Featured articles en vedette Artículos Artigos destacados Ausgewählte Artikel Articoli in evidenza

21/08/2023

ANA IONOVA
L’autocritique de Xuxa, la Barbie brésilienne
Blanche, blonde, grande et mince : “ J’ai toujours été considérée comme un morceau de viande”

Ana Ionova, The New York Times, 15/8/2023
Jack Nicas a contribué au reportage à Rio de Janeiro.

Ler em português Leer en español

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Xuxa [prononcer “Choucha”] était autrefois la plus grande star de la télévision brésilienne. Aujourd’hui, beaucoup se demandent si une femme blanche, blonde et mince était l’idole idéale pour un pays aussi diversifié.

Maria da Graça Xuxa Meneghel, 60 ans, connue sous le nom de “Xuxa”, chez elle à Rio de Janeiro ce mois-ci. Photo : Maria Magdalena Arrellaga pour le New York Times

Des millions de Brésilien·nes ont grandi en la regardant à la télévision. Ses spectacles faisaient salle comble dans les plus grands stades d’Amérique latine. Elle avait des films et des chansons à succès, ses propres poupées et son propre parc d’attractions.

Dans les années 1980 et 1990, Maria da Graça Xuxa Meneghel, connue universellement sous le nom de Xuxa était la plus grande star de la télévision brésilienne. Des générations d’enfants passaient leurs matinées à la regarder jouer, chanter et danser pendant des heures dans son émission de variétés extrêmement populaire.

« J’étais une poupée, une baby-sitter, une amie pour ces enfants », a déclaré Xuxa, 60 ans, lors d’une long entretien. « Une Barbie de l’époque ».

« Elle était venue dans une voiture rose. Moi, je suis venue dans un vaisseau spatial rose ».

Comme la célèbre poupée, Xuxa est mince, blonde, blanche et aux yeux bleus. Dans son émission pour enfants, elle portait souvent des minijupes et des cuissardes lorsqu’elle sortait d’un vaisseau spatial estampillé de lèvres rouges géantes. Et comme Barbie, elle est devenue une idole pour ses fans, qui ont grandi en voulant ressembler à Xuxa et à sa troupe de danseuses adolescentes toutes blanches, les “Paquitas”.

Mais aujourd’hui, le Brésil est en train de vivre une sorte de remise en question de la vraie Barbie, et Xuxa est au centre de cette remise en question, en partie grâce à une nouvelle série documentaire sur elle qui est devenue une sensation nationale et qui a relancé les débats sur la diversité, les normes de beauté et la sexualisation dans son spectacle [Le journaliste Bruno Ghetti, dans la Folha de S. Paulo, voit dans cette série de GloboPlay une tentative plutôt ratée de “vendre l’ex-symbole sexuel comme icone féministe”, NdT]

Beaucoup, y compris Xuxa elle-même, se demandent si l’idéal étroit qu’elle représentait a toujours été une force positive dans un pays où la population est majoritairement noire et où un débat national s’engage sur ce qui est considéré comme beau et qui a été effacé de la culture populaire.

« À l’époque, je ne voyais pas ça comme une erreur. Aujourd’hui, nous savons que c’est mal », dit Xuxa à propos de la norme de beauté qu’elle représentait pour la jeunesse brésilienne.


Xuxa dans Xou de Xuxa, son émission de télévision sur le réseau Globo dans les années 1980. Elle dit regretter aujourdhui les normes de beauté quelle représentait. Photo : 4Imagens/Getty Images

Sous son règne, qui a coïncidé avec l’expansion économique du Brésil, les taux de chirurgie plastique ont grimpé en flèche pour devenir les plus élevés au monde, et de nombreuses personnes sont passées sous le bistouri alors qu’elles n’étaient encore que des adolescentes. Mais le Brésil et ses sentinelles culturelles adoptent de nouvelles définitions de la beauté qui célèbrent les boucles naturelles, les corps galbés et les teintes de peau plus foncées.

L’absence de visages noirs dans les spectacles de Xuxa « a infligé de profondes blessures à de nombreuses femmes au Brésil », dit Luiza Brasil, qui a écrit un livre sur le racisme dans la culture, la mode et la beauté brésiliennes.

Dans la série, Xuxa attribuait en grande partie les problèmes de son émission à son patron de longue date et à la culture de l’époque. Mais dans l’interview qu’elle a accordée au New York Times, elle a assumé une plus grande responsabilité et a déploré la marque qu’elle a pu laisser sur les jeunes téléspectatrices qui ne lui ressemblent pas. « Mon Dieu, quel traumatisme j’ai mis dans la tête de certains enfants », dit-elle

« Ce n’est pas moi qui ai pris la décision. Mais je l’ai approuvée. Je l’ai signée ».

Tout le monde était fasciné par elle

Lorsque Xuxa, âgée de 23 ans, a obtenu sa propre émission nationale pour enfants en 1986, diffusée six matins par semaine, elle a connu un succès immédiat. Son émission réunissait quelque 200 enfants dans un décor coloré et endiablé, avec des numéros musicaux, des concours et des mascottes à taille humaine, comme un moustique nommé Dengue.

La télévision « était une petite boîte magique », dit Xuxa. « Je faisais partie de cette magie ».

En tant que vedette de Globo, la plus grande chaîne de télévision brésilienne, elle est devenue l’un des visages les plus connus du pays, surnommée “la reine des petits”.

« Il y avait beaucoup de gens qui regardaient la même chose », dit Clarice Greco, professeure à l’université Paulista qui étudie la culture pop brésilienne. « Xuxa est devenu une franchise ».

Elle s’est lancée dans la musique et le cinéma, vendant plus de 26 millions de disques et près de 30 millions de billets de cinéma, pulvérisant ainsi les records du box-office brésilien. Les enfants se sont empressés d’acheter les bandes dessinées, les tenues et les poupées de Xuxa, qui ressemblaient étrangement à une autre blonde en plastique.

Xuxa à la télévision dans les années 1980. Elle a été la plus grande star de la télévision brésilienne. Photo : 4Imagens/Getty Images

« Tout le monde était fasciné par elle », dit Ana Paula Guimarães, qui a battu des milliers d’autres filles pour devenir une Paquita.

Après avoir conquis le Brésil, Xuxa a appris l’espagnol et a commencé à enregistrer des spectacles à Buenos Aires et à Barcelone. Au début des années 1990, des dizaines de millions d’enfants regardent ses émissions en portugais et en espagnol. Un journal français l’a classée parmi les femmes les plus influentes du monde, aux côtés de Margaret Thatcher. Elle a eu une série d’amours célèbres, dont Pelé et John F. Kennedy Jr.

En 1993, Xuxa a tenté de créer une émission en anglais pour conquérir le marché usaméricain, mais elle dit que ses difficultés avec la langue et son emploi du temps chargé ont fait échouer le projet.

“Blanche, blonde, grande, longues jambes”


Alors qu’une grande partie de son public était composée de Noir·es et de métis·ses, Xuxa était une descendante d’immigrés italiens, polonais et allemands, ressemblant aux princesses et aux poupées qui inondaient la culture populaire dans les années 1980.

« Je suis arrivée - blanche, blonde, grande, avec de longues jambes. Je pense que c’est probablement la raison pour laquelle ça a très, très bien fonctionné ».

Tout le monde n’était pas fan. Certains se sont plaints que Xuxa était trop sexualisée pour être un modèle pour les enfants. Avant la télévision pour enfants, elle avait posé pour Playboy. Des universitaires et des militants noirs s’interrogeaient déjà sur le manque de diversité de l’émission une fois qu’elle est devenue un succès, notamment dans un article du New York Times de 1990.

Ces dernières années, l’internet a disséqué les pires moments de Xuxa, comme le fait de dire que ses téléspectateurs préféraient les Paquitas blondes, de porter une coiffe indigène et de dire à une fille qu’elle avait perdu un concours dans son émission parce qu’elle avait “mangé trop de frites”.

Xuxa se produisant au carnaval de Rio de Janeiro en 2004. Beaucoup, y compris Xuxa, se demandent si lidéal étroit quelle représentait a toujours été une force positive dans un pays dont la population est majoritairement noire. Photo : Vanderlei Almeida/Agence France-Presse - Getty Images

Xuxa dit qu’elle regrette ces commentaires, mais ajoute que le problème le plus important était celui des normes de l’époque. « Dans les années 1980, il était impossible de trouver un feuilleton où la femme de chambre n’était pas noire », adit-elle.

« Ce n’est pas la faute du spectacle Xuxa », ajoute-t-elle. « Ce qui est en cause, c’est tout ce qui nous a été transmis comme étant normal ».

Xuxa dit qu’elle était également soumise à des idéaux de beauté cruels. « Depuis toute petite, j’ai été considérée comme un morceau de viande », lance-t-elle. On lui a dit de perdre du poids, on l’a forcée à recourir à la chirurgie plastique et on lui a interdit de se couper les cheveux. « Une poupée doit avoir les cheveux longs », se souvient-elle.

Lorsqu’elle est devenue mère, elle s’est coupé les cheveux en signe de protestation. « Maintenant, je ne veux plus être une poupée », a-t-elle déclaré, arborant la coupe pixie platine qu’elle a depuis des années.

Xuxa ne s’est jamais considérée comme une féministe, mais elle est tout de même devenue un symbole de l’émancipation féminine. Dans son émission, qui était dirigée par une femme, elle disait aux filles qu’elles pouvaient tout accomplir. Elle a dirigé un empire de plusieurs millions de dollars tout en élevant sa fille en tant que mère célibataire. « Je n’ai jamais pensé à me marier, je n’ai jamais cherché mon Ken », explique-t-elle.

Pour Xuxa, les parallèles avec Barbie ne s’arrêtent pas là. « Nous étions deux gagnantes, deux femmes victorieuses à une époque où seuls les hommes pouvaient faire quelque chose. Je pense que c’est plus qu’une question de féminisme».

J’ai dû subir tout ça

Lorsque Xuxa est devenue célèbre, elle est devenue une activiste par accident.

Elle aimait les animaux et s’est donc exprimée sur les droits des animaux dans son émission. Elle a appris la langue des signes pour pouvoir communiquer avec les téléspectateurs sourds. Et vêtue de costumes évoquant la culture drag, elle est devenue une idole dans la communauté LGBTQ.

Aujourd’hui, après des décennies sous les feux de la rampe, elle dit mieux comprendre l’influence qu’elle exerce et s’efforce de faire progresser la représentation, la lutte contre le racisme et les normes de beauté.

« J’ai commencé par défendre des causes sans nécessairement savoir qu’il s’agissait de causes. Maintenant, j’ai vraiment envie de le faire ».

Xuxa chez elle avec deux de ses animaux de compagnie. Photo : Maria Magdalena Arrellaga pour le New York Times

La semaine dernière, lors d’un événement caritatif télévisé, Xuxa est montée sur une scène illuminée avec ses deux successeures blondes de la télévision brésilienne pour enfants. Les trois femmes ont entonné des chansons qu’elles ont enseignées à des millions de personnes dans leur enfance. Derrière elles, une douzaine de danseurs noirs tournoyaient et sautaient en cadence.

La performance semblait être une démonstration d’inclusion raciale. Mais sur la toile, les réactions ont été rapides, beaucoup interprétant la réunion comme une célébration du blanchiment de la culture pop brésilienne.

« Ces femmes sont toujours considérées comme l’idéal », commente Luiza Brasil, qui est noire. « Et nous sommes toujours en marge, loin de cette beauté blonde, blanche, presque enfantine, qui nous blesse et nous tourmente depuis si longtemps ».

Ces dernières années, la télévision brésilienne a fait des progrès en matière de diversité. Les rôles principaux des trois principaux feuilletons brésiliens sont tenus par des acteur·trices noir·es, et davantage de programmes d’information et de politique sont animés par des présentateur·trices noir·es.

Xuxa a déclaré que le débat sur son impact lui a appris beaucoup de choses sur elle-même et sur la société. « Nous n’apprenons à faire les choses correctement que lorsque nous voyons que nous sommes sur la mauvaise voie. Je pense donc qu’il m’a fallu traverser tout ça pour en arriver là ».

JOSÉ ANTONIO GONZÁLEZ ALCANTUD
La gauche marocaine et le Makhzen : indépendance et allégeance

José Antonio González Alcantud, Viento Sur nº 189, 17/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

José Antonio González Alcantud (Grenade, 1956), anthropologue et historien espagnol, est professeur d’anthropologie sociale à l’université de Grenade. Auteur entre autres de Historia colonial de Marruecos, 1894-1962 (2019) et Qué es el orientalismo. L’Orient imaginé dans la culture mondiale (2021).  Bio-bibliographie

Les observateurs extérieurs sont frappés par la mansuétude de la gauche marocaine à l’égard du régime politique actuel, autoritaire, policier et expansionniste, et en particulier à l’égard de son sommet, le Makhzen. Avant d’aborder les raisons de cette soumission de la gauche marocaine, il convient de s’interroger sur ce qu’est le Makhzen, une formulation singulière de l’État, spécifique au Maroc, avec des profils historiques propres.

Allah, El Watan, El Malik : Dieu, la Patrie, le Roi, devise officielle du royaume depuis 1962. Ici, au-dessus d’Agadir

Le Makhzen est souvent désigné dans la presse quotidienne comme un État parallèle, dans l’ombre, dont il est difficile d’interpréter les intentions ultimes. Le mot makhzen est accepté depuis des années par l’Académie royale de la langue espagnole, avec le sens littéral de “au Maroc, anciennement, gouvernement ou autorité suprême”. Mais on sent bien que cette définition n’est pas très claire, car la question n’est pas seulement historique, mais surtout politiquement actuelle.

En réalité, le Makhzen est littéralement le Dar El Makhzen, au sens de maison-entrepôt. C’est l’espace palatial et défensif où se trouve le siège du pouvoir, la sultaniya, du sultan lui-même - en réalité, ou au figuré, puisque de nombreux palais royaux sont vides de sa présence - qui remplit les fonctions de citadelle, en termes de construction, et de cour en termes de politique. Espace urbain séparé des médinas, siège des corporations d’artisans et de marchands, toujours ouvert à la fronde, au soulèvement. A Fès, par exemple, entre Fès El Jdid [Nouvelle Fès], où se trouve Dar El Makhzen, et aussi le mellah ou ghetto juif qui lui est annexé, et Fès El Bali [Vieille Fès], la médina, il y a une distance topographique et sociale : la première est l’espace fermé, le centre névralgique du pouvoir ; la seconde, la ville labyrinthique, mais ouverte, dans laquelle le visiteur peut déambuler à sa guise. Un exemple de dar-al-Makhzen historique dans la péninsule ibérique est l’Alhambra de Grenade, conçu par les Nasrides d’après leurs parents, les Marinides de Fès, au XVe siècle.

En plus d’être le siège du gouvernement, du sultan et des diwans, présidés par des vizirs, le makhzen historique a également servi de silo dans une économie de subsistance, un lieu pour fournir des ressources alimentaires à la population dans les années de mauvaises récoltes. La relation entre la ville-médina, avec ses élites urbaines, ses centres de culte et de savoir, et le Makhzen a été problématique tout au long de l’histoire. Le pouvoir des sultans exigeait pour être légitimé l’allégeance (bayâa) des habitants du bourg, et ces derniers étaient attentifs aux mouvements de la cour dans le complexe du Makhzen. La ritualité de la bayâa, rituel d’allégeance, renouvelle le pacte sacral entre la monarchie divine et ses sujets (Tozy, 2008:75-102). Cependant, le Makhzen n’était pas une structure despotique, comme on l’imagine parfois avec une mentalité orientaliste, mais plutôt un système clientéliste, à l’image du nôtre.

Ainsi, dans la structure du makhzen, une grande importance est accordée aux figures intermédiaires telles que le secrétaire privé du sultan, le hajib, qui est un élément fondamental de médiation entre le cercle intérieur du sultan et le reste des courtisans. Le makhzen fait partie d’une structure d’autorité socialement apprise, à travers l’assujettissement clientéliste, qui repose sur la dyade maître/disciple, de telle sorte qu’il s’agit d’un mécanisme d’acquiescement et de coercition qui pénètre tous les pores de la société (Hammoudi, 2007).

Le Makhzen a cependant subi des transformations. Mohammed V (1909-1961), le seul sultan alaouite à avoir réellement tenu tête à la puissance coloniale française, a aboli le titre de sultan après l’indépendance en 1956 dans une tentative de modernisation du Makhzen, le transformant en malik ou roi. Il a également supprimé les diwans et leurs vizirs, les remplaçant par des ministères et des ministres de style occidental. Mais il n’a pas renoncé au leadership religieux (amir al mu’minin, commandeur des croyants) (Waterbury, 1975) ni à l’allélgeance ou bayâa, fondamentaux dans la structure makhzénienne. Il n’a pas non plus supprimé un lieu essentiel des intrigues du palais, qui conditionnait l’héritage du trône : le harem. C’est ce qu’a fait plus tard son petit-fils, Mohammed VI, l’actuel roi depuis 1999.

Le Makhzen n’a pas non plus cessé d’évoluer en fonction de l’époque. En effet, après l’indépendance en 1956, les bases du Makhzen ont été modifiées en fonction du degré de collaboration avec le régime du protectorat. La question de parler l’arabe, le français ou seulement le tamazight (berbère) a été fondamentale dans la réorganisation. Les notables d’origine rurale, dont le pouvoir reposait presque exclusivement sur l’entretien de réseaux tribaux et clientélistes, furent remplacés par des fonctionnaires qui, tout en maintenant les mêmes relations hiérarchiques, les rendaient plus opaques au nom de la modernisation de l’État (Leveau, 1985 : 217-219).

Télécharger document

20/08/2023

MANUELA ANDREONI
L’Uruguay sous le choc d’une sécheresse “inattendue”

Manuela Andreoni, The New York Times, 10/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Une sécheresse dévastatrice a frappé un pays qui semblait disposer d’eau douce en abondance.

Le réservoir de Paso Severino en Uruguay le mois dernier. Photo : Gaston Britos/EPA, via Shutterstock

Depuis des mois, les Uruguayens boivent, cuisinent et se lavent avec de l’eau salée. La plus longue sécheresse jamais enregistrée dans le pays a laissé sa capitale, Montevideo, presque complètement à sec, ce qui a obligé la ville à ajouter de l’eau saumâtre à ses réserves.

La crise est frappante pour un pays qui semblait bénéficier d’une eau douce abondante et qui semblait être en avance sur le changement climatique, comme l’a rapporté le Times Magazine l’année dernière. Mais la sécheresse qui a sévi pendant trois ans a mis le pays à genoux.

Le stress hydrique est une préoccupation majeure dans le monde entier. Une crise similaire se produit actuellement dans certaines régions de l’Iran, et vous vous souvenez peut-être de la sécheresse de 2018 au Cap, et d’une autre à São Paulo, au Brésil, en 2015.

Le changement climatique n’est pas directement à l’origine de la sécheresse en Uruguay et dans l’Argentine voisine, comme nous l’avions signalé l’année dernière. Mais le réchauffement de la planète a été un facteur de chaleur extrême qui a aggravé la sécheresse, selon les scientifiques, en augmentant la perte d’humidité du sol et des plantes. La déforestation en Amazonie pourrait également avoir joué un rôle.

Quelle que soit l’ampleur du rôle du changement climatique, la sécheresse a mis en évidence le fait que les effets secondaires et les conséquences inattendues d’une planète qui se réchauffe peuvent perturber à peu près n’importe quel endroit sur terre.

Forage de puits dans le jardin

Le réservoir de Paso Severino, en Uruguay, qui alimente en eau plus de la moitié des 3,4 millions d’habitants du pays, n’avait plus que 2,4 % de sa capacité à la fin du mois de juin. Les autorités ont donc commencé à ajouter de l’eau provenant du Río de la Plata, un estuaire où l’eau douce de deux grands fleuves se mélange à l’eau salée de l’océan Atlantique.

L’afflux d’eau salée a fait grimper les niveaux de sodium et de chlorure à plus du double des niveaux considérés comme sûrs selon les directives internationales. Le gouvernement a demandé aux tout-petits, aux personnes âgées, aux femmes enceintes et aux personnes souffrant de maladies rénales et cardiaques chroniques d’éviter l’eau du robinet.

Les habitudes ont été bouleversées pour tout le monde. Ceux qui peuvent se permettre d’acheter de l’eau en bouteille l’utilisent pour tout. « Nous cuisinons les pâtes, lavons la salade et faisons du café avec elle », a écrit le mois dernier le journaliste uruguayen Guillermo Garat dans un article de Times Opinion. Avec l’eau du robinet, « les lave-vaisselle laissent des traces salées sur les verres et les assiettes. Se brosser les dents a le goût d’une gorgée d’eau de piscine ».



Manifestation contre les pénuries d’eau et la salinité à Montevideo en mai. Photo : Eitan Abramovich/Agence France-Presse - Getty Images

De nombreux habitants ont essayé de forer leurs propres puits dans l’espoir de trouver de l’eau potable, mais il n’y a guère de solutions à court terme, si ce n’est d’attendre la pluie. La sécheresse s’est un peu atténuée ces dernières semaines : le réservoir de Paso Severino est actuellement à environ 15 % de sa capacité. Mais si les niveaux de sel ont baissé par rapport à l’apogée de la crise, les recommandations du gouvernement en matière de santé restent valables.

Nous nous sommes tous endormis

Cela n’était pas censé se produire en Uruguay. Le pays a démontré sa capacité à agir de manière décisive et prévoyante pour lutter contre le changement climatique.

Une série de pannes d’électricité au début des années 2000 a incité le pays à révolutionner son infrastructure énergétique. Grâce à un plan gouvernemental et à des milliards de dollars d’investissements privés, 98 % de l’électricité uruguayenne provient de sources renouvelables. (Pour en savoir plus, lire l’article du Times Magazine).

La sécheresse a été un coup particulièrement dur pour le pays, le premier au monde à faire de l’accès à l’eau un droit fondamental.

« Ici, en Uruguay, l’eau propre fait partie de notre identité nationale », a écrit Garat. « Les écoliers apprennent que le pays a la chance de disposer d’une eau abondante et de qualité, grâce à de nombreux grands fleuves et à six grandes nappes aquifères ».

J’ai demandé à Ramón Méndez, ancien directeur national de l’énergie, ce qui n’a pas fonctionné cette fois-ci. Il m’a répondu que l’Uruguay avait été pris par surprise parce que ses habitants pensaient qu’il ne manquerait jamais d’eau douce. Après tout, il en avait tellement.


Le réservoir de Canelón Grande est une source d’eau essentielle pour Montevideo, la capitale de l’Uruguay. Photo : Matilde Campodonico/Associated Press

 « Nous avons pris du retard pour avoir une vision de la planification stratégique de l’eau », dit-il. Les critiques ont déclaré que la mauvaise gestion d’une série de gouvernements - l’un penchant vers la gauche, l’autre vers la droite - est en grande partie à blâmer. Le mois dernier, l’ancien président José Mujica a présenté ses excuses au peuple uruguayen, partageant la responsabilité avec son successeur.

« Nous aurions dû le faire avant », a déclaré Mujica à propos de la nécessité d’augmenter les réserves d’eau douce du pays. « Les gens vont m’en vouloir, mais nous nous sommes tous endormis ».

« Il n’y a pas de sécheresse, il n’y a que des pillages »

Les Uruguayens en colère ont manifesté dans les rues tout au long de la crise.

Ils sont en colère contre l’énorme secteur bovin du pays, car une vache typique consomme 40 litres d’eau par jour. Ils sont en colère contre Google qui prévoit d’installer dans le pays un centre de données qui nécessitera des millions de litres d’eau par jour pour refroidir les serveurs. Ils sont en colère contre un projet d’hydrogène vert parce qu’il utilisera de grandes quantités d’eau souterraine.

« Les gens en ont retiré un sentiment de rejet à l’égard de tout ce qui utilise de l’eau qui n’est pas destinée à la consommation humaine », m’a dit Méndez.

Selon Reuters, des graffitis ont été peints sur le mur de l’entreprise publique de distribution d’eau : « Ce n’est pas une sécheresse, c’est jute un pillage ».


“Pour les quartiers : de l’eau salée. Pour ceux d’en haut : des profits et de l’eau en bouteille. Ce n’est pas une sécheresse, mais un pillage”

La crise est survenue au moment où l’Uruguay tentait d’élaborer une stratégie pour l’avenir de son économie, au-delà des exportations de bœuf et de soja.

« Tout est à débattre en ce moment », dit Méndez, « et c’est une bonne chose, car c’est le bon moment pour construire une vision stratégique pour l’avenir, pour mettre sur la table la facture de l’eau, la facture environnementale du pays ».

J’ai demandé à Carmen Sosa [Commission nationale pour la défense de l'eau et de la vie (CNDAV)], une militante qui mène des manifestations sur l’eau depuis des décennies, ce qu’elle pensait des conséquences de ce moment pour l’Uruguay. Bien qu’elle soit préoccupée par des projets comme celui de Google, elle se réjouit que l’eau et le changement climatique soient devenus des sujets de débat importants pour les Uruguayens.

« Je pense que les gens ont commencé à comprendre », dit-elle.

MANUELA ANDREONI/CATRIN EINHORN
L’interdiction des forages pétroliers en Équateur fait l’objet d’un référendum ce 20 août

 Manuela Andreoni et Catrin Einhorn, The New York Times, 17/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les électeurs équatoriens décideront dimanche si le pays interdira les opérations pétrolières dans une partie de l’Amazonie qui est l’un des endroits les plus riches en biodiversité de la planète.

Des membres de la communauté Huaorani ont manifesté cette semaine à Quito, la capitale équatorienne, pour soutenir l’interdiction des forages dans une partie du parc national de Yasuní. Photo : Martin Bernetti/Agence France-Presse - Getty Images

L’Équateur doit-il continuer à forer dans l’un des coins les plus riches en biodiversité de l’Amazonie ou doit-il laisser le pétrole sous terre ? Dimanche, le peuple équatorien se prononcera lors d’un référendum contraignant qui a été inscrit sur les bulletins de vote après une décennie de lutte menée par de jeunes activistes.

Alors que le monde est confronté à la double crise écologique du changement climatique et de l’effondrement des écosystèmes, le vote déterminera ce que les citoyens d’un pays sont prêts à abandonner pour protéger la planète.

La partie de la jungle soumise au vote dimanche, qui fait partie du parc national de Yasuní, est l’un des endroits les plus riches de la planète sur le plan écologique et abrite des populations indigènes qui ne veulent aucun contact avec les étrangers. Ce vote intervient alors que la planète souffre d’une chaleur record et que les scientifiques avertissent que la forêt amazonienne se rapproche dangereusement d’un point de basculement qui pourrait la transformer en herbages.

Mais le pétrole est le principal produit d’exportation de l’Équateur et le gouvernement fait campagne pour que les forages se poursuivent. Selon les estimations officielles, le pays risque de perdre 1,2 milliard de dollars de recettes par an si le pétrole reste sous terre.

“C’est historique”, dit Pedro Bermeo, l’un des membres fondateurs de Yasunidos, le groupe à l’origine du référendum. « Nous sommes en train de démocratiser la politique environnementale ».

L’aggravation de la crise politique et sécuritaire ajoute à la tension en Équateur. L’élection de dimanche a été convoquée en mai après que le président Guillermo Lasso, confronté à une procédure de destitution, a invoqué son droit de dissoudre le Congrès. La semaine dernière, l’un des candidats à la présidence, Fernando Villavicencio, a été assassiné.

On ne sait pas exactement comment les turbulences politiques affecteront le référendum, mais une récente enquête de Comunicaliza, un institut de sondage basé à Quito, la capitale, a suggéré que 35 % des électeurs veulent arrêter le forage, soit 10 points de pourcentage de plus que ceux qui soutiennent l’exploitation du pétrole. Nombreux sont ceux qui se disent encore indécis.

Ce vote est l’aboutissement d’une proposition novatrice suggérée il y a près de vingt ans lorsque Rafael Correa, alors président de l’Équateur, a tenté de persuader les pays riches de payer son pays pour qu’il ne touche pas au même gisement de pétrole à Yasuní. Il avait alors demandé 3,6 milliards de dollars, soit la moitié de la valeur estimée des réserves de pétrole.


Sites pétroliers près de la rivière Tiputini dans la région de Yasuní en Équateur. Photo : Erin Schaff/The New York Times

Correa a passé six ans à faire campagne pour faire avancer la proposition, mais il n’a jamais réussi à persuader les pays riches de payer. De nombreux jeunes Équatoriens ont cependant été convaincus. Lorsque Correa a annoncé que la proposition avait échoué et que le forage allait commencer, beaucoup ont commencé à protester.

C’est à cette époque qu’Antonella Calle, âgée de 19 ans à l’époque, a décidé, avec d’autres jeunes et écologistes, de continuer à se battre au sein d’une nouvelle organisation appelée Yasunidos.

Correa s’est moqué de l’opposition au forage. « Rassemblez les signatures et organisons un référendum, et nous gagnerons à nouveau », avait-il déclaré.

Les Yasunidos ont recruté environ 1 400 volontaires pour arpenter les rues et frapper aux portes dans tout le pays. En l’espace de six mois, ils ont recueilli plus de 757 000 signatures, soit près de 200 000 de plus que le nombre requis pour déclencher un référendum.

Les sondages réalisés à cette époque indiquaient que plus de 90 % des Équatoriens auraient voté en faveur du maintien du pétrole sous terre. Mais l’administration Correa a créé un groupe de travail pour vérifier les signatures et a annulé plus de la moitié d’entre elles. Même les signatures de Calle et de Bermeo ont été jugées invalides.

« Ce fut un coup très dur », dit Mme Calle. « Ils nous traitaient de menteurs ».

Les Yasunidos ont donc entamé une lutte juridique de dix ans pour que le référendum soit soumis aux électeurs. Finalement, en mai, la Cour suprême a ordonné au gouvernement d’inclure la mesure dans les prochaines élections.

Le référendum s’appuie également sur le travail effectué par des groupes autochtones en Équateur. En 2019, par exemple, après une bataille judiciaire, la communauté indigène Huaorani a réussi à bloquer l’exploitation pétrolière sur ses terres.

« La Terre mère n’attend pas que nous la sauvions », dit Nemonte Nenquimo, l’un des responsables de cette initiative. « La Terre mère attend que nous la respections. Si nous ne la respectons pas, c’est elle qui engloutira l’humanité ».

Si Yasunidos l’emporte, la compagnie pétrolière nationale, Petroecuador, disposera d’environ un an et demi pour mettre fin à ses activités dans la région, connue sous le nom de champ pétrolifère Ishpingo-Tambococha-Tiputini. Selon Andrés Martínez Moscoso, professeur de droit à l’université San Francisco de Quito, ni le président, ni le Congrès, ni un nouveau référendum ne pourraient annuler les résultats de dimanche.

Mais à ce jour, Petroecuador a investi plus de 2 milliards de dollars pour extraire le pétrole de la parcelle. La société a déclaré qu’elle devrait dépenser un demi-milliard supplémentaire si elle était contrainte de démanteler des kilomètres d’oléoducs, de fermer des centaines de puits de pétrole et de démonter une douzaine de plateformes.

Les dirigeants de Petroecuador affirment que l’impact de l’entreprise sur la biodiversité est limité à 80 hectares, une petite fraction de la zone I.T.T., et qu’il est surveillé par des scientifiques.

« En termes de superficie, notre empreinte est très, très faible », dit Armando Ruiz, qui supervise les politiques environnementales de l’entreprise. Pour que le sacrifice de l’Équateur fasse la différence dans la lutte contre le changement climatique, il faudrait que « le monde entier, tous les gouvernements de cette planète, aient le même engagement ».

Petroecuador a enregistré une série de vidéos avec les chefs de certaines communautés indigènes de la zone I.T.T., qui ont déclaré qu’ils souhaitaient que les forages se poursuivent. Mais les principales organisations indigènes d’Équateur demandent aux électeurs de choisir de mettre fin aux forages. Même la nationalité Huaorani de l’Équateur, un groupe reconnu par le gouvernement qui s’est associé à des compagnies pétrolières dans le passé, demande maintenant aux Équatoriens de voter pour l’arrêt des forages dans ce cas.

Cinquante ans de forage pétrolier « ont simplement apporté la pauvreté, les problèmes, les maladies, les conflits et la mort », dit Juan Bay, le président du groupe. « Ce sont des outsiders qui en ont profité ».

“Êtes-vous d'accord pour que  le gouvernement équatorien maintienne le pétrole brut de l'ITT, connu sous le nom de Bloc 43, indéfiniment sous terre ?”

 

19/08/2023

L’émigration équatorienne, un défi à relever
Entretien avec Esther Cuesta (2)


Fausto Giudice, 18/8/2023

Bonjour Esther, j’ai plusieurs questions pour compléter l’interview que nous avons déjà publiée sur Tlaxcala et La Pluma.


Tout d’abord, pourriez-Vous nous donner un aperçu de la diaspora équatorienne dans le monde ? Qui sont-ils, combien sont-ils, où, que font-ils, comment sont-ils organisés, quels types de relations entretiennent-ils avec les sociétés locales ? Quelles sont les proportions entre les femmes et les hommes, entre les personnes en situation régulière et les sans-papiers ?

Historiquement, l’Équateur a connu plusieurs vagues migratoires : dans les années 60 et 70, puis dans les années 80, et enfin, autour de l’an 2000, avec le feriado bancario [“vacances” bancaires forcées] et la dollarisation de l’économie équatorienne, plus de deux millions et demi d’Équatorien·nes ont émigré. Bon nombre de ces Équatorien·nes se sont rendus aux USA.  

Les USA ont été la première destination migratoire des Équatorien·nes tout au long de l’histoire, mais c’est au cours de la période du feriado bancario que les choses ont changé, en l’an 2000, avec la dollarisation, et la perte d’ économies de nombreuses années des Équatoriens. À partir de ce moment-là, des milliers d’Équatorien·nes ont émigré en Espagne, en Italie et dans d’autres pays européens comme la France, l’Allemagne, la Belgique. Cela a changé la famille équatorienne et, donc, la société équatorienne.

Pourquoi ? Parce que les pionnières de cette migration vers l’Europe ont été des femmes, je fais partie de cette migration. Historiquement, c’étaient les hommes qui émigraient et c’est à ce moment-là que la migration équatorienne a changé, qu’on n’a plus émigré d’une seule région de l’Équateur, mais des 24 provinces du pays, et que la migration s’est féminisée. Les femmes sont les pionnières, avec ou sans enfants, et c’est là que les femmes équatoriennes exercent une maternité transnationale.

Selon les études de l’UNESCO, il s’agit d’une migration beaucoup plus grave, beaucoup plus forte que celle que l’Équateur a connue pendant le feriado bancario. Il s’agit d’une migration dans des conditions beaucoup plus précaires, beaucoup plus dangereuses. Le passage de la frontière entre le Mexique et les USA implique de traverser d’abord le désert du Darién, entre le Panama et la Colombie, et tout le corridor centraméricain où les Équatoriens et les migrants sont souvent victimes de la trafic illégal et de traite. Nous disposons également d’informations sur des Équatoriens qui ont disparu entre l’Équateur et la frontière  Mexique- USA.

Aujourd’hui, nous, les migrant·es, nous revenons également en Europe. J’ai parlé à beaucoup de mes compatriotes pendant la campagne électorale et il y a deux choses qui nous touchent de plein fouet : la première concerne l’inefficacité des services consulaires, le manque d’attention à l’égard de nos frères et sœurs migrant·es, par exemple, il faut 4 mois pour obtenir un passeport ; et l’autre problème est que nous ne trouvons plus seulement des Équatorien·nes qui nous disent qu’ils·elles ont émigré il y a 20-22 ans, mais nous trouvons des Équatorien·nes dans tous les pays européens qui nous disent qu’ils·elles ont émigré il y a 3 mois, qu’ils·elles ont émigré il y a un an, beaucoup d’entre eux·elles sont des professionnels et il y a un fait important concernant l’immigration aujourd’hui. Les gens n’émigrent pas seulement par manque d’opportunités, par manque d’accès aux droits, à la santé, à l’éducation. Un autre facteur pousse également les gens à émigrer de l’Équateur, et c’est la sécurité : les personnes qui ont eu une petite ou moyenne entreprise reçoivent aujourd’hui la visite de “vaccinateurs”. Qui sont les vaccinateurs ? Des criminels, des mafias qui se rendent dans les entreprises des gens pour leur dire : « Vous devez me donner une somme d’argent hebdomadaire ou mensuelle de tant pour que je ne vienne pas vous voler ou tuer votre famille et pour vous protéger d’autres gangs criminels ». Les gens sont donc soumis à une série de chantages de la part de ces criminels. Il est évident que la police nationale et le système judiciaire ne disposent pas du cadre institutionnel nécessaire pour défendre et protéger les droits des personnes. Et c’est une autre raison pour laquelle les Équatorien·nes émigrent du pays.

Aujourd’hui, la diaspora équatorienne comprend environ 3 millions de personnes. Une grande partie de ces personnes se trouvent aux USA, où l’on compte environ 1 500 000 Équatorien·nes rien que dans ce pays, le reste se trouvant au Canada, en Amérique latine et en Europe. Une importante communauté équatorienne vit en France.  Il existe également des situations dans lesquelles les Équatorien·nes ne sont pas régularisé·es dans leur pays de destination, et il y a pas mal de mouvements migratoires à l’intérieur de l’Union européenne, ce qui nous empêche de disposer de chiffres réels sur le nombre d’Équatorien·nes vivant dans chaque pays d’Europe. Il existe également un nombre croissant d'Équatorien·nes qui se naturalisent et obtiennent la citoyenneté dans les pays européens où ils·elles résident depuis plus de 20 ans, et qui ne sont pas enregistrés·e dans les statistiques des pays de destination migratoire en tant qu'Équatoriens parce qu'ils apparaissent déjà comme citoyens des différents pays de l'Union européenne.

Ce que nous pouvons dire, c’est qu’en Europe, en Asie et en Océanie, plus de 252 000 Équatorien·nes se sont inscrit·es pour voter ce 20 août pour la première fois par voie télématique. Il est donc important que les Équatorien·nes de l’étranger sachent que nous disposons d’un droit constitutionnel facultatif établi à l’article 62 de notre constitution, et le 20 août, ce n’est pas seulement un droit constitutionnel, mais aussi un devoir patriotique de participer au changement dont le pays a besoin ; de participer aux processus démocratiques que nous allons avoir en Équateur et de participer au changement afin d’avoir enfin un gouvernement de paix, un pays de paix, de sécurité et qui garantisse les droits des Équatorien·nes à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Les premiers pays d’émigration restent donc l’Espagne, les USA, l’Italie, le Chili, le Venezuela, la Colombie et le Canada. Existe-t-il des points communs et des différences entre les diasporas de ces pays ?

C’est vrai. Il y a des similitudes. Ce que je peux Vous dire, c’est que de nombreuses personnes qui sont allées aux USA dans les années 60 et 80 étaient originaires de certaines régions de l’Équateur, où elles ont été très appauvries en raison du manque d’attention du gouvernement, en particulier les régions d’Austro, d’Azuay et de Cañar, mais aussi des provinces comme Loja et des provinces des Andes centrales de l’Équateur : Cotopaxi, Chimborazo, Tungurahua. Ce que nous avons vécu à partir de l’an 2000 avec le feriado bancario provoqué par M. Lasso, lorsqu’il était ministre de l’Économie du président Mahuad et a provoqué un désastre économique, social et politique dans la société équatorienne qui a expulsé les Équatorien·nes et l’Équateur est devenu un exportateur d’êtres humains, ce qui a diversifié les migrations. C’est alors que les gens de toutes les provinces de l’Équateur ont commencé à émigrer ; il ne s’agissait plus seulement de personnes peu instruites comme dans les années précédentes, mais aussi de personnes ayant suivi des années de formation universitaire et professionnelle : des médecins, des enseignants, des économistes, des personnes de différentes professions, des personnes de la classe moyenne qui, après le feriado bancario, n’ont pas trouvé d’autre issue à la crise que l’émigration.

Et c’est quelque chose que nous voyons à nouveau dans cette migration, causée à nouveau par les banques, causée à nouveau par M. Lasso. Aujourd’hui, nous vivons non seulement une crise politique, sociale, économique et morale en Équateur, où il s’avère que la procureure générale de l’État a plagié sa thèse d’avocate et n’a même pas la décence de démissionner. Il s’agit également d’une crise morale. Dans un autre pays comme l’Allemagne, cette fonctionnaire aurait démissionné de ses fonctions pour ne pas affecter l'institution, mais ce n'est pas le cas en Équateur. Nous connaissons également une crise migratoire en raison du nombre élevé d’Équatorien·nes qui émigrent à nouveau. Et vu que la migration augmente, les services consulaires devraient s’améliorer, être efficaces et s’adapter aux besoins des Équatorien·nes à l’étranger, comme nous l’avons fait sous le gouvernement de la Révolution citoyenne.

Aujourd’hui, nous avons plus d’émigration et des services consulaires plus déficients, des services consulaires qui ne sont pas adaptés aux besoins des Équatorien·nes : ils ont réduit le personnel, ils ont réduit le budget, ils ont réduit les services consulaires tels que les conseils juridiques sur les hypothèques en Espagne, les conseils juridiques en Italie, les conseils juridiques sur l’immigration aux USA.

Aujourd’hui, nos compatriotes à l’étranger sont sans défense, parce qu’il n’y a pas de gouvernement, il n’y a pas d’État pour défendre et protéger leurs droits à l’étranger, comme nous l’avons fait pendant le gouvernement de la Révolution citoyenne. Mais nous le ferons à nouveau avec le gouvernement de notre camarade Luisa González, qui sera la première présidente élue de l’Équateur.

Comment la Révolution citoyenne est-elle présente dans la diaspora ?

La Révolution citoyenne dispose d’une structure politique dans tous les pays où il y a une immigration équatorienne. Dans des pays comme l’Espagne, où vivent évidemment un demi-million d’Équatoriens, nous disposons d’une structure beaucoup plus forte et d’un plus grand nombre d’activistes. Rien que dans les brigades que nous avons organisées pour l’inscription au vote par voie télématique, nous avons compté plus d’un millier de volontaires dans nos brigades. Aucun parti politique équatorien ne possède la structure organisationnelle et politique de la Revolución Ciudadana à l’étranger. C’est pourquoi l’Europe est historiquement un bastion de la Revolución Ciudadana depuis 2006, car nous y avons mis en œuvre des changements radicaux dans les services consulaires, avec des consuls au service des citoyens, avec des consulats aux heures d’ouverture flexibles. Les prix des procédures consulaires ont été réduits. Aujourd’hui, ils ont augmenté de 400 %. Les gens se souviennent de ce qu'était le gouvernement de la Révolution citoyenne et c'est pourquoi notre structure politique s'est développée, grâce à la reconnaissance par les migrants d'un gouvernement qui répondait à leurs besoins. C'est pourquoi, depuis l'Europe, nous, les migrant·es, voterons pour la liste 5, la liste de Rafael Correa, de la Révolution citoyenne. Nous, les migrant·es, nous voterons avec la mémoire et l'espoir.