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01/01/2025

ANDY WORTHINGTON
Le “fantôme” de Guantánamo est “libéré” : Ridah Al Yazidi, jamais inculpé, détenu depuis le premier jour et dont la libération avait été approuvée il y a 15 ans


Andy Worthington, 31/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Andy Worthington est un historien, journaliste d'investigation et réalisateur britannique, auteur de nombreux documents sur le camp de Guantanamo, à commencer par son livre The Guantanamo Files: The Stories of the 774 Detainees in America's Illegal Prison (Pluto Press, 2007)

Une photo proprement fantomatique de Ridah Al-Yazidi (ISN 038), le prisonnier tunisien de Guantánamo qui vient d'être rapatrié, après près de 23 ans passés à Guantánamo et 15 ans depuis que sa libération a été approuvée. Seule photo connue d'Al Yazidi, il s'agit d'une photocopie par l'armée usaméricaine d'une photo de lui, prise quelque temps après son arrivée à Guantánamo, qui figurait dans son dossier militaire classifié, publié par WikiLeaks en avril 2011.

Le Pentagone a annoncé qu'il avait rapatrié de Guantánamo Ridah Al Yazidi, 59 ans, un prisonnier tunisien détenu sans inculpation ni jugement depuis le tout premier jour d'ouverture de la prison, il y a près de 23 ans, le 11 janvier 2002.
Bien qu'il soit presque totalement inconnu du monde extérieur, en raison du manque d'intérêt persistant des médias grand public pour les enquêtes sur l'illégalité banale d'une grande partie des opérations de la prison, le cas d'Al Yazidi est l'un des cas les plus remarquables d'injustice banale à Guantánamo.
Avec deux autres hommes toujours détenus, il avait été autorisé à être relâché il y a 15 ans, à l'issue des délibérations de la très médiatisée Guantánamo Review Task Force, composée de fonctionnaires issus de différents ministères et des agences de renseignement, qui s'est réunie une fois par semaine tout au long de l'année 2009 pour décider administrativement du sort des 240 prisonniers que le président Obama avait hérités de George W. Bush.
156 de ces hommes ont été recommandés pour la libération lorsque le rapport de la Task Force a été publié le 22 janvier 2010, mais, bien qu'Obama ait finalement libéré 153 d'entre eux au cours de ses huit années de mandat, Al Yazidi et les deux autres hommes encore détenus - Taouffiq Al Bihani, un Yéménite, et Mouyin Abd Al Sattar, un prisonnier encore plus mystérieux, qui est un musulman Rohingya apparemment apatride - ont été maintenus dans le camp.
Bien que l'on sache peu de choses sur Al Yazidi, il semble, d'après les évaluations des services de renseignement à Guantánamo, qu'il a quitté la Tunisie pour l'Italie en 1986, à l'âge de 21 ans, où il a exercé divers emplois subalternes et a été arrêté à deux reprises pour trafic de stupéfiants. En 1999, après avoir été brièvement emprisonné, il s'est rendu en Afghanistan, où il a manifestement fini par devenir un petit soldat pour les talibans dans leur guerre civile inter-musulmane avec l'Alliance du Nord, comme tant d'autres hommes détenus à Guantánamo.
Les seuls mots qu'il ait jamais prononcés et qui aient été rapportés au monde extérieur l'ont été après que l'administration Bush a mis en place des examens superficiels des cas de ces hommes en 2004 - les tribunaux d'examen du statut de combattant (Combatant Status Review Tribunals, CSRT), des processus d'examen fondamentalement anarchiques qui s'appuyaient sur des preuves classifiées qui n'étaient pas divulguées aux prisonniers, et pour lesquels ils n'avaient pas le droit d'être représentés par un avocat.
Lors de son audition, comme je l'ai expliqué dans un article sur lui et les deux autres « éternels prisonniers » dont la libération a été approuvée en février de cette année, « il a été allégué qu'il s'était rendu en Afghanistan depuis l'Italie en 1999, qu'il avait fréquenté le camp d'entraînement de Khaldan [un camp indépendant non affilié à Al Qaïda] et qu'il avait combattu sur les lignes de front des talibans en 2001 ». En réponse, il a « déclaré qu'il n'avait pas participé à des combats importants pendant toute la période où il était sur les lignes de front », mais, comme la plupart des hommes dont les cas ont été examinés, il a été considéré comme un « combattant ennemi » qui pouvait continuer à être détenu pour une durée indéterminée.
Comme je l'ai également expliqué, « son dossier militaire classifié, datant de juin 2007 et publié par WikiLeaks en 2011, recommandait son maintien en détention, mais comme je l'ai découvert pour un article en juin 2012, un processus d'examen ultérieur de l'ère Bush, les Administrative Review Boards (ARB), un successeur des CSRT, a recommandé sa libération le 19 novembre 2007. Cependant, lorsqu’Obama est entré en fonction, toutes les recommandations de libération de George W. Bush, concernant au moins 40 hommes, ont été abandonnées et remplacées par les recommandations de la Guantánamo Review Task Force.
La longue incarcération d'Al Yazidi depuis que sa libération a été approuvée peut s'expliquer - mais non se justifier - par les difficultés rencontrées par les administrations Obama et Biden dans les négociations avec son gouvernement d'origine, mais aussi par son propre refus de traiter avec les autorités de Guantánamo, pour lesquelles il n'existe aucun mécanisme permettant d'empêcher les prisonniers de disparaître dans un « trou noir » juridique ou même existentiel.
Lorsque la Cour suprême a statué, en juin 2004, que les prisonniers avaient des droits en matière d'habeas corpus, permettant enfin aux avocats de commencer à les représenter, Brent Rushforth a été chargé de le représenter, mais en 2015, lorsque Carol Rosenberg, qui travaillait alors au Miami Herald, a écrit un article sur les hommes du premier vol à Guantánamo et s'est entretenue avec Rushforth, celui-ci lui a dit qu'il n'avait « rencontré Al Yazidi qu'une seule fois en 2008 » et que, depuis lors, il avait « refusé les appels et les invitations à d'autres rencontres ».
En décembre 2016, comme je l'ai expliqué ici, Charlie Savage du New York Times a rapporté que des fonctionnaires lui avaient dit que l'administration Obama était « réticente à rapatrier » Al Yazidi, et deux autres hommes, « pour des raisons liées à leurs pays d'origine », mais tous les efforts pour trouver un pays tiers pour sa réinstallation ont été contrecarrés en raison de son refus de dialoguer avec qui que ce soit.
Carol Rosenberg, qui travaille actuellement au New York Times, a parlé à Ian Moss, qui a passé dix ans au département d'État à organiser des transferts de prisonniers et de détenus, et qui a confirmé qu'il n'était pas parti plus tôt parce que la Tunisie avait été jugée trop dangereuse ou n'avait pas voulu l'accueillir, et qu'il n'était pas disposé à chercher d'autres pays qui auraient pu le réinstaller.
Comme l'a également expliqué Moss, « il aurait pu partir depuis longtemps si la Tunisie n'avait pas traîné les pieds ».
Ce que l'on ignorait jusqu'à sa libération, c'est que l'administration Biden négociait son rapatriement depuis un certain temps. Le communiqué de presse du Pentagone révèle que le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, « a notifié au Congrès son intention de soutenir ce rapatriement » il y a près d'un an, le 31 janvier 2024, satisfaisant ainsi à une exigence irritante de la législation usaméricaine, introduite par les républicains, selon laquelle le Congrès doit être informé 30 jours avant la libération de tout prisonnier de Guantánamo.
Le Pentagone a également expliqué que, « en consultation avec notre partenaire en Tunisie, nous avons rempli les conditions d'un transfert responsable » avant sa libération, bien que, comme c'est toujours le cas avec les libérations de Guantánamo, les détails des arrangements avec les gouvernements d'origine - ou les gouvernements d'accueil dans le cas d'hommes qui ne peuvent pas, pour diverses raisons, être rapatriés, et qui sont réinstallés dans des pays tiers - sont classifiés, et ne contiennent aucun mécanisme visible pour garantir un traitement humain de la part des gouvernements d'accueil. Étant donné qu'une grande partie de l'histoire d'Al Yazidi est entourée de mystère, on ne sait même pas publiquement s'il a des membres de sa famille survivants en Tunisie qui pourront l'aider à reconstruire sa vie après cette longue épreuve.
Avec la libération d'Al Yazidi, 26 hommes sont encore détenus à Guantánamo, dont 14 ont été autorisés à être libérés - 12 entre octobre 2020 et septembre 2022, plus les deux compagnons d'Al Yazidi, « prisonniers à vie » à long terme. Parmi ces deux hommes, la longue détention de Taoufik Al Bihani reste inexplicable, car il devait prendre un vol pour l'Arabie saoudite avec d'autres prisonniers dont la libération a été approuvée en avril 2016, mais il a été empêché de monter à bord de l'avion à la dernière minute, sans qu'aucune explication n'ait jamais été fournie.
Pour Mouyin Abd Al-Sattar, son statut de fantôme est encore plus prononcé que celui de Ridah Al Yazidi, car non seulement sa nationalité est incertaine, mais il n'a même jamais été représenté par un avocat.
À 20 jours de l'entrée de Donald Trump à la Maison Blanche, je ne peux même pas commencer à exprimer à quel point il est important que l'administration Biden ait mis en place des dispositions pour la libération de ces 14 hommes, dont la plupart ont besoin d'être réinstallés dans des pays tiers, parce qu'ils sont en grande partie yéménites, et que les républicains ont, depuis de nombreuses années, inclus des dispositions dans le projet de loi annuel sur les dépenses de défense, interdisant le rapatriement de prisonniers vers certains pays interdits, dont le Yémen.
Mouyin Abd Al-Sattar sera-t-il libéré ou restera-t-il, comme Ridah Al Yazidi jusqu'à hier, un « fantôme » dont la présence démontre, de manière trop convaincante, comment, avec tous ses autres crimes, Guantánamo est, et a toujours été capable de faire disparaître entièrement des personnes, comme les recoins humides d'un effroyable donjon médiéval ?

NdT

En 2005, Ridah Al Yazidi avait été condamné par contumace  
par un tribunal militaire tunisien 
à 20 ans de prison , assortie de la privation des droits civils et de 5 ans de contrôle administratif.
➤Pour une chronique de l'odyssée des 12 Tunisiens détenus à Guantanamo, voir ici




TESTIMONIO
Diario de una mujer gazatí: « Hemos muerto todo tipo de muertes »

Nour Z Jarada ha vivido en Gaza toda su
vida. Para el diario francés «Libération», esta psicóloga de Médicos del Mundo Francia escribe de su vida cotidiana en el enclave palestino devastado por la guerra. Episodio seis: la angustia del invierno y un atisbo de esperanza.

por Nour Z. Jarada, psicóloga gazatí de Médicos del Mundo Francia, Libération, 31-12-2024
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala
 


Diciembre está llegando a su fin y nos enfrentamos a un segundo invierno de guerra. Nunca habría imaginado pasar por otro invierno como éste. El invierno era mi estación favorita. Cuando me preguntaban cuál era mi estación favorita, siempre respondía que el invierno. Siempre. Me encantaba la lluvia, el frescor, la comodidad. Ojalá fuera siempre invierno. Pero ahora las cosas han cambiado. Ya no puedo permitirme el lujo de amar el invierno. Ya no tengo una casa cálida, ni ropa de invierno, ni mantas, ni siquiera calefacción. Ya no tengo nuestras calles, nuestras reuniones ni nuestras tazas de té caliente compartidas con los seres queridos. Ahora, ninguno de nosotros puede permitirse el lujo de amar el invierno.


Las tiendas de los desplazados tras las fuertes lluvias en Deir al-Balah, en la Franja de Gaza, el 30 de diciembre. (Madji Fathi/NurPhoto. AFP)

Recuerdo que lloré a lágrima viva cuando llovió por primera vez este año. La tristeza de otro invierno mientras seguíamos en guerra era insoportable. Se me rompió el corazón por nosotros, por las familias de las tiendas. Esa noche vi en las noticias tiendas inundadas y di gracias a Dios por el frágil techo que me cobija. Sin embargo, mi corazón se rompió por nuestros niños y familias que pasaron la noche en el agua helada, esperando a que amaneciera o simplemente a que dejara de llover. Mientras esas horas oscuras se prolongaban, los gritos de un niño resonaban en una tienda cercana. Perforaban el silencio, llenos de pena y dolor. No sabía si el niño tenía frío o hambre, pero no podía dormir. Todas las noches son aterradoras en la guerra: son despiadadas, crueles e interminables. Como todos sabemos, tememos las largas horas que transcurren hasta la mañana y rezamos para que los horrores de la noche lleguen a su fin.

Resiliencia

Hoy, después de más de un año y dos meses de guerra en Gaza, soy una persona diferente. Por desgracia, no estoy segura de si este cambio es bueno o malo. Por un lado, el dolor pesa mucho en mi corazón, una herida tan profunda que ni siquiera el tiempo puede borrar. Esta injusticia abre la puerta a un sinfín de preguntas que se agolpan en mi mente: ¿Por qué? ¿Cómo es posible que la zona geográfica en la que hemos nacido, a la que pertenecemos, por qué nuestra raza, nuestro color, nuestra religión pueden ser factores que determinen nuestro destino? ¿Nuestro sufrimiento, nuestro trauma? ¿Cómo pueden estos elementos que no hemos elegido controlar el curso de nuestras vidas? ¿Cómo podemos curarnos de traumas tan despiadados? ¿Cómo puedo seguir viviendo sin las personas que quiero? Estas preguntas me atormentan, sobre todo cuando imagino el final de la guerra.
Sin embargo, también he descubierto una resiliencia que nunca imaginé poseer. He soportado el miedo, el desplazamiento, la pérdida, el dolor, las lágrimas y una pena inimaginable. Lo he afrontado todo con paciencia, incluso cuando no tenía otra opción. A través de todo ello, fue mi fe inquebrantable la que me llevó adelante, la convicción de que hay una razón para todo, aunque sólo Dios la conozca. Creemos en Dios. Cada prueba que atravesamos lleva consigo una sabiduría que no podemos captar con nuestras mentes. Entregamos nuestro corazón a Dios, incluso cuando la prueba parece humanamente superior a nuestra capacidad. Esta fe me ha impulsado a perseverar, a seguir trabajando, a luchar y a apoyar a los que me rodean.

La seguridad no existe
En esta guerra, la adversidad no conoce límites: la hambruna en el norte de Gaza durante el año era impensable. La gente se veía obligada a comer hojas de árbol, buscando desesperadamente el más mínimo resto de harina. La «masacre de la harina» llegó incluso a los titulares internacionales, con gente comiendo pan manchado de sangre. Los países enviaron ayuda por mar, y nuestra gente se ahogó intentando alcanzarla. ¿Es realmente posible que Gaza, antaño célebre por su hospitalidad y su generosa cocina, sea ahora una tierra donde la gente se muere de hambre? Sin embargo, esa es la realidad a la que nos enfrentamos. Hemos muerto todo tipo de muertes. Y hoy, el hambre nos ha alcanzado en el sur y el centro de Gaza, regiones supuestamente «seguras» para los civiles desplazados. Pero la seguridad no está en ninguna parte.
Los alimentos son cada vez más escasos, y los precios suben tanto que la mayoría de nosotros no podemos permitírnoslos. La harina, antaño un alimento básico, es ahora difícil de conseguir. Los que consiguen pequeñas cantidades a menudo la encuentran infestada de gusanos o insectos, pero la tamizamos antes de cocinarla y comerla porque no tenemos alternativas.
Incluso he bromeado amargamente con colegas diciendo que preferiría morir en un ataque aéreo que morir de hambre: sería más rápido y menos doloroso. ¿Qué mayor injusticia puede haber que vivir en un mundo en el que pensamos en cómo morir, en la forma menos insoportable de dejar esta vida?


Quizá no vuelva a escribir
Desde principios de diciembre, ha habido algunos destellos de esperanza; rumores de un posible alto el fuego. Pero ya nadie se atreve a ser optimista. Ese es otro cambio. Hace sólo unos meses, yo era una de esas personas esperanzadas. Cada vez que oía rumores de alto el fuego, me apresuraba a hacer la maleta, lista para volver a casa. Pero cada vez, mi corazón se rompía. Hoy he aprendido a no tener esperanzas. En psicología, esto se llama indefensión aprendida: cuando los fracasos o las dificultades repetidas dejan a una persona en un estado de indefensión, incapaz de creer que las cosas cambiarán.
Sin embargo, sigo soñando con el fin de la guerra. Sueño con volver a mi casa en el norte de Gaza, con volver a ver a mi abuela. Tiene más de 70 años y es una mujer resistente, amable y muy religiosa. No la veo desde el 7 de octubre. Mi corazón anhela tenerla cerca de mí. No puedo imaginar cómo ha soportado el terror, el hambre y el dolor. A veces hablamos por teléfono, pero es demasiado doloroso. Las dos lloramos y las llamadas terminan con más miedo y añoranza.
En este momento, me imagino escribiéndole la próxima vez desde el norte de Gaza. Tal vez aún quede en mí un poco de la esperanzada Nour. O tal vez nunca vuelva a escribir. Nadie sabe lo que nos depara el futuro. Pero lo que sí sé es que la opresión siempre llega a su fin algún día. Como escribió el poeta Abu el Kacem Chebbi: «Si a la gente le ocurre, un día, querer vivir, el destino tendrá que responder». Y como promete Dios en el Corán: «Junto a la dificultad está, sin duda, la facilidad». A pesar de todo lo que soportamos, nos aferramos a nuestra fuerza y resistencia. Cada día, dejamos a un lado nuestro dolor para asumir nuestros roles y tender la mano a quienes nos rodean. Ayudar a los que el mundo ha olvidado da sentido y propósito a nuestras vidas.

Un deseo tan simple
El mes pasado, un momento quedó grabado en mi memoria. Un joven que visita nuestra clínica perdió a toda su familia y su pierna derecha en la guerra. Único superviviente, ahora vive solo en una endeble tienda de campaña. A pesar de estas pérdidas inimaginables, representa una fuente de esperanza para los demás. Durante las sesiones psicosociales, aprendió ejercicios de respiración y técnicas de afrontamiento. Nos hemos dado cuenta de que ahora enseña estos ejercicios a otros pacientes en la sala de espera de la clínica, y comparte cómo está afrontando su duelo. Su fortaleza me inspira.
A veces, mis colegas y yo nos permitimos soñar con volver a nuestra devastada ciudad. Hablamos de las primeras cosas que haríamos cuando llegue ese día. En primer lugar, queremos honrar la memoria de nuestro querido colega, el Dr. Maisara, desenterrando su cuerpo de entre los escombros de su casa después de más de un año y dándole un entierro digno. Después buscaremos refugio, quizá en tiendas de campaña, y trabajaremos juntos para reconstruir nuestras vidas y la clínica, para seguir sirviendo a nuestra gente. En cuanto a mí, volveré a ver a mi abuela. Es un deseo tan simple pero tan profundo que me da fuerzas para seguir soportando las penurias.
Sinceramente, después de todo esto, si pudiera elegir, elegiría ser gazatí, ser palestina, de esta tierra que amo una y otra vez, hoy y siempre.

TESTIMONIAL
A Gazan woman’s diary: “We died all kinds of deaths”

Nour Z Jarada has lived in Gaza all her life. For  the French daily “Libération”, this psychologist from Médecins du Monde France writes about her daily life in the war-torn Palestinian enclave. Episode six: the anguish of winter and a hint of hope.

by Nour Z Jarada, Gazan psychologist for Médecins du Monde France, Libération  , 12/31/2024
Translated by Fausto Giudice, Tlaxcala

December is drawing to a close and we’re facing a second winter of war. I could never have imagined going through another winter like this one. Winter used to be my favorite season. When asked what my favorite time of year was, I always answered winter. Always. I loved its rain, its coolness, its comfort. I wished it was always winter. But things are different now. I can no longer afford the luxury of loving winter. I no longer have a warm home, winter clothes, blankets or even heating. I no longer have our streets, our gatherings, or our warm cups of tea shared with loved ones. From now on, none of us here can afford the luxury of loving winter.
I remember crying my eyes out at the first rain of the year. The sadness of another winter while we’re still at war was unbearable. My heart broke for us, for the families in the tents. That night, I saw flooded tents on the news and thanked God for the fragile roof over my head. Yet my heart broke for our children and families who spent the night in the icy water, waiting for dawn or simply for the rain to stop. As those dark hours stretched on, a child’s cries rang out from a nearby tent. They pierced the silence, filled with sorrow and pain. I didn’t know if the child was cold or hungry, but I couldn’t sleep. All nights are terrifying in wartime: they are merciless, cruel and endless. As we all know, we dread the long hours between now and morning and pray for the night’s horrors to come to an end.


Displaced people’s tents after heavy rain in Deir al-Balah, Gaza Strip, December 30. (Madji Fathi/NurPhoto. AFP)

Resilience

Today, after more than a year and two months of war in Gaza, I’m a different person. Unfortunately, I’m not sure whether this change is a good or a bad thing. On the one hand, grief weighs heavily on my heart, a wound so deep that not even time can erase it. This injustice opens the door to a myriad of questions racing through my mind: Why? How is it that the geographical space in which we were born, to which we belong, our race, our color, our religion, are all factors that determine our destiny? Our suffering, our trauma? How can these elements, which we have not chosen, control the course of our lives? How can we heal from such merciless traumas? How can I go on living without my loved ones? These questions haunt me, all the more so when I imagine the end of the war.

Yet I’ve also discovered a resilience I never imagined I possessed. I endured fear, displacement, loss, grief, tears and unimaginable sorrow. I’ve faced it all patiently, even when I had no choice. Through it all, it was my unshakeable faith that carried me through, a conviction that there is a reason for everything, even if only God knows it. We believe in God. Every trial we go through carries with it a wisdom we can’t grasp with our minds. We turn our hearts over to God, even when the trial seems humanly beyond our capacity. This faith has driven me to persevere, to keep working, to fight and to support those around me.

Security nowhere to be found

In this war, adversity knows no bounds: the famine in northern Gaza during the year was unthinkable. People were forced to eat tree leaves, desperately searching for the slightest remnant of flour. The “flour massacre” even made international headlines, with people eating blood-stained bread. Countries sent aid by sea, our people drowned trying to reach it. Is it really possible that Gaza, once celebrated for its hospitality and generous cuisine, is now a land of starvation? Yet this is the reality we face. We have died all kinds of deaths. And today, famine has caught up with us in southern and central Gaza, areas supposedly “safe” for displaced civilians. But safety remains elusive.

Food is becoming increasingly scarce, and prices are rising so much that they are becoming unaffordable for most of us. Flour, once a staple, is now hard to come by. Those who manage to obtain small quantities often find it infested with worms or insects, but we sift it before cooking and eating it because we have no alternatives.

I’ve even joked bitterly with colleagues that I’d rather die in an air strike than starve to death: it would be quicker and less painful. What greater injustice can there be than to live in a world where we think about a way to die, about the least unbearable way to leave this life?

Maybe I’ll never write again

Since the beginning of December, there have been a few glimmers of hope; rumors of a potential ceasefire. But nobody dares to be optimistic anymore. That’s another change. Just a few months ago, I was one of those hopeful people. Every time I heard rumors of a ceasefire, I rushed to pack my suitcase, ready to go home. But each time, my heart was broken. Today, I’ve learned not to hope. In psychology, this is called learned helplessness: when repeated failures or hardships leave a person in a state of helplessness, unable to believe that things will change.

Yet I still dream of the end of the war. I dream of returning to my home in northern Gaza, of seeing my grandmother again. She’s over 70 and a resilient, gentle and very religious woman. I haven’t seen her since October 7th. My heart longs to hold her close to me. I can’t imagine how she has endured terror, hunger and grief. Sometimes we talk on the phone, but it’s too painful. We both cry and the calls end with more fear and longing.

At this moment, I imagine myself writing to you next time from the north of Gaza. Maybe a little piece of the hopeful Nour is still there in me. Or maybe I’ll never write again. No one knows what the future is made of. But what I do know is that oppression always ends one day. As the poet Aboul-Qacem Echebbi  wrote: “If it happens to the people, one day, to want to live, fate will have to answer.” And as God promises in the Qur’an: “Next to difficulty is, surely, ease!” Despite all we endure, we cling to our strength and resilience. Every day, we put aside our grief to take on our roles and reach out to those around us. Helping those the world has forgotten gives meaning and purpose to our lives.

Such a simple desire

Last month, a moment seared itself into my memory. A young man visiting our clinic lost his entire family and his right leg in the war. The only survivor, he now lives alone in a flimsy tent. Despite this unimaginable loss, he represents a source of hope for others. During psychosocial sessions, he learned breathing exercises and coping techniques. We’ve noticed that he’s now teaching these exercises to other patients in the clinic’s waiting room, and sharing how he’s coping with his grief. His strength inspires me.

At times, my colleagues and I allow ourselves to dream of returning to our devastated city. We talk about the first things we would do when that day comes. First and foremost, we want to honor the memory of our dear colleague, Dr Maisara, by digging his body out of the rubble of his house after more than a year and giving him a dignified burial. Then we’ll seek shelter; perhaps in tents and work together to rebuild our lives and the clinic, to continue serving our people. As for me, I’ll see my grandmother again. It’s such a simple but profound desire that gives me the strength to continue enduring the hardships.

Honestly, after all this, if I had the choice, I’d choose to be a Ghazawiya, to be a Palestinian, from this land I love again and again, today and forever.





31/12/2024

GIDEON LEVY
Dans le nord de Gaza, il ne reste aucune infrastructure, que ce soit pour le terrorisme ou pour la vie

L’armée israélienne a envahi l’enceinte de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia tôt vendredi matin et a ordonné à tous les patients et au personnel médical de l’évacuer.

Gideon Levy, Haaretz, 29/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Un patient évacué de l’hôpital Kamal Adwan dans le nord de la bande de Gaza, vendredi. Photo : Dawoud Abu Alkas / Reuters

Des dizaines de personnes effrayées, dont certaines tenaient à peine debout, se sont entassées dans la cour de l’hôpital dans la nuit froide de Gaza ; puis les soldats leur ont ordonné de se déshabiller et de commencer à marcher, nus.

Une vidéo montre une file de personnes, enfoncées dans le sable, au milieu des décombres ; des hommes nus, les bras levés, entourés de chars israéliens, aussi humiliés qu’il est possible de l’être pour des êtres humains.

Ils sont restés nus pendant des heures dans le froid nocturne de Gaza. Derrière eux se trouvaient les mourants et quelques membres du personnel médical qui ne les avaient pas abandonnés, soit environ 25 personnes.

L’armée israélienne a bombardé l’hôpital ; cinq membres du personnel médical ont été tués. Des incendies ont éclaté dans le laboratoire et le service de chirurgie de l’hôpital.

Incendie à l’extérieur de l’hôpital Kamal Adwan à Gaza, cette semaine. Photo Stringer/Reuters

Certains patients ont été envoyés dans ce qui restait de l’hôpital indonésien voisin, que les forces de défense israéliennes avaient investi trois jours plus tôt.

Des dizaines de personnes ont été arrêtées à Kamal Adwan pour être interrogées, y compris le directeur de l’hôpital, le Dr Hossam Abu Safiya, qui aurait été libéré samedi.

Des médecins de Gaza sont morts lors d’interrogatoires ou en prison. Ibrahim, le fils d’un médecin qui n’abandonnait pas ses patients, a été tué il y a quelques mois et est enterré dans l’enceinte de l’hôpital.

J’ai écrit sur l’hôpital Kamal Adwan, mais la dernière fois que je l’ai visité, en 2006, je l’ai décrit comme une « clinique minable ». À l’époque, un vieil homme blessé avait été transporté d’urgence sur une charrette tirée par un âne vers ce qui ressemblait plus à une clinique du tiers monde qu’à un hôpital.

Il est peu probable que le travail de développement et les dépenses civiles à Gaza pendant les années de siège du territoire par Israël aient élevé Kamal Adwan au rang d’hôpital, mais c’était le dernier endroit dans le nord de la bande de Gaza où l’on pouvait encore dispenser des soins médicaux aux Palestiniens qui n’avaient pas encore fui l’épuration ethnique. Combien de patients survivront aux nuits à venir ? Nous ne le saurons jamais.

L’unité du porte-parole de l’IDF s’est empressée de faire son travail et de masquer les crimes. Les forces « ont commencé à opérer dans la zone de l’hôpital Kamal Adwan à la suite de renseignements préalables concernant la présence d’infrastructures et d’agents terroristes ».

Aucune preuve n’a été présentée samedi, et l’incendie qui s’est déclaré dans l’hôpital n’est pas non plus le fait de l’armée. Les FDI brûlent des hôpitaux ? Inconcevable.

Une enquête préliminaire n’a trouvé « aucun lien » entre l’activité militaire et l’incendie », a déclaré l’armée. La foudre a peut-être frappé le service de chirurgie, la cigarette d’un patient a peut-être déclenché l’incendie.

Jeudi, à Gaza, l’armée a tué cinq journalistes qui se trouvaient à l’intérieur d’un véhicule portant clairement la mention « PRESSE » et a affirmé qu’il s’agissait de « terroristes » et d’« agents de propagande de combat ».

Des membres de la défense civile éteignent l’incendie d’une camionnette de radiodiffusion à la suite d’une attaque israélienne qui a fait cinq morts, jeudi. Photo : Khamis Said/Reuters

Leur « propagande de combat » était certainement bien inférieure à la propagande de combat de presque tous les correspondants militaires en Israël, mais si le Hamas avait tué cinq reporters israéliens, le tollé aurait atteint les cieux.

La veille, les FDI ont empêché l’évacuation vers un hôpital de deux femmes blessées lors de l’attaque d’une maison dans le camp de réfugiés de Toulkarem en Cisjordanie ; elles sont décédées. Apparemment, Gaza se trouve aussi à Toulkarem.

Il n’y a plus de guerre à Gaza, seulement la mort et la destruction infligées par un camp, interrompues occasionnellement par les spasmes de la résistance. Mais lorsque l’objectif est un nettoyage ethnique qui tend vers le génocide, le travail ne peut s’arrêter ne serait-ce qu’un instant. La fin justifie tous les moyens.

Après 14 mois de tueries et de destructions insensées, il ne reste plus aucune « infrastructure terroriste » à l’hôpital Kamal Adwan, tout simplement parce qu’il ne reste plus aucune infrastructure du tout, ni pour la terreur ni pour la vie, dans le nord de la bande de Gaza.

Ces récits ont pour but d’effacer le nettoyage ethnique qui nécessite une destruction complète afin que personne ne puisse jamais retourner dans sa maison, tout comme lors de la précédente Nakba.

Et supposons que parmi les lits des patients mourants de l’hôpital se soient cachés cinq ou peut-être même six terroristes : en décembre 2024, Israël se croit encore autorisé à se déchaîner à sa guise, comme en octobre 2023. Même dans les hôpitaux.


30/12/2024

Face au Makhzen, mon amère victoire, par Ignacio Cembrero

Ignacio Cembrero, el confidencial, 29/12/2024
Traduit par Tafsut Aït Baâmrane

Face au harcèlement judiciaire par la monarchie alaouite, les journalistes peuvent se cuirasser psychologiquement. Face au soutien apporté à Rabat par les gouvernements espagnols, notamment celui du PSOE, c’est impossible. Ils torpillent la défense du journaliste. Leurs agissements font mal.

José Manuel Albares, ministre espagnol des Affaires étrangères, Pedro Sánchez, président du gouvernement de Madrid, Aziz Akhannouch, Premier ministre marocain, et Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, à Rabat en février 2024. Photo Jalal Morchidi Pool/EFE

Il était presque minuit le jeudi 19 décembre. Cela faisait déjà 12 heures que mon avocat, Javier Sánchez Moro, m’avait annoncé la grande nouvelle : le Royaume du Maroc ne ferait pas appel devant le Tribunal suprême de la décision de l’Audience provinciale de Madrid de rejet de sa plainte pour « action de jactance* », pour l’avoir accusé d’être responsable de l’espionnage de téléphones portables au moyen du programme malveillant Pegasus.

Cela faisait déjà 12 heures que j’avais diffusé la nouvelle par le biais de listes de diffusion et de réseaux sociaux , mettant ainsi fin à deux ans et demi de persécution judiciaire , précédés de huit autres années au cours desquelles le gouvernement marocain avait réussi à me faire inculper par l’Audience nationale pendant des mois pour apologie du terrorisme. Sa plainte a finalement été classée sans suite et il n’y a pas eu de procès.

Depuis le jeudi 19 à midi, j ‘ai reçu des centaines de messages de félicitations. Des confrères journalistes, des associations de presse, des hauts fonctionnaires d’institutions publiques, des hommes politiques de tout l’échiquier parlementaire, des amis ou de simples lecteurs que je ne connaissais pas me les ont envoyés en privé, mais aussi par le biais des réseaux sociaux. Parmi ceux qui m’ont écrit, il y avait même des membres du PSOE, le parti dont le secrétaire général, Pedro Sánchez, en mars 2022, s’est aligné sur la solution préconisée par le Maroc pour résoudre le conflit du Sahara occidental.

Jeudi soir, il était presque minuit et je n’en pouvais plus. Pas un seul membre du gouvernement espagnol ne m’avait félicité. Je n’en connais pas beaucoup, mais je connais une poignée de ministres et de secrétaires d’État avec lesquels j’ai partagé une table ou bavardé pendant un certain temps avant qu’ils n’entrent au gouvernement. J’ai même donné une conférence en duo avec l’un d’entre eux, organisée par le Parlement européen.

Ce soir-là, je n’en pouvais plus et j’ai envoyé un petit message privé à tous ceux qui figuraient dans mon agenda. Je leur ai dit qu’un jour comme aujourd’hui, j’aurais été heureux de recevoir les félicitations d’un membre du gouvernement espagnol. Ils ont dû le voir car, au moins sur WhatsApp, les deux petits V confirmant la réception sont apparus . Albares a été l’exception. Je ne lui ai pas écrit parce que c’est un cas désespéré si l’on en juge par les réponses évasives qu’il a toujours données aux questions parlementaires sur les plaintes du makhzen contre moi.

Ils ont dû voir le message, mais tous, sauf un, m’ont opposé le silence. Celle qui m’a répondu m’a immédiatement rappelé qu’elle avait eu une journée chargée, s’est excusée et m’a envoyé de chaleureuses félicitations. Je lui en suis très reconnaissant. Ses paroles m’ont fait plaisir, mais elles n’ont pas compensé mon mécontentement face au silence de ses collègues du gouvernement.

Ce silence rend amère ma victoire, la quatrième en justice en une décennie, contre le Maroc, son gouvernement, ses espions et, depuis peu, la monarchie alaouite sans intermédiaires. Après une décennie de harcèlement judiciaire , je suis devenu presque psychologiquement résistant à leurs attaques. Ce à quoi je ne me suis jamais habitué, c’est que ce sont mes propres compatriotes, et plus encore les sociaux-démocrates, auxquels je m’identifiais, qui ont soutenu les autorités du pays voisin dans leur harcèlement judiciaire.

Les premiers signes du soutien à Rabat contre le journaliste espagnol que je suis sont apparus quand le Parti Populaire gouvernait. Depuis la première investiture de Pedro Sánchez, ils se sont accentués. Je ne citerai que quelques exemples parmi une très longue liste. Les députés socialistes espagnols - mais pas le reste de leur groupe - ont voté au Parlement européen, le 19 janvier 2023 , contre une résolution qui, entre autres, demandait aux autorités marocaines de mettre fin au harcèlement judiciaire dont j’étais victime. Ils n’ont jamais expliqué leur vote, qui concordait avec celui des « lepénistes », l’extrême droite française.**

Un commissaire européen que je connais a laissé entendre l’ année dernière à Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, que, pour de nombreuses raisons, il était souhaitable que Rabat retire sa plainte contre moi. Bourita a rejeté cette suggestion et s’est étonné qu’un commissaire européen s’intéresse au journaliste espagnol alors que les ministres espagnols qu’il avait rencontrés ne le faisaient pas.

J’étais bien naïf de m’attendre à ce qu’Albares intercède en ma faveur. Le gouvernement espagnol a accepté de se réconcilier avec le Maroc, en mars 2022, sans retirer les poursuites judiciaires inspirées par Rabat contre l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Arancha González-Laya, et son chef de cabinet, Camilo Villarino, pour avoir organisé l’accueil en Espagne de Brahim Ghali, le dirigeant du Polisario malade  du Covid. Des rapports du CNI [Centre national du renseignement] publiés par le quotidien El País l’attestent .

Tout ce qui a un lien avec le ministère espagnol des Affaires étrangères est, pour moi, un territoire interdit. Je n’ai jamais été invité aux briefings que les collaborateurs d’Albares ont donné, par exemple, pour expliquer le changement d’attitude sur le Sahara Occidental. La Casa Árabe de Madrid, mais c’était à l’époque où José Manuel García-Margallo était ministre, ne m’a pas permis de présenter mon livre La España en Alá (L’Espagne en Allah) à son siège. Le veto s’est même étendu à mon premier avocat, Javier Sánchez Sánchez, qui a publié un beau roman se déroulant dans les dernières années de la colonisation du Sahara par l’Espagne.

L’Institut royal Elcano a également cessé de m’inviter aux réunions à huis clos qu ‘il organisait avec des personnalités du monde islamique de passage à Madrid. Il s’est justifié auprès des autres participants en prétendant que j’avais divulgué des propos tenus « off the record » [officieusement]. Des années plus tard, l’un des premiers ministres m’a avoué dans un message privé qu’« avec le Maroc impliqué , c’était très compliqué ». Je le remercie pour sa franchise, tout comme j’apprécie la sincérité de ceux qui, à l’École diplomatique, m’ont avoué que je ne donnerais plus jamais de conférences à leurs étudiants car « il y a des instructions venues d’en haut ».

Mais il y a pire que les vétos, ce sont les barrages. En 2015, toujours avec García-Margallo à la barre, le consul d’Espagne à Paris a refusé d’accepter une déclaration d’ un journaliste du Monde que j’allais utiliser pour me défendre dans un procès intenté à Madrid par Ahmed Charai, responsable des relations publiques de la Direction générale des Études et de la Documentation (DGED), le service de renseignement extérieur et de contre-espionnage du Maroc, Le consul, sur ordre de Madrid, a dit au journaliste de s’adresser à un notaire français. Malgré cela, j’ai obtenu gain de cause.

Le département de la sécurité nationale de la Moncloa*** a, quant à lui, fourni des munitions aux avocats du Royaume du Maroc avec son rapport 2023. Il désigne deux puissances - la Russie et la Chine - pour leurs activités hostiles en Espagne, mais omet le Maroc. Les avocats du Royaume du Maroc se sont empressés de soumettre le document à l’Audience Provinciale pour prouver « l’innocence » de leur client accusé d’espionnage avec Pegasus. Le journal marocain Barlamane par exemple, proche de l’appareil sécuritaire, s’est emparé de ce rapport pour affirmer que la sentence qui annule les poursuites contre moi est pratiquement irrelevante face aux conclusions de l’équipe de la Moncloa.

À voix basse, un cadre socialiste, un collaborateur d’Albares, a expliqué que le harcèlement judiciaire dont je fais l’objet est dû au fait que je suis « anti-marocain ». Je tiens à le dire haut et fort : je ne suis pas anti-marocain, tout comme les antifranquistes n’étaient pas antiespagnols, même si la propagande de la dictature s’obstinait à les présenter comme tels.

Je passe beaucoup de temps en ligne avec des Marocains vivant dans leur pays et dans diverses parties de l’Europe. Certains d’entre eux sont des amis de longue date. Je leur dois certaines de mes exclusivités journalistiques. Je connais mon voisin et c’est pourquoi, lorsque les tensions étaient vives entre l’Espagne et le Maroc en 2021, j’ai été invité à plusieurs reprises à des réunions à huis clos pour donner mon avis sur les intentions de la maison royale marocaine, là où se trouve le véritable pouvoir.

C’était une autre époque. Maintenant que les deux voisins sont de grands amis, analyser dans des articles de presse le comportement de Rabat, y compris son utilisation massive de Pegasus pour espionner sans dépenser un dollar, c’est se mettre à dos les deux parties.

NdlT

*Acción de jactancia : action dirigée contre une personne qui se vante publiquement d’avoir un droit contre une autre afin de l’obliger à établir la réalité de ses allégations sous peine d’être vouée à un silence perpétuel.

**Cette résolution a été la première dans les 44 ans de vie du Parlement européen, critiquant le régime marocain pour atteintes à la liberté de l’information.

***Le palais de la Moncloa, à Madrid, est la résidence officielle du président du gouvernement (Premier ministre)



29/12/2024

La chasse aux millions de dollars : la guerre secrète du Mossad contre les finances de la résistance palestinienne et libanaise

Pendant des années, Udi Levy a dirigé une unité du Mossad chargée de surveiller les flux de fonds destinés aux groupes de la résistance, évidemment toujours qualifiés de « terroristes ». Grâce à des méthodes créatives [sic] et à l’absence quasi totale de restrictions, l’unité est parvenue à contrecarrer les transferts de sommes considérables vers le Hamas et le Hezbollah. Puis elle a été fermée.

Yossi Melman, Haaretz , 4/1/2024


Udi Levy, qui dirigeait l’unité Tziltal (Harpon), aujourd’hui disparue, chargée de traquer les fonds destinés aux groupes “terroristes”. Photo : Tomer Appelbaum

En mai 2010, une jeep transportant deux passagers arrive au terminal frontalier de Rafah. Les hommes, qui avaient quitté le Caire en passant par la péninsule du Sinaï, ont subi un contrôle de sécurité superficiel après leur arrivée du côté égyptien du point de passage, et sont entrés dans la bande de Gaza à bord de leur voiture. Après avoir parcouru une courte distance, un missile a explosé devant eux, à l’improviste. Pris de panique, les deux hommes ont sauté du véhicule et se sont réfugiés sur le bord de la route. Quelques secondes plus tard, un autre missile frappe la jeep. Celle-ci a pris feu et des dizaines de milliers de billets de banque brûlés se sont envolés dans les airs.

« On se serait cru dans un film », se souvient Udi Levy, un ancien haut responsable du Mossad.

Les missiles ont été tirés par un drone de l’armée de l’air israélienne, sur la base de renseignements précis. Le conducteur et le passager n’étaient pas visés, c’est pourquoi le premier missile a été tiré en guise d’avertissement, pour leur permettre de s’échapper. La véritable cible étaient les 20 millions de dollars qui se trouvaient dans le véhicule, transférés d’une banque et de bureaux de change en Égypte, et destinés aux Brigades Ezzeddine AL Qassam, l’aile militaire du Hamas.

De hauts responsables du Hamas se sont précipités sur les lieux et ont rapidement commencé à collecter et à emballer les billets noircis. Quelques jours plus tard, les hommes du Hamas sont retournés au Caire, où ils sont entrés dans une succursale de la Banque Misr, la plus grande banque d’Égypte, dans le but d’échanger les billets endommagés contre de nouveaux. Le personnel, surpris, leur a ordonné de quitter les lieux. À ce moment-là, le personnel des bureaux de l’unité Tziltzal (Harpon), au troisième étage du quartier général du Mossad à Glilot, près de Tel-Aviv, a poussé un soupir de soulagement - parmi eux, Levy, le chef de l’unité aujourd’hui disparue.

La destruction de l’argent du Hamas lors de cet incident était une action conjointe réussie entreprise par la direction des opérations des forces de défense israéliennes, dirigée à l’époque par le général de division Tal Russo, et Harpon, l’unité secrète qui avait été créée une dizaine d’années auparavant afin de surveiller, d’avertir le monde et de déjouer les transferts d’argent vers les groupes “terroristes” et l’Iran. Le « copyright » de l’idée dans sa version israélienne appartient à feu Meir Dagan, chef du Mossad, et au Premier ministre Ariel Sharon. C’est Dagan qui a nommé Levy, alors lieutenant-colonel dans l’armée israélienne, commandant de l’unité.

Au cours de ses 15 années d’activité, Harpon a entrepris un grand nombre d’opérations. Des agents du Mossad ont été envoyés pour observer et pénétrer dans les bureaux des changeurs de monnaie ainsi que dans les banques d’Europe, d’Amérique du Sud et du Moyen-Orient, où les “terroristes” et le régime de Téhéran étaient soupçonnés de détenir des comptes.

« Nous surveillions les changeurs de monnaie dans un certain nombre de pays d’Europe », explique dans une interview à Haaretz un agent de l’unité d’opérations ultra-secrètes du Mossad, connue sous le nom de Kidon (Baïonnette), qui a ensuite été promu à la tête d’une division de l’organisation d’espionnage. « Nous surveillions les banques en Europe qui étaient soupçonnées de fermer les yeux sur les comptes d’éléments terroristes », ajoute un autre agent du Mossad. Selon le New York Times, les changeurs de monnaie en Turquie étaient particulièrement surveillés.

Israël a coopéré avec des organisations d’espionnage locales dans le cadre de ces opérations. Les agents du Mossad et de Harpon ont averti leurs homologues de l’existence de comptes suspects et ont transmis les informations aux banques, aux responsables financiers et à d’autres fonctionnaires de ces pays. Dans un cas, cela a permis de faire échouer un projet iranien de transport d’armes hors d’un pays européen.

Lors d’une autre opération, menée vers la fin de la guerre du Liban en 2006, l’armée de l’air a bombardé deux conteneurs, cachés dans le quartier chiite de Dahiya à Beyrouth, qui contenaient des dizaines de millions de dollars.

« Les dirigeants du Hezbollah, avec à leur tête [Hassan] Nasrallah et [Imad] Mughniyeh, ont été sidérés », déclare aujourd’hui Levy. « Ils étaient stupéfaits par le fait que nous sachions où l’argent était caché et que nous ayons réussi à cibler le site avec autant de précision. Ils étaient furieux que tout cet argent, destiné à financer la guerre de l’organisation, ait été détruit. Comment savons-nous leur réaction ? Nous l’avons apprise grâce aux renseignements qui nous sont parvenus après l’opération ».


Hassan Nasrallah. Photo : Bilal Hussein/AP

Levy a été le commandant du Harpon pendant la majeure partie de son existence ; il a pris sa retraite en 2016 et le Harpon a été démantelé en 2017. Vers la fin de son mandat, il a été témoin d’un changement d’approche dans les hautes sphères du gouvernement israélien vis-à-vis des efforts visant à torpiller les transferts de fonds vers les organisations “terroristes” palestiniennes.

« J’ai commencé à voir que le sujet des fonds terroristes devenait de moins en moins important pour [le Premier ministre Benjamin] Netanyahou », se souvient Levy. « Depuis sa réélection en 2015, il avait refusé d’autoriser des opérations d’importance stratégique que nous avions proposées, et avait exprimé des appréhensions quant à leurs implications. » Les opérations en question, précise-t-il, visaient principalement le Hamas.

La question du financement du “terrorisme” palestinien revêt une importance particulière à l’heure actuelle, dans le sillage de l’attaque vicieuse [sic] du Hamas le 7 octobre. Pendant des années, Netanyahou a ignoré le flux de milliards de dollars du Qatar vers l’organisation islamiste, et a même encouragé ce processus de financement. Cela faisait partie de ses efforts pour mettre au placard la solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien. Mais l’argent, qui était censé acheter la tranquillité, a été utilisé pour renforcer les capacités militaires du Hamas, qui a pris Israël par surprise le 7 octobre.

Netanyahou a commencé à définir sa politique à la fin de l’année 2014. Yossi Cohen, alors directeur du Conseil national de sécurité et plus tard chef du Mossad, l’a soutenue, tout comme Meir Ben Shabbat, qui a succédé à Cohen à la tête du Conseil national de sécurité. Parmi les quelques personnes qui ont remis en question cette politique, on trouve Avigdor Lieberman, le ministre de la Défense de l’époque, Tamir Pardo, qui a dirigé le Mossad de 2011 à 2016, et Levy lui-même. Mais Netanyahou n’a pas tenu compte de leurs avertissements.

« Le transfert des fonds au Hamas a rendu possible l’attaque surprise du 7 octobre », dit Udi Levy. « Je ne me souviens pas que Netanyahou ait eu une seule discussion sérieuse sur les implications possibles de la puissance économique croissante du Hamas, même si on lui a montré les chiffres ». En effet, selon Levy, pendant des années, le premier ministre a rejeté les recommandations de l’establishment de la sécurité de mener une guerre économique sérieuse contre le Hamas.

Pourquoi ?

Levy : « Netanyahou et Cohen pensaient que l’apaisement du Hamas était une solution qui servait leur vision du monde et leur idéologie. Ils n’ont pas compris, ou n’ont pas voulu comprendre, que c’était en fait le problème. C’était une décision politique ».

Et cette décision, selon M. Levy, était contraire aux intérêts nationaux d’Israël.


Yossi Cohen et Benjamin Netanyahou : « Depuis sa réélection en 2015, Netanyahou avait refusé d’autoriser les opérations d’importance stratégique que nous avions proposées », se souvient Levy. Photo : Kobi Gideon/Bureau de presse du gvt. isr.

* * *

Levy, 61 ans, est né dans le quartier Hatikva de Tel Aviv. Sa mère d’origine égyptienne, Miriam, travaillait comme infirmière dans le quartier, où elle a rencontré son père, Haim, propriétaire d’un magasin de fleurs. La famille de Haim était arrivée de Perse en Palestine ottomane au début du XXe siècle. Lorsque Levy a 8 ans, la famille déménage à Holon, au sud de Tel Aviv.

Levy a été enrôlé comme « auditeur » dans l’unité de renseignement d’élite 8200. « Je ne sais pas pourquoi ils m’ont choisi », dit-il. « L’arabe que j’avais appris à la maison était très rudimentaire ». Après un cours de six mois, il est affecté à un poste d’écoute à la frontière libanaise. Lors de la guerre du Liban de 1982, il a été envoyé à un cours de formation des officiers et a ensuite occupé une série de postes clés dans le domaine du renseignement. Il a également obtenu une licence en études du Moyen-Orient à l’université de Tel Aviv. Après avoir été promu au grade de major, il a été nommé commandant d’une base 8200 à Jérusalem. « Je n’aimais pas la division du travail », explique-t-il. « J’étais responsable de la logistique, mais je voulais m’engager dans l’essentiel, avec du matériel de renseignement ».

Par chance, au plus fort de la première Intifada, il rencontre le chef de l’administration civile du gouvernement militaire, le colonel Gadi Zohar. C’est également par Zohar qu’il a entendu parler pour la première fois de la puissance économique croissante du Hamas. « Gadi m’a dit que le Shin Bet [service de sécurité] et les services de renseignements militaires n’avaient pas identifié les principaux problèmes de la population », raconte-t-il. « Ils se concentraient sur les escadrons terroristes, ne voyaient pas le tableau d’ensemble et ne comprenaient pas ce qui se passait sous la surface. L’un des enseignements tirés de cette expérience a été la décision de créer une petite unité de personnel de renseignement, sous les auspices de l’administration civile, afin de surveiller l’humeur de la population. Gadi m’a proposé d’en faire partie, ce que j’ai accepté avec plaisir ».

Quelles impressions avez-vous eues à l’époque ?

« J’ai rencontré des journalistes, des intellectuels et des commerçants [palestiniens] qui m’ont parlé de l’état d’esprit de la société palestinienne. Ils m’ont dit : « Vous [les Israéliens] ne faites pas attention à ce qui se passe à la base. Vous ne voyez pas comment le Hamas, par l’intermédiaire d’organisations à but non lucratif, construit des hôpitaux, des écoles, des jardins d’enfants, des institutions sociales, des mosquées. Vous ne voyez pas combien d’argent est acheminé dans les territoires afin de maintenir le monstre que le Hamas est en train de construire [ce qu’on appelle un État partout ailleurs, est un “monstre” dans le cas de Gaza, NdT] ».

Levy a commencé à recueillir des informations sur les activités financières du Hamas et, dans une moindre mesure, sur celles du Jihad islamique. « Lorsque j’ai écrit à l’époque, au début des années 1990, que les organisations à but non lucratif du Hamas avaient injecté en Cisjordanie et à Gaza environ un demi-milliard de dollars provenant de dons faits à l’étranger, le Shin Bet s’est moqué de moi », se souvient-il. « Ils ont prétendu que les fonds s’élevaient à 10 millions de dollars. Gideon Ezra, qui dirigeait un département du Shin Bet, nous a dit : “Ne dites pas n’importe quoi. Je ne vais pas m’occuper des écoles et des hôpitaux. Ma seule tâche est de contrecarrer le terrorisme” ».

Mais Levy a trouvé des oreilles attentives auprès du général de division Ilan Biran, alors chef du commandement central, et du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, le général de division Danny Rothschild. « Notre principal outil était les décisions de justice, qui nous permettaient de fermer des institutions et de confisquer de l’argent. Nous avons poursuivi des changeurs de monnaie en Cisjordanie et à Gaza, ainsi que des chefs de conseil [ ?]. Le nom de code de notre activité était biur hametz [un rituel de la Pâque qui se réfère, métaphoriquement, à l’élimination de substances inacceptables ou nocives] ».

En 1994, le général de brigade Meir Dagan, responsable des opérations spéciales à Gaza et en Cisjordanie, a rendu visite au commandement central. « Je lui ai montré le matériel que j’avais rassemblé », raconte Levy, « et à ma grande surprise, il s’est montré très intéressé par ce matériel ». Dagan et Levy ont ensuite rencontré le chef d’état-major adjoint des FDI, Matan Vilnai. « Vilnai m’a dit : “Je connais le Hamas comme ma poche - je ne pense pas que vous puissiez m’apprendre quoi que ce soit de nouveau”. C’est pourtant ce que j’ai fait. À la fin de la réunion, Vilnai était complètement abasourdi ».

En 1996, lorsque Netanyahou a été élu Premier ministre pour la première fois, il a chargé Dagan de mettre en place une unité indépendante de lutte contre le terrorisme. À son tour, Dagan a nommé Levy, alors lieutenant-colonel, pour diriger la recherche de financements terroristes.

« Nous avons commencé à impliquer la communauté internationale, en particulier les USA et l’Europe, dans une guerre économique contre le Hamas, le Jihad islamique et le Hezbollah », raconte Levy. « Nous nous sommes concentrés sur quelques organisations à but non lucratif du Hamas et du Jihad islamique qui opéraient aux USA, en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne ».

Le tournant s’est produit en 2001, en partie à la suite de la catastrophe du 11 septembre, lorsque l’administration américaine a pris conscience de l’importance de la lutte contre le financement du terrorisme et des liens entre des organisations caritatives apparemment innocentes et des groupes terroristes. L’élection d’Ariel Sharon au poste de premier ministre la même année a constitué un deuxième tournant. Sur la recommandation de Dagan, Sharon a accepté de créer un organe secret au sein du Conseil national de sécurité, alors dirigé par Uzi Dayan. Dayan nomme l’unité Harpon, en s’inspirant de « Moby Dick » de Melville. Levy est nommé à sa tête.

« Dans mon adolescence, j’ai lu Moby Dick comme un récit d’aventure sur le monde obscur des chasseurs de baleines », se souvient aujourd’hui Uzi Dayan. « Trente-cinq ans plus tard, j’ai relu le livre. J’ai associé le nom de code Harpon au narrateur de l’histoire, Ismaël, qui décrit comment son ami attend le bon moment pour lancer son harpon mortel ».


L’ancien chef du Mossad, Meir Dagan. Photo : Alon Ron

* * *

Le travail de l’unité Harpon était sous-tendu par le slogan bien connu « Suivez l’argent ».

Levy : « De 1993 à 2016, les méthodes utilisées pour déplacer l’argent ont à peine changé. Au cours de la première décennie, de 1993 à 2003, l’argent destiné aux organisations terroristes provenait principalement d’Arabie saoudite - de son gouvernement et des dons de riches Saoudiens, qui soutenaient également Al-Qaida. Ils transféraient l’argent directement des banques saoudiennes aux banques palestiniennes, ou par l’intermédiaire de Western Union. L’Arabie saoudite a cessé de transférer de l’argent au Hamas en 2003, par crainte de la réaction des USA, après qu’il a été révélé que les Saoudiens avaient soutenu les militants d’Oussama ben Laden ».

Au début des années 2000, les Iraniens ont remplacé les Saoudiens en tant qu’élément dominant du financement du terrorisme palestinien, en prenant le contrôle des transferts d’argent vers le Hamas et le Jihad islamique, ainsi que vers l’Autorité palestinienne. La contrebande d’armes entre l’Iran et l’Autorité palestinienne en 2002 sur le cargo Karine A, qui a été saisi par la marine israélienne, en est un bon exemple. La Force Al-Quds de l’Iran a financé l’opération et acheté les armes.

Parallèlement au financement de Téhéran, l’argent a constamment afflué de dizaines d’organisations à but non lucratif - dans les Émirats arabes unis, au Qatar, en Indonésie, en Malaisie et également dans les pays occidentaux : Allemagne, France, Pays-Bas, Danemark, France, Grande-Bretagne. Ces organismes ont mené toutes sortes d’actions de collecte de fonds : de la collecte de monnaie dans les caisses de charité des mosquées à l’obtention de fonds auprès de grandes organisations caritatives occidentales à vocation sociale. « Il s’agit d’un réseau insensé d’organisations caritatives mondiales qui continue de fonctionner à ce jour », explique Levy.

Pour traquer et contrecarrer le transfert des fonds, Harpon a été investi de pouvoirs et d’une autorité inhabituels dès sa création. « Le ministre de la justice, Yaakov Neeman, nous a soutenus », raconte M. Levy, « et toutes les instances se sont jointes à l’effort : la police israélienne, l’autorité israélienne chargée de l’interdiction du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, la Banque d’Israël, l’autorité fiscale israélienne, les banques et les procureurs de l’État et de l’armée ».

L’adjoint de Levy était P., un agent de terrain qui avait travaillé dans des États ennemis, dont l’Iran. L’avocat Paul Landes, de l’autorité chargée du blanchiment d’argent, a rejoint l’équipe et a ensuite été l’adjoint de Levy.

« Le gouvernement Sharon avait pris une décision secrète de grande portée qui nous autorisait à recevoir des informations de toute source autorisée en Israël et à agir sur la base de ces informations, ainsi qu’à être en contact avec n’importe quel gouvernement dans le monde », note Levy.

Ces pouvoirs sont toutefois à la limite de l’atteinte à la vie privée. L’unité ne pouvait pas accéder aux comptes bancaires israéliens, mais si elle soupçonnait que des organisations arabes à but non lucratif en Israël - notamment la branche nord du Mouvement islamique - servaient d’intermédiaire pour le transfert de fonds vers le Hamas et les territoires, l’information était transmise à la police et une enquête était lancée.


Suha Al Tawil, veuve Arafat, 61 ans, citoyenne française née à Jérusalem, une redoutable business woman, qui trouva même le moyen de voler 1 million de dollars à Leïla Trabelsi, alias Madame "Je prends tout", épouse puis veuve consolable de son cher Zine Abidine Ben Ali, alias ZABA, alors PDG de l'entreprise Tunisia Inc. Après la mort d'Arafat, Suha trouva le moyen de récupérer ses avoirs bancaires (notamment auprès de la Leumi Bak israélienne), au grand dam des responsables de l'(In)Autorité palestinienne, grâce au savoir-faire de son conseiller financier Edouard Rizk, un phalangiste libanais. Entre bons chrétiens, on se serre les coudes. [NdT]

L’une des opérations les plus importantes de Harpon s’est déroulée au plus fort de la deuxième Intifada, au début des années 2000, dans le but de retrouver les actifs du dirigeant palestinien Yasser Arafat, soupçonné de dissimuler des centaines de millions de dollars dans le monde entier.

« Arafat, sa femme Suha et ses assistants étaient totalement corrompus », explique Levy. Le président palestinien possédait de nombreux comptes bancaires - à Malte, en France, en Égypte, en Jordanie, en Tunisie et en Algérie - qui étaient gérés pour lui par son homme d’argent, Mohammed Rashid.

Avec l’aide du Mossad, Harpon a tenté de mettre le grappin sur les comptes bancaires d’Arafat et de son épouse. L’unité avait un double objectif : d’abord, elle espérait dévoiler ces comptes et diffuser largement des informations à leur sujet, dans le cadre d’une guerre psychologique, afin de salir Arafat et de le montrer corrompu. Harpon et le Mossad ont été aidés dans cette entreprise par des journalistes étrangers et israéliens. L’un de ces derniers va même jusqu’à lui proposer de se faire passer pour un correspondant étranger et d’essayer d’entrer en contact avec Suha. L’idée fut rejetée, mais Levy et ses agents réussirent à persuader la Banque Leumi [israélienne] de fermer le compte d’Arafat.

Le deuxième objectif était semblable à celui de Robin des Bois : saisir les comptes bancaires du couple et transférer leur argent vers un pays ami du Moyen-Orient, un allié d’Israël. Mais cette fois, Harpon n’a pas réussi.

L’unité a également utilisé des méthodes similaires contre le Jihad islamique. Son fondateur, le Dr Fathi Shaqaqi, exerçait un contrôle très centralisé sur l’organisation et ses fonds. Dès ses débuts, dans les années 1980, Shaqaqi était un mercenaire au service de l’Iran. Téhéran a financé son groupe, qui a mené certaines des attaques terroristes les plus meurtrières contre Israël, notamment l’attentat au carrefour de Beit Lid en janvier 1995, au cours duquel 22 Israéliens ont été assassinés. Au mois d’octobre suivant, des agents de l’unité Bayonet du Mossad l’ont assassiné en plein jour dans une rue de Malte. Les successeurs de Shaqaqi ont recherché les fonds du Jihad islamique mais n’ont pas pu accéder aux comptes bancaires. Des rumeurs ont circulé selon lesquelles sa femme se serait emparée de l’argent et l’aurait emporté en Iran ou ailleurs.

De son vivant, Shaqaqi n’a pas hésité à accepter d’autres sources de financement. Son homme de confiance aux USA était Sami al-Arian, professeur d’ingénierie informatique à l’université de Floride du Sud. Al-Arian a été arrêté en 2003 et inculpé de 17 chefs d’accusation pour appartenance à une organisation terroriste, financement d’une organisation terroriste, blanchiment d’argent et autres.

À peu près à la même époque, Levy a été envoyé en Floride au nom de l’État d’Israël, où il a été autorisé pendant trois mois à partager des documents et des informations de renseignement avec le FBI et le département du Trésor. Finalement, Arian a été acquitté de la moitié des chefs d’accusation ; il a signé un accord de plaidoyer et a purgé moins de cinq ans de prison. Après sa libération, en 2014, il a été expulsé des USA et a créé un centre de recherche dans une université d’Istanbul, qui, selon les services de renseignement israéliens, est également impliquée dans le transfert de fonds à des groupes terroristes.

La plus grande réussite de Harpon a été la lutte économique contre l’Iran. Grâce à son travail, Israël a pu, au fil des ans, persuader les USA et les pays d’Europe occidentale d’imposer de lourdes sanctions à l’Iran, dont la plupart sont encore en vigueur aujourd’hui. Plus précisément, Harpon, en collaboration avec les divisions de recherche du Mossad et du renseignement militaire, a fourni des informations sur la base desquelles des recommandations ont été formulées quant aux industries et aux entreprises iraniennes à sanctionner.

« Mon mandat de directeur du Mossad a joué un rôle essentiel dans la guerre économique contre l’Iran », explique Tamir Pardo à Haaretz, « ainsi que contre le Hamas et le Hezbollah ».

Harpon n’a pas mené d’actions sur le terrain contre les banques iraniennes, en raison de problèmes opérationnels et de la crainte de mettre son personnel en danger. Il a toutefois réussi à repérer et à marquer les fonds utilisés par des entreprises et des particuliers iraniens qui tentaient de contourner les sanctions afin d’introduire en contrebande des composants pour des projets de missiles et d’armes nucléaires. Les informations ont été transmises aux gouvernements de l’Occident et de l’Extrême-Orient, ce qui a permis d’empêcher la contrebande des équipements, qui ont souvent été confisqués.

L’un des points de référence des activités de Harpon a été de persuader Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne de 2011 à 2019, de prendre des mesures énergiques contre l’Iran. « Draghi nous a beaucoup aidés », note Levy, ajoutant que le développement le plus important a été la décision d’interdire à l’Iran et à ses citoyens l’accès au système international de compensation monétaire SWIFT. Ces actions ont amené Téhéran à la table des négociations et ont conduit à la signature de l’accord nucléaire de 2015.

Les efforts déployés pour découvrir et saborder les sources de financement des organisations terroristes ont également échoué. Levy et un haut responsable du Shin Bet se sont rendus à Dubaï, par exemple, pour convaincre le dirigeant de cette ville de cesser de financer le Hamas. Celui-ci leur a montré la porte.

« Ce sont les plus grands blanchisseurs d’argent du Moyen-Orient », déclare Levy à propos du gouvernement de Dubaï. « Presque toutes les sociétés affiliées aux Gardiens de la révolution iraniens et à leurs services de renseignement ont des représentations et des bureaux à Dubaï, ce qui les aide à blanchir de l’argent et à contourner les sanctions ».

Vous connaissiez bien les dirigeants du Hamas et du Hezbollah. À quelle profondeur estimez-vous que leur corruption s’étend ?

« Imad Mughniyeh était corrompu - il avait des maisons et des comptes bancaires à Damas et en Iran [selon des sources étrangères, il a été assassiné lors d’une opération conjointe du Mossad et de la CIA en 2008]. Nasrallah aussi ; lui et sa famille sont très riches. Nasrallah préfère ne pas garder son argent dans les banques au Liban, à cause des sanctions contre ce pays et contre lui, mais plutôt en Syrie et en Iran ».

Et le Hamas ?

« Au début, les dirigeants du Hamas se comportaient modestement et étaient certainement beaucoup moins corrompus que les dirigeants de l’OLP. Mais au cours des dernières décennies, Khaled Meshal et Ismail Haniyeh sont devenus milliardaires, avec de nombreux biens au Qatar, et des comptes dans la plus grande et la plus importante banque de ce pays, la Banque nationale. »

Et Yahya Sinwar ?

« Idem. Jusqu’à la guerre actuelle, il possédait de luxueuses villas à Gaza, mais il a aussi des biens au Qatar et des comptes bancaires dans ce pays. Bref, ils sont pris en charge, ainsi que toutes leurs familles et leurs enfants. »

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En effet, un changement radical s’est produit en 2014 : Le Qatar a commencé à envoyer des fonds à la bande de Gaza. Israël l’a autorisé à faire entrer des valises remplies de millions en liquide, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Ramallah. Pour sa part, Levy a pris sa retraite en 2016 et a passé un doctorat à Bar-Ilan, rédigeant une thèse sur l’islam radical, et s’est impliqué dans des entreprises privées. La même année, Yossi Cohen prend la tête du Mossad. Il décide de démanteler Harpon et de répartir ses responsabilités entre deux bureaux. Meir Ben-Shabbat, qui venait de prendre la direction du Conseil national de sécurité, affirme qu’il n’a pas été impliqué dans cette décision, qui a été autorisée par le cabinet de sécurité en mars 2018. À la place de Harpon, le ministère de la Défense a créé le Bureau national de lutte contre le financement du terrorisme, aujourd’hui dirigé par Paul Landes. Les autres rôles de la défunte unité, notamment la collecte et la concentration d’informations de renseignement pertinentes, ont été transférés au département de recherche du renseignement militaire.

Cohen a refusé de répondre à la question de Haaretz sur les raisons qui l’ont poussé à démanteler l’unité. Levy, pour sa part, a du mal à comprendre les raisons de cette décision.

« Peut-être voulait-il laisser une trace en la démantelant et en formant de nouvelles unités », dit-il. « Ce dont je me souviens, c’est que Yossi m’a toujours demandé de dire du bien de lui à Dagan, qui était non seulement mon professeur et mon mentor, mais aussi un ami personnel ».

Le bureau de M. Netanyahou a refusé de commenter cet article. [et on peut toujours rêver à une unité du Mossad chargée de pister son argent, celui de sa femme et de sa bande, NdT]