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01/02/2024

GIDEON LEVY
L’humilité des Israéliens après le 7 octobre a disparu. L’arrogance est de retour

Gideon Levy, Haaretz, 31/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Après la guerre du Kippour (octobre 1973), Israël a humblement baissé la tête et s’est remodelé. Le pays traumatisé s’est replié sur lui-même et a fait son deuil. L’arrogance et la vantardise de l’après-guerre des Six Jours (juin 1967) ont disparu, de même que le culte de la personnalité militariste et l’adoration de l’armée.


Il est d’ores et déjà clair que cette fois-ci, ce sera différent. L’arrogance, la vantardise et le culte de la puissance armée reviennent en force. En fait, ils n’ont jamais disparu. Le choc et l’impuissance, l’horreur et même l’humilité ont régné les premiers jours, mais l’arrogance est vite revenue.

Comme si Israël n’avait pas été pris par surprise et n’avait pas été attaqué par une armée assiégée et dépenaillée alors que sa propre armée était absente, sa puissance militaire s’était révélée peu fiable. Israël était plongé dans le deuil et l’inquiétude, comme après la guerre du Kippour, mais rien n’indiquait qu’il allait changer d’avis.

L’argument selon lequel continuer à vivre par l’épée ne peut que conduire Israël à la destruction est considéré comme une hérésie. Les dégâts de la guerre du 7 octobre 2023 sont donc pires que ceux de la guerre du 6 octobre 1973. Après cette dernière, il y a eu une correction ; cette fois-ci, il n’y a aucun signe de correction.

On aurait pu s’attendre à une réaction différente. Le 8 octobre, Haaretz a publié ce que j’avais écrit l’après-midi précédent, avant que l’ampleur des atrocités ne soit révélée : « L’arrogance israélienne est à l’origine de tout cela. Nous pensions que nous pouvions faire n’importe quoi sans jamais être pénalisés.

[…] Nous nous arrêterons, nous tuerons, nous abuserons, nous déposséderons, nous protégerons les colons pogromistes, nous ferons des pèlerinages au tombeau de Joseph, au tombeau d’Othniel, à l’autel de Josué et, bien sûr, au mont du Temple ; nous tirerons sur les innocents, nous crèverons des yeux et écraserons des visages.

Hier, Israël a vu sur les images du sud ce qu’il n’avait jamais vu auparavant. Des véhicules militaires palestiniens patrouillant dans ses villes, des motards franchissant ses portes. Ces images doivent faire tomber le voile de l’arrogance ».

Aujourd’hui, quatre mois plus tard, Israël agit comme si nous étions après le 5 juin 1967, et non après le 7 octobre 2023. Le discours est arrogant. Les généraux pérorent dans les studios : nous allons frapper ici, conquérir là, déplacer des forces de Beyrouth à Téhéran, en passant par la route Philadelphie et le Yémen, tandis que les soldats et les colons se déchaînent en Cisjordanie.

La discussion dans les médias passe des convulsions de l’armée à une effusion sirupeuse de sentiment national. Une guerre inutile est dépeinte sous un autre jour : celui des succès imaginaires. Il n’y a pas de soirée sans que l’on fasse l’éloge de la glorieuse armée, de la 162e division et de l’équipe de combat de la 401e brigade, comme s’il ne s’agissait pas de la même armée que celle du 7 octobre, comme si elle menait Israël vers une situation meilleure.

Personne n’exprime une opinion différente, sceptique, subversive. Il n’y a que des flatteries pour l’armée, pour la guerre, pour le peuple d’Israël, pour Israël pour toujours, pour tout le monde. La majorité des médias israéliens a trahi sa mission et son professionnalisme en faveur du déni, de la dissimulation et de l’embrigadement au service de la propagande.

Il y a une absence honteuse de reportages sur ce qui se passe dans la bande de Gaza - les ruines et les morts, les blessés, les estropiés, les affamés et les déplacés - accompagnée d’une arrogance qui s’est emparée de la discussion nationale et de la vie nationale.

Au Centre international des congrès de Jérusalem, nous construisons des colonies à Gaza. À Jénine, nous nous déguisons en équipesmédicales, en violation flagrante du droit international, sous les applaudissements. À Gaza, nous détruisons tout comme s’il n’y avait pas de lendemain. 

Dans les capitales du monde, nous menons une campagne pour définancer l’UNRWA, et à La Haye, nous essayons d’ignorer la Cour internationale de justice. Il n’y a nulle part d’humilité, de modestie, de pensée différente, de réflexion sur une nouvelle voie ou d’écoute du monde, ce qui est pourtant si important aujourd’hui.

Nous continuons à nous mentir sciemment, à croire que nous pouvons vivre éternellement par l’épée, que nous sommes toujours les plus justes, les plus forts, plus que tous les autres, plus que le monde entier. Ce ne serait pas si terrible si nous ne savions pas que cela mènera à la prochaine catastrophe.



Jürgen Habermas, le “Hegel de la République fédérale”, a enfin trouvé son Napoléon, et il s'appelle Benjamin Netanyahou
Misère de la philosophie allemande au XXIème Siècle

Ci-dessous trois textes illustrant le désastre de la pensée européenne au temps du génocide commis par l'armée la plus morale du monde avec la bénédiction et le soutien armé des dirigeants des puissances les plus éclairées de la planète. Traductions de Fausto Giudice, Tlaxcala

 Grâce à Gaza, la philosophie européenne a révélé sa faillite éthique

Hamid Dabashi, Middle Easte Eye, 18/1/2024

 Du nazisme de Heidegger au sionisme de Habermas, la souffrance de l’“autre” n’a que peu d’importance

Imaginez que l’Iran, la Syrie, le Liban ou la Turquie - pleinement soutenus, armés et protégés diplomatiquement par la Russie et la Chine - aient la volonté et les moyens de bombarder Tel-Aviv pendant trois mois, jour et nuit, d’assassiner des dizaines de milliers d’Israéliens, d’en mutiler d’innombrables autres, de faire des millions de sans-abri et de transformer la ville en un amas de décombres inhabitables, comme c’est le cas aujourd’hui à Gaza.

Imaginez quelques secondes : l’Iran et ses alliés ciblant délibérément des quartiers peuplés de Tel-Aviv, des hôpitaux, des synagogues, des écoles, des universités, des bibliothèques - ou tout autre lieu peuplé - afin de faire un maximum de victimes civiles. Ils diraient au monde qu’ils ne font que chercher le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son cabinet de guerre. 

Demandez-vous ce que feraient les USA, le Royaume-Uni, l’Union européenne, le Canada, l’Australie et l’Allemagne en particulier dans les 24 heures suivant l’assaut de ce scénario fictif.

Revenons maintenant à la réalité et considérons le fait que depuis le 7 octobre (et pendant des décennies avant cette date), les alliés occidentaux de Tel-Aviv ont non seulement été témoins de ce qu’Israël a fait au peuple palestinien, mais lui ont également fourni du matériel militaire, des bombes, des munitions et une couverture diplomatique, tandis que les médias usaméricains ont offert des justifications idéologiques pour le massacre et le génocide des Palestiniens. 

Le scénario fictif susmentionné ne serait pas toléré un seul jour par l’ordre mondial existant. Avec la puissance militaire des USA, de l’Europe, de l’Australie et du Canada qui soutiennent pleinement Israël, nous, les peuples sans défense du monde, tout comme les Palestiniens, ne comptons pas. Il ne s’agit pas seulement d’une réalité politique ; elle concerne également l’imaginaire moral et l’univers philosophique de ce qui s’appelle « l’Occident ».

Ceux d’entre nous qui se trouvent en dehors de la sphère de l’imagination morale européenne n’existent pas dans leur univers philosophique. Arabes, Iraniens et musulmans, ou peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, nous n’avons aucune réalité ontologique pour les philosophes européens, si ce n’est celle d’une menace métaphysique qu’il faut maîtriser et faire taire.

Depuis Emmanuel Kant et Georg Wilhelm Friedrich Hegel jusqu’à Emmanuel Levinas et Slavoj Zizek, nous sommes des bizarreries, des choses, des objets connaissables que les orientalistes étaient chargés de déchiffrer. À ce titre, le meurtre de dizaines de milliers d’entre nous par Israël, ou par les USA et leurs alliés européens, ne suscite pas la moindre réflexion dans l’esprit des philosophes européens. 

Publics européens tribaux

Si vous en doutez, il suffit de jeter un coup d’œil au philosophe européen Jurgen Habermas et à quelques-uns de ses collègues qui, dans un acte stupéfiant de vulgarité cruelle, se sont prononcés en faveur du massacre des Palestiniens par Israël [Voir leur texte ci-dessous]. La question n’est plus de savoir ce que nous pouvons penser d’Habermas, aujourd’hui âgé de 94 ans, en tant qu’être humain. La question est de savoir ce que nous pouvons penser de lui en tant que chercheur en sciences sociales, philosophe et penseur critique. Ce qu’il pense a-t-il encore de l’importance pour le monde, si tant est que ça en ait jamais eu ? 

Le monde s’est posé des questions similaires au sujet d’un autre grand philosophe allemand, Martin Heidegger, à la lumière de ses affiliations pernicieuses avec le nazisme. À mon avis, nous devons maintenant poser de telles questions sur le sionisme violent de Habermas et les conséquences significatives sur ce que nous pourrions penser de l’ensemble de son projet philosophique.

Si Habermas n’a pas un iota d’espace dans son imagination morale pour des personnes telles que les Palestiniens, avons-nous une raison de considérer que l’ensemble de son projet philosophique est lié de quelque manière que ce soit au reste de l’humanité - au-delà de ses publics européens tribaux immédiats ? 

Dans une lettre ouverte à Habermas [voir ci-dessous], l’éminent sociologue iranien Asef Bayat a déclaré que celui-ci « contredit ses propres idées » en ce qui concerne la situation à Gaza. Avec tout le respect que je lui dois, je ne suis pas d’accord. Je pense que le mépris de Habermas pour la vie des Palestiniens est tout à fait cohérent avec son sionisme. Il est parfaitement cohérent avec la vision du monde selon laquelle les non-Européens ne sont pas complètement humains, ou sont des « animaux humains », comme l’a ouvertement déclaré le ministre israélien de la défense Yoav Gallant.

Ce mépris total pour les Palestiniens est profondément ancré dans l’imagination philosophique allemande et européenne. Il est communément admis que la culpabilité de l’Holocauste a poussé les Allemands à s’engager fermement en faveur d’Israël.

Mais pour le reste du monde, comme le montre le magnifique document que l’Afrique du Sud a présenté à la Cour internationale de justice, il y a une parfaite cohérence entre ce que l’Allemagne a fait à l’époque nazie et ce qu’elle fait aujourd’hui à l’époque sioniste.

Je pense que la position d’Habermas est conforme à la politique de l’État allemand, qui participe au massacre des Palestiniens par les sionistes. Elle est également conforme à ce qui passe pour être la « gauche allemande », avec sa haine tout aussi raciste, islamophobe et xénophobe, et son soutien total aux actions génocidaires de cette colonie de peuplement qu’est Israël.

Nous devons être pardonnés si nous pensons que l’Allemagne n’est pas coupable de l’Holocauste, mais qu’elle a la nostalgie du génocide, puisqu’elle a assisté avec complaisance au massacre des Palestiniens par Israël au cours du siècle dernier (et pas seulement au cours des 100 derniers jours). 

31/01/2024

Pourquoi les Israéliens ne veulent pas savoir ce qui se passe réellement à Gaza, selon une étude psychologique


Yair Ben David, Haaretz, 20/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Yair Ben David est un conférencier israélien spécialisé dans la psychologie de la moralité. Il est l’auteur de deux livres qui explorent les subtilités de la moralité dans notre vie quotidienne : "Comment être bon" et "Comment être mauvais", tous deux publiés en hébreu par Kinneret Zmora-Bitan Dvir.

Une méta-analyse d’études comportementales s’interroge sur un phénomène étrange : qu’est-ce qui pousse les gens à fermer les yeux sur la vérité - à Gaza, par exemple ?

Dario Castillejos, Mexique

Une allégation fréquemment entendue à l’encontre des critiques d’Israël dans le monde, des campus universitaires des USA aux rues de Paris, à la lumière de la guerre de Gaza, est que nombre d’entre eux ont ignoré les actes de massacre commis par le Hamas. Une grande partie de cette ignorance pourrait provenir d’un manque spécifique de connaissances : de l’ignorance de ce qui se passe dans une région que certains manifestants et critiques ne peuvent même pas situer sur une carte ; et de l’exposition à une vérité partielle ou pire dans les médias sociaux, qui ont tendance à nous diriger vers des contenus qui ne font que confirmer ce que nous pensions déjà.

Mais cette fois-ci, les critiques, dont certaines vont jusqu’à appeler à l’éradication d’Israël, semblent être non seulement la conséquence d’une éducation déficiente et d’une image de la réalité biaisée par les filtres de TikTok et d’Instagram. Il semble que certains “experts” aient un intérêt direct à faire progresser et à orienter le manque de connaissances et l’oubli sélectif dans le contexte israélien. Ce que nous voyons ici est très probablement le phénomène psychologique connu sous le nom d’“ignorance volontaire”.

Une « revue méta-analytique » publiée récemment dans la prestigieuse revue Psychological Bulletin fournit une plate-forme importante pour ce phénomène intriguant, dont certains d’entre nous souffrent régulièrement. L’ignorance volontaire, comme l’explique l’article, est notre choix d’éviter de prendre en considération des informations même lorsqu’elles sont facilement accessibles. Ce phénomène est appelé par d’éminents chercheurs « l’effet autruche », en référence à la croyance commune (mais fausse) selon laquelle cet oiseau enfouit sa tête dans le sable face au danger.


 
D’un point de vue psychologique, l’ignorance volontaire est un sujet à la fois fascinant et particulier. Les êtres humains étant dotés d’une curiosité innée, on pourrait s’attendre à ce qu’ils s’efforcent d’en savoir le plus possible. La plupart d’entre nous sont des chasseurs et des cueilleurs de connaissances, à la recherche de nouvelles informations en permanence et en tout lieu. Certains d’entre nous ont peut-être été incités à lire cet article précisément pour cette raison.

YACOV BEN EFRAT
Uncle Joe pédale dans le houmous : Biden et le casse-tête israélo-palestinien

Yacov Ben Efrat, Daam, 30/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Yacov Ben Efrat est le secrétaire général du Parti des travailleurs Da’am, un groupe écosocialiste créé en 1995 pour se présenter aux élections israéliennes. Da’am est l’acronyme inversé de منظمة العمل الديمقراطي (Munazzamat al amal addimokratiy/ Organisation pour l’action démocratique). Critiques à l’égard des accords d’Oslo, qu’ils considéraient comme préjudiciables aux Palestiniens, ils appellent au remplacement du régime d’apartheid israélien par un État unique où les Palestiniens et les Israéliens jouiraient de tous les droits civiques.

Lors d’une émission de radio matinale populaire, on a demandé à Hili Tropper, ministre de la coalition Unité nationale (Gantz/Lapid), entrée dans le cabinet de guerre après le 7 octobre, censée être modérée, quelle était sa position sur la proposition de Biden concernant la création de deux États. La réponse de Tropper a été sans équivoque : « actuellement hors sujet ». Si l’on ajoute à cela le rejet catégorique par Netanyahou de la proposition usaméricano-égyptienne d’accord sur les otages, il semble que Biden perde peu à peu du terrain parmi les dirigeants israéliens. La popularité de Joe Biden a atteint son apogée lorsqu’il a stationné l’USS Eisenhower au large des côtes libanaises, exprimant ainsi son soutien inconditionnel à Israël. On se souvient de son triple avertissement au Hezbollah et à l’Iran : « ne bougez pas ».

“-Deux États ? - Trop tard !”
Hassan Bleibel, Liban

 Il est difficile de parler d’un État palestinien lorsque 80 % des Palestiniens de Cisjordanie soutiennent l’attaque du Hamas du samedi 7 octobre, tandis que la majorité des Israéliens refusent catégoriquement toute souveraineté palestinienne, surtout après l’attaque du Hamas.

La société israélienne est plus divisée que jamais. Le gouvernement contre le commandement militaire, la droite contre la gauche, avec en filigrane le débat sur le sort des otages. Faut-il accepter l’arrêt des combats pour sauver les otages du Hamas, ou continuer la guerre en espérant que la pression militaire fera fléchir le Hamas ?

La question politique divise également la société. Le gouvernement refuse de discuter du « jour d’après », un refus qui, selon les militaires, entraîne la perte des acquis militaires obtenus au prix du sang de quelque 200 soldats morts et de milliers de blessés. Un État palestinien ne fait pas du tout partie de la discussion, et il semble qu’il y ait un énorme manque de communication entre les USAméricains et les Israéliens.

Néanmoins, le débat politique au sein du cabinet est intéressant. Il divise le gouvernement d’union. Netanyahou affirme que la discussion sur « le jour d’après » aura lieu lorsque la guerre sera terminée, tandis que Gantz et Eisenkot (et Tropper) affirment que le jour d’après, c’est ici et maintenant. En d’autres termes, la guerre dans sa forme la plus intense est terminée et nous devons maintenant décider de ce qu’il faut faire. On peut se demander comment il est possible que Netanyahou et Gantz soient assis dans le même cabinet de guerre, gérant les batailles ensemble tout en étant en désaccord sur une question fondamentale : guerre ou pas guerre ?

La réalité du terrain permet de mieux comprendre cette énigme. En effet, Israël a divisé Gaza en deux, Gaza Nord et Gaza Sud. Au nord de Gaza, la guerre s’est terminée et l’armée s’est partiellement retirée. C’est cette zone qui fait débat : qu’en faire et qui la contrôlera. Benny Gantz mise sur les fonctionnaires palestiniens locaux pour gérer la vie des 150 000 habitants de Gaza qui y restent, tandis que Smotrich et Ben Gvir veulent annexer le territoire à Israël et y installer des colons. Et que veut Bibi ? Il veut survivre. S’il se range du côté de Smotrich et Ben Gvir, il perdra son partenariat avec Gantz et Biden se prononcera contre lui. Si Bibi va avec Gantz, sa coalition s’effondre et son avenir politique est voué à l’échec.

Alors que Biden tente de s’attaquer à la racine du problème, en cherchant une solution durable au sanglant conflit israélo-palestinien [sic], la coalition et l’opposition israéliennes se querellent sur l’avenir du nord de la bande de Gaza. Les Israéliens ne sont pas actuellement ouverts à des solutions radicales. En réalité, ils ne l’ont jamais été. Ils ont toujours préféré la gestion des conflits à leur résolution.

Malgré le sentiment profond de chaque Israélien que le 7 octobre est un moment décisif, le plus grand désastre qui ait frappé le pays depuis sa fondation, il n’y a actuellement ni ouverture ni énergie mentale pour aller au fond des choses. En apparence, tout le monde comprend que l’armée a échoué et que la confiance en elle a été brisée. Tout le monde comprend que le premier responsable de ce désastre se trouve au sommet de la pyramide, le Premier ministre Binyamin Netanyahou. Il nie sa responsabilité en la rejetant sur l’armée, dont tous les commandants ont déjà assumé la responsabilité de cet échec.

Et c’est là que réside l’absurdité : Quel est l’échec de Netanyahou ? Il a fait confiance au Hamas, l’a financé, lui a permis de se renforcer afin d’affaiblir l’Autorité palestinienne et d’enterrer définitivement l’idée de deux États. Après tout cela, Biden vient le voir une fois de plus avec le même mantra d’un État palestinien. Conclusion de Netanyahou : il n’y a personne à qui faire confiance, ni à l’Autorité palestinienne ni au Hamas. Et que faut-il faire ? Il n’a pas de réponse pour l’instant et de toute façon, taisez-vous, on est en guerre !

Face à cet échec colossal, qui a mis Israël à genoux et obligé les USA à venir à son secours, le président usaméricain, qui a mis tous ses œufs dans le panier israélien, se gratte la tête. Comment ouvrir les yeux des Israéliens, comment les convaincre que l’illusion que le conflit peut être géré au lieu d’être résolu est à la base de l’échec du 7 octobre ? Je vais leur apporter une solution sous la forme d’un État palestinien enveloppé dans les atours saoudiens. Le cadeau lui-même ne leur plaira peut-être pas, mais l’emballage les incitera à l’accepter.

Le problème avec Biden, c’est qu’il n’a personne avec qui travailler. Les acteurs sur lesquels il compte sont très éloignés de sa vision du monde et de ses politiques. Comment faire confiance au Saoudien Mohamed Ben Salman, ce même MBS que Biden a déclaré, lors de son élection, être une personnalité indésirable ? Quelle Autorité palestinienne peut être construite avec un prince sanguinaire qui méprise la démocratie et massacre les opposants politiques ? Quelle sorte d’Autorité palestinienne peut être établie lorsque ses représentants sont impliqués dans la corruption et suppriment tout signe de liberté et de démocratie ?  Et surtout, quelle sorte d’Autorité palestinienne « améliorée » sera construite lorsque le Hamas se cache derrière elle ? Ne s’agit-il pas simplement d’une réplique du modèle du Hezbollah, qui se cache derrière le gouvernement libanais mais en est l’acteur déterminant ?

Les Sages demandent à Israël de se conformer immédiatement aux mesures conservatoires de la CIJ

The Elders, 29/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

The Elders (Les Anciens, ou Les Sages) est un groupe indépendant de dirigeants du monde œuvrant pour la paix, la justice, les droits humains et une planète durable. Il a été fondé par Nelson Mandela en 2007 @TheElders

Déclaration : Les Sages demandent à Israël de se conformer immédiatement aux mesures conservatoires ordonnées par la Cour internationale de justice (CIJ) pour protéger les Palestiniens de Gaza contre les actes de génocide.

 

Les Sages demandent également aux alliés d'Israël d'affirmer publiquement leur respect de la décision de la Cour et d'utiliser les leviers politiques, militaires et financiers à leur disposition pour s'assurer qu'Israël respecte les mesures conservatoires.

La décision juridiquement contraignante de la CIJ est un moment d'une extrême gravité.

Les forces israéliennes ont tué plus de 25 000 Palestiniens à Gaza, détruit des maisons et des infrastructures sur l'ensemble du territoire et déplacé jusqu'à 1,9 million de personnes. Les Sages partagent le jugement de la Cour selon lequel cette ampleur de la dévastation risque de causer un préjudice irréparable à la population de Gaza.

Israël, en tant que puissance militaire occupante, doit se conformer à l'arrêt de la Cour et mettre en œuvre les mesures conservatoires dans leur intégralité. Il doit notamment veiller à ce que son armée ne commette aucun acte de génocide à l'encontre du peuple palestinien en tant que groupe protégé, y compris en tuant des membres de ce groupe. Il s'agit également d'empêcher l'incitation au génocide et de permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire dont le pays a un besoin urgent. Une mesure immédiate doit être la levée du siège de Gaza et la fin de la punition collective des Palestiniens.

Les Sages soutiennent l'accent mis par la Cour sur le fait que toutes les parties au conflit sont liées par le droit international humanitaire, ainsi que son appel à la libération immédiate et inconditionnelle des otages détenus par le Hamas et d'autres groupes armés.

Tous les États ont la responsabilité de respecter l'arrêt de la Cour. L'Afrique du Sud a fait preuve de leadership moral en portant cette affaire devant la Cour, et il incombe maintenant aux autres - en particulier aux alliés d'Israël et au Conseil de sécurité des Nations unies - de respecter leurs propres obligations morales et juridiques de prévenir les actes de génocide et de soutenir l'arrêt de la CIJ.

Au minimum, les alliés d'Israël doivent s'assurer qu'ils ne sont pas complices de crimes atroces. Les Sages réitèrent donc leur appel à tous les pays qui fournissent une assistance militaire à Israël pour qu'ils réexaminent cette assistance et fixent de nouvelles conditions pour la fournir à l'avenir. Les gouvernements qui fournissent une assistance militaire en sachant que des atrocités sont commises ou sont imminentes risquent d'être complices. La légitime défense ne peut en aucun cas justifier les crimes atroces.

Pendant trop longtemps, les alliés d'Israël - en particulier les USA et de nombreux États européens - ont fourni une couverture politique à ses violations du droit international.  Cette impunité doit cesser maintenant.

Les dirigeants politiques qui choisissent d'ignorer ou de saper l'arrêt de la Cour risquent d'affaiblir davantage l'État de droit international à un moment où il est déjà gravement menacé. Le Conseil de sécurité des Nations unies a un rôle essentiel à jouer pour garantir le respect de l'arrêt de la CIJ et l'application cohérente du droit international. Le monde nous regarde.

Mary Robinson, ancienne présidente de l'Irlande et présidente de The Elders

Ban Ki-moon, ancien secrétaire général des Nations unies et vice-président de The Elders

Graça Machel, fondatrice du Graça Machel Trust, cofondatrice et vice-présidente de The Elders

Gro Harlem Brundtland, ancienne Première ministre de Norvège et ancienne directrice générale de l'OMS

Helen Clark, ancienne Première ministre de Nouvelle-Zélande et ancienne directrice du Programme des Nations unies pour le développement

Elbegdorj Tsakhia, ancien président et premier ministre de Mongolie

Zeid Ra'ad Al Hussein, ancien Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme

Hina Jilani, avocate à la Cour suprême du Pakistan et coprésidente de la
Taskforce on Justice (Groupe de travail sur la justice)

Ellen Johnson Sirleaf, ancienne présidente du Liberia et lauréate du prix Nobel de la paix

Ricardo Lagos, ancien président du Chili

Juan Manuel Santos, ancien président de la Colombie et lauréat du prix Nobel de la paix

Ernesto Zedillo, ancien président du Mexique