26/11/2022

GIDEON LEVY
Rifat n'a pas essayé d’échapper aux soldats israéliens : il avait déjà été abattu

Gideon Levy, Haaretz, 26/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Après avoir travaillé brièvement dans un restaurant de Jaffa, Rifat Eissi est retourné dans sa ville natale de Cisjordanie pour renouveler son permis d'entrée. Alors qu'il franchissait une brèche dans la barrière de séparation sur le chemin du retour en Israël, un soldat l'a abattu – alors qu'il se tenait immobile

Rifat Eissi n'était pas vraiment de Cisjordanie. Bien qu'il soit né dans le village de Sanur, au sud de Jénine, il a passé la majeure partie de sa vie en Jordanie, où ses parents vivent toujours en exil. Il était marié à une Jordanienne et ils avaient une fille.

 

Fathiya Eissi, la tante de Rifat, à Sanur cette semaine. « Il voulait améliorer sa vie, mais il n'avait aucune chance », dit Ali, le père de Rifat Photo : Alex Levac

Il y a environ deux mois, Eissi a décidé de tenter sa chance pour trouver du travail en Israël, après avoir entendu dire que le salaire y était meilleur. Cuisinier expérimenté, il a obtenu un emploi dans une échoppe de chawarma au port de Jaffa, après avoir reçu un permis d'entrée temporaire. Cependant, quand il a expiré, il a dû retourner en Cisjordanie pour prendre des dispositions pour en obtenir un nouveau.

N'étant pas d'ici, il ne savait peut-être pas comment se faufiler en Israël pour travailler. Il n'aurait certainement pas pu imaginer que les soldats des Forces de défense israéliennes ouvrent le feu de manière aussi désinvolte et sans avertissement sur les Palestiniens qui tentent de négocier les brèches dans la barrière de séparation. Il ne savait pas non plus qu'au cours des derniers mois, les zones adjacentes à la barrière sont devenues une véritable zone de mort, rappelant l'Allemagne de l'Est d’il y a des décennies. Il a été le quatrième à y être abattu cette année.

N'étant pas d'ici, il s’est probablement immobilisé sur place, complètement terrifié, quand une Kia Picanto blanche s'est arrêtée à côté de lui et que quatre soldats en sont sortis, leurs armes pointées sur lui. Selon les témoignages oculaires, Eissi n'a pas essayé de fuir à ce moment-là. La peur absolue l'a cloué sur place, près d'une ouverture dans la clôture. Mais rien n'empêchait les troupes israéliennes de lui tirer dessus. L'un des soldats a tiré trois balles dans le bas du corps de Rifat, transperçant les principaux vaisseaux sanguins et probablement le tuant sur place.

Pour aggraver la tragédie, sa veuve et son enfant unique ont été empêchés d'assister aux funérailles ; en fait, ils ne pourront probablement jamais visiter la tombe de leur bien-aimé : Eissi a été tué dans sa patrie, d'où sa famille s'est exilée ; sa femme et sa fille jordaniennes sont interdites d'entrer en Cisjordanie, même pour une visite, car la loi israélienne interdit le regroupement familial pour les Palestiniens.

Voilà. Une brève histoire du mal israélien.

Une maison modeste à Sanur, un village un peu coloré niché entre deux collines. C'est la maison de la tante et de l'oncle du défunt, qui appartenaient auparavant à ses grands-parents. Une affiche commémorative a été collée négligemment sur un mur. Les vieux canapés en lambeaux sont les seuls meubles dans le salon de cette maison en pierre.

Rifat Eissi

Fathiya Eissi, 64 ans, la sœur du père de Rifat, porte du noir. Les parents de Rifat ont quitté le village il y a longtemps pour le Koweït, mais ils sont revenus quand les Palestiniens ont été expulsés de ce pays en 1990, avant la guerre du Golfe. Rifat, leur aîné, est né alors que le couple était à Sanur, après 10 ans où ils avaient essayé de devenir parents, nous dit-on.

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
¿Peligros del autismo?
Fútbol y automovilismo en la cultura uruguaya

Luis E. Sabini Fernández, 24-11-2022

Un deslinde inicial y radical: soy un perro jugando al fútbol. Siempre lo fui, incluso cuando hicimos nuestros intentos infantiles con el Goleada Fóbal Clú o el Deportivo Bulevar.

Alberto S. Ballesteros

No voy a hablar entonces ni desde la sapiencia ni desde la técnica futbolísitica. Apenas como un veterano que mira los partidos, eso sí, desde hace décadas.

Esta mañana, esperando el ómnibus en Montevideo, escuchaba a dos comentadores en la calle, nada empilchados, acerca del partido que se acababa de empatar con Corea del Sur: −que quién fue el mejor? –Valverde… surgió otro nombre en contrapunto que no pude oír, y luego un descarte redondo y a dúo, Suárez… no, Suárez ni pensarlo…

Este pensamiento llano, me parece, pese a su crudeza, muy representativo de la situación del fútbol en Uruguay, de la sociedad uruguaya en este aspecto.

La búsqueda del mejor, del increíble, del formidable… cuando yo era un niño, escuchaba del omnipresente Atilio García (que era argentino) o de Obdulio −el troesma, el Mago [otro mago]−,  o  de Juan Schiaffino… o Roque Gastón Máspoli… Diego Rocha en los ’60, Ladislao Mazurkievicz en los ‘70,  otro Diego −Forlán− hacia el cambio de siglo, el batallador Luis Suárez… todavía batallando.

La conversación al paso que rememoré muestra claramente que esa búsqueda sigue. Del mejor. Quien nos pueda salvar.

Claro que tales figuras, míticas como Maradona o más terrenales como Messi, que tenemos aquí enfrente, son bienvenidas.

Pero no es la única forma de hacer un equipo espléndido, maravilloso, casi invencible. Y lo peor, no es la mejor forma.

Cuando irrumpieron en 1954, en el Quinto Campeonato Mundial equipos formidables como el húngaro o el alemán, que terminó llevándose el triunfo, ¿qué traían consigo?

Los pases. La precisión en los pases.


El trabajo colectivo, dónde finalmente perdía importancia quien llegaba a meter la redonda en la red. Porque el gol era el fruto de dos o tres pases maestros, inmortales. Por supuesto que importaba, importa el remate, pero no es lo único, ni mucho menos.

Para la cultura futbolera dominante en nuestro país, los escribas deportivos o los radiales, ponen el acento en el último que tocó la pelota y la puso en el arco. Pero una cultura un poco menos cortoplacista y más sabia, sabría poner el acento en el trabajo previo, de equipo.

En Uruguay perdura el culto a quien “nos va a salvar”. Por eso, el plantel contó ayer, una vez más con figuras del ayer –Suárez, Godin, casi casi Cavani o Cáceres…

25/11/2022

ANNAMARIA RIVERA
Les Italiens veulent-ils du racisme ?

Annamaria Rivera, Commune-Info, 24/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le nouveau gouvernement fascisant italien, le plus à droite de l'histoire de la République, a promis, entre autres, le retour aux décrets-sécurité, dans le but de lutter contre « l’immigration irrégulière ». Comme il était tout à fait prévisible, Giorgia Meloni a ensuite réaffirmé fermement la ligne dure du nouveau gouvernement : « En matière de sécurité et de lutte contre l'immigration illégale, les Italiens se sont exprimés aux urnes, en choisissant notre programme et notre vision ».

Détail d'une photo de Francesca Maceroni tirée de la page Facebook d'Amnesty International relative aux manifestations contre le renouvellement du Mémorandum Italie-Libye

À bien des égards, le gouvernement Meloni a trouvé la voie déjà tracée pour une stratégie qui soit conforme à son propre style, bien qu'elle ne soit pas du tout l'œuvre exclusive de la droite. Pour ne citer que quelques exemples, le nouveau régime frontalier qui s'est imposé en Europe a déjà produit non seulement une hécatombe véritable, perpétuelle, mais aussi la prolifération et même l’externalisation des centres de détention pour migrants, dans lesquels, dans de nombreux cas, sont enfermés même des demandeurs d'asile et des mineurs.

Les conditions de ces camps – souvent équipés de cages et de barbelés, et contrôlés par les forces de l'ordre et des militaires armés - ont été condamnées par la Cour de Strasbourg elle-même. Dans certains pays, comme l’Italie, ce sont des institutions totalement abusives, car elles violent la Constitution et l'État de droit. Cependant, elles sont aussi l'œuvre de la gauche « modérée » : la loi qui les a instituées, la loi n ° 40 du 6 mars 1998, est également appelée Turco-Napolitano par les noms de la ministre de la Solidarité sociale de l'époque, Livia Turco, et du ministre de l'Intérieur de l'époque, Giorgio Napolitano.

Un tel système pour le moins répressif s'est également renforcé grâce aux accords bilatéraux avec des pays de l'autre côté de la Méditerranée, auxquels une grande partie du « travail sale » est déléguée. Comme on le sait, l’Italie a perpétué les accords de coopération même avec un pays comme la Libye, qui, de surcroît - nous l'avons rappelé à plusieurs reprises – n'a pas de lois sur l'asile, pratique de très graves violations des droits humains, et n'a même pas signé la Convention de Genève de 1951.

La Libye, étape incontournable surtout pour les migrants et les réfugiés subsahariens, est un véritable enfer. Comme et pire qu'à l'époque de Kadhafi, les pratiques encore courantes sont les arrestations arbitraires, le travail forcé, l'exploitation esclavagiste, les déportations, les rackets, les tortures, voire les viols : des horreurs dont l'apothéose est constituée par l'enfer de la prison de Koufra. La seule différence, c'est qu’aujourd' hui, ce sont les milices armées qui « dirigent » les centres de détention et qui commettent les atrocités auxquelles j'ai fait allusion.

D’autre part, dans la plupart des pays européens, l’usage politique et idéologique du cliché de l’« invasion » se répand de plus en plus, de même que des rhétoriques telles que celles des migrants comme source d’insécurité et d’appauvrissement des « nationaux » ainsi que de la « clandestinité » comme synonyme de criminalité : largement utilisées même par des institutions, même par certains partis de gauche, même « modérée », ainsi que – cela va sans dire– par des formations populistes, de droite et d'extrême droite, qui connaissent aujourd'hui en Europe une ascension impressionnante, bien illustrée par la victoire de Meloni.

En particulier, le bobard de l’« invasion » et de la « marée montante » est une fausse évidence typique : comme on le sait, la part prépondérante des flux migratoires part des pays du Sud du monde pour se diriger vers d'autres pays du Sud.

Du côté des institutions, dans une partie des pays de l'Union européenne prévaut une approche de type “urgentiste” : conséquence, entre autres, du fait que, en réalité, migrations et exodes n'ont pas été intégrés - je dirais « élaborés » – pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire comme tendances structurelles de notre temps.

Cela explique aussi pourquoi le racisme tend à devenir « idéologie répandue, sens commun, forme de la politique », pour citer Alberto Burgio (Critique de la raison raciste, DeriveApprodi, 2010). Et il ne s'agit pas du retour à la surface de l'archaïque, mais d'une des phases de la réémergence récurrente du côté obscur de la modernité européenne.

24/11/2022

GIDEON LEVY
Silence iranien contre silence israélien

 Gideon Levy, Haaretz, 23 /11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La caméra se déplace lentement d'un joueur à l'autre. Un par un, elle zoome sur la même expression dure et ferme. Pas un muscle ne bouge sur leur visage, leurs lèvres sont pincées. Dix jeunes hommes en rouge et un en bleu pâle se tenaient épaule contre épaule et se soutenaient mutuellement dans leur heure de gloire. Il est difficile de savoir ce qui leur a traversé l'esprit à ce moment-là. Il est encore plus difficile de savoir comment ce geste est né : quand a-t-il été planifié, ont-ils tous été d'accord à l'avance ? Qui a pris l'initiative, qui était au courant, qui a tenté de les dissuader, et y en a-t-il un seul qui ait flanché ?


L'hymne national de la République islamique d'Iran, leur pays, a été joué et leurs lèvres sont restées scellées. Ils se sont tus comme un seul homme et leur silence a résonné jusqu'au bout du monde. Dans le stade de Doha, un moment fondateur est né. Un silence qui a résonné plus fort que tout le bruit dans les stades.

On ne sait pas ce qu'il adviendra d'eux lorsqu'ils rentreront, s'ils rentrent, dans leur pays. Il est peu probable qu'ils aient l'occasion de le représenter à nouveau. Le risque qu'ils ont pris est énorme, tout comme l'admiration mondiale qu'ils ont gagnée. Ils ont également été admirés en Israël. Les Israéliens savent apprécier le courage, mais uniquement de ceux qui résistent aux régimes d'autres États. Ce qui s'est passé à Doha ne se produira jamais dans l'équipe juive d'Israël, et pas seulement parce qu'Israël n'a aucune chance d'atteindre la Coupe du monde.

Les joueurs arabes de l'équipe israélienne ne chantent pas l'hymne, ostensiblement à cause de quelques mots qui ne leur conviennent pas. Mais la raison est plus profonde. Eux aussi sont des résistants au régime, un régime de suprématie juive, qui chante « Aussi longtemps qu'au fond de nos cœurs/
Vibrera l'âme juive
 » dans un Etat habité par deux nations. Le risque qu'ils prennent en ne chantant pas l'hymne est limité. Personne ne va les virer de l'équipe pour l'instant, sans parler de les envoyer en prison. Il n'est pas non plus nécessaire de s'étendre sur les différences entre le régime iranien et celui d'Israël. Une dictature totalitaire comme celle de l'Iran n'existe que dans l'arrière-cour d'Israël. Dans la façade d'Israël, où vivent aussi les joueurs de l'équipe arabe, il y a un régime libre, sinon égalitaire.

Moanes Dabbur, après avoir marqué un but pour l'équipe israélienne en 2019. Photo: Nir Keidar

Lorsque Bibras Natcho n'a pas chanté l’Hatikva, aucun de ses coéquipiers juifs n'a pensé à faire preuve de solidarité et à se joindre à son combat. Lorsque Moanes Dabbur a cité le Coran dans le conflit armé baptisé “Gardien des Murs” [mai 2021] et a écrit : « Ne pensez pas qu'Allah ignore ceux qui commettent les iniquités », il a été temporairement suspendu de l'équipe, jusqu'à ce qu'il la quitte pour de bon. Personne n'est venu prendre sa défense. Un joueur juif de l'équipe qui s'identifie à la minorité opprimée n'est pas encore né. Les joueurs juifs de l'équipe, et la plupart de ses fonctionnaires et de ses fans, rivalisent entre eux pour faire preuve du patriotisme le plus véhément et le plus criard contre les résistants à notre régime.

HAIDAR EID
Réflexions depuis Gaza après les élections israéliennes

 

Haidar Eid, Palestine Chronicle, 21/11/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Lorsque mes étudiants réfugiés me demandent ce que signifie “l’orientalisme”, je leur dis de regarder Israël. Les préjugés, les fantasmes et les clichés racistes véhiculés par le sionisme à propos des Palestiniens et des Arabes, ainsi que l’abus colonial de pouvoir et la domination d’une culture autoproclamée supérieure sur une autre.

Petit déjeuner à Gaza, par Antonio Rodríguez, Mexique

Comme le système inhumain de l’apartheid sud-africain avant lui, l’Israël de l’apartheid est incapable de comprendre la souffrance des Palestiniens et la nature de son oppression des habitants de Gaza. Cela fait partie de ce que le regretté Edward Said appelle “blâmer la victime”.

Rien ne justifie le vol des terres et des souvenirs intimes d’autres personnes. C’est un crime contre lhumanité : c’est immoral et contraire à l’éthique. C’est pourquoi le colonialisme de peuplement en Palestine doit être condamné. Il est temps que la communauté internationale déclare illégales toutes les organisations qui soutiennent les colonies et le colonialisme de peuplement en Palestine.

Dans son ouvrage révolutionnaire Politics of Dispossession, reprenant l’argument de Ghassan Kanafani dans Returning to Haifa, Edward Said écrit de manière très convaincante :

« La question à poser est de savoir combien de temps l’histoire de l’antisémitisme et de l’Holocauste en particulier peut être utilisée comme une barrière pour exempter Israël des arguments et des sanctions à son encontre pour son comportement envers les Palestiniens, arguments et sanctions qui ont été utilisés contre d’autres gouvernements répressifs, comme celui de l’Afrique du Sud. Combien de temps encore allons-nous nier que les cris de la population de Gaza sont directement liés aux politiques du gouvernement israélien et non aux cris des victimes du nazisme ? »

                                            Politics of Dispossession, p. 172

Il est révélateur de la mentalité israélienne officielle que le siège génocidaire de la bande de Gaza n’ait jamais semblé s’inscrire dans la stratégie globale de l’État juif. Et maintenant, nous avons Benjamin Netanyahou qui fait un retour triomphal avec ses alliés fascistes, Ben Gvir et Bezalel Smotrich. En ce qui concerne les Israéliens ou les fonctionnaires israéliens, Israël a retiré ses troupes et ses colons de Gaza en 2005, laissant Gaza libre.

Toutefois, il a conservé les clés des points de passage qui le séparent de Gaza et a laissé le dernier point de passage aux mains de ses alliés égyptiens. Pour les politiciens israéliens traditionnels, les Palestiniens de Gaza sont très ingrats parce qu’ils n’acceptent pas le blocus, qu’ils y résistent et qu’ils réclament leurs droits sanctionnés par la communauté internationale !

23/11/2022

REINALDO SPITALETTA
Le Mondial de l'infamie

 Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, El Espectador, 22/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il y a des années que le football a cessé d'être innocent et dans son histoire, à côté de ses fascinations et ses miracles, ses pièges et ses théatralités, il y a un catalogue de saloperies et autres trucs arbitraires. Au-delà des prodiges, des gambettes et des fioritures, des arrêts spectaculaires ou des buts qui conduisent à un orgasme universel, le football a contracté diverses maladies, transmises par les microbes du capitalisme et le désir infini de plus-values en vrac.

L'ombre du Mondial, par Raul Fernando Zuleta, Colombie

La FIFA, une transnationale privée dont l'ingérence dans la sphère publique est illimitée, a été complice de divers abus, et a encouragé la corruption, les pots-de-vin, les dessous-de-table et d'autres sources de discrédit parmi nombre de ses affiliés. La Coupe du monde au Qatar est un exemple de la manière dont le dieu des marchés, le grand seigneur Dom Argent, comme le chantait le poète [Quevedo : “Poderoso caballero es don dinero”], sert à cacher une foule de violations des droits humains et d'innombrables saloperies à l'encontre des travailleurs. En plus de parrainer des régimes dictatoriaux, comme celui l'émir Tamim ben Hamad Al Thani.

Au-delà d'une "chalaca" [bicyclette], d'un "taquito" [talonnade] éblouissant, d'un "but olympique" (comme le seul marqué à ce jour dans une Coupe du monde, celui du Colombien Marcos Coll contre le meilleur gardien du monde, Lev Yashin, l'Araignée noire), d'un "mur" plus colossal que n'importe quel stade, le football a servi à la protection des dictateurs et à la dissimulation de diverses ignominies. La dynastie "au sang bleu" de l'émir qatari a démontré son pouvoir infini, dans lequel le peuple n’a u’à fournir de l’huile de coude et du sang rouge, vulgaire et sans pedigree.

Avant même 2010, les caractéristiques antidémocratiques du régime de ce pays arabe exotique étaient déjà connues. La FIFA, qui ne s'intéresse pas ou peu aux questions "mineures", comme celle de savoir si le pays désigné est un paradis ou un enfer (elle dira avec dérision qu'elle ne se mêle pas des affaires intérieures du pays choisi comme hôte, même s'il y a des manœuvres corrompues, comme il y en a eu), a attribué la Coupe du monde au Qatar. On connaissait toutes les pressions, les astuces, les ingérences politiques et les pots-de-vin. Rien d'inhabituel. C'est un vieux style. Le dieu d'or décide. Toutes les prières à lui, le béni, le loué.

Le Qatar, grâce aux offices de l'or (et du Maure ?) et que tout, si vous avez le pouvoir du pétrole (or noir) et d'autres richesses, devient possible, a été choisi (prédestiné ?), non pas par Allah, "le plus grand", grâce au pouvoir despotique d'une caste, d'un régime anti-démocratique, qui désormais fera partie du langage courant du monde entier. La FIFA a pris un pari (des années plus tard, quand il était trop tard, sa plus grande plume, le Don Blatter, l'a regretté). Le football peut tout faire.

Qui construira les stades, qui construira toutes les infrastructures (qui a construit Thèbes aux sept portes, se demandait Bertolt Brecht). C'est pour cela que les pauvres d'ailleurs, du Pakistan, des Philippines, du Sri Lanka, du Népal et de l'Inde étaient là, pour travailler de "janvier à janvier", de "dimanche à dimanche", sans droits, juste pleins de besoins et d'urgences. Ceux que les lignées intouchables peuvent exploiter car c'est pour cela qu'elles se sont remplies les poches et autres banques. C'est pour cela qu’elles gouvernent.

Soudain, le monde a commencé à savoir, grâce à des enquêtes journalistiques, par exemple celles du Guardian, que quelque chose de grave se passait avec les travailleurs immigrés au Qatar, un pays où, pour couronner le tout, la liberté d'expression n'existe pas, les femmes sont maltraitées et les relations homosexuelles sont interdites (criminalisées et traitées comme des "maladies mentales"), entre autres vilénies et affronts. Le nouvel esclavage est devenu notoire. L'exploitation infernale des parias.

Des stades construits avec le sang des travailleurs. Selon le journal anglais, 6 500 migrants sont morts dans la réalisation de ces œuvres brillantes et pompeuses qui sont aujourd'hui le temple du football mondial. Qui se soucie des morts, ou des innombrables abus, si tout reste brillant, si les élites au pouvoir peuvent rire et montrer leur luxe, tandis que des milliers de familles pleurent leurs absents. Qu'importe s'il n'y a pas de libertés, si les droits des femmes, des LGBTQ, de ceux qui veulent manifester une certaine antipathie pour l'émir tout-puissant sont violés, si les cris de « Goal ! » permettent de couvrir l'opprobre.

Le football n'est plus innocent. Mussolini, par exemple, le savait en 1934. Les nazis le savaient. Et certains dictateurs africains. La junte militaire d'Argentine en 78 le savait, quand les cris de « Goal ! » noyaient les cris des torturés et camouflaient les milliers de disparus. Elle avait déjà été démontrée par les militaires brésiliens répressifs en 1970, que Pelé, le Roi, a gratifié de son génie. Au Qatar, on peut dire que le football entre avec du sang. Un dribble, un arrêt de balle, une feinte de frappe, un tir au poteau, un but, font oublier les saloperies.

Les "thérapies de conversion" pour le saint émir et son régime de merde (qui a la couleur de l'or) sont loin. Le goal rend amnésiques.


REINALDO SPITALETTA
El Mundial de la infamia

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de mago, El Espectador, 22-11-2022

El fútbol dejó de ser inocente hace años, y en su historial, con fascinaciones y milagros, trampas y teatralidades, hay un catálogo de desafueros y otras arbitrariedades. Más allá de los prodigios, de las gambetas y las florituras, de las atajadas espectaculares o de los goles que conducen a un orgasmo universal, el fútbol contrajo disímiles enfermedades, auspiciadas por los microbios del capitalismo y las ganas infinitas de plusvalías a granel.

La sombra del Mundial, por Raul Fernando Zuleta, Colombia

La FIFA, una transnacional privada con injerencia sin límites en lo público, ha sido cómplice de distintos desmanes, además de propiciar corruptelas, coimas, sobornos y otra feria de desprestigios en muchos de sus afiliados. El Mundial de Qatar es una muestra de cómo el dios de los mercados, el gran señor don dinero que cantara el poeta, sirve para esconder un sartal de violaciones a los derechos humanos y despropósitos sin cuento contra los trabajadores. Amén de auspiciar regímenes dictatoriales, como pasa con el del emir Tamim bin Hamad Al Thani.

Más allá de una “chilena”, de un deslumbrador “taquito”, de un “gol olímpico” (como el único hasta ahora marcado en un Mundial, el del colombiano Marcos Coll contra el mejor arquero del orbe, Lev Yashin, la Araña Negra), de una “pared” más colosal que cualquier estadio, el fútbol se ha usado para la protección de dictadores y el ocultamiento de diversas ignominias. La dinastía de “sangre azul” del emir qatarí ha hecho demostración de su poder infinito, en el que al pueblo solo le corresponde poner trabajos y sangre roja, vulgar y sin abolengo.

Antes de 2010 ya se sabía de las mañas y características antidemocráticas del régimen del exótico país árabe. La FIFA, a la que asuntos “menores”, como si el país designado es un paraíso o un infierno, poco o nada le interesan, (dirá con sorna que no se entremete en los fueros internos del país elegido como sede, incluso si hay maniobras corruptas, como las ha habido), concedió la sede del Mundial a Qatar. Se supo de todas las presiones, patrañas, intermediaciones políticas y sobornos. Nada raro. Es un viejo estilo. El dios oro decide. Todas las oraciones para él, el bendito, el alabado.

Qatar, gracias a los oficios del oro (¿y del moro?) y que todo, si se tiene el poder del petróleo (oro negro) y de otras riquezas, se hace posible, fue el seleccionado (¿predestinado?), no por Alá, “el más grande”, gracias al poder despótico de una casta, de un régimen antidemocrático, que desde entonces pasaría a hacer parte del lenguaje cotidiano del orbe entero. La FIFA se la jugó (años después, cuando ya era muy tarde, se arrepintió su pluma mayor, el don Blatter). El fútbol todo lo puede.

Quién construirá los estadios, quién todas las infraestructuras, (¿Quién construyó Tebas, la de las siete Puertas?, se preguntaba Bertolt Brecht). Para eso estaban los pobres de otras partes, de Pakistán, de Filipinas, de Sri Lanka, de Nepal y de la India, para trabajar de “enero a enero”, de “domingo a domingo”, sin derechos, solo llenos de necesidades y urgencias. A los que las estirpes intocables pueden explotar porque para eso han repletado sus bolsillos y otros bancos. Para eso mandan.

De pronto, el mundo comenzó a saber, gracias a investigaciones periodísticas, por ejemplo, las realizadas por The Guardian, que algo grave pasaba con los inmigrantes obreros en Qatar, un país en el que, por si fuera poco, no hay libertad de expresión, se maltrata a las mujeres y se prohíben relaciones homosexuales (se criminalizan y se tratan como “daño mental”), entre otros vilipendios y afrentas. Se supo del nuevo esclavismo. La explotación infernal de los descastados.

Estadios construidos con sangre obrera. Según el periódico inglés, 6.500 migrantes murieron en las hechuras de las brillantes y pomposas obras que hoy son el templo del fútbol mundial. Qué importan los muertos, ni los innumerables abusos, si todo quedó resplandeciente, si las élites dominantes pueden reír y mostrar sus lujos, al tiempo que miles de familias lloran a sus ausentes. Qué importa si no hay libertades, si se vulneran los derechos de las mujeres, de los lgtbi, de los que quieren manifestar alguna antipatía por el todopoderoso emir, si los gritos de gol taparán el oprobio.

El fútbol dejó de ser inocente. Lo sabía, por ejemplo, Mussolini en 1934. Lo supieron los nazis. Y ciertos dictadores africanos. Lo supo la junta militar de Argentina 78, cuando los gritos de gol ahogaban los lamentos de los torturados y camuflaban a los miles de desaparecidos. Ya lo habían demostrado los represivos militares brasileños de 1970, a los que Pelé, el Rey, complació con su genio. En Qatar se puede decir que el fútbol con sangre entra. Un driblin, una atajada, un “túnel” (caño u ordeñada), un tiro en el palo, un gol, hacen olvidar las tropelías.

Están lejanas las “terapias de conversión” para el sagrado emir y su régimen de mierda (que tiene el color del oro). El gol hace olvidar.

 

18/11/2022

AMIRA HASS
Mahmoud Abbas s'oppose à la réhabilitation de l'OLP et fait ainsi le jeu d'Israël

Amira Hass, Haaretz, 10/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Mahmoud Abbas a créé un nouveau conseil pour renforcer son emprise sur le système judiciaire, et poursuit sa règne successoral oppressif tout en restant fidèle aux accords d'Oslo

Deux mesures distinctes et apparemment sans rapport prises récemment par l'[In]Autorité palestinienne et son chef, Mahmoud Abbas, sont révélatrices de la nature de plus en plus autoritaire et autocratique du régime dans les enclaves palestiniennes de Cisjordanie. L'une des mesures concerne le système judiciaire palestinien et l'autre l'Organisation de libération de la Palestine, et toutes deux montrent à quel point l'[I)AP reste fidèle au rôle qui lui a été essentiellement assigné par les accords d'Oslo : maintenir un statu quo fluide et dynamique au détriment des Palestiniens tout en servant les intérêts sécuritaires israéliens. 

La première mesure a été le décret présidentiel signé par Abbas et publié le vendredi 28 octobre, annonçant la création d'un « Conseil suprême des organes et agences judiciaires ». Ce conseil, dont l'objectif déclaré est de discuter des projets de loi relatifs au système judiciaire, de résoudre les problèmes administratifs connexes et de superviser le système judiciaire, sera dirigé par nul autre que le président de l'[I]AP, M. Abbas, qui est également président de l'OLP et du Fatah.

Les autres membres sont les présidents et les chefs de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême, de la Cour de cassation, de la haute cour pour les questions administratives, des tribunaux des forces de sécurité et du tribunal de la charia. Le ministre de la Justice, le procureur général et le conseiller juridique du président feront également partie du conseil. Il est prévu qu'il se réunisse une fois par mois.

Des juristes palestiniens et des organisations de défense des droits humains ont annoncé leur opposition véhémente à ce nouveau conseil suprême, affirmant qu'il contredit le principe de séparation des pouvoirs - législatif, judiciaire et exécutif - et viole plusieurs sections de la loi fondamentale palestinienne ainsi que les conventions internationales dont l'[I]AP est signataire. Dans des interviews accordées aux médias, ces experts et organisations affirment qu'il s'agit de la dernière d'une série de décisions qui ont déplacé l'autorité législative vers le pouvoir exécutif et son chef, tout en portant atteinte à l'indépendance du système judiciaire et en le subordonnant à Abbas et à ses acolytes.

Peu après la victoire du Hamas aux élections palestiniennes de 2006, Abbas et le Fatah ont empêché le Conseil législatif palestinien de se réunir régulièrement et de faire son travail. Dans un premier temps, ils ont imputé cette situation aux arrestations par Israël de nombreux membres élus du Hamas, ainsi qu'à l'absence du quorum nécessaire à l'adoption de lois. Après la brève guerre civile qui a éclaté à Gaza en juin 2007 entre le Hamas et le Fatah, et avec la division de l'autonomie palestinienne entre les deux régions et les deux organisations, le parlement palestinien a officiellement cessé de fonctionner.

Néanmoins, les représentants du Hamas à Gaza ont continué et continuent à se réunir en tant que conseil législatif et à adopter des lois qui ne s'appliquent qu'à Gaza.

En Cisjordanie, en revanche, la “législation” se fait par le biais de décrets présidentiels. Au cours des 15 dernières années, Abbas a signé environ 350 décrets présidentiels - bien plus que les 80 textes de loi qui ont été débattus et adoptés par le premier conseil législatif au cours de sa décennie d'existence, de 1996 à 2006.

Abbas s'appuie sur une interprétation très large de l'article 43 de la loi fondamentale palestinienne modifiée de 2003, qui donne à un décret présidentiel le pouvoir de loi uniquement « en cas de nécessité qui ne peut être différée et lorsque le Conseil législatif n'est pas en session ».

Jusqu'en 2018, certains parlementaires de Cisjordanie ont continué à se réunir officieusement et ont tenté de participer aux discussions sur les “projets de loi” débattus par le gouvernement, et de représenter le public auprès des autorités. Mais cette année-là, sur instruction d'Abbas, la Cour constitutionnelle a jugé que le Conseil législatif devait être dissous, alors que la Loi fondamentale stipule que son mandat ne prend fin que lorsqu'une nouvelle élection est organisée. Selon la Loi fondamentale, en cas de décès du président de l'[I]AP, il doit être remplacé par le président du parlement. Ce poste était occupé par le représentant du Hamas, Aziz Dweik, d'Hébron. L'opinion générale était qu'en dissolvant le parlement, Abbas et ses alliés cherchaient à contrecarrer de manière préventive un tel scénario. Bien que la Cour constitutionnelle ait ordonné à l'époque la tenue d'une nouvelle élection dans les six mois, Abbas et les siens ont réussi à la repousser encore et encore.

17/11/2022

Yair Lapid à propos de l'enquête US sur le meurtre de Shireen Abu Akleh : “Les soldats de Tsahal ne seront pas interrogés par le FBI”

Jack Khoury, Chen Maanit, Jonathan Lis, Ben Samuels, Haaretz, 15/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Le Premier ministre sortant a déclaré lors de son discours d'inauguration de la prochaine Knesset qu'Israël « n'abandonnera pas ses soldats aux enquêtes étrangères ».

Shireen Abu Akleh devant la vieille ville de Jérusalem/Al Qods. Photo : Al Jazeera Media Network / AP

Le Premier ministre israélien sortant, Yair Lapid, a déclaré mardi que « les soldats israéliens ne feront pas l'objet d'une enquête du FBI, ni d'aucune autre autorité ou pays étranger, aussi amicaux soient-ils ».

Le Premier ministre sortant a fait ces commentaires en référence à l'enquête usaméricaine imminente sur le meurtre de la journaliste d'Al Jazeera Shireen Abu Akleh en mai dernier lors d'un raid israélien dans le camp de réfugiés de Jénine.

Lapid a profité de son discours d'inauguration de la prochaine Knesset pour aborder la question de l'enquête usaméricaine, déclarant qu'Israël « n'abandonnera pas ses soldats aux enquêtes étrangères », ajoutant qu'Israël avait « transmis ses vives protestations aux Américains par les canaux appropriés ».

« Tsahal est une armée morale et éthique (...) engagée dans les valeurs et les lois de la démocratie », a déclaré Lapid, ajoutant que tout «  incident inhabituel » fait l'objet d'une « enquête approfondie ».

En réponse aux questions de Haaretz, le porte-parole adjoint du département d'État usaméricain, Vedant Patel, a déclaré qu'il fallait adresser les demandes de renseignements au département de la justice. Cependant, il a ajouté : « Nous continuons à souligner l'importance de la reddition de comptes dans cette affaire, et nous continuons à appeler et à faire pression sur nos partenaires israéliens pour qu'ils revoient de près leurs politiques et pratiques sur les règles d'engagement et envisagent des mesures supplémentaires pour atténuer le risque de dommages aux civils, pour protéger les journalistes et pour finalement empêcher que des tragédies similaires ne se produisent à l'avenir ».

L'Autorité palestinienne, quant à elle, a salué la décision des USA d'enquêter sur le meurtre d'Abu Akleh. Le porte-parole du président palestinien, Nabil Abu Rudeineh, a déclaré que la décision d'ouvrir une enquête par le FBI est « la preuve du manque de fiabilité des autorités d'occupation israéliennes en ce qui concerne le meurtre de Palestiniens », et que l'enquête « doit conduire les responsables devant la justice ».

Dans une déclaration faisant suite à la nouvelle de l'enquête, la famille Abu Akleh a déclaré qu'elle était « encouragée par les nouvelles selon lesquelles les USA ont ouvert une enquête criminelle... Notre famille demande une enquête usaméricaine depuis le début, et c'est ce que les USA devraient faire lorsqu'un citoyen usaméricain est tué à l'étranger, surtout lorsqu'il a été tué, comme Shireen, par une armée étrangère ».

« Nous espérons que les USA utiliseront tous les outils d'enquête à leur disposition pour obtenir des réponses sur le meurtre de Shireen et faire en sorte que les responsables de cette atrocité rendent des comptes... Il s'agit d'un pas important vers la responsabilisation et rapproche notre famille de la justice pour Shireen », indique le communiqué.

En mai, 57 parlementaires usaméricains ont adressé une lettre au directeur du FBI, Christopher Wray, et au secrétaire d'État, Antony Blinken, pour demander une enquête sur la mort d'Abu Akleh.

Même si les dirigeants usaméricains et israéliens ont déjà fait des déclarations controversées sur le meurtre d'Abu Akleh par le passé, les responsables israéliens pensent que l'enquête usaméricaine est une déclaration symbolique, ont dit des sources israéliennes à Haaretz, affirmant qu'il est peu probable qu'une enquête soit menée sans l'approbation du département d'État US et le consentement d'Israël.

 

DOMINIQUE ZIEGLER
Crépuscule de la Françafrique

Dominique Ziegler (Genève, 1970) est auteur, metteur en scène et scénariste BD. Bio

On se souvient du discours frontal de Thomas Sankara adressé à François Mitterrand lors de la visite d’État de ce dernier au Burkina Faso en 1986. Sans prendre de gants, Sankara balança ses quatre vérités au président français, par ailleurs ancien ministre de la France d’outre-mer sous la Quatrième République et artisan méticuleux de la politique postcoloniale de la France. Sankara reprocha entre autres à Mitterrand d’avoir accueilli avec les honneurs «le tueur Pieter Botha», dirigeant de l’Afrique du Sud de l’apartheid, et d’être tâché du sang de ses victimes. Le «socialiste» français l’avait très mal pris. Il est possible qu’au moment où se fomentait l’élimination de Sankara, l’affront ait pesé dans la balance.

Depuis les pseudo-indépendances des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, rares sont les dirigeants africains à s’être confrontés à l’ancienne puissance coloniale. Ceux qui l’ont fait l’ont payé de leur vie. L’ostracisme ou le meurtre a été le lot de nombres d’opposant·es à la tutelle française et a incité beaucoup de militant·es ou politicien·nes africain·es à une certaine prudence verbale (et physique) dans la sphère publique. C’est donc avec un plaisir non dissimulé qu’on a pu apprécier des éléments du discours du premier ministre malien, Abdoulaye Maïga, à la tribune de l’ONU, en septembre dernier. Le premier ministre traite les autorités françaises de «junte au service de l’obscurantisme» et les accuse de «pratiques néocoloniales, condescendantes, paternalistes et revanchardes». Stupéfaction chez les Blancs!

On éprouve le même plaisir en regardant les vidéos de la pasionaria suisso-camerounaise Nathalie Yamb, une des figures emblématiques du renouveau de la fierté africaine. Florilège: «La France n’est grande que quand elle grimpe sur les épaules de l’Afrique»; «C’est contre notre engagement pour l’émancipation et le respect des Africaines et des Africains qu’Emmanuel Macron a décidé d’aller en guerre et de réaffirmer que nous, populations d’Afrique, nous sommes des sous-hommes, des animaux, incapables de penser, de décider et de parler pour eux-mêmes!» Nathalie Yamb dénonce sans fioritures le «racisme, le racialisme condescendent de Macron et de la classe politique française et européenne à l’égard des Africains».

Ce type de propos, souvent cantonnés aux sphères d’extrême gauche (ce que n’est pas Nathalie Yamb, plutôt libérale), semble se répandre dans toutes les couches de la société africaine. Selon Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture malienne: «Toute l’Afrique de l’Ouest est en mouvement.» On ne peut que s’en réjouir.

La violence de l’État français a l’égard des peuples africain·es a toujours bénéficié de l’impunité la plus absolue, n’a jamais fait l’objet de la moindre poursuite devant une cour pénale. Le Nuremberg de la Françafrique se fait toujours attendre. Il y a pourtant matière. En attendant ce jour, qui devrait arriver tôt ou tard, une nouvelle génération d’Africain·es semble bien décider à en finir une bonne fois avec le colon historique. Au risque parfois, suivant les gouvernements ou personnes, d’une tolérance malaisante envers l’ennemi de l’ennemi, à savoir d’autres régimes impérialistes comme la Russie ou la Chine. Mais on conviendra que la marge de manœuvre est étroite pour sortir de la nasse.

Au Burkina Faso, le cas de figure est à peu près identique. Une nouvelle génération de militaires semble bien décidée à se dégager de la tutelle de l’État français, qui installa au pouvoir l’assassin de Sankara, Blaise Compaoré, dont la dictature, longue de vingt-sept années, a maintenu le pays dans la misère, sur laquelle prospère aujourd’hui le jihadisme. Difficile de savoir à ce stade où ces nouveaux dirigeants conduisent le pays, et la mesure de leurs possibilités, mais ils bénéficient en tout cas du soutien populaire.

L’édifice de la Françafrique paraît enfin se lézarder. Signe de la panique puérile qui s’est emparée de la classe dirigeante française: Nathalie Yamb vient de recevoir l’interdiction officielle de la part du gouvernement Macron de pénétrer sur le territoire français. Nathalie Yamb a pourtant seulement rappelé des réalités historiques et politiques évidentes. C’en est trop pour Macron et son gouvernement qui, au prétexte de propos «antifrançais», ont réservé ce traitement inédit à une femme dont la seule force de frappe est internet.

Signe des temps, Alpha Blondy, grande star ivoirienne du reggae, pourtant plutôt condescendant à l’époque avec son président Houphouët-Boigny, homme clé du dispositif françafricain, vole au secours de Nathalie Yamb avec des accents à la Malcolm X. Et ressuscite au passage le souvenir du FLN algérien de la guerre d’indépendance dans une diatribe virulente à l’égard de l’État français! Les choses bougent, indéniablement.