Le grand écrivain portugais José Saramago, en visite au Chili quelques
années après le retour à une démocratie timide et craintive, toujours sous la
tutelle de Pinochet, avait déclaré :
“Ici, les morts ne sont pas morts et les vivants ne
sont pas vivants.”
Chaque année, quand arrivait le mois de septembre, quand des milliers de
bougies étaient allumées dans tous les coins du Chili pour rendre hommage aux
disparus, je repensais à cette phrase qui, à mon avis, expliquait mieux ce qui
se passait dans le pays que des centaines de livres d’analyse et de critique
sociale, bons ou mauvais.
En traversant une fois le désert d’Atacama, nous nous sommes perdus parmi
ses énormes étoiles et distances tracées sur les routes infinies qui, comme des
aiguilles, traversent le paysage aride peint il y a des millions d’années par
des fleuves préhistoriques et des fonds marins qui n’existent plus.
Ce sont des lieux qui ressemblent à un décor spécialement créé pour l’apparition
de vaisseaux extraterrestres, de dinosaures ou de tout autre fruit de notre
pauvre imagination.
Dessin de Carlos
Ayress Moreno, 1974
Dessin d’Enrique
Olivares Aguirre
Nous sommes arrivés à un endroit qui n’existait pas sur les cartes. Il s’agissait
de l’ancienne salpêtrière de Chacabuco, qui a cessé
d’exister au début du siècle dernier et qui, en 1973, a été transformée par la
dictature en le plus grand camp de concentration du pays.
Il n’y avait là qu’une seule personne, un ancien prisonnier politique. Il était
devenu le gardien de la mémoire de cette cité fantôme. Lorsque les militaires
se sont retirés, ils ont fait sauter les installations et les traces de leurs
crimes. Puis, année après année, des pilleurs sont revenus pour voler tout ce
qui était vendable dans les maisons et les baraquements abandonnés derrière les
barbelés qui subsistaient.
Notre interlocuteur était retourné au cœur du désert pour s’occuper de ce
qui restait de sa mémoire et de celle de son pays. Il nous a montré la rue Karl
Marx, comme les prisonniers politiques appelaient l’allée principale entre les
baraquements où ils vivaient.
Il nous a raconté la rumeur qui s’est répandue parmi eux après la première
observation d’“OVNI”, qui abondaient dans ces cieux. « Ce sontles
Russes qui sont venus nous sauver », disaient-ils. Et tant d’autres
anecdotes de l’époque. Je suis retourné le voir plusieurs fois par la suite. Il
était toujours seul, de plus en plus triste, de plus en plus vieux et
alcoolique, jusqu’à ce qu’il meure dans un abandon total.
Le désert chilien est une machine à remonter le temps. En tant qu’endroit
le plus sec de la planète, il conserve les vestiges du passé, où ce qui s’est
passé il y a un siècle est indiscernable de ce qui s’est passé hier. Les corps
des personnes tuées par la dictature sont également trop bien conservés. Sur
les cadavres momifiés, on peut voir, après plusieurs décennies, non seulement
les impacts de balles, mais aussi les traces des tortures les plus sauvages.
Le nouvel État chilien, gouverné par les socialistes et les
démocrates-chrétiens, réconciliés pendant la dictature par amour du pouvoir, ne
s’est jamais préoccupé de préserver l’histoire et la mémoire de ces temps
passés, mais a voulu renforcer l’“image du pays” basée sur le modèle
social hérité du pinochetisme et abandonner au plus vite son statut de “tiers-monde”
latino-américain pour faire partie du “monde développ”".
On ne peut que s’émerveiller des délibérations de la Cour suprême mardi, 13
heures et demie de ravissement : l’autre Israël, l’Israël des rêves, pas de la
réalité*. Cela fait une éternité qu’il n’y a pas eu de discussion aussi
incisive et approfondie ici, et une éternité qu’il n’y a pas eu de discussion
aussi déconnectée de la réalité ignorante, superficielle, chauvine, grossière,
violente et à la tête du client d’Israël.
Les 15 juges suprêmes, le 12 septembre. Photo
Yonatan Sindel/FLASH90
Les
défenseurs de l’État démocratique juif. Photo : Ohad Zwigenberg / AP
L’audience était
aux antipodes de l’attraction
qui l’avait précédée au sein de la commission de la Constitution, du droit et
de la justice de la Knesset. Tout a été appris et peaufiné au tribunal : “justice
sociale”, “Votre Honneur”, “Pages Jaunes contre Israel Broadcasting Authority**”
et “principe de Wednesbury”. Même l’avocat du gouvernement, Ilan Bombach, s’est
momentanément transformé en un intellectuel d’Europe centrale réservé, citant
Montesquieu et Hobbes. Une audience entièrement juive, entièrement ashkénaze,
avec plus de kippahs que la moyenne de la population et presque pas d’Arabes ni
de Haredim, les deux sources de contrariété habituelles de la société
israélienne. L’Israël blanc débattait de l’avenir de sa forme de gouvernement.
C’était instructif, mais aussi déprimant.
Il s’agissait d’une délibération à l’intérieur d’une
bulle scellée et protégée, d’un sous-marin jaune en eaux troubles, d’un séminaire de
troisième cycle en démocratie avec les meilleurs esprits, sur le pont du Titanic.
Un étranger ayant assisté à l’audition aurait pu penser, à tort, qu’elle
reflétait le niveau habituel de débat et d’argumentation en Israël - c’est
ainsi qu’on y parle, surtout ces derniers temps. Mais le niveau et le style n’étaient
pas l’élément le plus trompeur ; le contenu du débat l’était beaucoup plus.
Ce qui avait été décrit à l’avance comme “l’audience la
plus importante de l’histoire du droit israélien” a tenu ses promesses. Il s’agissait de
la délibération politique la plus importante de l’histoire de l’État d’Israël,
tout simplement parce qu’il n’y a jamais eu, et qu’il n’y aura jamais, de
délibération plus importante et plus lourde de conséquences ici. Ce n’est pas
un hasard, bien sûr. L’importance de la lutte pour l’indépendance du pouvoir
judiciaire ne peut être surestimée, mais nous ne pouvons ignorer les
délibérations encore plus importantes et conséquentes concernant le
gouvernement d’Israël qui n’ont jamais eu lieu.
Les délibérations de la Cour suprême ont été
trompeuses car elles ont donné l’impression que le critère du caractère
raisonnable est ce qui sépare l’Israël démocratique de l’Israël tyrannique. Son
maintien, c’est la démocratie ; son abrogation, c’est la dictature. C’est ce
qui se cache derrière le pathos, l’impression monumentale de la délibération. D’un
côté, les gardiens qui luttent pour préserver le statu quo de toute atteinte ;
de l’autre, l’aile droite subversive et révolutionnaire, qui cherche à tout
détruire, y compris la Déclaration d’indépendance d’Israël. Comme si ce
parchemin sacré, la colonne de feu qui a guidé l’État depuis sa création, avait
jamais été mis en œuvre. Le diabolique Ilan Bombach est venu et a jeté le
parchemin dans la poubelle de l’histoire.
ça aussi, c’est est une illusion, une autre façon de nous
dire : regardez comme nous sommes beaux, quelle merveilleuse Déclaration d’indépendance nous avons, nous avons suivi ses
préceptes avec diligence, jusqu’à ce que Bombach débarque.
Le bel Israël n’a réalisé que très peu des principes
formulés par “37 personnes qui n’ont jamais été élues”, comme Bombach a décrit
ses signataires. Le parchemin parle d’une nation qui “aime la paix mais sait se
défendre”, d’un État qui “assurera l’égalité complète des droits sociaux et
politiques à tous ses habitants, sans distinction de religion, de race ou de
sexe” et qui “sera fidèle aux principes de la Charte des Nations unies”.
Excusez-moi, mais quand Israël a-t-il respecté une seule résolution des Nations
unies ? Cela aussi est exaspérant : « Nous tendons la main à tous les
États voisins et à leurs peuples dans une offre de paix et de bon voisinage ».
Une main de paix ? À qui ? Quand ? Où ? Qu’est-ce qu’Israël a compris de tout ça
avant que Bombach ne le détruise ?
La délibération au tribunal était une délibération de
fantasmes et de fantômes. Elle n’était pas différente d’une délibération à la
Cour suprême d’Afrique du Sud avant 1994 sur la nature de la démocratie pour
les Blancs. Personne n’a demandé mardi comment il était possible de parler de
démocratie dans un État d’apartheid.
Nous devons vraiment espérer que, grâce à la Cour
suprême, Israël continuera à suivre le précédent de Pages Jaunes ; l’alternative
est dangereuse et terrible. Mais admettons-le : même avec l’arrêt Pages
Jaunes sur le critère de raisonnabilité, nous ne serons pas une démocratie,
pas même pour un instant.
NdT
* La Cour suprême d’Israël a entamé mardi 12 septembre une audience
consacrée à des recours contre un projet de loi gouvernemental limitant ses
propres pouvoirs, que contestent depuis des mois des milliers de manifestants
au nom de la démocratie. Pour la première fois dans l’histoire de la plus haute
juridiction du pays, les quinze juges de la Cour se sont réunis au complet pour
entendre les arguments des opposants à une mesure clé du projet, adoptée en
juillet par la coalition de partis religieux, conservateurs et ultranationalistes
au pouvoir, dirigée par le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Cet amendement
aux lois fondamentales de l’Etat hébreu prive la Cour suprême de son pouvoir d’annuler
des décisions gouvernementales qu’elle juge “déraisonnables”. Pour le
gouvernement, l’abandon de cette "clause de raisonnabilité" vise à
empêcher des juges non élus d’intervenir dans les affaires politiques. Pour les
opposants, il menace l’essence même de la démocratie israélienne en supprimant
un instrument de contrôle vital et en ouvrant la voie aux abus de pouvoir et à
la corruption. (Source : Reuters)
** L’affaire Pages Jaunes contre IBA,
jugée en 1980, concernait une décision prise par l’Autorité israélienne de
radiodiffusion (IBA) d’étendre un contrat avec une société privée pour une
décennie supplémentaire et de lui accorder des droits exclusifs pour fournir
des services de publicité à sa station de radio, Kol-Israel (La Voix d’Israël),
sans procéder à un appel d’offres ou accorder à d’autres entreprises des
chances égales de concourir pour le contrat. (Ces types d’exigences n’ont fait
partie du droit public israélien que plusieurs années plus tard). Le juge
Aharon Barak a laissé entendre que la décision de l’IBA était discutable, étant
donné que l’IBA aurait pu améliorer son pouvoir de négociation et le contrat
qui en a résulté en prenant en considération des offres supplémentaires. Il a
néanmoins jugé la prolongation raisonnable, ou du moins “pas déraisonnable”. En
revanche, le président de la Cour Landau a explicitement déclaré que si le
caractère raisonnable aurait été mesuré par des normes objectives et aurait
servi de base indépendante pour une intervention judiciaire, alors la Cour
aurait dû intervenir dans cette affaire. En confirmant la décision de l’IBA
tout en posant les bases substantielles d’une intervention future, Barak
bénéficiait de quelques avantages tactiques. La décision a été prise par les
trois juges, qui ont accepté de rejeter la requête, et il n’a pas été
nécessaire de forcer la juge “pivot”, Ben-Porat, à décider si elle était d’accord
avec Barak ou avec Landau sur l’issue de l’affaire. En outre, il n’y a pas eu
de frustration de la volonté administrative, qui a soutenu l’IBA. A cette
époque, l’IBA monopolisait le champ télévisuel et bénéficiait d’un fort soutien
du gouvernement israélien. La décision a satisfait l’IBA, qui tirait 10 % de
ses revenus de ce contrat privé.Après l’arrêt
Pages Jaunes, la Cour suprême israélienne a commencé à examiner le caractère
raisonnable des décisions administratives en tant que motifs indépendants d’intervention
judiciaire. (Source : Rivka Weill, The Strategic Common Law Court
of Aharon Barak and its Aftermath: On Judicially-led Constitutional Revolutions
and Democratic Backsliding, 2018)
Pablo Azócar (San Fernando, 1959)
est un écrivain, poète et traducteur chilien, qui a longtemps été journaliste. Son
dernier roman, El Silencio del Mundo, est une histoire d’amour sur fond de
pandémie et d’explosion sociale au Chili en 2019. Son seul roman traduit en
français est Natalia(Actes
Sud, 2001)
Je me suis maintes fois demandé pourquoi Augusto Pinochet, dans le monde entier, figure dans toutes les listes des personnages les plus pervers de l’histoire universelle de l’infamie. La première réponse qui me vient à l’esprit est la cruauté. Peu de régimes ont exercé une cruauté aussi rigoureuse, froide et systématique. Le dictateur chilien a non seulement fait tuer plusieurs de ses amis et dirigeants auxquels il avait juré une fidélité éternelle, à commencer par le général Carlos Prats, qui l’avait élevé et hébergé comme on abrite son fils, mais il a aussi mis en place un appareil répressif qui a recouru aux cruautés les plus délirantes et inhumaines de mémoire d’homme.
Un célèbre
auteur-compositeur-interprète s’est fait écrabouiller les mains pour qu’il
puisse plus jouer de la guitare, une dirigeante étudiante s’est fait poser un
fer à repasser brûlant sur le visage pour le déformer, deux adolescents ont été
aspergés de paraffine et brûlés de fond en comble, un ouvrier s’est fait
arracher les doigts au marteau pour qu’il ne puisse plus jamais exercer son
métier, une infirmière s’est fait percer les mains avec des yatagans jusqu’au
sang, un paysan de 16 ans s’est fait exploser le visage et a été retrouvé la
bouche pleine d’excréments de cheval, un pianiste s’est fait arracher les
ongles un par un, un leader politique s’est fait brûler la poitrine au
chalumeau.
J’ai
rencontré une adolescente enceinte parce qu’elle avait été sauvagement violée à
plusieurs reprises dans une prison clandestine. J’ai rencontré un enfant à qui
on avait mis de l’électricité dans l’entrejambe devant ses parents pour les
faire “parler”. J’ai rencontré une femme qui ne pouvait pas avoir de relations
sexuelles parce qu’on lui avait mis des rats dans le vagin, et une autre qui avait
été entravée pour être pénétrée par un chien dressé.
Le rapport
Rettig et surtout le rapport Valech - documents officiels de l’État chilien,
rédigés par des autorités morales et des spécialistes de tout l’échiquier
politique - contiennent certaines de ces atrocités. J’ai eu le courage de lire
le rapport Valech d’un bout à l’autre, et l’expérience a été plus terrifiante
que les pires romans d’horreur. Dans ce rapport, par exemple, on trouve une
liste de plus d’un millier d’enfants ayant subi divers abus. Les personnes qui
ont rédigé cet horrible rapport ont reçu des dizaines de milliers de
témoignages, bien que de nombreuses victimes n’aient pas osé le faire pour ne
pas revivre l’horreur, l’humiliation et la peur.
Le rapport Valech souligne que
des millions de Chiliens ont également perdu leur emploi ou leur maison, ont
été dénigrés, exclus et harcelés, des centaines de milliers ont dû s’exiler, et
beaucoup de ceux qui sont restés ont dû endurer la stigmatisation et la
persécution. Certains ont été arrêtés à plusieurs reprises et ont dû changer de
ville. D’autres, dans leurs villages, ont connu le mépris de devoir vivre avec
leurs propres tortionnaires. Plus de 700 casernes, postes de contrôle,
commissariats de police, camps de concentration ou prisons secrètes - dans
toutes les régions du pays - où les événements se sont déroulés, avec dates et
détails, ont été consignés dans ce rapport terrifiant.
Malgré les
années qui ont passé, les milliers de témoignages contenus dans le rapport
Valech sont accablants. « Les fibres de mon anus ont été brisées lorsque
des objets contondants ont été enfoncés dans mon corps ». « J’ai
perdu la vue de l’œil droit à cause de coups de mitraillette ». « Puis
un milicien a sorti son pénis et m’a forcé à le redresser avec ma bouche, puis
il y en a eu un autre et un autre, le dernier est entré dans ma bouche, ma vie
n’a plus jamais été la même, je n’avais alors que 15 ans ». « Ils m’ont
appliqué le ‘téléphone’, me frappant à l’unisson sur les deux oreilles, m’éclatant
l’oreille droite ». « Ils m’ont arraché les molaires sans anesthésie ».
« Ils m’ont pendue par les pieds, m’ont fait manger des excréments et ont
attrapé ma fille de neuf mois par le cou devant moi, en me disant qu’ils
allaient la tuer ». « Ils m’ont écrasé les reins sous les coups et j’en
garde encore des séquelles ». « Ils m’ont forcée à avoir des
relations sexuelles avec mon père et mon frère ». « Ils m’ont
tellement battue que j’ai perdu la mémoire et la vue ». « Ils nous
ont fait nous déshabiller, en passant une barre entre nos coudes et l’arrière
de nos genoux, la sensation était comme un démembrement ». « Mes
testicules ont été déchirés par le courant ». « J’ai des traces de
brûlures de cigarettes sur tout le corps ». « Mon vagin a été
détruit, je n’ai pas pu déféquer sans douleur pendant des années. » « Ils
m’ont laissée là et ma jambe s’est gangrenée ». « Mon utérus et mes
ovaires ont dû être retirés en raison d’une hémorragie interne ». « Aujourd’hui,
j’ai des problèmes cardiaques à cause du courant qu’ils m’ont appliqué ». « Je
suis restée avec une terreur qui n’a jamais disparu, la paranoïa, la
claustrophobie, l’angoisse ». « Je revois sans cesse ce que j’ai vécu
à cette époque ». « Je pleure encore dans mon sommeil ».
Comment mesurer l’immensité de
cette douleur ? Comment mesurer cette humanité outragée si massivement et, le
plus souvent, si anonymement ? Quelles cicatrices peuvent rester dans la psyché
d’un pays après une barbarie d’une telle ampleur ?
Ce qui est déconcertant, c’est le
silence qui a suivi. Le pays officiel a tout simplement décidé d’étouffer l’affaire.
Au nom de la “réconciliation” et de la stabilité politique, il a été décidé de
ne plus jamais en parler. L’héroïque Vicariat de Solidarité a été fermé sans
cérémonie, le cardinal Raúl Silva Henríquez a été effacé de l’histoire
officielle, les rapports Valech et Rettig et les centaines de milliers de
témoignages ont été consciencieusement cachés, il n’y a pas eu de politique de
réparation et la presse n’en a pratiquement plus parlé. Les proches sont livrés
à eux-mêmes. Comme dans les malédictions bibliques, les enfants, petits-enfants
et arrière-petits-enfants ont été laissés seuls avec ce kyste.
Un demi-siècle plus tard, les
conséquences sont évidentes. Aujourd’hui encore, de nombreux hommes politiques
et parlementaires continuent de déifier Pinochet et de nier l’existence de
cette horreur dantesque. Les forces armées refusent toujours de révéler le sort
de plus d’un millier de disparus, un mot entré dans le lexique universel depuis
les régimes militaires chilien et argentin. Le leader d’extrême droite José
Antonio Kast, désormais favori des sondages pour la prochaine élection
présidentielle, s’est déclaré “ami personnel” et a participé aux hommages
rendus au militaire Miguel Krassnoff, l’un des tortionnaires les plus
sanguinaires, condamné à plus de 900 ans de prison pour de multiples cas de
violations des droits humains. La droite politique chilienne ne s’est pas “dépinochétisée”.
Il n’y a pas de mea culpa, pas de prise de conscience de la sauvagerie de la
politique d’extermination menée par l’Etat chilien dans ces années-là.
Dirigeants, intellectuels et leaders continuent de parler de “tombés des deux
côtés” et soutiennent qu’il ne s’agit que de quelques “excès”.
Lorsque le président Gabriel
Boric a remis en juillet une distinction honorifique en Espagne au juriste
Baltazar Garzón - qui avait fait arrêter Pinochet à Londres en 1998 au nom de
la justice universelle des Nations unies - la droite chilienne a réagi avec
indignation et a déposé une plainte formelle auprès du ministère des Affaires
étrangères. « La reconnaissance de Garzón est une honte », a déclaré
un député. « C’est une provocation », a déclaré un autre. Ils ne
pardonnent pas à Garzón : ils ne lui pardonnent pas d’avoir sali la figure du “tata”
[papa, papy] Pinochet. Tout cela n’est pas l’apanage de la droite : tout
a été caché pendant tant d’années, la mémoire a été si systématiquement fermée,
qu’aujourd’hui on peut se livrer gratuitement au négationnisme, ou à la
relativisation des faits, ou appliquer le vieux système des liens de connivence.
Le paradoxe est terrible : le
Chili est probablement le seul pays au monde où l’on n’a pas encore conscience
de la monstruosité du régime Pinochet. Toutes les limites imaginables du bien
et du mal ont été repoussées, ni Caligula ni Néron ne sont allés aussi loin.
Les Allemands ont consacré des décennies, jour après jour, mois après mois,
année après année, à se souvenir de l’holocauste hitlérien, dans des films, des
essais et des romans, dans des photographies, des peintures et des monuments,
dans des musées, des cérémonies et des mémoriaux.
L’holocauste chilien, quant à
lui, n’a même pas de nom. C’est une bagatellisation qui s’est installée avec le
poids de la nuit, une broutille qui continue à serpenter aujourd’hui, comme si
rien ne s’était jamais passé.
J’écris cette semaine depuis le Chili où j’ai participé
à un séminaire international organisé par la municipalité de Recoleta, la
Fundación Constituyente XXI et d’autres organisations pour marquer le 50e
anniversaire de la chute au combat du président Allende et de l’intronisation
de la dictature fasciste civile et militaire qui s’est installée dans ce pays
pendant 17 ans.
Une atmosphère sombre plane sur un pays qui n’a pas
réussi à surmonter la division et la confrontation imposées par la dictature.
Cette date a fait l’objet de “célébrations ambivalentes” : certains se sont
souvenus d’Allende, de ses actes, de sa loyauté envers le peuple et de son
immolation héroïque pour défendre la démocratie, tandis que d’autres ont
rappelé avec jubilation l’irruption violente des forces armées qui ont “libéré
le Chili du cancer marxiste”.
Entretemps, le gouvernement s’est effacé, organisant
une commémoration élitiste dépourvue de la participation massive que
méritaient la date et le président Allende. La rhétorique antérieure du
président Boric, assumant une neutralité honteuse, se réfère à la théorie
controversée des “deux démons” qui rend Allende et la dictature également
responsables du coup d’État.
Il ne peut en être autrement si l’on tient compte du
fait que le Chili a un président faible, lâche, timide, hésitant et
pusillanime, ce qui est exploité par la droite la plus récalcitrante pour
passer à l’offensive et maintenir le peuple dans un immobilisme paralysant
qui a commencé le 15 novembre 2019 lorsque les élites du pouvoir, dont Boric,
ont signé un accord de gouvernance de coupole [sic] qui a immobilisé
la protestation sociale qui avait mis Piñera et son gouvernement “dans les
cordes” et était sur le point de le défenestrer,. Il faut dire que,
malheureusement, la pandémie a aussi joué son rôle.
Boric a bénéficié de cet accord que beaucoup au Chili
considèrent comme une trahison du peuple et une décision en faveur des hommes
d’affaires et de la droite. Comme à la fin des années 1980, les pouvoirs
occultes du pays ont eu recours à une issue médiatisée qu’ils pouvaient
contrôler et gérer à leur guise afin d’éviter une alternative qui ferait du
peuple le protagoniste et le moteur des transformations et qui conduirait le
Chili à un véritable rétablissement de la démocratie, aujourd’hui légalement
limitée par une constitution approuvée frauduleusement pendant la dictature.
L’accord du 15 novembre, qui a ensuite porté Boric à la
présidence, a donné une continuité au modèle économique néolibéral et a
approfondi la démocratie répressive imposée par ses prédécesseurs. La loyauté
de Boric envers les USA est absolue. Son alignement surprenant sur Washington
dans le conflit ukrainien est l’expression d’une décision semblable à celle d’un
chien qui exécute les ordres de son maître. Même Pinochet avait fait preuve
de plus d’autonomie en matière de politique étrangère.
Tout cela a conduit le gouvernement à minimiser la date
et à la transformer en une célébration à huis clos dans un palais de la
Moneda entouré de centaines de policiers et de rues vides et muettes,
absentes du peuple qu’Allende a défendu jusqu’à la dernière minute de sa
précieuse vie.
Les commémorations les plus importantes ont eu lieu
dans la municipalité de Recoleta, où le maire Daniel Jadue [communiste,
qui avait perdu les élections primaires pour le candidat de gauche au profit de Boric, NdT], son
équipe et d’autres organisations populaires et sociales ont pris en charge la
commémoration d’Allende dans sa véritable dimension, générant un véritable
festival culturel et un grand débat d’idées pour contribuer au processus de
formation politique nécessaire pour que le Chili retrouve le chemin d’une
véritable démocratie participative avec un protagonisme populaire.
En ce qui me concerne, je faisais partie d’un panel au
siège de la Confédération nationale des travailleurs municipaux de la santé
(Confusam), un syndicat combatif de travailleurs de la santé, qui passait en
revue les politiques publiques de l’Unidad Popular.On m’a demandé de faire une présentation
sur la politique internationale du gouvernement populaire et sur la pensée
internationaliste du président Allende.
De même, dans le cadre des événements organisés à
Recoleta, j’ai eu l’occasion de présenter les différents niveaux d’analyse du
conflit en Ukraine afin d’expliquer les répercussions internationales et la
transformation que cet événement a sur le système international et le passage
d’un modèle atlantiste à un modèle dont l’axe est le grand espace eurasien.
Document annulant l'inscription de l'étudiant Ilia Rodríguez. Gelfenstein, 2 mois après le coup d'État au Chili. Son crime : "Lors de la cérémonie inaugurale du 5 novembre, il s'est exprimé de façon grossière en se moquant de l'acte tenu dans la cour du lycée, au cours duquel hommage est rendu à la patrie et l'Hymne national est chanté"
Mais l’événement le plus émouvant et le plus beau
auquel j’ai pu assister a été une réunion au lycée Andrés Bello où j’étudiais
au moment du coup d’État de septembre 1973. Là, nous nous sommes souvenus et
avons dévoilé une plaque portant les noms de six camarades du lycée
assassinés et d’un disparu par la dictature. En parcourant les couloirs et les cours de l’école où j’ai commencé ma
formation scolaire et politique de militant révolutionnaire, j’ai pu me
remémorer ce jour fatidique, il y a 50 ans.
Alors que ces commémorations ont lieu, le pays est en
proie à un nouveau piège de la droite que le président, son gouvernement et
les partis qui le soutiennent observent comme des moutons du pouvoir qui
dirige le pays. D’une main de maître, la droite fasciste élabore une nouvelle
constitution si réactionnaire, si rétrograde et si conservatrice que même des
secteurs allant de la droite un peu moins cavernicole à la gauche
pro-gouvernementale ont appelé à son rejet, ce qui - il faut le dire - est
encourageant au vu de l’énorme régression que représenterait l’approbation d’une
constitution médiévale au XXIe siècle.
Mais l’essentiel est que cela finira par valider et
légitimer la constitution actuelle de Pinochet, qui donne une continuité à un
système d’économie néolibérale, de démocratie restreinte et de justice
"dans la mesure du possible".
Plus d’ombres que de lumières ont été observées dans
cette commémoration, bien que les dernières paroles du président Allende, qui
n’ont jamais perdu leur validité, seront toujours entendues : « […] d’autres
hommes surmonteront ce moment gris et amer où la trahison veut s’imposer.
Continuez à savoir que tôt ou tard s’ouvriront les grandes avenues où les
hommes libres passeront pour construire une société meilleure. Vive le Chili,
vive le peuple, vive les travailleurs ! »
➤Images extraites de la BD Les
années Allende, par Rodrigo Elgueta et Carlos Reyes, éditions Otium,
2019
Cinquante ans ont
passé et les idées du président Allende sont toujours pleinement valables au
Chili comme en Amérique latine et dans une bonne partie de ce que l'on appelle
le tiers-monde. Il y a des années, à Guadalajara, nous avons eu la chance de
voir un magnifique enregistrement de ce discours devant les professeurs et les
étudiants de sa prestigieuse université où le président chilien récemment élu a
exposé sa pensée, qui était certainement révolutionnaire dans ses objectifs,
ainsi que sans précédent dans sa promesse d'apporter des changements en matière
de démocratie et de liberté.
Un discours magistral où, en plus de défendre ses convictions, il
a appelé les jeunes étudiants à s'atteler à une tâche qui, bien sûr, dépasse
l'action d'un seul gouvernement ou d'une seule génération. Un discours prononcé
dans la chaleur de ses valeurs inébranlables, sans recours à un texte ou à un
aide-mémoire, démontrant comme souvent son grand talent et son verbe brillant.
Un ensemble de propositions visant à ce que nos pays se réapproprient la
propriété et la gestion de leurs richesses fondamentales, consolidant ainsi la
souveraineté qui nous a été léguée par nos libérateurs, puis bafouée par
l'impérialisme usaméricain. Dans notre cas, il s'agissait de la volonté de
nationaliser, en plus, nos grandes mines de cuivre et de donner une valeur
ajoutée à ces tonnes de métal qui partaient et continuent aujourd'hui à partir
à l'étranger et dans lesquelles il est également possible de découvrir de l'or,
de l'argent, du molybdène et d'autres matières premières importantes.
Il voulait aussi récupérer la souveraineté populaire dans nos
campagnes ravagées par les grandes propriétés et l'exploitation de millions de
paysans qui pouvaient à peine survivre avec leur salaire de misère. Diversifier
notre production agricole, moderniser l'agriculture, mais surtout faire en
sorte que ceux qui cultivent la terre en soient propriétaires et méritent de
vivre dans des logements décents, afin que leurs enfants aient accès à une
alimentation suffisante et à une éducation libératrice.
Promouvoir, bien sûr, la réforme de l'éducation à tous les
niveaux, afin de rendre l'enseignement obligatoire pour les enfants et de
permettre non seulement aux enfants des riches mais aussi aux Chiliens des
classes moyennes et populaires d'accéder à l'université, alors que moins d'un
pour cent d'entre eux avaient cette possibilité à l'époque.En même temps, ils étaient déterminés à
prendre des mesures importantes pour la formation continue des adultes et des
travailleurs, où les niveaux d'analphabétisme étaient effrayants. À tel point
qu'aujourd'hui encore, on reconnaît que plus de 50 % de notre population ne
comprend pas ce qu'elle lit, ainsi que plus de 15 % des étudiants de
l'enseignement supérieur.
La proposition d'Allende incluait également la possibilité
d'entreprendre une réforme constitutionnelle qui modérerait le présidentialisme
excessif et chercherait sérieusement à mettre fin au matabiche et autres
pratiques qui empêchaient l'accès du peuple au Parlement et aux municipalités.
Convoquer, dans les plus brefs délais, une Assemblée constituante pour rétablir
notre cadre institutionnel, qui était en soi un simulacre, dans lequel le
pouvoir de l'argent et des médias définissait l'agenda politique, économique,
social et culturel du pays.
Un renversement annoncé
Personne ne peut désormais ignorer qu'avant que Salvador Allende
ne prenne ses fonctions de chef d'État, des préparatifs étaient en cours à
Washington pour déstabiliser son gouvernement et le remplacer par un autre qui
serait docile aux intérêts impérialistes. Peu à peu, les énormes ressources
allouées à l'encouragement de l'action séditieuse des grands corps nationaux, à
l'encouragement du coup d'État de la droite politique et d'autres partis
d'opposition, qui ont été décisives pour encourager les traîtres militaires et
justifier les premières violations des droits humains, ont fait leur œuvre. Ce
rôle est honteusement revenu aux démocrates-chrétiens, un parti qui promouvait
jusqu'alors des changements en faveur de la justice sociale, mais dont les
principaux dirigeants ont succombé à la corruption par Kissinger, de la Maison
Blanche et du Pentagone. On est également au fait des millions de dollars
alloués au journal El Mercurio, propriété d'Agustín Edwards, qui, en
plus d'être un putschiste, était également vice-président de Pepsi Cola. Un
individu abominable qui a conservé son pouvoir intact, voire l'a accru, tout au
long de la période post-dictature, charmant les gouvernements successifs de la
soi-disant Concertación Democrática, de la Nueva Mayoría et, bien sûr, de la
droite elle-même, qui est revenue à La Moneda à deux reprises entretemps.
Les promesses d'Allende se sont même concrétisées pendant son bref
gouvernement, comme la nationalisation des grandes mines de cuivre, la remise
de milliers d'hectares de terres aux paysans et l'introduction de changements
significatifs dans le système éducatif, ce qui a également été fortement
combattu par les opposants qui ont été appelés à participer aux élections
législatives qui ont suivi le triomphe de l'Unidad Popular et au cours
desquelles, malgré tout, la gauche est redevenue la première majorité, en dépit
des campagnes de terreur promues et financées également par les USA et le
pouvoir économique national.
Bien que nous ne l'ayons pas du tout prévu à l'époque, le 11
septembre 1973 a été le jour du bombardement criminel de La Moneda, dans lequel
les forces armées, poussées par la droite et l'impérialisme, ont joué le rôle
principal, et dans lequel, dès la première heure, des centaines ou des milliers
d'opposants ont été criblés de balles, les premiers camps de détention et de
torture ont été créés, tandis que des milliers d'autres Chiliens ont été
arrêtés et torturés lorsqu'ils ne parvenaient pas à s'enfuir en exil. Il s'agit
sans aucun doute d'un processus sans précédent de trahison et d'insoumission à
l'ordre établi, respecté par Allende jusqu'à sa dernière heure, au cours duquel
la démocratie et les changements entrepris en faveur de la rédemption des
opprimés ont volé en éclats en quelques heures.
Nous savons déjà que le corps du président a quitté La Moneda sans
que l'on sache avec certitude s'il s'est réellement suicidé ou s'il a été
assassiné par les premiers officiers qui sont entrés dans le palais
présidentiel. Cela ne change pas vraiment le caractère criminel de l'attentat,
même si les militaires, la droite et d'autres secteurs se sont efforcés, avec
la complicité de certains juges, d'établir le suicide comme la vérité
officielle. Une “vérité officielle” qui permettrait à Pinochet de recevoir la
reconnaissance diplomatique de nombreuses nations qui, dit-on, n'auraient pas
été en mesure de le faire si le président déchu avait été assassiné.
Entre parenthèses, certains ont été convaincus qu’il avait été
assassiné après qu'un capitaine de l'armée a témoigné devant un groupe de
détenus qu'il avait lui-même tiré sur la tempe du président et qu'il s'était
vanté d'avoir exhibé la montre de ce dernier comme un trophée. Il existe
plusieurs écrits et témoignages sur le sujet, ainsi qu'un documentaire du
cinéaste Miguel Littín.
La chose la plus importante à enregistrer maintenant dans cette
commémoration historique est le respect que l'exemple d'Allende, sa conséquence
politique, sa trajectoire démocratique et sa résolution héroïque de payer de sa
vie la loyauté de son peuple, comme il l'a promis dans son discours final,
méritent dans tous les secteurs, ainsi que dans le monde entier.
Son gouvernement, l'Unité Populaire et la conduite de ses partis
sont encore aujourd'hui une source de controverses et d'attaques de bas étage
par ceux qui ont été ses opposants et qui continuent aujourd'hui à être des
militants de droite. Cependant, personne ou presque n'ose le discréditer
moralement et sa figure reste, 50 ans plus tard, celle du président et du
leader politique le plus apprécié par le peuple chilien. À tel point qu'une
étude intéressante réalisée en 2008 par Televisión Nacional (avec des centaines
de témoignages recueillis auprès d'historiens, de journalistes et de divers
intellectuels) a conclu que pour la grande majorité nationale, Allende est la
figure la plus pertinente de notre histoire républicaine, égale ou supérieure à
l'hommage rendu à nos pères de la nation, et supérieure au prestige de Pablo
Neruda, Gabriela Mistral, Violeta Parra, Alberto Hurtado et d'autres Chiliens
éminents.
Validité permanente
En ce sens, et malgré tout ce qui s'est passé, 50 ans, ce n’est
vraiment rien. Les idées d'Allende sont toujours aussi présentes dans les
manifestations qui réclament du pain, de la justice et de la liberté. Surtout
lorsqu'elles insistent sur la récupération des gisements de cuivre et
maintenant sur l'exploitation du lithium et d'autres ressources. Lorsque les
enseignants défilent et paralysent leurs activités pour exiger plus de
ressources pour l'éducation publique, ainsi que le paiement de la dette
historique que l'État leur doit depuis tant d'années. Tandis que des centaines
d'enseignants languissent sans récupérer ce droit qui leur a été arraché et
leur dignité.
Les revendications actuelles en faveur d'un système de santé qui
garantisse des soins adéquats à tous les Chiliens vont dans le même sens. La
dictature et les gouvernements qui lui ont succédé ont consolidé l'opprobre du
système privé des ISAPREs[sociétés d’assurances santé privées, au nombre de 13,
NdT], qui refuse des soins adéquats aux pauvres et à la classe
moyenne, en présentant de longues listes d'attente pour les soins médicaux, où
il est avéré que, seulement au cours du dernier semestre, plus de 19 000
Chiliens qui avaient besoin d'opérations chirurgicales urgentes sont morts.
Allende, en tant que médecin, soutiendrait sans aucun doute ces demandes
aujourd'hui, ainsi que la fin des infâmes AFP [sociétés privées
d’administration des fonds de pension ayant substitué en 1981 le système par
répartition par un système par capitalisation, NdT] qui gèrent les
cotisations de millions de travailleurs qui, à la fin de leur vie, reçoivent
des pensions misérables et se voient obligés de continuer à travailler. Un
système également privatisé par la dictature et qui a même fait l'objet de
compliments à l'époque de la soi-disant transition vers la démocratie, où, en
réalité, ceux qui ont intégré ces gouvernements ont fini par être enchantés par
le néolibéralisme, le capitalisme sauvage et les inégalités provoquées par le
marché. Sauf, bien sûr, quelques exceptions minimes, malgré les origines
socialistes, social-chrétiennes ou social-démocrates de leurs protagonistes.
Il est parfaitement logique d'assurer qu'Allende soutiendrait
aujourd'hui la lutte héroïque du peuple mapuche pour la reconnaissance de ses
droits à l'autodétermination, la récupération de ses territoires occupés et la
pleine reconnaissance de son patrimoine culturel. Tout cela ne sera possible
qu'en neutralisant l'action écocide, par exemple, des entreprises forestières
qui se sont emparées de la région. Le défunt président n'aurait certainement
pas pu consentir à la militarisation de l'Araucanie imposée par des
gouvernements se prétendant héritiers d'Allende, à la judiciarisation des
causes de notre peuple fondateur et aux assassinats habituels et répétés de
membres de la communauté, ainsi qu'à la répression qui s'abat aujourd'hui sur
ceux qui, jusqu'à très récemment, étaient reconnus comme des leaders et même
des héros par les partis et mouvements autoproclamés de gauche. Il est bien
connu que ce qui se passe dans le sud du pays est très similaire aux événements
tragiques de la soi-disant Pacification de l'Araucanie, il y a plus d'un
siècle, dont les principaux auteurs sont encore reconnaissables dans les noms
de rues et d'espaces publics. Même si la statue du général Cornelio Saavedra a
été arrachée de son socle par des manifestants en 2020 et jetée dans la rivière
Lumaco. Tout aussi récemment, le monument au général Baquedano, qui s'est
également distingué dans ce sombre épisode d'usurpation des terres mapuches, a
contraint les autorités à le retirer de la Plaza Italia, en plein centre de
notre capitale.
Le peuple chilien a l'intuition qu'Allende serait aujourd'hui le
leader qu'il a été des revendications socio-économiques de son époque.Son nom est également reconnu comme celui e
l'un des principaux combattants de notre époque. Lorsque l'inégalité sociale
prévaut et que la marginalisation et le manque d'opportunités expliquent le
développement de phénomènes tels que la criminalité et le trafic de drogue, des
fléaux que même les politiciens qui se disent progressistes pensent qu'il faut
combattre avec plus de pouvoirs pour la police, plus d'armes dissuasives et des
peines punitives même pour les mineurs qui commettent des délits. Aujourd'hui,
ils sont donc à nouveau tentés d'envoyer de plus en plus de militaires dans les
rues et les villes du nord et du sud. Une fois de plus, ils sont au bord d'une
nouvelle et juste explosion sociale, sans aucune autre pandémie en vue pour la
contenir, comme cela s'est produit, empêchant ce qui était un effondrement
institutionnel imminent.
“La gauche unie ne sera jamais vaincue” est l'un des slogans les
plus connus et celui qui a été le plus longtemps brandi sur les banderoles des avant-gardes
dans leurs mobilisations. Il ne fait aucun doute que c'était aussi l'aspiration
et la réussite d'Allende lorsqu'il est arrivé au gouvernement et qu'il a pu
devenir le porte-drapeau de la gauche, après la mesquinerie qui s'est
manifestée entre partis pour obtenir une plus grande hégémonie dans l'influence
sur les décisions présidentielles. Cependant, il est plus qu'évident que ce
sont les controverses entre socialistes, communistes et autres qui ont affaibli
le gouvernement de l'Unité Populaire et, dans une large mesure, encouragé le
coup d'État. Comment ne pas se rappeler que, depuis le cœur même de la gauche,
Allende a été qualifié de “social-démocrate” et accusé de défendre la
démocratie “bourgeoise” par des dirigeants qui, pendant qu’Allende mourait à La
Moneda, se cachaient déjà dans des ambassades et renonçaient à toute tentative
de résistance au déchaînement militaire !
En disant cela, nous n'avons pas l'intention de justifier l'action
des séditieux, qui ont commencé à comploter son renversement avant que ces
contradictions ne se manifestent. Pour eux, Allende ne devait être renversé
qu'en raison de sa proposition programmatique et de la possibilité que son
expérience soit reproduite dans d'autres pays appartenant à la zone d'influence
des USA, en pleine guerre froide. Il faut donc reconnaître que sa tentative de
gagner le soutien de l'Union soviétique et du monde socialiste de l'Europe de
l'Est a été vaine.
Ce qui est grave, c'est que cinquante ans après sa mort, la
situation de la gauche chilienne n'a fait qu'empirer par rapport au slogan cité
plus haut, et aujourd'hui le panorama est franchement désastreux quand les
référents avant-gardistes se multiplient dans toutes sortes de collectifs et
d'associations dont les idéologies et les intentions sont pratiquement
incompréhensibles pour le pays. Des entités qui ne comptent généralement pas
plus d'une centaine de militants actifs et qui manquent de pratiques démocratiques
internes pour définir leurs dirigeants et leurs propositions. Une flopée de
sigles, qui ne sont rien d'autre que des noms bizarres, composent le soi-disant
Frente Amplio [Front Large], ainsi que l'autoproclamé socialisme démocratique.
Tous exhibent leurs querelles à travers les médias, alors qu'ensemble ils n'ont
pas été capables de remplir un théâtre ou un stade avec leurs adhérents et
sympathisants depuis longtemps.
Il ne fait aucun doute que le principal objectif de ces camarillas
est de placer leurs partisans inconditionnels au sein de l'appareil d'État et
d'accéder aux ministères et aux sous-secrétariats, où les quotas sont le
dénominateur commun. Et quand ils n'y parviennent pas, ils créent des
fondations et d'autres entités pour recevoir des millions du Trésor public qui,
bien sûr, servent à financer leurs ambitions électorales et, accessoirement,
leur enrichissement illicite. Nous savons déjà que parmi tous les épisodes de
corruption politique, la justice enquête actuellement sur la destination de
quelque 30 milliards de pesos [= 30 millions d’€]. Ce qui est reconnu comme la
fraude la plus grave contre le trésor national de toute la période
post-dictature.
Le problème de la gauche : -Sur le fond on est d'accord -Mais d'innombrables nuances nous séparent L'avantage de la droite: -D'innombrables nuances nous séparent -Mais sur le fond on est d'accord
Pour la consolation de cette gauche qui se dégrade et s'effrite,
la droite souffre d'une atomisation similaire, tout comme les multiples
scissions de la Démocratie chrétienne, du PPD et d'autres organisations qui, selon les sondages,
obtiennent moins de trois ou quatre pour cent du soutien populaire. Le parti le
plus voté est le Parti républicain d'extrême droite, mais avec moins de 5 % du
soutien électoral.
Sans parler de la responsabilité politique qui doit être attribuée
aux partis en ce qui concerne la disparition des anciennes références
syndicales. De la faible importance aujourd'hui de la Central Unitaria de
Trabajadores, ainsi que des associations professionnelles qui ont été à
l'avant-garde de la lutte contre la dictature. Toutes ces organisations se
morfondent dans la lutte de leur caudillisme interne et sont confrontées à des
scandales de corruption qui se déclenchent précisément lorsqu'elles doivent “négocier”
avec les gouvernements en place le montant du salaire minimum et l'application
de certaines lois sur le travail.
Allende grandit définitivement dans la mémoire du peuple chilien,
bien qu'il soit systématiquement ignoré par les dirigeants politiques et
sociaux qui se réclament de lui. Tout cela s'explique par le manque d'idées et
de programmes d'action et, surtout, par l'absence de médias qui favorisent le
débat idéologique et la prise de conscience des Chiliens, en particulier des
plus jeunes.
Il est bien connu que la lutte contre l'oppression de Pinochet a
impliqué des organisations sociales et politiques spontanées, mais aussi les
médias, dont la mission était de dénoncer les abus de la dictature et de
promouvoir le retour à la démocratie. Au début, les timides efforts
journalistiques ont gagné en influence et ont eu le mérite d'enregistrer toutes
les horreurs commises contre la dignité humaine et les droits du peuple au sein
de la dictature. Cependant, même aujourd'hui, on suppose que toutes ces
références ont été exterminées par les premiers gouvernements de la
Concertation, lorsque d'obscurs personnages comme Edgardo Boeninguer, Enrique
Correa et d'autres ministres et opérateurs de La Moneda ont décidé qu'il serait
trop risqué d'avoir des journaux, des magazines et des stations de radio qui
pourraient exiger la réalisation des promesses faites par les nouvelles
autorités et, ce faisant, déstabiliser les militaires, ainsi qu'embarrasser les
grands hommes d'affaires pinochétistes qui ont pris leur place dans la nouvelle
démocratie. D'ailleurs, dans l'impunité la plus totale en ce qui concerne les
entreprises et les ressources de l'État accaparées sous la protection du tyran
et du voleur qui gouvernait de facto.
Le temps nous a donné raison lorsque nous avons constaté que des
missions diplomatiques envoyées en Europe ont averti les gouvernements qu'ils
devaient s'abstenir de toute aide aux médias chiliens et au monde prolifique
des organisations sociales et de défense des droits humains. Une demande sans
doute écoutée par les pays qui soutenaient ces médias et envisageaient même de
leur accorder une aide définitive et substantielle qui servirait à les
consolider pendant la prétendue démocratie à venir. Malheureusement, la
realpolitik s'est imposée à ces pays qui voulaient désormais faire des
affaires dans notre pays et accéder à nos richesses naturelles. Tout cela se
passait, rappelons-le, pendant que le gouvernement de Patricio Aylwin effaçait
les dettes d'El Mercurio, de La Tercera et d'autres médias, tout
en renouvelant les contrats publicitaires de plusieurs millions de dollars avec
l'État qui les soutenait alors que leur déclin était imminent. Ces mêmes
contrats publicitaires ont également été refusés à la presse indépendante qui,
sans aucun doute, aurait continué à s'opposer à l'impunité et à plaider en
faveur d'une démocratie solide et de ces réformes économiques et sociales, dont
beaucoup sont encore en suspens aujourd'hui. Tout comme ils auraient dénoncé
les premiers actes de corruption qui sont aujourd'hui si répandus dans notre
vie politique.
S'il est vrai que ces médias indépendants et dignes ont réussi à
briser le blocus de l'information imposé par la dictature, nous devrions
aujourd'hui être reconnaissants et applaudir le fait qu'il existe un nombre
infini de sites web libres sur l'internet, ce qui rend très difficile pour la
classe politique de continuer à commettre ses inepties, et maintenant même la
presse de droite elle-même est incapable de les éviter.
Des centaines de milliers, voire des millions de Chiliens vivent
aujourd'hui dans le désenchantement, à cause de ce qui aurait pu être et n'a
pas été. Nous sommes déçus par la trahison idéologique et la corruption morale
de ceux qui ont accédé au gouvernement de notre nation. Nous craignons que le
pays ne soit à nouveau au bord de l'effondrement et que les heures amères de
notre coexistence ne reviennent. Mais ce sur quoi nous sommes d'accord et qui
nous anime est le fait que, malgré tout,
les idées et les objectifs de Salvador Allende sont toujours valables et que
son nom est un cri et un ferment d'espoir.
Gabriel García Márquez, Alternativa, 1974 Original
Traduit par Tlaxcala, 11/9/2023
Ce
texte, publié en 1974, reste d’actualité car il explique avec
simplicité et clarté, en particulier pour la jeune génération, la chute
du gouvernement Allende et désigne les exécutants directs et indirects
du coup d’État.
Fin
1969, trois généraux du Pentagone ont dîné avec quatre officiers
militaires chiliens dans une maison de la banlieue de Washington. L’hôte
était alors le colonel Gerardo Lopez Angulo, attaché aérien à la
mission militaire chilienne aux États- Unis, et les invités chiliens
étaient ses collègues des autres armes. Le dîner était organisé en l
’honneur du directeur de l’école d’aviation chilienne, le général Toro
Mazote, arrivé la veille pour une visite d ’étude. Les sept soldats ont
mangé de la salade de fruits, du rôti de bœuf et des petits pois, bu les
vins chaleureux de leur lointaine patrie méridionale où les oiseaux
brillaient sur les plages tandis que Washington faisait naufrage dans la
neige, et parlé en anglais de la seule chose qui semblait intéresser
les Chiliens à ce moment-là : les élections présidentielles de septembre
prochain. Au dessert, l’un des généraux du Pentagone a demandé ce que
ferait l’armée chilienne si le candidat de gauche Salvador Allende
remportait les élections. Le général Toro Mazote lui répond : « Nous
prendrons le palais de la Moneda en une demi-heure, même si nous devons y
mettre le feu ».
L’un
des invités était le général Ernesto Baeza, ’actuel directeur de la
sécurité nationale du Chili, qui a mené l’assaut contre le palais
présidentiel lors du récent coup d’État et qui a donné l’ordre d’y
mettre le feu. Deux de ses subordonnés de l’époque sont devenus célèbres
le même jour : le général Augusto Pinochet, président de la junte
militaire, et le général Javier Palacios, qui a participé à la dernière
échauffourée contre Salvador Allende. Le général de brigade aérienne
Sergio Figueroa Gutiérrez, actuel ministre des travaux publics, et ami
proche d’un autre membre de la junte militaire, le général d’aviation
Gustavo Leigh, qui a donné l’ordre de bombarder le palais présidentiel à
l’aide de roquettes, était également présent à la table. Le dernier
invité était l ’actuel amiral Arturo Troncoso, aujourd’hui gouverneur
naval de Valparaíso, qui a procédé à la purge sanglante des officiers
progressistes de la marine et a déclenché le soulèvement militaire aux
premières heures du 11 septembre.
Ce
dîner historique fut le premier contact du Pentagone avec les officiers
des quatre armes chiliennes. Au cours d’autres réunions successives,
tant à Washington qu’à Santiago, il a été convenu que les militaires
chiliens les plus dévoués à l’âme et aux intérêts des États-Unis
prendraient le pouvoir en cas de victoire de l’Unité Populaire aux
élections. Ils l’ont planifié à froid, comme une simple opération de
guerre, et sans tenir compte des conditions réelles au Chili.
Aunque
escrito hace tiempo, el presente texto no pierde validez ya que explica
con sencillez y claridad, sobre todo a las jóvenes generaciones, la
caída del Gobierno Allende, y señala a los ejecutores directos e
indirectos del golpe de Estado.
A
fines de 1969, tres generales del Pentágono cenaron con cuatro
militares chilenos en una casa de los suburbios de Washington. El
anfitrión era el entonces coronel Gerardo López Angulo, agregado aéreo
de la misión militar de Chile en los Estados Unidos, y los invitados
chilenos eran sus colegas de las otras armas. La cena era en honor del
Director de la escuela de Aviación de Chile, general Toro Mazote, quien
había llegado el día anterior para una visita de estudio.
Los
siete militares comieron ensalada de frutas y asado de ternera con
guisantes, bebieron los vinos de corazón tibio de la remota patria del
sur donde había pájaros luminosos en las playas mientras Washington
naufragaba en la nieve, y hablaron en inglés de lo único que parecía
interesar a los chilenos en aquellos tiempo: las elecciones
presidenciales del próximo septiembre.
A
los postres, uno de los generales del Pentágono preguntó qué haría el
ejército de Chile si el candidato de la izquierda Salvador Allende
ganaba las elecciones. El general Toro Mazote contestó:
«Nos tomaremos el palacio de la Moneda en media hora, aunque tengamos que incendiarlo»
Uno
de los invitados era el general Ernesto Baeza actual director de la
Seguridad Nacional de Chile, que fue quien dirigió el asalto al palacio
presidencial en el golpe reciente, y quien dio la orden de incendiarlo.
Dos de sus subalternos de aquellos días se hicieron célebres en la misma
jornada: el general Augusto Pinochet, presidente de la Junta Militar, y
el general Javier Palacios, que participó en la refriega final contra
Salvador Allende.
También
se encontraba en la mesa el general de brigada aérea Sergio Figueroa
Gutiérrez, actual ministro de obras públicas, y amigo íntimo de otro
miembro de la Junta Militar, el general del aire Gustavo Leigh, que dio
la orden de bombardear con cohetes el palacio presidencial.
El
último invitado era el actual almirante Arturo Troncoso, ahora
gobernador naval de Valparaíso, que hizo la purga sangrienta de la
oficialidad progresista de la marina de guerra, e inició el alzamiento
militar en la madrugada del once de septiembre.
Aquella
cena histórica fue el primer contacto del Pentágono con oficiales de
las cuatro armas chilenas. En otras reuniones sucesivas, tanto en
Washington como en Santiago, se llegó al acuerdo final de que los
militares chilenos más adictos al alma y a los intereses de los Estados
Unidos se tomarían el poder en caso de que la Unidad Popular ganara las
elecciones. Lo planearon en frío, como una simple operación de guerra, y
sin tomar en cuenta las condiciones reales de Chile.
El
plan estaba elaborado desde antes, y no sólo como consecuencia de las
presiones de la International Telegraph & Telephone (I.T.T), sino
por razones mucho más profundas de política mundial. Su nombre era
«Contingency Plan». El organismo que la puso en marcha fue la Defense
Intelligence Agency del Pentágono, pero la encargada de su ejecución fue
la Naval Intelligency Agency, que centralizó y procesó los datos de las
otras agencias, inclusive la CIA, bajo la dirección política superior
del Consejo Nacional de Seguridad.
Era
normal que el proyecto se encomendara a la marina, y no al ejército,
porque el golpe de Chile debía coincidir con la Operación Unitas, que
son las maniobras conjuntas de unidades norteamericanas y chilenas en el
Pacífico. Estas maniobras se llevaban a cabo en septiembre, el mismo
mes de las elecciones y resultaba natural que hubiera en la tierra y en
el cielo chilenos toda clase de aparatos de guerra y de hombres
adiestrados en las artes y las ciencias de la muerte.
Por
esa época, Henry Kissinger dijo en privado a un grupo de chilenos: “No
me interesa ni sé nada del Sur del Mundo, desde los Pirineos hacia
abajo”. El Contingency Plan estaba entonces terminado hasta su último
detalle, y es imposible pensar que Kissinger no estuviera al corriente
de eso, y que no lo estuviera el propio presidente Nixon.