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15/09/2022

GIDEON LEVY
La Stasi d'Israël prêche la morale

Gideon Levy, Haaretz, 14/9/2022
Traduit  par
Fausto Giudice, Tlaxcala

S'il y a une personne qui n'a pas l'autorité, et surtout pas le droit, de faire des prêches à Israël sur les lois de sa démocratie, c'est bien lui. S'il y a une organisation qui sape et détruit la démocratie israélienne plus que toute autre organisation ou politicien, c'est bien elle. Et s'il y a un fonctionnaire qui ne peut pas dire un seul mot sur le gouvernement, c'est le chef du service de sécurité Shin Bet.

Mais dans le chaos total qui règne aujourd'hui, où chaque bâtard est un roi, comme le dit le dicton, chaque chef d'une obscure agence est un professeur de morale.

Le chef du Shin Bet, Ronen Bar, lors de la conférence annuelle de l'Institut de politique antiterroriste (ICT) à l'Université Reichman de Herzliya, le 11 septembre 2022. Photo : Moti Milrod

Ronen Bar (né Ronen Berezovsky) est mécontent de la politique israélienne. Selon lui, elle encourage l'“axe du mal”, un terme infantile et propagandiste qui ignore, bien sûr, le mal de l'agence qu'il dirige lui-même - un mal qui a probablement peu de rivaux dans le monde - et ne concerne que le mal des autres.

S'exprimant lors d'une conférence à l'université Reichman de Herzliya, cette tour d'ivoire qui ressemble parfois plus à un camp d'état-major des FDI qu'à une université, et où chaque responsable d'une organisation de défense est considéré comme un oracle intellectuel, Bar a prévenu que les divisions au sein de la société israélienne encouragent la terreur et les méchants de l'axe. Il est difficile de dire qui était la cible de l'acte d'accusation du chef des argousins, encore plus difficile de comprendre ce qu'il veut (propose-t-il que nous nous unissions, comme la Corée du Nord ou l'Iran ?), mais le fait qu'il ose donner des conseils sur la démocratie est péniblement ridicule.

Le Shin Bet est une organisation vitale, tout comme l'est le service d'assainissement d'une ville. Ces agences font un travail sale, mais important, sans lequel la vie n'est pas sûre.

Mais contrairement aux activités des égoutiers, tout le travail que les hommes des ténèbres accomplissent dans le cadre de leurs fonctions n'est pas aussi vital qu'on nous le dit, et il ne faut certainement pas le vénérer, comme on nous l'apprend ; en tout cas, il cause aussi de sérieux dommages au tissu de la vie ici.

Il est difficile d'évaluer le véritable bilan - combien d'attaques terroristes le Shin Bet déjoue et combien d'attaques il motive par ses activités non contrôlées. Mais lorsque Bar se vante de 2 000 arrestations récentes, il est clair qu'il y a plus que quelques innocents parmi eux, et des personnes qui seront radicalisées par leur seule détention.

Dans une réalité où, chaque nuit, des soldats accompagnés de chiens terrorisent les gens qui dorment chez eux et arrachent des citoyens de leur lit sur ordre du Shin Bet, sans aucune supervision légale bien sûr, et dans une réalité où des centaines de personnes sont détenues sans procès pendant des mois et des années, également sur ordre du Shin Bet, il est clair que les dégâts sont énormes. La conséquence la plus grave est de transformer la démocratie israélienne en l'une des tyrannies militaires les plus brutales du monde, ne serait-ce que dans sa propre arrière-cour.

Le Shin Bet opère à peine dans l'Israël souverain. Mais ce qu'il fait dans les territoires occupés depuis 1967, qui sont une partie inséparable d'Israël, apparemment pour toujours, rend impossible de définir Israël comme une démocratie, certainement pas quand il est clair que ce n'est pas une situation temporaire. Il n'y a aucun mal avec lequel la Stasi israélienne - dans les territoires, le Shin Bet est la Stasi dans tous les sens du terme, avec une technologie plus avancée que celle dont disposait la tristement célèbre organisation est-allemande - n'est pas familière.

Cette semaine encore, j'ai rencontré, au camp de réfugiés d'Al-Arroub, un garçon de 11 ans qui a perdu un œil à cause d'une balle des FDI. Aujourd'hui, il a également été défini comme un risque pour la sécurité, et il lui est interdit d'entrer en Israël pour se faire soigner au centre médical Hadassah de Jérusalem, sur ordre du Shin Bet. La semaine dernière, deux patients atteints de cancer dans la bande de Gaza sont décédés ; ils n'ont pas pu recevoir de traitement en Israël à temps car le Shin Bet leur a refusé l'entrée pendant deux mois.

Peut-être que tout ce mal est nécessaire pour combattre la terreur - c'est très douteux - mais la personne qui commande les agents du mal ne peut pas prêcher la morale. Il serait préférable que ces personnes aient honte de certaines des actions honteuses dont elles sont responsables.

C'est une fois de plus la saison de l'arrogance des faucons de la sécurité. Le chef du Mossad a menacé l'Iran, le chef du renseignement militaire a menacé le Hezbollah et le chef du Shin Bet a menacé Israël. Cette dernière menace est la plus sérieuse et la plus dangereuse de toutes.

 

LUIS E. SABINI FERNANDEZ
Time is money, une maxime capitaliste : et la vie, qu’est-ce que c’est ?
Dark Waters, DuPont et le téflon

 Luis E. Sabini Fernández, 9/9/2022

Traduit par Rafael Tobar, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Dark Waters

Réalisé en 2019 par Todd Haynes, Dark Waters est un film usaméricain primé et aclamé, qui a été produit et interprété par Mark Ruffalo. Le scénario de Mario Correa et Matthew M. Carnahan est basé sur l’article The Lawyer Who Became DuPont's Worst Nightmare de Nathaniel Rich dans le New York Times. Il raconte l’histoire réelle de l’avocat Robert Bilott, exposant clairement l'idéologie dominante aux USA, au-delà du contenu explicite du film, et pour lequel il a été très bien accueilli.

Bilott, avocat dans un cabinet dédié à la défense des patrons d’entreprises, lui-même originaire de Virginie-Occidentale, apprend qu'un des voisins de sa grand-mère est confronté à la mort inexplicable de vaches de son élevage.

Il a 190 vaches mortes, qu'il a au départ enterrées « comme si c’était des membres de la famille », dit-il à Bilott, mais au fur et à mesure que les ravages mystérieux s'étendent, l’éleveur se rend compte que les eaux du ruisseau local ont été contaminées, et il se voit contraint de brûler les carcasses ensemble.

Ses terres jouxtent le terrain d’un laboratoire de l’entreprise DuPont, et, vu qu’on est dans la seconde moitié du 20e siècle, l’éleveur se demande inévitablement quel poison provient de ce terrain.

Le rôle du protagoniste du film est au départ ambigu : il veut sincèrement aider le voisin de sa grand-mère (qui vit dans une maison qu'il a bien connue dans son enfance), un éleveur moyen qui s’appelle Wilbur Tennant, mais ses collègues du cabinet le préviennent qu’il serait insensé de se bagarrer contre l’entreprise DuPont.

Bilott essaie donc de porter plainte dans la limite d’un délai de prescription, afin de corriger certaines irrégularités qu'il ne comprend pas lui-même. 

L'avocat qui représente l’entreprise DuPont, vieux copain du monde des petits arrangements entre amis, n'accepte aucune conciliation, pas même celle que Bilott avait timidement prévu de proposer.

 L’avocat de la défense et l’entreprise

Et l'incursion de Bilott dans le dédale des dispositions commerciales et juridiques lui fait découvrir l'univers des produits toxiques et des poisons utilisés en toute impunité.

Il apprend peu à peu que les études et les analyses qui se font, tant celles de l'entreprise que celles commandées à des tiers, révèlent des dommages que DuPont passe sous silence.

L’entreprise est protégée par des avis « scientifiques» (en fait, signés par des scientifiques) attestant de l'innocuité ou de la faible nocivité des substances chimiques étudiées.

Ce n'est pas nouveau. Le téflon ne fait que répéter, en matière de santé, la tendance de nombreux autres polymères à haut rendement commercial, économique et financier.

Cette merveille technologique fut découverte « par hasard » en 1938 par Roy J. Plunkett (comme l’immense majorité des plastiques dérivés du pétrole découverts dans la première moitié du 20e siècle).

Et en 1945, il a été breveté et commercialisé :

« Depuis  qu’elle a été enregistrée, la marque Teflon™ est devenue immensément populaire et reconnue dans le monde entier pour ses propriétés antiadhésives[1].

Elle est utilisée dans les : « revêtements pour ustensiles de cuisine ; les tissus et les imperméabilisants antitaches et antisalissures; les revêtements pour des environnements de production et industriels difficiles ».

Peut-être aurait-il été utilisé dans des revêtements industriels sans le potentiel pathogène qu'il a révélé lorsqu'on l’appliqua sur des casseroles et des poêles, en contact direct avec nos aliments.

«Plunkett reçut la reconnaissance de la communauté scientifique, universitaire et civile du monde entier pour sa contribution. Il a été intronisé au Plastics Hall of Fame en 1973 et au National Inventors Hall of Fame en 1985.

D'après la transcription ci-dessus, nous pouvons voir que le téflon faisait partie du techno-optimisme des hommes d'affaires qui n'étaient pas prêts à perdre le business à cause de quelques personnes affectées.



Rob Bilott sur les terres des Tennant, près de Parkersburg, Viginie occidentale. Photo Bryan Schutmaat pour le New York Times

La ténacité de Bilott et, surtout, celle de Tennant, qui, même malade (car ce ne sont pas seulement ses vaches qui ont été contaminée et tuées), lui permettra de poursuivre ses efforts pour localiser la source des dégâts.

Aussi, lorsque DuPont tente de calmer le jeu en accordant une mini-indemnité de 16 millions de dollars à un certain nombre de victimes, et en s'appuyant sur une décision de l'EPA (Agence usaméricaine de protection de l'environnement), à une époque où l'entreprise continuait d’empocher un milliard de dollars de ventes annuelles sur ses «produits fantastiques» et où Bilott lui-même est tenté, Tennant ne cède pas et insiste pour  combattre  DuPont.

Il est lui-même déjà atteint d'un cancer, tout comme sa compagne.

Tennant n'a pas seulement dû affronter l'entreprise contaminante, contrefaisante et meurtrière ; il n'a pas non plus reçu de soutien local, car ses voisins ont fui tout contact, le critiquant pour avoir mordu la main de ceux qui modernisaient l'endroit avec un établissement modèle...

On peut comparer Wilbur Tennant et son incroyable persévérance à la lutte d'un agriculteur victime du glyphosate contre une autre entreprise géante, Monsanto.

Percy Schmeiser, un Canadien,  a également fini par gagner un procès après des années et des décennies de contamination, de harcèlement, d'abus et de chicaneries.

Les produits toxiques finiront par rendre malades d'autres voisins de Tennant et des travailleurs de l'usine de Parkersburg, en Virginie occidentale.



L'usine chimique située près de Parkersburg, en Virginie occidentale, à l'origine de la contamination au centre du recours collectif contre DuPont. Photo Bryan Schutmaat pour le New York Times

14/09/2022

RUTH MARGALIT
“Shtisel”, la série Netflix qui plonge dans la communauté ultra-orthodoxe juive de Jérusalem

 Ruth Margalit, The New Yorker, 14/4/2019
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ruth Margalit est une écrivaine israélienne qui vit à Tel Aviv après une décennie à New York. Ses écrits sont parus entre autres dans The New Yorker, The New York Times Magazine, The New York Review of Books, Columbia Journalism Review et Slate. Elle a fait partie de la rédaction du New Yorker, a étudié la littérature anglaise et l'histoire à l'université de Tel Aviv et a obtenu un master en journalisme à l'université de Columbia. @ruthmargalit

La série israélienne "Shtisel" exploite dramatiquement les restrictions de la vie ultra-orthodoxe mais ne suggère pas que ses personnages centraux veulent ou doivent s'en échapper. Netflix

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été fascinée par la communauté haredi, ou ultra-orthodoxe, d'Israël. J'ai grandi dans un quartier de Jérusalem situé à une courte distance en voiture de leur enclave la plus insulaire, à Mea Shearim, et lors des déplacements qui nécessitaient de passer par cette partie de la ville - chez le dentiste, chez le père d'un ami - j'avais l'habitude d'observer leurs grandes familles avec envie : des groupes d'enfants courant côte à côte dans les rues pavées, les filles portant des robes de velours qui semblaient avoir été coupées dans un seul tissu, dans ce qui me semblait alors être un spectacle élaboré de sororité.

Au fil des ans, cette envie s'est transformée en quelque chose que je ne peux que qualifier de pitié. J'ai observé non pas les enfants haredi, mais leurs sœurs plus âgées et leurs jeunes mères harassées, souvent cachées derrière une poussette à deux places. Sous le soleil israélien sans pitié, elles portaient des collants en forme de treillis, des pulls en laine et des perruques lourdes. Elles avaient l'air épuisées. Le film Kadosh, réalisé en 1999 par le réalisateur israélien (non religieux) Amos Gitai, a semblé réaffirmer mes préjugés : racontant l'histoire de deux sœurs haredi, l'une à qui on conseille de quitter son mari parce qu'ils ne peuvent pas concevoir et l'autre contrainte à un mariage sans amour, le film dépeint les femmes haredi comme des esclaves qui aspirent à se libérer. Ayant grandi avec certaines libertés, il m'a été impossible d'envisager la non-liberté autrement qu'avec un jugement désinvolte. Un désir de validation s'insinue également. Plus le monde dépeint est étrange, plus il est étouffant, plus les contours du nôtre n’irritent plus.

Un besoin de voyeurisme prend le dessus lorsqu'il s'agit de sociétés isolées et autosuffisantes. Nous prétendons vouloir découvrir des modes de vie parallèles alors qu'en réalité, notre désir le plus fort est de découvrir à quel point ils sont différents des nôtres. En 2007, comme de nombreux Israéliens, j'étais scotchée devant une série télévisée à succès, “A Touch Away”, sur une adolescente ultra-orthodoxe de la ville haredi de Bnei Brak qui tombe amoureuse d'un émigré russe laïc. Je pensais avoir un aperçu authentique de la façon dont “ils” - les Haredim - vivaient, mais ce que je regardais en réalité, je l'ai compris depuis, c'était un feuilleton relevé dont le message implicite était que l'amour romantique ne peut être atteint qu'en surmontant les restrictions religieuses.

Je n'avais pas réalisé à quel point la superficialité et les conjectures avaient influencé ma vision de toute une communauté. Jusqu'à ce que je regarde “Shtisel”, une série israélienne diffusée actuellement sur Netflix, qui raconte l'histoire de quatre générations d'une famille ultra-orthodoxe vivant à Jérusalem. La série, qui a été créée par deux hommes ayant une connaissance intime de la communauté haredi, exploite dramatiquement les restrictions de la vie ultra-orthodoxe mais ne suggère pas que ses personnages centraux veulent ou doivent s'en échapper. Il ne s'agit pas, comme la plupart des autres représentations des Haredim, du désir de sortir des confins de leur société, mais plutôt des peines et des joies ordinaires de la vie en son sein. Comme me l'a dit l'un des créateurs de la série, Yehonatan Indursky, « cette perspective selon laquelle les Haredim vivent dans une sorte de ghetto et n'attendent que le jour où ils pourront s'en échapper - c'est un fantasme pour passer le temps de personnes laïques ».

La série, qui a été diffusée pour la première fois en Israël sur la chaîne de diffusion par satellite Yes, en 2013, nous présente la famille Shtisel exactement un an après le décès de la matriarche de la famille. Le fils, Akiva, est un alter [vieux, en yiddish, NdT] rêveur, ou “célibataire vieillissant”, de vingt-quatre ans, qui dessine en secret. Il accepte un poste de professeur remplaçant dans l'école où enseigne son père et tombe amoureux d'Elisheva, la mère d'un de ses élèves, veuve et plus âgée que lui.

Shulem, par John Blenkinsopp

 Shulem, le père, est un homme de confort qui semble toujours être en train de manger. Au début de la série, il transfère sa mère dans une maison de retraite où, pour la première fois de sa vie, elle possède une télévision. La plus ennuyeuse des émissions de télé-réalité devient, dans son récit, une prouesse talmudique : « Il y a un tribunal d'érudits qui leur apprend à chanter ! », dit-elle à Shulem, le souffle coupé. Giti, la sœur d'Akiva, est mariée à un boucher casher qui se fait la malle en Argentine, la laissant seule pour s'occuper de leurs cinq enfants. La fille aînée du couple est Ruchami, une adolescente bibliophile magnifiquement portraiturée (Shira Haas) qui, le soir, lit à ses frères ce qu'elle appelle “Hannah Karenina”.

Shtisel” est généreux, léger et nostalgique, même si les origines de cette nostalgie restent floues. Il est également un peu vieux jeu, non seulement en raison de son sujet mais aussi de sa structure situationnelle. Des choses arrivent et cessent d'arriver aux personnages dans un même épisode : une maladie, un vol. C'est un drame déguisé en sitcom. Le centre de gravité de la série est la relation père-fils entre Shulem et Akiva, que l'on voit généralement assis autour de leur table de cuisine exiguë, avec sa toile cirée, mangeant des légumes coupés en tranches en manches de chemise et en châle de prière. Dans l'un de ces épisodes, ils discutent de l'amour non réciproque d'Akiva pour Elisheva. Shulem l'appelle “la veuve Rothstein” et “celle de la banque” (Elle travaille comme caissière). Akiva a annulé des fiançailles arrangées avec une autre femme, et Shulem s'inquiète que cela ait rendu son fils “de second choix”. Pourtant, c'est parce qu'il soupçonne qu'Akiva a peut-être déjà ruiné ses perspectives de mariage que Shulem est maintenant favorable à la quête d'Elisheva par son fils. Qu'est-ce qu'il y a à perdre ?, pense Shulem. Il est pratique, pas sentimental. Il conseille à son fils d'être stable et confiant, “comme le soleil”, et de forcer Elisheva à “retourner” vers lui. Mais Akiva le réprimande : « Les temps changent, Aba.» (« Le Juif reste le même, et le soleil aussi », rétorque Shulem).

Elisheva (Ayelet Zurer)

Giti (Neta Riskin)
Rushami (Shira Haas)

Ce qu'Akiva pense changer n'est jamais clair. Ce ne doit pas être grand-chose, étant donné que la série donne au mariage entre cousins et aux fiançailles entre deux jeunes de seize ans un aspect quotidien, voire romantique. Et pourtant, pendant douze épisodes par saison, vos habitudes sont imprégnées de celles de l'écran. Vous vous retrouvez à applaudir la consanguinité, à mazal-tov-er les adolescents. “Shtisel” jette ce genre de sort. C'est en grande partie grâce à l'absence de jugement de ses créateurs et au résultat de plusieurs performances puissantes et discrètes, notamment celles d'Ayelet Zurer, dans le rôle d'Elisheva, et de Neta Riskin, dans celui de Giti - deux femmes fougueuses et intelligentes que la vie a laissé tomber. “Shtisel” est peut-être alimenté par Akiva et Shulem, mais ce sont les femmes qui font monter la température. « Tu ne me vois pas vraiment », dit Elisheva à Akiva à un moment donné. « Je n'ai pas l'énergie pour recommencer. » « Recommencer quoi ? » demande-t-il. « Tout », dit-elle. « Je n'ai pas l'énergie pour l'amour, un mariage, une maison, des meubles, plus de famille, plus d'enfants, plus de vie ».

En plissant un peu les yeux, Elisheva pourrait être un personnage de Jane Austen, une Anne Elliot ou une Elinor Dashwood. C'est l'un des plaisirs de la série, et cela nous rappelle pourquoi les intrigues de mariage contemporaines sont difficiles à réaliser : les enjeux ne semblent jamais vraiment élevés lorsque tout ce que vous avez à faire est de glisser vers la droite. Dans leur quartier haredi de Geula, cependant, les regards comptent, tout comme le risque de déraper dans l'ordre social et d'échapper à un mariage digne de ce nom.

13/09/2022

1 milliard de dollars en 4 ans : dans les enclaves hassidiques de New York, les écoles privées défaillantes regorgent d'argent public
Une enquête du New York Times

Eliza Shapiro et Brian M. Rosenthal, The New York Times,11/9/2022
Photograpies de Jonah Markowitz

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pendant plus d'un an, les reporters du New York Times ont interrogé plus de 275 personnes, traduit des dizaines de documents en yiddish et analysé des millions de lignes de données sur les écoles privées défaillantes de la communauté juive hassidique. Ci-dessous le résultat de leur enquête, publié en anglais et, pour la première fois dans l'histoire du journal, en yiddish.

Les écoles religieuses juives hassidiques de New York ont bénéficié d'un milliard de dollars de financement public au cours des quatre dernières années, mais ne sont soumises à aucun contrôle extérieur.

La communauté juive hassidique a longtemps géré l'une des plus grandes écoles privées de New York à ses propres conditions, résistant à tout examen extérieur des résultats de ses élèves.

Mais en 2019, l'école, la Central United Talmudical Academy, a accepté de faire passer des tests standardisés de l'État en lecture et en mathématiques à plus de 1 000 élèves.

Tous ont échoué.

Les élèves d'une douzaine d'autres écoles gérées par la communauté hassidique ont enregistré des résultats tout aussi médiocres cette année-là, ce qui, dans des circonstances ordinaires, serait le signe d'un système éducatif en crise. Mais là où d'autres écoles peuvent être en difficulté en raison d'un manque de financement ou d'une mauvaise gestion, ces écoles sont différentes. Elles échouent à dessein.

Les dirigeants de la communauté hassidique de New York ont construit des dizaines d'écoles privées pour éduquer les enfants à la loi, à la prière et à la tradition juives - et pour les isoler du monde séculier. Proposant peu d'anglais et de mathématiques, et pratiquement pas de sciences ou d'histoire, elles font travailler les élèves sans relâche, parfois brutalement, pendant des heures de leçons religieuses dispensées en yiddish.

Le résultat, selon une enquête du New York Times, est que des générations d'enfants ont été systématiquement privées d'une éducation de base, piégeant nombre d'entre eux dans un cycle de chômage et de dépendance.

Séparé par sexe, le système hassidique échoue de manière flagrante dans ses plus de 100 écoles pour garçons. Réparties dans Brooklyn et dans la vallée inférieure de l'Hudson, ces écoles forment chaque année des milliers d'élèves qui ne sont pas préparés à affronter le monde extérieur, ce qui contribue à faire passer les taux de pauvreté dans les quartiers hassidiques parmi les plus élevés de New York.

Ces écoles semblent fonctionner en violation des lois de l'État qui garantissent aux enfants une éducation adéquate. Malgré cela, selon le Times, les écoles hassidiques pour garçons ont trouvé le moyen d'obtenir d'énormes sommes d'argent du gouvernement, collectant plus d'un milliard de dollars au cours des quatre dernières années seulement.

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SERGIO FERRARI
La memoria naviga negli oceani e riunisce le generazioni
Libro di ex prigionieri politici argentini lanciato in italiano


 Sergio Ferrari, La Pluma, 13/9/2022
Tradotto da Fausto Giudice, Tlaxcala

Sergio Ferrari, ex prigioniero politico argentino, vive dal 1978 in Svizzera, dove lavora come giornalista per vari media europei e latinoamericani.

La memoria collettiva non conosce confini e non accetta amnesie imposte. Il Grand Hotel Coronda si rivolge al Vecchio Mondo e cerca nuovi porti per condividere fari di speranza.

  

Vista attuale del reparto numero 5 del carcere di Coronda. Foto Sergio Ferrari

Da Coronda a Roma, passando per la Svizzera italiana

Dal 15 settembre, si presenta in Europa Grand Hotel Coronda. Racconti di prigionieri politici sotto la dittatura argentina 1974-1979, a quasi vent'anni dalla pubblicazione in Argentina della versione originale spagnola, Del otro lado de la mirilla.

 

 El Periscopio – Olvidos y Memorias de ex Presos Políticos de Coronda 1974 – 1979

Dalla sua pubblicazione nel 2003, Del otro lado de la mirilla ha avuto ripercussioni significative, sia a livello nazionale che all'estero. Si tratta di una testimonianza collettiva e anonima di ex prigionieri politici detenuti a Coronda, Santa Fe, una delle carceri di massima sicurezza in Argentina durante l'ultima dittatura civile-militare (1976-1983). Si tratta di uno dei primi libri del genere pubblicati in America Latina, frutto del lavoro di un nutrito gruppo di autori riuniti nella Asociación El Periscopio.

Fonte di ispirazione per la creazione teatrale Coronda en Acción, presentata nel 2006 (https://www.youtube.com/watch?v=mkK12e2yaFw), durante la recente pandemia, questo lavoro collettivo ha alimentato concettualmente anche il progetto Corondaes, un'esperienza performativa audiovisiva. Ha inoltre ispirato la realizzazione del cortometraggio Retorno a Coronda (2020), proiettato come introduzione alle presentazioni del libro in Europa.

Nel 2020, l'editore svizzero de l'Aire ha pubblicato la traduzione francese con il titolo Ni fous, ni morts (“Né pazzi né morti”). E dalla seconda settimana di settembre sarà presentato in italiano con il titolo Grand Hotel Coronda, frutto del lavoro di un grande collettivo di solidarietà e della prestigiosa casa editrice romana Albatros Il Filo, che ha una vasta rete di distribuzione attraverso librerie e media digitali.

Molto più che un libro “storico”

“Più che un progetto editoriale, concepiamo Grand Hotel Coronda come una proposta educativa e di sensibilizzazione per rafforzare la solidarietà tra i popoli”, spiega il ricercatore scientifico italiano Enrico Vagnoni, membro del Gruppo di gestione del progetto, composto da una ventina di membri che ne hanno reso possibile la pubblicazione.

Per Vagnoni, che tra il 2001 e il 2006 è stato operatore di sviluppo per una ONG italiana nel nord di Santa Fe e in altre zone dell'Argentina, l'obiettivo principale di Grand Hotel Coronda è raggiungere un pubblico giovane. E per portare loro “un messaggio di speranza e di solidarietà, che rafforzi in Italia, in Svizzera, o ovunque lo leggiate, le sfide globali che le nuove generazioni devono affrontare. Tra le altre, nella lotta per la difesa del clima, per l'uguaglianza di genere, contro la spietata esclusione dei rifugiati, per la ricostruzione collettiva della memoria”.

Secondo Vagnoni, che vive a Sassari, in Sardegna, il contenuto di quest'opera di 410 pagine, organizzata in 39 capitoli, apporta e attualizza valori come la resistenza alle strategie del terrore, la solidarietà e l'impegno collettivo. Si tratta di riferimenti etici universali che trascendono lo specifico contesto geografico e storico del Grand Hotel Coronda. E per questo, spiega Vagnoni, molte delle presentazioni in Europa “faranno parte di un progetto educativo che prevede incontri nelle scuole, nei licei e nelle università, oltre a spettacoli teatrali e musicali e altre iniziative educative e culturali ispirate ai contenuti dell'opera”.


La prima di queste attività, il calcio d'inizio di una vera e propria maratona politico-letteraria, si svolgerà il 15 settembre in un collegio della città svizzera di Bellinzona, con la partecipazione di un centinaio di giovani che stanno per terminare la loro formazione pre-universitaria.

Nella Svizzera italiana, con la presenza di tre ex prigionieri politici di Coronda, sono previste presentazioni pubbliche anche a Biasca, Lugano e Mendrisio. A partire da lunedì 19 settembre, il Grand Hotel Coronda visiterà centri comunitari, culturali e sindacali a Parma, Bologna, Pavia, Livorno e Roma, dove Casa Argentina ospiterà il lancio pubblico il 4 ottobre. Nello stesso mese, una mezza dozzina di altre attività si svolgeranno in Sardegna e nella regione Toscana (Rignano sull'Arno e Firenze).

12/09/2022

SHIMON STEIN / MOSHE ZIMMERMANN
Le fossé entre Allemands et Israéliens ne cesse de se creuser

Shimon Stein et Moshe Zimmermann, Frankfurter Rundschau, 9/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Shimon Stein a été ambassadeur d'Israël en Allemagne (2001-2007) et est actuellement chercheur principal à l'Institut d'études de sécurité nationale (INSS) de l'Université de Tel Aviv.

Moshe Zimmermann est professeur émérite à l'Université hébraïque de Jérusalem.

Une étude sur la position des Allemand·es à l'égard d'Israël et de sa politique donne des résultats qui ont de quoi dégriser

Plus la commémoration du 50e anniversaire de la prise d’otages de Munich se rapprochait, plus les relations germano-israéliennes revenaient en une des médias. C'est pourquoi l'étude de la Fondation Bertelsmann « L'Allemagne et Israël aujourd'hui : entre connexion et distanciation » a pu trouver son chemin dans les médias. Dans la plupart des journaux et des chaînes de télévision, la nouvelle est apparue à peu près sous le titre : « Les Israéliens regardent l'Allemagne de manière plus positive que l'inverse. » Cela n'est pas surprenant, car cette conclusion a déjà été tirée par des sondages antérieurs menés par d'autres instituts de sondage.

Günther Schäfer, La Patrie, East Side Gallery, Berlin

Mais en examinant de plus près les résultats, un message plus important transpire : en ce qui concerne les relations de l'Allemagne avec Israël, le fossé entre la politique et la société menace de créer une situation explosive. Le mot distanciation (Entfremdung] apparaît déjà dans le sous-titre de l'étude, et la postface de Dan Diner souligne à juste titre le « hiatus d’ambiance » entre la société et la politique, comme le confirme également un récent « sondage Israël » d'Elnet (European Leadership Network).

Depuis 2008, les politiciens allemands citent la déclaration d'Angela Merkel : la sécurité d'Israël est la raison d'État allemande. La responsabilité envers Israël et le soutien aux intérêts israéliens – pour cela, il y a une grande majorité parmi les députés du Bundestag, selon le « sondage Israël ». Cependant, pour l'Allemand·e lambda, la mise en œuvre de ce mantra s'avère très problématique. Si Israël répondait aux ambitions nucléaires de l'Iran par une frappe militaire, seuls 13 % des Allemands seraient prêts à soutenir Israël (selon l'étude Bertelsmann). Et si Israël décidait de faire un pas de plus vers l'annexion des territoires palestiniens, les Allemands ne l'avaleraient pas en tant que raison d'État allemande – le nombre de partisan·es de la solution à deux États parmi eux·elles est trois fois et demie plus élevé que celui de leurs adversaires ! La classe politique sera-t-elle en mesure, même dans ces cas, de tenir les promesses de raison d'État de Merkel contre la volonté des citoyen·nes ?

Alors que la politique met en avant le soutien absolu à l'État juif, l'étude Bertelsmann montre que 83 % des Allemand·es ont une attitude qui va de la neutralité à l’indifférence face au conflit israélo-palestinien. En général, seulement un huitième des citoyen·nes allemand·es estiment que le gouvernement fédéral devrait soutenir Israël. Il serait toutefois erroné de rejeter globalement cette attitude des Allemand·es comme l'expression d'un antisémitisme généralisé lié à Israël : 90 % des personnes interrogées considèrent l'antisémitisme comme un problème et estiment en outre que « les Juifs font naturellement partie de l'Allemagne ». Environ un cinquième de la population est sensible aux préjugés antisémites – pas plus que la moyenne européenne et pas plus que les dernières décennies. En outre, beaucoup plus (43%) estiment que les élèves apprennent trop peu sur l'Holocauste que ceux (8%) qui affirment le contraire.

Un exemple de ce que toutes les attitudes critiques vis-à-vis d’Israël ne renvoient pas à un antisémitisme lié à Israël : si environ un tiers des Allemand·es ne ressentent pas de responsabilité particulière envers Israël et le peuple juif, il s'agit d'un manque évident de conscience historique. Mais ce déficit ne concerne pas seulement les Juifs et Israël – un tiers des personnes interrogées ont également répondu négativement à la question sur la « responsabilité vis-à-vis des personnes fuyant la guerre et la persécution dans le monde ».

Il est évident que la sympathie relativement faible pour Israël, telle que nous le révèle l'étude, résulte plutôt de l'attitude d'Israël envers le conflit israélo-palestinien : si 45% des Israéliens rejettent la solution à deux États et seulement 17% des Allemands sont de cet avis, le chemin vers le hiatus est ouvert. L'opinion des Allemand·es, poursuit l'étude, « sur le gouvernement israélien (43% plutôt mauvaise/très mauvaise) » est « encore plus négative que sur le pays dans son ensemble ».

En outre, l'approbation (43%) de l'affirmation « Le gouvernement israélien contribue à … l'antisémitisme », couplé à 0% (!), qui ont une « très bonne opinion du gouvernement israélien actuel », indique que les critiques à l'égard de l'État juif sont principalement dirigées contre la politique gouvernementale israélienne. Même si les préjugés antisémites jouent un rôle, une chose est claire : le fossé entre la République fédérale officielle et la vox populi n'est pas négligeable.

A cela s'ajoute le fait que structurellement, « la distanciation » et « le hiatus » s'expriment non seulement dans la comparaison entre la politique et l'opinion publique en Allemagne, mais aussi dans la perspective d'un ancrage démocratique dans les deux pays. Dans les deux sociétés, seuls 3 % rejettent la démocratie comme « meilleure forme d'État », mais alors qu'en Allemagne, seuls 28 % aspirent à un « homme fort », en Israël, ils sont 77 % ! Pas de surprise pour les observateurs des faiblesses de la « seule démocratie du Moyen-Orient ».

L'étude a également souligné à juste titre les particularités du secteur juif religieux, qui a une opinion très négative sur l'Allemagne (39%, contre 13% chez les Juifs laïcs), et s'oppose fermement à la solution à deux États. Compte tenu de la part croissante de ce groupe, on peut s'attendre à une distanciation progressive entre Allemands et Israéliens. La proposition de l'étude Bertelsmann de « faire des efforts pour inclure les Israéliens qui se définissent comme religieux » est naïve, car une opinion fondée sur la foi ne peut pas être changée de cette façon.

L'AfD incarne un paradoxe des relations germano-israéliennes : la direction du parti est particulièrement pro-israélienne. De ce parti, même les colons juifs reçoivent un soutien. Donc, absurdement, l'AfD pourrait-elle devenir le moyen de surmonter le hiatus israélo-allemand ? Mais l'étude doit être lue comme un avertissement pour les Allemands et les Israéliens en même temps : les aéfdéistes de base sont ceux qui considèrent le moins la démocratie comme la meilleure forme d'État, et souhaitent le plus un « Führer fort ». A la question : « Le souvenir de l'Holocauste devrait-il jouer un ... rôle dans la politique allemande actuelle et future ? », 81% des aéfdéistes répondent « aucun ou un petit rôle ». Ils sont les plus nombreux à rejeter la responsabilité historique (allemande) pourIsraël (68%),un partisan de l'AfD sur deux croit au préjugé antisémite selon lequel « les Juifs ont trop d'influence dans le monde ». Que les Juifs ne font pas partie de l'Allemagne, 31% d'entre eux le pensent. À un moment donné, le masque tombera et posera également la question de la proximité entre ce parti et ses sympathisants en Israël.

Les études nous donnent donc une leçon dégrisante : dans le contexte du conflit israélo-palestinien, l'écart entre la politique et l'opinion publique en Allemagne, ainsi qu'entre le système de valeurs israélien et allemand, ne cesse de se creuser. Les deux champs relationnels semblent courir le risque de transformer l'écart en un fossé profond. Pour arrêter la dégringolade, les discours solennels au Bundestag ne suffisent pas. Ce qu’il faudrait, ce serait plutôt un tournant dans la politique israélienne.

 

 

11/09/2022

GIDEON LEVY
“Personne ne nous dictera notre conduite” (Yair Lapid)

Gideon Levy, Haaretz, 11/9/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Je vais reposer la question : qu'est-ce qui est “israélien” pour moi, comme notre Premier ministre actuel le demandait à chaque invité de son ancien talk-show télévisé ? Et je répondrai encore une fois : Yair Lapid. Et qu'est-ce qui est israélien chez Lapid ? L'incroyable combinaison d'arrogance et d'autovictimisation simultanées.


« Je ne permettrai pas qu’un soldat israélien soit poursuivi juste pour recevoir des applaudissements de l’étranger. Personne ne nous dictera nos règles d’engagement »

Il y a des chefs d'État arrogants et d'autres qui s'autovictimisent, mais il est difficile de trouver un autre exemple de leader qui soit les deux. Il faut une bonne dose de chutzpah israélienne pour être à la fois pitoyable à ses propres yeux et vantard. Un exemple : « Personne ne nous dictera nos règles d'engagement, alors que c'est nous qui nous battons pour nos vies », a déclaré le Premier ministre après que les USA ont demandé à Israël de revoir la politique d'ouverture du feu des Forces de défense israéliennes.

La réponse automatique et générique de Lapid avait tout pour plaire : cela fait longtemps que nous n'avons pas eu un orfèvre des mots capable de distiller tous les maux d'Israël en une seule et courte phrase - seulement 12 mots, en hébreu. Il est également difficile d'imaginer un premier ministre qui s'efforce de changer, qui essaie de se différencier pendant un mandat aussi court, mais qui s'attache automatiquement aux déclarations malveillantes et corruptrices de son prédécesseur. Peu importe qu'il soit élu ou non, aucun changement ne se produira.

10/09/2022

JONATHAN COOK
La reine et ce qu’elle laisse : la Grande-Bretagne du XXIe siècle n'a jamais eu l’air aussi médiévale

Jonathan Cook, Mint Press, 9/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Costumes noirs, tons étouffés, un air de révérence dissimulent la panique d'un establishment qui vient de perdre le véhicule principal pour justifier son privilège

The Queen, par Jorge Luis Cabrera García, Cuba

Toute personne au Royaume-Uni qui s'imaginait vivre dans une démocratie représentative – une démocratie dans laquelle les dirigeants sont élus et responsables devant le peuple – sera en proie à un réveil brutal au cours des prochains jours et des prochaines semaines.

Les horaires de télévision ont été balayés. Les présentateurs doivent porter du noir et parler avec un ton étouffés Les unes des canards sont uniformément sombres. Les médias britanniques parlent d'une voix unique et respectueuse de la Reine et de son legs irréprochable. 

Westminster, quant à lui, a été dépouillé de la gauche et de la droite. Les partis conservateur, libéral-démocrate et travailliste ont mis de côté la politique pour faire le deuil d'une seule voix. Même les nationalistes écossais – censés essayer de se débarrasser du joug des siècles d'une domination anglaise présidée par le monarque – semblent être en deuil effusif

Les problèmes urgents du monde – de la guerre en Europe à une catastrophe climatique imminente – ne sont plus d'intérêt ou de pertinence. Ils peuvent attendre que les Britanniques sortent d'un traumatisme national plus urgent.

Sur le plan intérieur, la BBC a dit à ceux qui sont confrontés à un long hiver au cours duquel ils ne pourront pas se permettre de chauffer leur maison que leurs souffrances sont « insignifiantes » par rapport à celles de la famille d'une femme de 96 ans qui est morte paisiblement dans le luxe. Ils peuvent attendre aussi. 

En ce moment, il n'y a pas de place publique pour l'ambivalence ou l'indifférence, pour la réticence, pour la pensée critique – et certainement pas pour le républicanisme, même si près d'un tiers de la population, surtout les jeunes, souhaite l'abolition de la monarchie. L'establishment britannique attend de chaque homme, femme et enfant qu'il fasse son devoir en baissant la tête. 

La Grande-Bretagne du XXIe siècle n’a jamais eu l’air aussi médiéval.

09/09/2022

LUIS CASADO
L'opération a été un succès. Seul détail : le patient est mort...
Sur le résultat du référendum constitutionnel au Chili

 

Luis Casado, 9-9-2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ils ont eu ce qu'ils voulaient. Les âmes innocentes ne comprennent pas, elles expriment soit leur indignation, leur déception ou leur colère, ou tout cela à la fois. Mais ils ne comprennent pas. Luis Casado offre une poste. Comme il le dit lui-même, une "petite lumière"...

Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire.

(Étienne de la Boétie. Discours sur la servitude volontaire. 1547)

La majorité confortable obtenue par le “Non” à la nouvelle Constitution a généré une stupéfaction, qui ne cesse d’être stupéfiante. L'incompréhension générale s'est manifestée de diverses manières, dont la colère n'est pas la moindre.

Malheureusement, ni la colère ni l'incompréhension ne peuvent nous aider à répondre à la célèbre question posée par Vladimir Ilitch Oulianov : Que faire ?

Dès lors, proposer une interprétation, jeter une petite lumière qui éclaire l'obscurité du tunnel, allumer la bougie qui empêche les couillons de continuer à fouler la merde dans laquelle ils vivent et marchent, c’est faire œuvre utile.

Tony Blair avait coutume de dire : « la mémoire de l'opinion publique ne dure pas plus de huit jours », ce qui semble malheureusement être une vérité incontestable. Le Chili vit une réalité qui est le produit d'un demi-siècle de crimes et d'infamies. Une longue période qui a eu la vertu de brouiller la question de fond, pourtant vécue au quotidien, remplacée par une décision concernant un texte dont la principale caractéristique est de n'avoir jamais été mis en pratique, et qui ne pouvait donc évoquer que des illusions oniriques ou des peurs insomniaques.

La question à un million est d'une simplicité biblique : quelle est la question qui a été la principale source de tension dans la vie publique au cours des cinquante dernières années ? Les règles de vie en société, codifiées, comme il se doit dans les sociétés modernes, dans une Magna Carta appelée Constitution. Un texte qui, dans ce que nous appelons “démocratie”, est, ou devrait être, rédigé et approuvé par les citoyens, un droit inaliénable que l'histoire a appelé la souveraineté du peuple.

Ce qui empoisonne le corps social est précisément une constitution imposée sous la dictature, rédigée par une poignée de voyous intellectuels au service des puissants qui pillent les richesses du pays, exploitent sa population et détruisent l'écosystème. C'est la question de fond.

Quelle était la question du référendum ? Celle à laquelle chaque électeur devait répondre en son âme et conscience. C’était celle-ci  :

« Approuvez-vous le texte de la nouvelle Constitution proposé par la Convention constitutionnelle ? »