles, en mer Rouge et dans « les bases où sont stationnés les sionistes et les USAméricains ».

Si les USA et leur alliance décident finalement de défier directement les Houthis en mer Rouge, ils devront faire face à une vaste guerre navale dans le golfe d’Aden, la mer d’Arabie et l’océan Indien. Si cela devait se produire, cela déclencherait une spirale de confrontation inarrêtable aux dimensions incalculables.

En tout état de cause, le Yémen a déjà réussi à utiliser sa position stratégique en tant que force dans les équilibres mondiaux et à s’affirmer comme un élément important de l’équation conflictuelle en cours et à exprimer l’une des formes les plus courageuses de soutien au peuple palestinien face à la machine de guerre israélienne soutenue par les USA et le Royaume-Uni, constituant ainsi une monnaie d’échange importante contre le sionisme et son mentor usaméricain.

Contrôler le canal de Suez, c’est contrôler 90 % du commerce mondial, ce qui affecte directement Israël en frappant son économie. En ce sens, les Houthis ont réussi à faire ce qu’Israël et les USA ont jusqu’à présent essayé d’éviter à tout prix : « transformer le génocide à Gaza en une crise mondiale ».

Le journaliste libanais Khalil Harb, citant la Banque mondiale dans un article du magazine en ligne The Cradle, a écrit qu’Israël importe et exporte « près de 99 % des marchandises par voie fluviale et maritime » et que « plus d’un tiers de son PIB dépend du commerce de marchandises ».

Pour sa part, le journaliste brésilien spécialisé en politique internationale Eduardo Vasco a souligné qu’en plus de l’impact direct du mouvement Houthi en Asie occidentale, ses actions « paralysent l’économie mondiale, c’est-à-dire le fonctionnement même du régime capitaliste, qui est à l’origine du problème de la guerre d’agression au Moyen-Orient ». Dans ce contexte, Vasco estime que les UA et Israël ne peuvent pas attaquer directement le Yémen parce qu’il pourrait y avoir des représailles contre les alliés des USA dans la région 3principalement contre leurs champs pétroliers, ce qui aggraverait brutalement la crise économique avec une crise pétrolière (qui a déjà commencé) ». C’est pourquoi, alors que les Émirats arabes unis souhaitent une action forte contre les Houthis, les Saoudiens se montrent prudents.

En dernière heure et presque au moment de conclure cet article, on apprend que le Yémen a attaqué un navire usaméricain transportant des fournitures pour Israël, en réponse aux récentes attaques usaméricaines contre les forces navales yéménites.

Répondant également aux déclarations du secrétaire d’État usaméricain Anthony Blinken, le vice-ministre des affaires étrangères du Yémen, Hussein Al Ezzi, a réaffirmé « la sécurité de la navigation vers toutes les destinations, à l’exception des ports de la Palestine occupée », démentant catégoriquement les fausses informations diffusées par Washington, Londres et Berlin au sujet de la sécurité de la navigation.

Les lignes qui précèdent illustrent la capacité et la détermination du peuple yéménite à jouer un rôle de premier plan dans la guerre d’Israël contre la Palestine. En fait, elles montrent que, bien qu’il s’agisse d’un petit pays globalement et régionalement marginalisé par rapport au développement économique, il conserve une volonté de se battre qui exprime le sentiment séculaire d’exister en tant que nation indépendante, défiant les principales puissances mondiales en entravant et en empêchant l’exécution de leur politique impériale dans la région par le biais de leur soutien inconditionnel à Israël.

Mahmoud Rifai

 

11/01/2024

GIDEON LEVY
L’arbre (136 otages israéliens) qui cache la forêt (2,3 millions d’otages et 30 000 morts palestiniens)

Gideon Levy, Haaretz, 11/12024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Shai Wenkert est le père d’Omer Wenkert, 22 ans, qui souffre de colite et est retenu en otage par le Hamas. La colite est une affreuse maladie chronique qui peut être aggravée dans des conditions de stress et en l’absence de médicaments et d’une alimentation appropriée. Elle cause beaucoup de souffrances aux personnes qui en sont atteintes.

Emad Hajjaj

 Le père d’Omer a lancé des avertissements depuis toutes les tribunes possibles : son fils est en danger de mort. Il essaie de ne pas penser à l’état de son fils, a-t-il déclaré lors d’une interview, mais il n’y parvient pas toujours. En effet, penser à une personne souffrant de colite et n’ayant pas de médicaments, captive du Hamas, c’est comme penser à l’enfer. Omer doit être libéré, ou au moins obtenir rapidement les médicaments dont il a besoin.

On ne peut pas garder son sang-froid face aux appels de son père. Il n’y a personne qui ne soit horrifié à l’idée de la souffrance du jeune Omer. En même temps, on ne peut que se demander combien de personnes souffrant de colite il y a actuellement à Gaza, dans les mêmes conditions qu’Omer, sans médicaments, sans nourriture et dans le stress.

Omer est emprisonné ; les habitants de la bande de Gaza atteints de colite et d’autres maladies chroniques fuient désespérément pour sauver leur vie. Ils n’ont pas de lit sur lequel poser leur corps malade et douloureux, ils n’ont pas de maison, leurs conditions d’hygiène sont épouvantables. Ils vivent depuis trois mois dans la peur constante de mourir, sous des bombardements et des tirs d’artillerie sans précédent.

Omer a été kidnappé et est un otage. Les habitants de la bande de Gaza sont également des otages et les conditions dans lesquelles ils vivent, y compris les malades, ne sont pas meilleures que l’enfer d’Omer. Eux aussi ont besoin d’aide. Eux aussi doivent au moins recevoir rapidement les médicaments dont ils ont besoin. Il est dommage que le père d’Omer pense que refuser l’aide humanitaire à Gaza, y compris aux personnes atteintes de colite, est le moyen de sauver son fils. Cependant, il ne faut pas se précipiter pour juger une personne en crise.

 

Allan McDonald

Il n’y a pas de différence entre Omer et Mohammed, tous deux atteints de colite. Ils partagent un destin similaire, d’une cruauté insoutenable. J’essaie d’imaginer le jeune Mohammed atteint de colite. Depuis 16 ans que Gaza est assiégée, il est peu probable qu’il ait reçu les meilleurs médicaments disponibles pour traiter sa maladie. Il était difficile, voire impossible, de le faire sortir du ghetto de Gaza pour qu’il reçoive un traitement médical lorsque sa maladie s’aggravait.

Aujourd’hui, Omer est emprisonné dans un tunnel sombre et effrayant et Mohammed erre dans les rues, affamé, au risque de contracter une épidémie, une infection intestinale ou toute autre maladie. À tout moment, le prochain obus peut l’atteindre. Mohammed et Omer souffrent de tourments que nous ne pouvons même pas imaginer.

Aux 136 otages israéliens, il faut ajouter 2,3 millions de Gazaouis, ou le nombre d’entre eux encore en vie, également otages.

Les Israéliens sont les otages du Hamas, tandis que les Gazaouis sont les otages à la fois d’Israël et du Hamas [sic]. Leurs destins sont liés. Lorsque les otages libérés par le Hamas ont parlé de la maigre nourriture qu’ils recevaient en captivité, une pita par jour avec un peu de riz de temps en temps, ils ont également indiqué que c’était exactement ce que recevaient leurs ravisseurs. Il y a là matière à réflexion, ce que personne en Israël n’a pris la peine de faire. C’est ce qui se passe actuellement à Gaza, pour les otages et leurs ravisseurs, mais personne n’en parle.

Seule la souffrance d’Omer fait mal, pas celle de Mohammed. Les Israéliens ont été emmenés de force en enfer. Les habitants de la bande de Gaza ont également été enlevés de force vers le même enfer. Le Hamas savait parfaitement à quel point la riposte d’Israël serait intense, mais il n’a pas pris la peine de préparer la moindre protection pour les habitants de Gaza : pas d’hôpitaux, pas d’approvisionnement en médicaments ou en nourriture, pas d’abris. Ce fut le premier kidnapping d’habitants de Gaza. À cela s’est ajoutée une nouvelle occupation israélienne de Gaza, plus cruelle que toutes les précédentes.

Le père d’Omer, comme on l’a dit, essaie de ne pas penser à ce que son fils traverse. On peut avoir de l’empathie pour lui. Il est impossible pour un père d’imaginer la souffrance de son enfant et de se sentir si impuissant à essayer de le sauver. L’estomac se retourne en entendant les cris du père. Mais on ne peut pas continuer à fermer les yeux et à endurcir son cœur face à la souffrance du reste des otages, de toute la population de la bande de Gaza, y compris les personnes atteintes de colite.


Fadi Abou Hassan 

09/01/2024

MAYA LECKER
Mike Pence n'aurait pas dû signer son nom sur une bombe israélienne


Maya Lecker, Haaretz, 7/1/2024
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala 

Maya Lecker est rédactrice en chef adjointe du quotidien Haaretz

Ce que l'on peut pardonner aux gens ordinaires qui n'ont que peu de contrôle sur leur vie, ne devrait pas l’être pour les puissants chefs d'État et décideurs .

Les gens ordinaires ont si peu de contrôle sur leur vie de nos jours. Cela a probablement toujours été vrai (selon votre vision théologique et philosophique du monde, et parfois selon le type de régime qui vous gouverne), mais en ce moment, dans l'Israël de l'après-7 octobre, il est difficile de ne pas avoir l'impression de perdre la main.

À la suite du 7 octobre et des affrontements militaires aux frontières sud et nord, des centaines de milliers de personnes ont été évacuées de leurs maisons et n'ont aucune idée de la date à laquelle elles seront autorisées à y retourner - si tant est qu'elles y retournent - et de ce qui les y attendra. Cela fait des mois qu'elles n'ont pas pu préparer un repas dans leur cuisine, arroser leurs plantes, conduire leurs enfants à l'école ou se rendre chez l'épicier de leur quartier.

Des centaines de milliers de personnes ont également été appelées au service de réserve, laissant derrière elles des familles, des emplois et des entreprises qui s'effondrent, sans aucune certitude de recevoir un jour une compensation de l'État. Les gens ont perdu des membres de leur famille et des amis, sont en proie au chagrin et au traumatisme, et se rendent compte que les autorités sur lesquelles ils comptaient pour assurer leur sécurité et leur protection sont inutiles au moment où ils en ont le plus besoin.

Certaines de ces personnes, en particulier celles qui ont perdu des proches le 7 octobre et au cours de la guerre, se sont prises en photo en train de s'adonner à l'art morbide et vengeur de signer un missile des FDI ou un obus de mortier sur le point d'être lancé vers Gaza ou le Liban. Certains ont ajouté une dédicace à leur proche ou à leur pays, ou encore un poème.

Pour certains d'entre nous qui regardent, surtout de loin, cela semble contre-intuitif, voire grotesque : pourquoi quelqu'un qui vient de perdre un ami ou un membre de sa famille dans un terrible attentat terroriste voudrait-il participer à la souffrance d'une autre personne ? Pourquoi poursuivre le cercle de la violence ? Pour d'autres, tout cela est parfaitement logique : les gens trouvent du réconfort dans l'acte symbolique qui leur donne l'impression de participer à la riposte. Et de toute façon, les missiles avec quelques gribouillis faits au marqueur noir sont-ils plus mortels que les autres ? Le problème ne réside-t-il pas dans les missiles eux-mêmes ?

Mais ce que l'on peut pardonner à des gens ordinaires qui n'ont que peu de contrôle sur les aspects de leur vie, on ne peut le pardonner à des chefs d'État et à des décideurs puissants. Lorsque le président israélien Isaac Herzog a signé un obus de mortier lors d'une séance de photos avec des soldats des FDI à la frontière le mois dernier, il disait - comme l'a souligné la journaliste du Haaretz Netta Ahituv - que la “vengeance” est un objectif officiel de la guerre.

Et lorsque l'ancien vice-président usaméricain Mike Pence - représentant d'un pays qui a le pouvoir d'utiliser le soutien militaire et financier à Israël pour changer le cours de la guerre - a signé un mortier lors d'une visite à la frontière libanaise la semaine dernière, il a envoyé un message de tuerie joyeuse et de pensée non critique. Bien entendu, Herzog a remercié Pence pour son “engagement inébranlable envers Israël”.

Laissez tomber les marqueurs, s'il vous plaît.

 

Mike Pence, ancien vice-président de Trump, se dit “évangélique catholique”. Apparemment, il ignore le Sixième Commandement (“Tu ne tueras point ”)

“For Israel-Mike Pence”
 

08/01/2024

Gedichte für Palästina


Aktuelle Gedichte von neun palästinensischen DichterInnen und Aktionen, die Ihr jetzt ergreifen könnt, um den Völkermord zu stoppen
Übersetzt von Milena Rampoldi
Herausgegeben von Fausto Giudice

The Glocal Workshop/Die Glokale Werkstatt
Sammlung „erga omnes“ Nr. 3
Dezember 2024
23 Seiten
English original

Dewey-Klassifikation: 800 -956

Kostenfrei
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GIDEON LEVY
Bonne chance à la Cour internationale de Justice, les Israéliens devraient espérer qu’elle décidera d’arrêter l’opération à Gaza

Gideon Levy, Haaretz, 7/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Israël n’est pas entré en guerre pour commettre un génocide - cela ne fait aucun doute - mais il le commet dans la pratique, même s’il n’en a pas l’intention [?]. Chaque jour qui passe dans cette guerre, avec ses centaines de morts, renforce les soupçons qui pèsent sur Israël.

Emad Hajjaj

Quiconque voit la poursuite inutile de la guerre et l’ampleur du massacre et de la destruction dans la bande de Gaza, quiconque veut mettre fin à la souffrance inhumaine de plus de deux millions d’êtres humains doit espérer, ne serait-ce qu’au fond de son cœur, que la Cour internationale de Justice de La Haye prononcera une mesure provisoire ordonnant la suspension des opérations militaires d’Israël dans la bande de Gaza.

Il n’est pas facile pour un Israélien de souhaiter une décision de justice contre son pays qui pourrait également conduire à des mesures punitives à son encontre, mais y a-t-il un autre moyen d’arrêter la guerre ?

Il n’est pas facile de savoir que son État est poursuivi par un État qui en sait long sur les régimes injustes et le mal, et dont le dirigeant fondateur était un modèle moral pour le monde entier. Il n’est pas facile d’être traduit devant le tribunal mondial par l’Afrique du Sud ; il n’est pas facile d’être accusé d’un génocide qui aurait été commis par un État fondé sur les cendres du plus vaste génocide de l’histoire.

Il n’est plus possible d’ignorer que des soupçons des pires crimes contre l’humanité et le droit international planent sur la tête d’Israël. On ne parle plus d’occupation, mais d’apartheid, de transfert involontaire de population, de nettoyage ethnique et de génocide. Qu’y a-t-il de plus grave que cela ? Il semble qu’aujourd’hui, aucun autre État ne puisse être accusé de toutes ces infractions.

Ces accusations ne peuvent être ni écartées d’un revers de main, ni mises sur le compte de l’antisémitisme. Même si certaines d’entre elles sont exagérées et même sans fondement [ ?], l’indifférence avec laquelle elles sont accueillies ici - et, comme toujours, retournées contre l’accusateur - pourrait être une bonne voie vers le déni et la répression, mais pas pour laver le nom d’Israël, et encore moins pour la réparation et la guérison du pays.

Plus de 20 000 morts en trois mois, dont des milliers d’enfants, et la destruction totale de quartiers entiers, ne peuvent que faire naître des soupçons de génocide. Les propos invraisemblables tenus par d’importantes personnalités israéliennes sur la nécessité de nettoyer la bande de Gaza de ses habitants, voire de les détruire, font peser le soupçon d’une volonté d’épuration ethnique. Israël mérite d’être jugé pour les deux.

Israël n’est pas entré en guerre pour commettre un génocide - cela ne fait aucun doute - mais il le commet dans la pratique, même s’il n’en a pas l’intention [ ?]. Chaque jour qui passe dans cette guerre, avec ses centaines de morts, renforce le soupçon. À La Haye, il faudra prouver l’intention, et il est possible qu’elle ne soit pas prouvée. Cela disculpera-t-il Israël ?

Les soupçons de projets de nettoyage ethnique, qui ne seront pas discutés à La Haye pour l’instant, sont plus fondés. Ici, l’intention est ouverte et déclarée. La ligne de défense d’Israël, selon laquelle ses ministres les plus importants ne représentent pas le gouvernement, est ridicule. Il est douteux que quelqu’un la prenne au sérieux.

Si le partisan du transfert Bezalel Smotrich ne représente pas le gouvernement, que fait-il en son sein ? Si Benjamin Netanyahou n’a pas licencié Itamar Ben-Gvir, en quoi le premier ministre est-il irréprochable ?

Mais c’est l’atmosphère générale en Israël qui devrait nous inquiéter encore plus que ce qui se passe à La Haye. L’air du temps indique qu’il est largement légitime de commettre des crimes de guerre. Le nettoyage ethnique de Gaza, puis de la Cisjordanie, fait déjà l’objet d’un débat. Le massacre des habitants de Gaza n’est même pas un thème dans le discours israélien.

Le problème de Gaza a été créé par Israël en 1948, lorsqu’il a expulsé des centaines de milliers de personnes vers ce territoire dans le cadre de ce qui était certainement un nettoyage ethnique complet du sud d’Israël : demandez à Yigal Allon. Israël n’en a jamais accepté la responsabilité.

Aujourd’hui, des membres du cabinet demandent que le travail soit terminé dans la bande de Gaza également. La manière écœurante dont la question du “jour d’après” est abordée - l’essentiel étant qu’Israël décide de quoi et qui se trouve à Gaza - montre seulement que l’esprit de 1948 n’est pas mort. C’est ce qu’Israël a fait à l’époque et c’est ce qu’il veut refaire.

La Cour internationale de justice décidera si cela suffit pour une condamnation pour génocide ou autres crimes de guerre. Du point de vue de la conscience, la réponse a déjà été donnée.

 

Le Palais de la Paix, siège de la Cour internationale de Justice (CIJ) à La Haye, 2013. Photo AP

 

06/01/2024

GIDEON LEVY
Quelqu’un dans l’armée israélienne a décidé de faire entrer cette zone tranquille de Cisjordanie dans le cercle de la violence
Un missile israélien a tué 6 jeunes dans le camp de réfugiés de Nur Shams

Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 5/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Un missile des FDI tiré sur le centre d’un camp de réfugiés de Cisjordanie a tué six jeunes et en a blessé sept. L’armée a d’abord refusé aux ambulances l’accès au site, et la police des frontières a frappé les blessés à coups de pied et de poing. Quelques jours plus tard, les troupes ont de nouveau envahi le camp

L'endroit près duquel le missile a explosé la semaine dernière, dans le camp de réfugiés de Nur Shams. Il a été tiré par un drone directement sur un groupe de jeunes qui, dit-on, ne faisaient rien de mal.

Au cours des derniers mois, même avant le 7 octobre, le camp de réfugiés de Nur Shams*, situé à la périphérie orientale de Toulkarem, dans le centre de la Cisjordanie, a été dans le collimateur des Forces de défense israéliennes. Il ne se passe pas une nuit sans qu’une incursion d’une violence inouïe n’ait lieu ; les routes d’accès et les rues à l’intérieur du camp ont depuis longtemps été détruites par les bulldozers.

Depuis le début de la guerre, les FDI ont intensifié ses frappes et se sont mises à tuer depuis les airs au moyen de drones. C’est ainsi qu’a commencé, dans la nuit de mardi à mercredi de la semaine dernière, une horrible série d’assassinats aveugles et de mauvais traitements infligés aux blessés, qui a duré jusqu’au début de cette semaine. Il ne faut pas longtemps pour que l’inspiration du comportement des FDI dans la bande de Gaza passe en Cisjordanie : ce qui est permis à Khan Younès l’est aussi à Nur Shams.

Le quartier d’Al Mahajar (“la carrière”) se trouve sur le flanc nord du camp, de part et d’autre de l’autoroute menant à Toulkarem. Al Mahajar est considéré comme relativement calme : jusqu’à la semaine dernière, les FDI y effectuaient rarement des raids, pas même lors de leurs incursions nocturnes dans le quartier Al Manshiya du camp, de l’autre côté de la route principale. Mais quelqu’un dans l’armée a décidé de faire entrer cette zone tranquille dans le cercle de la violence et de la résistance - et quel meilleur moyen que de tirer un missile, tard dans la nuit, directement sur un groupe de jeunes qui, selon des témoins, se tenaient innocemment dans le quartier. Six d’entre eux ont été tués d’un seul coup et sept autres blessés, certains ayant ensuite subi des violences physiques.

Lundi dernier, les rues du camp se sont remplies d’enfants : il n’y a pas d’école ici le jour de l’an. Nur Shams ressemble à Gaza, avec ses ruelles étroites et ses ordures qui jonchent le sol. À côté de l’endroit où le missile est tombé, en face de l’épicerie locale, des techniciens de la compagnie de téléphone palestinienne s’affairent à réparer les poteaux et les lignes endommagés. Le cratère que le missile a creusé dans la route a déjà été comblé.

Le fils de la famille Shehadeh, Mohammed, 25 ans, qui marche à l’aide d’une béquille, nous attend dans la maison des réfugiés. Enseignant à l’école primaire, il a été blessé au bassin par des éclats d’obus. Il a rapidement été rejoint par son cousin et meilleur ami, Awas Shehadeh, 23 ans, gardien de but de l’équipe nationale de football de Palestine et titulaire d’une maîtrise en éducation physique du Kadoorie College de Toulkarem. Awas est également le gardien de but de l’équipe de football Al Quds, basée à Al Ram, juste à côté de Jérusalem. Le 9 octobre, l’équipe devait s’envoler pour le Tadjikistan. Aujourd’hui, sa tête est bandée et lui aussi peut à peine marcher. Des fragments du missile l’ont frappé à la tête.

Awas et Mohammed Shehadeh cette semaine. L’un des soldats a demandé à Mohammed où il avait été blessé et, lorsqu’il a indiqué l’endroit où il saignait au niveau du bassin, il a commencé à lui donner des coups de pied à cet endroit.

 Les deux hommes ont raconté avec force détails ce qui leur est arrivé cette nuit-là, ainsi que la nuit de samedi dernier. Leurs pères - des frères qui travaillent tous deux depuis des dizaines d’années en Israël et qui ont demandé à ce que leur nom ne soit pas mentionné - écoutent.

L’invasion du camp a commencé vers 23 heures le 26 décembre, dans le quartier d’Al Manshiya. Les bruits des tirs et des explosions étaient très bien entendus ici et atteignaient également le village distant d’Atil, où vit Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem. Il nous a courageusement accompagnés jusqu’au centre du camp de réfugiés - il n’est pas facile d’escorter des Israéliens dans ce camp en temps de guerre.

Revenons à cette nuit-là : Environ 13 jeunes du quartier sont descendus dans la rue et se tenaient à côté de l’épicerie. Le quartier est construit sur la pente d’une colline, d’où l’on peut observer la partie sud du camp, qui était alors pris d’assaut par l’armée.

Vers minuit, alors qu’ils étaient là à regarder les événements se dérouler, un missile tiré par un drone au-dessus de leur tête s’est abattu sur le groupe dans un grondement de tonnerre. « Ça a été un moment terrible », se souvient Mohammed. « Une scène de terreur difficile à décrire ». Il a ressenti un coup violent au niveau de la hanche et s’est écroulé sur le sol. Awas a été projeté dans les airs et a atterri sur la route, avant de découvrir qu’il saignait de la tête et du cou à cause des fragments qui l’avaient frappé.

Autour d’eux, il y avait des morts et des mourants. Deux membres du groupe sont morts sur le coup, un autre a perdu ses deux jambes, le visage d’un autre a été déchiqueté, trois autres sont dans un état très grave. Les cris des blessés, qui se mêlaient à ceux des gens qui s’étaient précipités dans la rue, étaient insupportables, raconte Mohammed. La plupart des morts et des blessés étaient plus jeunes que lui et Awas.

Mohammed a entendu un bruit dans sa tête qui n’a pas cessé de l’accompagner pendant un certain temps. Il a senti qu’il perdait connaissance. Lui et Awas disent avoir eu peur que le premier missile soit suivi d’un second, comme cela s’était produit deux semaines plus tôt à côté du camp, lorsque, alors que les habitants évacuaient les morts et les blessés, un autre missile a explosé au milieu d’eux. Adham Shehadeh, 33 ans, leur ami, qui s’est joint à notre conversation, était allé aux toilettes une minute avant l’explosion du missile et a donc été épargné. « J’ai été sauvé par un miracle", dit-il dans son hébreu d’ouvrier.

Des techniciens réparent les lignes téléphoniques endommagées par le missile, cette semaine. « ça a été un moment terrible », se souvient Mohammed. « Une scène de terreur difficile à décrire. »

Deux ambulances ont été dépêchées sur place, l’une du Croissant-Rouge, l’autre d’Al Shifa, une clinique privée. En attendant leur arrivée, les blessés ont été aidés par des jeunes du camp, dont beaucoup ont suivi des cours de premiers secours, qui sont désormais très demandés ici. La première ambulance est arrivée au bout d’une demi-heure, après avoir été bloquée sur l’autoroute, et a accueilli les trois jeunes les plus gravement blessés avant de repartir. La seconde ambulance n’a pas eu d’autre choix que d’entasser trois blessés dans son espace étroit : Awas, Mohammed et un autre jeune, Mahmoud Rashad, 19 ans, dont la jambe saignait. Ils ont ensuite été confrontés à un autre problème.

Au bout de la route qui descend du quartier, un important dispositif de la police des frontières les attendait. Tirant en l’air, ils ont ordonné à l’ambulancier de s’arrêter, de couper le moteur et de ne regarder que vers l’avant, selon le témoignage qu’il a donné à Sadi. L’ambulancier a déclaré que son arrivée dans le camp avait été organisée par l’intermédiaire de la Direction de la coordination et de la liaison. La police des frontières a ouvert les portes latérales et arrière de l’ambulance. Ils ont attrapé Mohammed, qui était assis sur le siège à côté de la porte latérale, et l’ont jeté sur la route. Mohammed a entendu l’un des hommes dire à un autre : « Tire-lui une balle dans la tête », et la terreur l’a envahi. La terreur l’envahit : « Pourquoi ? Je n’ai rien fait ! », a-t-il crié, impuissant.

Les soldats ont menotté Mohammed dans le dos, lui ont fait écarter les jambes pour le fouiller, lui ont bandé les yeux et lui ont demandé de s’agenouiller sur le sol, la tête baissée. L’un des soldats lui a demandé où il avait été blessé et, lorsqu’il a indiqué le point de saignement dans son bassin, a commencé à lui donner des coups de pied à cet endroit. Chaque coup de pied était accompagné de jurons. Selon Mohammed, ce fut le début d’une série de coups de poing et de pied de la part de nombreux agents de la police des frontières, qui se sont relayés pour le frapper alors qu’il était agenouillé sur le sol. La plupart des soldats étaient masquées. Quelques-uns l’ont frappé à la tête avec la crosse de leur fusil. L’un d’eux lui a donné un coup de pied dans les testicules. Un autre lui a demandé « Tu veux ta jambe ? » en pointant son fusil sur la jambe de Mohammed.

Entre-temps, ils ont également vérifié et découvert qu’il avait un casier judiciaire vierge. Les deux autres Palestiniens blessés attendaient dans l’ambulance, étourdis et perdant du sang. Lorsque Mohammed a dit à un officier qui l’a interrogé sur place, par téléphone, qu’il avait été battu, les soldats l’ont puni en le frappant à nouveau. « Personne n’est propre à Nur Shams, vous êtes tous des putes et de fils de pute », lui ont-ils dit, comme le disent leurs copains de Gaza.

Cette semaine, un porte-parole de la police israélienne a déclaré à Haaretz : « Au cours des opérations menées par les forces de sécurité pour prévenir le terrorisme, des terroristes ont lancé des engins [explosifs] dans leur direction et ont mis en danger la vie de nos forces. Les combattants ont agi pour préserver la sécurité, ont examiné les suspects et ont permis aux blessés d’être évacués en ambulance ».

Les ruelles de Nur Shams

Lorsqu’il cesse de se sentir dans les vapes, il découvre qu’il est dans l’ambulance et que sa tête a été bandée. « Tu resteras ici jusqu’à ce que tu crèves, tu n’iras pas à l’hôpital », a menacé l’un des soldats. Un autre a pris un selfie avec le blessé en guise de souvenir. Ils ont maudit les blessés palestiniens et se sont moqués d’eux. Ce n’est qu’au bout d’une heure environ que l’ambulance a été autorisée à partir et qu’elle s’est rendue à l’hôpital Thabet Thabet, une institution gouvernementale située à Toulkarem.

Samedi soir dernier, les FDI ont à nouveau pénétré dans le camp de réfugiés. Selon des témoins oculaires, il y avait environ 200 soldats. Entrant dans les maisons du quartier d’Al Mahajar, ils ont ordonné à tous les hommes de plus de 14 ans de se rassembler dans une seule maison, où ils ont tous été ligotés et ont eu les yeux bandés. Mohammed, qui était sorti de l’hôpital au bout de deux jours, faisait partie de ce groupe. Une quinzaine d’hommes et d’adolescents ont été entassés dans chacune des pièces, dans une grande promiscuité. Il a entendu les soldats : « Ce sont des connards du Hamas, peut-être qu’on va les prendre et les jeter dans le Jourdain ? » « Non, si on les jette dans le Jourdain, ils vont revenir. » « Peut-être qu’on devrait leur tirer à chacun une balle dans la tête ? » « Non, c’est dommage de gaspiller l’argent que coûte une balle, 10 agurot [quelques centimes] par balle. On les prend et on les jette à Gaza. » « Il n’y a plus de Gaza. On les emmène dans le Sinaï. » « Qu’ils aillent se faire voir à Khan Younès, on va raser toutes leurs maisons ici et on agrandira le pays pour nous ».

Ça a continué comme ça dans les chambres bondées de 2 h 30 à 10 h du matin, le dimanche. Quiconque demandait à se soulager se voyait répondre : « Qu’est-ce que tu crois, que tu es à l’école ? Pisse dans ton froc ».

Cette semaine, l’unité du porte-parole des FDI a fait la déclaration suivante à Haaretz : « Dans la nuit du 26 décembre, les forces des FDI, du Shin Bet et de la police des frontières ont entrepris une opération anti-terroriste dans le camp de réfugiés de Nur Shams, qui est sous l’autorité de la brigade territoriale Menashe. Au cours de l’action, les soldats ont identifié des terroristes qui leur ont lancé des engins [explosifs]. Un véhicule aérien de l’armée de l’air a attaqué le gang, et six des terroristes ont été éliminés.

« Dans la nuit du 31 décembre, les FDI ont de nouveau mené une opération dans le camp de réfugiés de Nur Shams, au cours de laquelle des dizaines de suspects ont été interrogés. Cinq d’entre eux ont été arrêtés et transférés pour être interrogés par les forces de sécurité. Certains des suspects ont été détenus pendant plusieurs heures en raison de la longueur de l’opération et de la nature de l’interrogatoire. Les forces ont permis à ceux qui le souhaitaient de satisfaire leurs besoins physiques. Tout au long de l’action, il y a eu des échanges de tirs, ce qui explique que les forces aient retenu certains des suspects pendant toute la durée de l’opération. Lorsque les forces ont quitté les lieux, les suspects ont été relâchés ».

Finalement, les soldats sont partis, laissant les dizaines d’hommes toujours ligotés et les yeux bandés. En sortant, les troupes ont éclaté quelques pare-brise de voitures. Nous les avons vus cette semaine, brisés.

NdT
*Le camp de Nur Shams (« Lumière du soleil »), à 3 km de Toulkarem, comptait 13 519 habitants dont 4 440 enfants en 2022. Il a été établi en 1952 par des habitants de Haïfa chassés par la Nakba, après que leur premier campement, près de Jénine, eut été détruit par une tempête de neige. Le camp est surpeuplé, avec une densité de 64 376 habitants au km2 (à comparer avec Toulkarem : 2 725, ou Haifa : 4 714)

04/01/2024

GIDEON LEVY
Aucun soldat israélien ne s’est levé pour refuser de participer à cette guerre infernale

Gideon Levy
, Haaretz, 3/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Personne ne s’est levé. Jusqu’à présent, pour autant que l’on sache, aucun cas de désobéissance n’a été enregistré au sein de Tsahal depuis le début de la guerre, à l’exception d’un jeune homme avant son recrutement.

Les pilotes bombardent comme jamais auparavant, les opérateurs de drones tuent à distance dans des quantités jamais atteintes auparavant, les artilleurs bombardent plus que jamais, les opérateurs de matériel lourd détruisent comme jamais auparavant, et même les gardiens de prison maltraitent les prisonniers comme jamais auparavant - et personne ne s’est levé.

Des Palestiniens se rassemblent pour recevoir leur part de nourriture offerte par des bénévoles, dans un contexte de pénurie alimentaire dans le sud de la bande de Gaza, le mois dernier. Photo : IBRAHEEM ABU MUSTAFA/ REUTERS

Parmi les centaines de milliers de réservistes et d’engagés - laissons de côté les soldats appelés en raison de leur âge, de leur statut et du lavage de cerveau dont ils font l’objet - il n’y a pas un seul soldat ou officier, pilote ou artilleur, parachutiste ou soldat de Golani qui ait dit : « C’est assez : Ça suffit. Je ne suis pas prêt à continuer à participer au massacre, je ne suis pas prêt à être associé à la souffrance inhumaine ». Aucun gardien de prison ne s’est non plus levé pour dire la vérité sur ce qui se passe entre les prisons de sécurité de Sde Teiman et de Megiddo, et poser les menottes sur la table.

A priori, les FDI devraient se réjouir d’une guerre totalement consensuelle, sans bruits de fond. Mais l’absence totale de désobéissance devrait susciter des réflexions inquiétantes ; elle témoigne d’une obéissance automatique plutôt que d’une bonne citoyenneté. Une guerre aussi brutale qui n’a pas encore suscité de doutes parmi les combattants témoigne d’un aveuglement moral. Les pilotes et les opérateurs de drones sont une chose, ils voient leurs victimes comme de petits points sur un écran. Mais les soldats et les officiers au sol à Gaza voient ce que nous avons fait. La plupart d’entre eux sont des réservistes, des parents d’enfants.

Des Palestiniens déplacés s’abritent dans un camp de tentes à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi. Photo : Shadi Tabatibi/REUTERS

Ils voient plus d’un million de personnes dépourvues de tout s’entasser à Rafah. Ils voient les corps dans les rues, les restes de vie dans les ruines, les poupées des enfants et leurs lits, les haillons en lambeaux et les meubles cassés. Tous les soldats pensent-ils que le Hamas est à blâmer, que tout Gaza est le Hamas, qu’ils méritent tout cela et que cela profitera à Israël ?

L’absence d’insubordination est encore plus évidente si l’on considère ce qui s’est passé ici l’année dernière, avant le 7 octobre. La désobéissance était devenue une arme plus légitime et plus courante que jamais ; des milliers de pilotes et de réservistes ont menacé de l’utiliser.

En juillet, le mouvement des Frères et Soeurs d’armes a annoncé qu’environ 10 000 réservistes de 40 unités ne se porteraient pas volontaires pour le service de réserve si le coup d’État judiciaire du régime était adopté. Ils ont rejoint les 180 pilotes et navigateurs qui avaient déjà déclaré en mars qu’ils ne se présenteraient pas aux exercices d’entraînement, ainsi que 300 médecins militaires et 650 soldats de réserve des opérations spéciales et de la cybernétique. Avec autant de personnes menaçant de désobéir, l’absence totale de désobéissance aujourd’hui est particulièrement tonitruante.


Les manifestants de Frères et Sœurs d’armes au carrefour Hemed en juillet 2023 Photo : Olivier Fitoussi

La conclusion est que de nombreux soldats de carrière et de réserve sont convaincus que le coup d’État du régime était une cause juste et appropriée d’insubordination, contrairement à l’effusion de sang et à la destruction de Gaza. L’armée saccage une région entière avec ses habitants, et cela ne dérange pas la conscience de nos forces. La clause de raisonnabilité a davantage dérangé certains d’entre eux. Où sont les 10 000 soldats qui avaient menacé de désobéir à cause de Benjamin Netanyahou et de Yariv Levin ? Où sont les 180 pilotes ?

Ils sont occupés à bombarder Gaza, à l’aplatir, à la détruire et à tuer ses habitants sans distinction, y compris ses milliers d’enfants. Comment se fait-il qu’en juillet 2002, le bombardement de la maison de Salah Shehadeh, qui avait tué 14 habitants, dont 11 enfants, ait conduit à la “lettre des pilotes”, dans laquelle 27 pilotes déclaraient qu’ils refuseraient de participer à des missions d’attaque - et qu’aujourd’hui, il n’y ait pas même une carte postale d’un seul pilote ? Qu’est-il arrivé à nos pilotes depuis 2003, et qu’est-il arrivé aux soldats ?

La ville de Khan Younès, dans le sud de Gaza, le mois dernier. Photo : Mohammed Salem/Reuters

La réponse semble claire. Israël affirme qu’après l’horreur du 7 octobre, il est autorisé à faire n’importe quoi, et que tout ce qu’il fait est digne, moral et légal. L’insubordination en temps de guerre est une mesure beaucoup plus radicale que l’insubordination à l’entraînement, et elle frise même la trahison. Elle peut nuire aux frères et sœurs au combat. Mais l’absence totale de désobéissance après quelque 90 jours de guerre infernale n’a rien de réjouissant. Ce n’est pas bon. Peut-être que dans quelques années, certains le regretteront. Peut-être que certains en auront honte.