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28/10/2025

Des jeunes auteur·es gazaoui·es de Palestine Nexus réfléchissent à deux années de génocide

Zachary Foster, Palestine Nexus, 16/10/2025

Traduit par Tlaxcala


Ghaydaa Kamal, Dalal Sabbah, Hani Qarmoot et Rama Hussain AbuAmra (de gauche à droite)

Le peuple palestinien de Gaza a vécu deux années de génocide. Et pourtant, malgré les déplacements forcés incessants, la campagne de famine et les massacres de masse, les jeunes auteur·es de Gaza ont refusé de se taire. Ils·elles ont raconté leurs corps affamés, leurs expériences proches de la mort et leur lutte pour trouver de la nourriture, des médicaments, de l’eau et un abri. Ils·elles voyagent des heures pour trouver une connexion internet et écrivent le ventre vide, tout en soutenant leurs familles et en aidant ceux qui ont encore moins. Ils·elles risquent leur vie chaque jour pour raconter au monde les histoires de la Palestine, et nous resterons à jamais admiratifs de leur courage et de leur résilience. Voici quelques-unes de leurs réflexions sur ces deux dernières années.
Dr. Zachary Foster, fondateur de Palestine Nexus


Hani Qarmoot, 22 ans, journaliste et conteur du camp de Jabalia
« Pendant les deux années de génocide, chaque jour était marqué par la faim, le déplacement, le sang et le bruit des explosions. Pour notre survie, pour la continuation de nos histoires, et pour la reconnaissance de notre souffrance et de notre rire, j’écris dans l’obscurité. Même si j’ai perdu des amis, des collègues, des enseignants et des êtres chers, leurs souvenirs me portent. Le rire d’un enfant, le message d’un ami, ou le silence entre deux explosions sont des choses qui me donnent la vie. Écrire est un acte silencieux de résistance qui montre que nous sommes encore vivants. Nos mots sont notre bouclier, et notre voix ne sera jamais réduite au silence. »
— Hani Qarmoot


Rama Hussain AbuAmra, 23 ans, écrivaine et traductrice de la ville de Gaza
« J’ai encore du mal à croire que ce génocide pourrait réellement toucher à sa fin. Pendant deux ans, nous avons vécu un cauchemar qui a volé tout amour, toute sécurité et toute joie. Nous avons été dépouillés de nos maisons, de nos souvenirs et des personnes que nous aimons. Chaque instant baignait dans la peur — la peur de nous perdre nous-mêmes, la peur de perdre ceux que nous aimons.
Une nuit me hante plus que toute autre : celle du 10 octobre 2023. À 1h30 du matin, un appel est arrivé, nous avertissant d’évacuer notre immeuble avant qu’il ne soit bombardé et réduit en poussière. Comment faire tenir toute une vie dans un seul sac ? Mon enfance, mes livres, mes vêtements préférés, le coin que j’aimais à l’aube et au crépuscule, tout est resté derrière. Nous avons couru, haletants, vers un hôpital voisin, attendant l’inconnu. Puis le bruit de l’explosion est arrivé, brisant notre maison et nos cœurs. Le lendemain, nous avons fui vers Al-Zawaida, au sud de Gaza, pour assister à une autre horreur : 25 âmes d’une seule famille anéanties. La fumée emplissait nos poumons, le verre tombait comme la pluie, et le sang couvrait le sol. Je vois encore la cendre, les vitres brisées, les membres éparpillés.
Nous avons survécu, d’une manière ou d’une autre. Mais les cicatrices demeurent. Et maintenant, nous attendons, non pas en paix, mais avec un espoir fragile. »
Rama Hussain AbuAmra


Dalal Sabbah, 20 ans, étudiante en traduction anglaise de Rafah
« Au cours de ces deux dernières années, j’ai relevé le défi de documenter la vie à Gaza, pour que nos histoires atteignent le monde au-delà des ruines et du silence. Chaque jour a été une épreuve d’endurance, mais je suis restée ferme, parce que ces histoires méritent d’être racontées.
Malgré les déplacements répétés, l’épuisement, la peur constante et la proximité de la mort ; malgré la perte de nombreux membres de ma famille, j’ai dû continuer à écrire, pour enregistrer ces moments et honorer la mémoire de ceux que nous avons perdus. Écrire est devenu plus qu’un métier : c’est devenu un cri silencieux du cœur vers le monde, un témoignage de vies qui défient la mort chaque jour, et la preuve que nos voix ne disparaîtront pas dans la fumée et les décombres.
Même quand le désespoir m’écrase, je continue. J’écris, je parle, je témoigne, parce que c’est mon devoir envers mon peuple, envers ma patrie, envers la Palestine.
Et quoi qu’il arrive, la Palestine est libre, du fleuve à la mer. »
Dalal Sabbah


Khaled Al-Qershali, 22 ans, journaliste indépendant d’Al-Nasser
« Bien que le génocide perpétré par l’occupation israélienne ait pris fin et que j’aie survécu, rien de ce qui m’a été arraché ne me sera jamais rendu. J’ai perdu deux amis très chers, Mohammed Hamo et Abdullah Al-Khaldi, ainsi que ma maison et la vie que je connaissais avant le 7 octobre 2023.
Depuis ce jour, la vie telle que je la connaissais a été détruite. Ces deux dernières années ont été marquées par le déplacement, la faim, la peur et la perte constante.
J’espère que le cessez-le-feu tiendra, mais j’ai du mal à y croire. Lors du dernier cessez-le-feu, en janvier, mon grand-père et mes oncles sont retournés à Gaza pour reconstruire leur vie à partir des ruines. Mais c’était un piège : le génocide a repris, et tout ce qu’ils avaient reconstruit a disparu. »
— Khaled Al-Qershali


Ghaydaa Kamal, 23 ans, journaliste et traductrice de Khan Younis
« Chaque histoire que j’écris est une bataille pour la survie. J’ai écrit depuis les ruines, depuis les tentes, depuis des endroits où l’électricité et l’internet relèvent du miracle. Parfois, je marchais pendant des heures sous un soleil brûlant, parce que le transport coûtait trop cher et que le silence n’était pas une option.
Mon ordinateur portable porte encore la poussière de ma maison détruite. Je l’ai sorti des décombres après une frappe aérienne, nettoyé avec des mains tremblantes, et je lui ai redonné vie. Il a gelé, s’est éteint, m’a trahie à maintes reprises — et pourtant, il continue de survivre, comme moi.
J’ai écrit à travers la faim, l’épuisement et la peur, documentant ce que signifie vivre et travailler sous des bombardements constants. Il y a eu des moments où j’ai échappé à la mort de justesse.
Mais je continue d’écrire, car si je m’arrête, ils gagneront — non seulement en nous tuant, mais en effaçant nos histoires. »
Ghaydaa Kamal

27/10/2025

Une lecture complète des racines du conflit israélo-palestinien du point de vue du jeune historien Zachary Foster

  Imran Abdallah , Aljazeeranet, 8/6/2025
Traduit par
Tlaxcala
Original : 
قراءة شاملة لجذور الصراع الفلسطيني الإسرائيلي من منظور المؤرخ الشاب زكاري فوستر


Imran Abdallah est un journaliste soudanais, rédacteur culturel au site ouèbe Aljazeeranet

Dans cet entretien atypique et approfondi, l’historien et militant usaméricain Zachary Foster propose sa lecture de l’histoire palestinienne contemporaine et moderne, ainsi qu’une vision approfondie et complète du conflit israélo-palestinien. Foster a obtenu son doctorat en études du Proche-Orient à l’Université de Princeton en 2017 et est le fondateur du projet Palestine Nexus, qui, espère-t-il, deviendra la source privilégiée pour comprendre la situation en Palestine.


 Ce dialogue retrace les racines historiques du conflit et son évolution au cours des deux derniers siècles. Foster, spécialiste de l’histoire de la région, explore les multiples dimensions de la question, proposant une analyse critique des discours dominants et déconstruisant certaines idées reçues.

Le dialogue débute par un historique de la question : l’invité déclare : « Je crois que les racines de la question israélo-palestinienne remontent à la fin du XIXsiècle… lorsque des Juifs décidèrent de transformer un État arabe, la Palestine, en État juif. » Cette définition chronologique replace la question dans son contexte historique, soulignant que ses origines sont antérieures à la période du colonialisme traditionnel.

Le dialogue compare le sionisme à d’autres mouvements coloniaux de peuplement, soulignant sa singularité. L’invité déclare : « Le sionisme, parmi tous les mouvements coloniaux de peuplement du monde… est un exemple idéal de ce mouvement ». Il ajoute, expliquant la différence : « Ce qui distingue les mouvements coloniaux de peuplement des mouvements coloniaux ordinaires, c’est qu’ils abandonnent leurs liens avec leur patrie d’origine. »

Le dialogue aborde également l’évolution des positions académiques sur la question, notamment parmi les historiens occidentaux et juifs. L’invité souligne qu’« il existe une longue tradition d’antisionisme parmi les Juifs. En fait, cette tradition remonte aux origines du sionisme lui-même. » Il réfute également les affirmations selon lesquelles il n’existait pas d’identité palestinienne avant la création d’Israël.

Il conclut en soulignant l’importance de comprendre les racines historiques du conflit pour en saisir la complexité actuelle. L’invité déclare : « On peut comprendre une grande partie de l’histoire palestinienne en comprenant seulement leur réponse à cette question : quelle est la réponse appropriée à un groupe qui tente de s’emparer de mes terres, de détruire ma maison et de me purifier ethniquement du pays ? »


L’activiste et historien Zachary Foster (médias sociaux) 

Comment voyez-vous les racines des problèmes actuels au Moyen-Orient, en particulier en Palestine ?

Je crois que les racines de la question israélo-palestinienne remontent à la fin du XIXe siècle. Cette période est donc antérieure à la période coloniale. Dans les années 1870 et 1880, les Juifs d’Europe parlaient de la création d’un État juif en Palestine. Je pense que c’est là, pour moi, l’origine de la question palestinienne. C’est lorsque les Juifs ont décidé de transformer un État arabe, la Palestine, en État juif. Pour moi, ce fut le début de la question israélo-palestinienne moderne.

Au XIXe siècle, cent ans avant la formation d’Israël ?

Oui. Nous parlons des années 1870 ou 1880, il y a donc 140 ou 150 ans. J’ai généralement reçu des réactions très positives à une vidéo expliquant ce sujet. Mon objectif était d’aborder le plus de sujets possibles dans une vidéo aussi courte que possible, et de m’attacher à comprendre pourquoi les choses se sont produites, comment elles se sont déroulées.

Et je pense que les gens ont généralement apprécié cela, car j’essaie avant tout d’être objectif. Je parle du terrorisme juif, du terrorisme palestinien, des crimes de guerre commis par Israël et le Hamas. C’est vrai. Je m’efforce donc de donner un compte rendu objectif, et de faire preuve d’un courage interprétatif pour vous aider à comprendre comment nous en sommes arrivés là aujourd’hui.

Et je pense que les gens apprécient cela. Évidemment, j’ai mon propre point de vue. Et bien sûr, je pense que pour vraiment comprendre comment nous en sommes arrivés là aujourd’hui, il faut comprendre l’idée fondamentale du sionisme : sa volonté de transformer ce pays, d’un pays arabo-palestinien, en un pays juif.

Chaque dirigeant sioniste a donc dû se poser cette question : que faire des autochtones ? J’essaie donc de mettre en avant le point de vue palestinien, et je m’attache en particulier à donner la parole aux victimes de ce conflit, à ceux dont la voix a été perdue dans les récits traditionnels.

Je pense que je me concentre également sur Israël et la Palestine plutôt que sur le conflit israélo-arabe. Pendant des décennies, on a considéré ce conflit comme un conflit israélo-arabe entre Israël et les États arabes. Je pense qu’il est clair qu’il n’y a jamais eu de véritable conflit majeur entre Israël et les États arabes. Au contraire, le conflit a toujours principalement opposé Israël aux Palestiniens.

Et je pense que c’est aujourd’hui plus évident que jamais. Voilà donc un autre aspect de l’histoire. Je ne parle pas de la guerre de 1973. Je ne parle pas de l’invasion du Sinaï. Je ne parle pas vraiment des traités de paix entre la Jordanie et l’Égypte dans les années 1970, 1950 et 1990.

Pour moi, ce ne sont que des événements secondaires. Pour moi, le problème principal est la question israélo-palestinienne, c’est-à-dire la tentative sioniste, puis israélienne, de contrôler toutes les terres situées entre le fleuve et la mer. Je pense que c’est ce qu’il nous faut vraiment comprendre, pour comprendre comment nous en sommes arrivés là aujourd’hui.

Selon vous, la période coloniale a jeté les bases de ce conflit. Quelle est donc la différence entre le colonialisme en Australie, puis dans le Nouveau Monde, en Amérique, et ce qui s’est passé au Moyen-Orient ?

Je pense qu’il y a quelques différences. Tout d’abord, je ne qualifierais pas le sionisme de mouvement colonialiste. Je le qualifierais plutôt de mouvement de colonisation de peuplement. En fait, on pourrait dire que de tous les mouvements de colonisation de peuplement à travers le monde, en Australie, aux USA et au Canada, le sionisme est le plus exemplaire.

Autrement dit, ce qui distingue les mouvements coloniaux de peuplement des mouvements coloniaux ordinaires, c’est que les mouvements coloniaux de peuplement abandonnent leurs liens avec leur patrie, tandis que les mouvements coloniaux veulent maintenir leurs liens avec leur patrie.

Prenons l’exemple des Français d’Algérie. C’était un mouvement colonial, n’est-ce pas ? Parce qu’ils souhaitaient vraiment maintenir leurs liens avec leur patrie. On pourrait dire que les USA se situaient entre les deux, car beaucoup de colons souhaitaient conserver leurs liens avec la Grande-Bretagne et y retourner. Ils ne voulaient pas rompre complètement ce lien.

Dans le cas du sionisme, ils ont complètement abandonné leur pays d’origine. Ils n’avaient aucune intention d’y retourner. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux y sont retournés, mais à leur arrivée en Palestine, leur objectif était : « Nous n’avons pas l’intention de rentrer chez nous. Nous allons nous installer en Palestine, nous allons nous y établir et nous allons prendre le contrôle de ce pays. » C’est donc l’une des principales différences.

La deuxième différence majeure est que le sionisme est ancré dans de nombreuses idées juives. N’est-ce pas ? Le judaïsme part de l’idée que les Juifs finiront par retourner en Terre Sainte. C’est une sorte de croyance eschatologique selon laquelle le Messie reviendra à la fin des temps et que tous les Juifs des quatre coins du monde se rassembleront et retourneront en Palestine.

C’est ce qui les distingue des autres mouvements coloniaux qui ne s’appuyaient pas sur des traditions religieuses vieilles de 3 000 ans. Ils étaient profondément attachés à la terre, entretenaient un lien religieux avec elle, et la considéraient comme ayant une signification religieuse. Je pense donc que c’est aussi ce qui les distingue.

Mais je dirais que, de manière générale, les similitudes sont assez frappantes. Il y a ces personnes persécutées, n’est-ce pas ? Je pense que c’est très important pour comprendre l’essence de la plupart des mouvements coloniaux. Il faut comprendre que ce sont principalement des personnes qui se sentent persécutées dans leur pays d’origine. N’est-ce pas ? Les protestants américains arrivés au Nouveau Monde ont été persécutés dans leur pays d’origine. C’est pourquoi ils ont plié bagage et sont partis. Pensez-vous qu’ils voulaient embarquer ? C’était une traversée très dangereuse et périlleuse. La traversée a duré deux mois. Beaucoup ont péri en chemin. Voulaient-ils vraiment faire ça ? Non, bien sûr que non. Tout comme les Juifs, pour la plupart, ne voulaient pas abandonner leur patrie. Ils ont été contraints de partir à cause des pogroms, de l’antisémitisme et de la violence qu’ils subissaient dans leur pays d’origine.

Je pense donc qu’en ce sens, le sionisme est très similaire à de nombreux autres mouvements coloniaux.

Une nouvelle génération d’historiens occidentaux a récemment émergé, s’opposant à la politique israélienne. Comment une génération d’universitaires comme la vôtre, a-t-elle émergé au sein d’institutions traditionnellement considérées comme pro-israéliennes ?

Tout d’abord, je ne suis affilié à aucune organisation universitaire. Je ne suis pas professeur dans une université usaméricaine. Et je pense que ceci explique en grande partie cela. D’ailleurs, lorsque j’ai obtenu mon doctorat à l’Université de Princeton, plusieurs membres du corps professoral de mon département, dont mon directeur de thèse, ont lancé un appel et une déclaration appelant l’université à adopter une résolution de boycott, la résolution BDS, soutenant ce mouvement et exigeant que l’université se désinvestisse des entreprises qui profitent de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et du blocus de Gaza.

Je dirais que la grande majorité des membres du corps enseignant qui étudient Israël et la Palestine aux USA sont très favorables à la cause palestinienne.

Mais je dirais aussi qu’il existe une crainte institutionnelle. Ils craignent que leurs institutions, leurs administrations universitaires et les personnes qui occupent les plus hautes sphères de la hiérarchie universitaire ne subissent des représailles de la part de ces individus, car ces derniers ont des intérêts différents. Ce ne sont ni des historiens, ni des politologues. Ils ne suivent pas les événements sur le terrain. Ils ignorent ce qui se passe en Israël et en Palestine. Mais la plupart du temps, ils sont fidèles aux donateurs et à leurs désirs, et sont donc redevables à la classe des donateurs, qui est un groupe très différent.

Comme vous le savez, il existe une grande différence entre le corps professoral et l’administration universitaire, et une différence encore plus grande entre le corps professoral et les donateurs. En réalité, ce sont les dirigeants de l’université qui sont véritablement responsables. Ce n’est pas le corps professoral qui compte.

Nous notons que cette guerre constituait un événement distinct dans ce contexte, et que de nombreux historiens antisionistes ont émergé au sein de la communauté juive d’Europe et des USA. Pourriez-vous nous en donner un bref aperçu ?

Écoutez, on peut remonter à plusieurs décennies. Je parle de personnalités comme Noam Chomsky et Norman Finkelstein. Il existe une longue tradition d’antisionisme parmi les Juifs. En fait, cette tradition remonte aux origines du sionisme lui-même, n’est-ce pas ? Lorsque le sionisme est apparu pour la première fois, en Europe et aux USA, le Juif moyen y était opposé.

Lorsque le sionisme est apparu aux USA à la fin du XIXe siècle, le mouvement réformé, aujourd’hui le plus important mouvement juif des USA, regroupait un tiers des Juifs usaméricains. J’appartiens à ce mouvement, fondé dans les années 1880 et qui a adopté la Plateforme de Pittsburgh.

Le programme de Pittsburgh disait essentiellement : « Nous ne soutenons pas l’immigration juive en Palestine, car elle contredit notre conviction que les Juifs doivent s’assimiler aux sociétés dans lesquelles ils vivent. » À l’époque, ils tentaient de s’assimiler aux USA face à l’antisémitisme. Ils pensaient que si un mouvement juif émergeait affirmant que les Juifs appartenaient à la Palestine, ils seraient davantage persécutés dans leurs pays d’origine, accusés de double allégeance et victimes de discrimination, car on leur dirait : « Si vous voulez aller en Palestine, que faites-vous ici ? »

Il y avait donc un mouvement très actif parmi les Juifs. Il s’agissait du Programme de Pittsburgh dans les années 1880. De nombreux intellectuels juifs, tout au long de l’entre-deux-guerres, s’opposaient au sionisme. Je pense que leur opposition au sionisme était due au fait qu’ils voyaient que le sionisme, en tant que mouvement colonial de peuplement, n’aurait qu’une seule issue inévitable : le déplacement des populations autochtones de leurs terres. Ce constat a été réitéré par de nombreux antisionistes, notamment par des Juifs antisionistes, durant l’entre-deux-guerres, de 1919 à 1939. Nombre de Juifs s’opposent au sionisme pour cette raison.

Il y avait ensuite une troisième génération de Juifs antisionistes, essentiellement religieux et antisionistes, dont certains étaient très instruits. Certes, ils n’étaient peut-être pas des intellectuels, mais ils étaient certainement imprégnés de la tradition juive et croyaient que toute tentative d’accélérer la venue du Messie était, à leurs yeux, une tentative sioniste d’accélérer l’avenir, une tentative des Juifs d’entraver la seconde venue du Messie.

Il existait une croyance théologique dans le judaïsme selon laquelle les Juifs retourneraient en Palestine ou en Israël à la fin des temps, lors du retour du Messie. Leur conviction était que s’installer en Palestine violait la loi de la Torah, car seul Dieu pouvait en décider. C’est à Dieu de décider quand il viendra, et non à l’homme. Lorsque l’homme agit pour tenter de hâter cet avenir, il viole la loi de la Torah. C’était un troisième courant au sein du judaïsme, dans les cercles juifs. On pourrait dire qu’il s’agissait d’une opposition au sionisme.

Il y avait donc des Juifs qui souhaitaient s’intégrer dans leurs communautés d’origine et qui s’opposaient au sionisme. D’autres s’opposaient peut-être au sionisme parce qu’ils pensaient qu’il entraînerait l’expulsion des populations autochtones de leurs terres. Et cela les inquiétait beaucoup. Et ils avaient parfaitement raison. C’est la deuxième tendance. Et puis il y avait la troisième, celle des antisionistes religieux.


Les juifs ortohodoxes croyaient que lorsque les humains agissaient pour essayer de hâter cet avenir, cela constituait une violation de la loi de la Torah (Getty)

Qu’en est-il des Juifs d’origines ethniques différentes ?

Je pense que ce que je veux dire, c’est que les intellectuels qui s’opposent au sionisme s’opposent probablement à la plupart des nationalismes, car le sionisme est une forme de nationalisme. C’est le nationalisme juif. Et je pense que de nombreux universitaires sont de cet avis, surtout après la Seconde Guerre mondiale, notamment à la suite du nettoyage ethnique des Bosniaques, au Myanmar, et du nettoyage ethnique des peuples autochtones dans le monde, en Australie et aux USA.

Je pense qu’il y a eu une prise de conscience ces dernières décennies quant au fait que le sionisme était fondamentalement très similaire à de nombreux autres mouvements coloniaux de peuplement. Si l’on remonte aux années 1940 et 1950, on ne trouvait pas beaucoup d’universitaires parlant du sionisme comme d’un mouvement colonial de peuplement. Ce n’est qu’au cours des dernières décennies que les universitaires ont réalisé que le sionisme partageait beaucoup de points communs avec tous ces autres mouvements coloniaux de peuplement, qui ont tous commis d’horribles atrocités contre les peuples autochtones.

Je pense donc que le nationalisme ethnique, en particulier à la suite du génocide qui a eu lieu dans les Balkans dans les années 1990, lorsque les milices serbes sont entrées à Srebrenica et ont massacré 8 000 musulmans bosniaques, pour le crime d’être bosniaque, je pense que cela a en quelque sorte réveillé le monde à l’idée que lorsque vous essayez de créer un État national ethnique, c’est-à-dire un État qui sert les intérêts d’un seul groupe ethnique, cela a des conséquences très graves pour les groupes au sein de l’État qui sont d’une ethnie différente.

Vous étudiez de nombreuses questions de l’histoire contemporaine palestinienne et israélienne, et vous avez également étudié les réactions et les interactions du peuple palestinien avec les sionistes à plusieurs reprises. Comment comparez-vous ce qui s’est passé en 1948, avant et après 1967, avec la situation actuelle ? Et comment comparez-vous les réactions du peuple palestinien à l’occupation, avant et après la Nakba ? Car vous vous concentrez également sur la période antérieure à la Nakba. Ce n’est pas courant aujourd’hui, car il semble, pour certains, que l’histoire ait commencé le 7 octobre. Nous souhaitons donc resituer le contexte historique.

On peut comprendre beaucoup de choses sur l’histoire palestinienne si l’on comprend la réponse palestinienne à une seule question : quelle est la voie légitime ? Quelle est la manière appropriée de résister à un groupe qui veut s’emparer de votre pays et prendre toutes les décisions importantes concernant votre vie ? Car c’est précisément l’essence même du sionisme.

Il est clair que les Palestiniens ont réagi de différentes manières, et les réactions étaient diverses. Sous le Mandat [britannique], dans les années 1920, 1930 et 1940, des Palestiniens disaient : « Travaillons avec ces gens. Travaillons avec les sionistes. Soumettons des lettres de protestation aux Britanniques et disons-leur que nous allons résister pacifiquement. Nous allons consigner nos protestations par écrit. Nous allons manifester pacifiquement dans les rues. » Et c’est exactement ce que firent de nombreux Palestiniens. Ce fut d’ailleurs l’un des courants les plus importants du mouvement national palestinien des années 1930 et 1940. Cette forme de lutte était entièrement non violente, et ils organisèrent ce qu’ils appelèrent des conférences nationales tout au long des années 1920, et tout se passa pacifiquement.

Les Palestiniens se sont réunis en 1919, 1920, 1921, 1922, 1923, 1924 et 1925 et ont déclaré : « Écoutez, nous appelons à la création d’un État démocratique en Palestine. Nous avons demandé aux Britanniques de nous permettre d’élire démocratiquement nos représentants parmi les populations juives, chrétiennes et musulmanes autochtones de Palestine ». Naturellement, les Britanniques ont complètement ignoré ces propositions.

Le système britannique était antidémocratique. Il violait la volonté politique de 85 % de la population. Et puis, bien sûr, il y avait un courant plus radical au sein du gouvernement.


On peut comprendre une grande partie de l’histoire des Palestiniens en comprenant simplement leur réponse à cette question : « Quelle est la meilleure façon de résister à un groupe de personnes qui tente de s’emparer de ma terre, de détruire ma maison et de me purifier ethniquement ? » (Agence Anadolu)

Il ne s’agit pas seulement de politiques ratées, mais de toutes celles qui ont réussi durant la période de domination britannique en Palestine. Il s’agit de milliers de Palestiniens qui ont travaillé sous domination britannique, chacun d’entre eux ayant implicitement accepté, par ce travail, le système imposé par les Britanniques, un système qui n’avait rien de démocratique et qui était clairement orienté en faveur du projet sioniste. Cette acceptation, même si elle semblait pragmatique, reflétait une attitude répandue à l’époque.

Cependant, d’un autre côté, je dois dire qu’un courant clair au sein du mouvement national palestinien a adopté une position plus ferme. Ce courant était convaincu que le colonialisme britannique n’était pas le fruit d’un consensus, mais avait été imposé par la force armée. Par conséquent, la réponse doit également être vigoureuse. Face à un projet colonial violent qui vise à s’emparer de vos terres, à effacer votre identité et à transformer votre patrie d’un pays arabe en une entité juive, la seule façon de lui résister est de riposter par la force.

Je crois que cette tendance, bien que non prédominante au début, a commencé à prendre de l’ampleur, surtout à la fin des années 1930, plus précisément avec le déclenchement de la Grande Révolte Arabe en Palestine entre 1936 et 1939. Depuis lors, et tout au long des sept décennies qui ont suivi la Nakba de 1948, et jusqu’à aujourd’hui, on peut dire que ces deux courants – pacifique et armé – sont restés présents et entrelacés dans le paysage palestinien.

Il y a toujours eu des partisans de l’idée que la libération de la Palestine ne pouvait se faire que par la force. Ce point de vue n’était pas marginal ; il constituait la tendance dominante au sein de la diaspora palestinienne et était adopté par des groupes majeurs comme le Fatah et le Front populaire de libération de la Palestine. De fait, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) elle-même, à ses débuts, a adopté la lutte armée comme seul moyen de libération nationale, avant de progressivement s’orienter vers des options politiques et pacifiques, rejetant ensuite la violence.

Il me semble important de souligner ici la question de la dynamique des positions, car ces transformations ne se sont pas limitées à un seul groupe. Au contraire, les mêmes groupes, avec les mêmes individus, les mêmes dirigeants et la même structure organisationnelle de base, ont oscillé sur l’échiquier politique, entre violence et non-violence, selon les circonstances, la nature de l’occupation et ses tactiques répressives.

Nous avons observé la même évolution avec le Hamas. Ce mouvement, initialement issu du « Complexe islamique » caritatif et non violent, a ensuite évolué vers la lutte armée. Comme pour l’OLP avant lui, les positions évoluent en fonction de l’escalade de la violence de l’autre camp, de l’ampleur de la brutalité exercée par l’occupation israélienne et des conditions politiques à chaque étape.

Par conséquent, pour comprendre l’histoire palestinienne contemporaine, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de lire chaque détail. Il suffit de se poser une question et d’observer la réponse des Palestiniens au fil du temps : quels sont les moyens légitimes de résister à un projet colonial qui vise à s’emparer de vos terres, à détruire votre foyer et à vous purifier ethniquement de votre patrie ? La réponse à cette seule question suffit à comprendre nombre des transformations et des tendances que ce peuple a observées face à un colonialisme de longue date.

La première carte géographique décrivant et désignant la Palestine par son nom a été établie par l'immense géographe Claudios Ptolemaïos, dit Ptolémée, un Gréco-Égyptien d'Alexandrie, au deuxième siècle après Jésus-Christ. Ceci est une reproduction de la carte originale, perdue, datant du début du quatorzième siècle et réalisée à Constantinople, la future Istanbul, contenue dans un ouvrage détenu par la Bibliothèque du Vatican

 

Il y a actuellement un grand débat sur l’identité palestinienne avant la Nakba, et il y a ceux qui nient cette identité historique ?

Le discours sioniste a longtemps cherché à nier l’identité nationale palestinienne en présentant les Palestiniens comme de simples « Arabes » ou « Syriens du Sud », dans le but de remettre en cause l’idée qu’ils constituent un peuple authentique doté d’une existence nationale et historique. Ce déni constituait un moyen de favoriser le discours sioniste, qui prône un nationalisme juif accordant « Israël » exclusivement aux Juifs.

D’où les efforts délibérés de réécriture de l’histoire, à travers des articles et écrits universitaires niant l’existence du « Palestinien » en tant que figure nationale. En réponse, j’ai tenté de documenter l’utilisation du terme « Palestinien » dans les contextes locaux, prouvant, par des éléments linguistiques et historiques, que les Palestiniens se définissaient comme une nation des années, voire des décennies, avant l’émergence du sionisme.

Dans les sources anglaises, le terme apparaît depuis les années 1860, et dans les sources arabes depuis la fin des années 1890, plus précisément en 1898. Le chercheur affirme que l’utilisation de ce terme n’était pas le résultat d’une réaction au sionisme, mais l’a plutôt précédé et est apparue parmi les étudiants palestiniens de Nazareth, loin de toute influence directe du mouvement sioniste, qui ne s’était pas encore répandu dans toute la région.

Il souligne également que ces pionniers palestiniens, tels que Najib Nassar, Khalil Baydas et Salim Qub'ayn, ont été éduqués dans des écoles arabes et russes, et que pour eux les concepts de patrie et d’identité faisaient partie d’une conscience culturelle plus large sans rapport avec le conflit ultérieur avec le sionisme, mais plutôt avec des racines nationalistes profondément ancrées dans la conscience, la langue et les cartes accrochées aux murs de l’école.


Najib Nassar (1865-1947), fondateur en 1908 de l'hebdomadaire Al Karmil, premier journal palestinien résolument antisioniste


Khalil Baydas (1874–1949), traducteur du russe vers l'arabe et romancier, le premier Arabe à utiliser le terme "Palestinien" au sens moderne du terme 


Salim Qub'ayn (1870-1951), enseignant, journaliste, écrivain, historien et traducteur palestinien. Il fut l'un des premiers traducteurs arabes à avoir fait découvrir la littérature russe aux lecteurs arabes, ce qui lui a valu le surnom de « doyen des traducteurs du russe ». 
 

Les multiples défroques du fascisme

Reinaldo Spitaletta, Sombrero de Mago, El Espectador, 21 octobre 2025
Traduit par Tlaxcala

J’avais des doutes sur l’auteur d’une phrase qui, ces derniers temps, circulait sans le moindre contexte sur certaines plateformes sociales : « Quand le fascisme reviendra, il ne dira pas : “je suis le fascisme”. Il dira : je suis la liberté », attribuée à Umberto Eco.
Il m’avait semblé, au premier abord, qu’elle venait bien du créateur du Nom de la rose. Et qu’elle pouvait, sait-on jamais, se trouver dans une de ses conférences, intitulée Ur-Fascism (Reconnaître le fascisme en français – télécharger -). Je la laissai donc flotter dans ce monde hasardeux, incohérent et simplificateur des petites phrases vaporeuses qui vont et viennent.


 

J’ai cherché le texte du discours original, et nulle part ne figurait la phrase attribuée à Eco. Mais l’essai, magnifique dans son contenu, nous rappelle qu’Eco, durant une partie de son enfance et au début de son adolescence, gravitait – comme tant de garçons italiens de l’époque – autour de Mussolini et de son fascisme. Plus tard, il devint un militant de la Résistance et formula, avec son sens aigu de l’humour et de l’ironie, les faiblesses philosophiques de cette idéologie qui, comme on le sait, ne mourut pas avec la défaite du fascisme à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le fascisme va et vient. Parfois, il se déguise en groupuscules sanguinaires de « nettoyage social » (l’expression, en soi, est répugnante) ; ou en petit conseiller municipal uribiste sortant, batte en main – sans être pour autant joueur de baseball (rien d’étonnant à ce qu’on l’appelle des Grandes Ligues de la terreur) – pour menacer et vociférer contre des manifestants.
« Mussolini n’avait pas de philosophie : il n’avait qu’une rhétorique », dit Eco.
Ah, et un sens de la mise vestimentaire, « avec lequel il eut à l’étranger plus de succès qu’Armani, Benetton ou Versace ». Et il ne s’agissait pas seulement des fameuses « chemises noires ».

Oui, on le sait, le fascisme aime à se vêtir de mille costumes. Ou de déguisements. Il se présente parfois comme une panacée aux maux qu’il a lui-même engendrés dans la société qui l’accueille, le soutient ou le finance. Il peut aussi, comme ça se produit par chez nous, dans nos champs de canne à sucre, vociférer des menaces telles que : « du plomb, voilà ce qu’il y a, du plomb, voilà ce qui vient ». Ou encore, recourir à certaines esquives, comme dire, après une série de « faux positifs », que ces « jeunes [assassinés par l’armée] n’étaient pas exactement en train de cueillir du café».

Revenant au texte d’Eco, on y trouve, dans un autre passage, un avertissement contre ce totalitarisme qui est un collage de « différentes idées politiques et philosophiques », et sur sa capacité à se camoufler — sans succès, car il est toujours possible de le reconnaître, de l’identifier.
Il y a des moments où, comme stratégie d’imposture et de mimétisme, il se présente comme « d’avant-garde » ; et d’autres où il préfère se montrer défenseur des traditions, du statu quo, « respectueux » de la loi et de l’ordre (bien sûr, de celui qui segmente, réprime et conserve les privilèges des minorités…).

L’élitisme, « aspect typique de toute idéologie réactionnaire », est une autre de ses caractéristiques. Et là, il peut hurler à la nécessité, pour la masse, d’avoir un dominateur, une sorte de guide-rédempteur-sauveur.
Dans son essence, il y a un culte de la mort, « annoncée comme la meilleure récompense d’une vie héroïque ».
Dans son texte, Eco rappelle que l’« Ur-Fascisme » parle une novlangue, comme celle de 1984, le roman d’Orwell. Il faut, ajoute-t-il, être prêts à reconnaître d’autres formes de cette « novlangue », même « lorsqu’elles prennent la forme innocente d’un reality show populaire ».

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En 2018, des députés du Likoud ayant réussi à faire adopter par la Knesset la loi sur “l'État-nation juif” se sont fait un selfie de victoire, qui a inspiré ce dessin du caricaturiste Avi Katz, du Jerusalem Post, illustrant la citation de George Orwell dans La Ferme des Animaux : « Tous les animaux sont semblables, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Katz a été licencié du journal aussi sec.

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À propos d’Orwell et de son roman La Ferme des animaux, les cochons y ont « mauvaise presse ». Il est courant qu’on emploie ce qualificatif « porcin » pour insulter nazis, sionistes, droitiers, gauchistes, staliniens, trotskystes, uribistes, pétristes, etc., ou encore des individus comme Trump, Netanyahou, et consorts. « Cochon » devient une injure visant quelqu’un pour son idéologie ou sa cruauté.
Les cochons, pourtant, ont bien plus de noblesse et de propreté que, disons, ces « porcs fascistes ».
Je ne sais pas si l’on a déjà qualifié ainsi ce conseiller municipal à la batte, celui qui voulait faire des home run ( coups de circuit) avec les têtes des manifestants à Medellín.

Après avoir dressé une radiographie, une dissection du fascisme en quatorze points, Eco conclut sa conférence par des phrases foudroyantes :
« La liberté et la libération sont des tâches qui ne se terminent jamais. Que ceci soit notre devise : n’oublions pas. »
Dans cette conclusion, il y a un appel à la mémoire, à l’histoire, à demeurer vigilants face à toutes les menaces contre la dignité humaine, contre la personne, contre le citoyen, contre les défenseurs des droits humains, bref.
Car le fascisme regorge d’astuces et de dispositifs pour « pêcher en eau trouble ».

Le fascisme ne s’en est jamais allé. Il revient sans cesse. Et il excelle dans l’art du camouflage. Ou dans celui d’abattre des têtes. Ou encore dans le maquillage qui dissimule sa perfidie et affiche un visage trompeusement frais et bienveillant.
En fin de compte, la phrase citée en ouverture — qui continue à tourner un peu partout — n’est pas d’Eco, bien qu’elle puisse lui être attribuée pour sa teneur philosophique.
Elle est, dans une autre formulation, de Thomas Mann :
« Si le fascisme revient, ce sera au nom de la liberté. »

NdT

La phrase « Si le fascisme revient, ce sera au nom de la liberté », souvent attribuée à Thomas Mann, est en réalité une paraphrase de sa critique de la fascination pour les idéologies autoritaires et réactionnaires qui se présentent sous le couvert de la liberté ou de la puissance nationale. Mann était un critique éminent de l'idéologie nazie, sa famille a été victime de la persécution du régime nazi et il a été déchu de sa citoyenneté en 1936.

26/10/2025

“Complicité de génocide”: enquête judiciaire sur l’entreprise espagnole Sidenor pour vente d’acier à une entreprise militaire israélienne

 NAIZ, 24/10/2025
Traduit par Tlaxcala

L’Audience nationale espagnole a mis en cause l’un des principaux chefs d’entreprise basques dans le cadre d’une enquête sur la vente d’armes à Israël : José Antonio Jainaga, président de Sidenor. Il est accusé d’avoir vendu de l’acier destiné à la fabrication d’armement à Israël, sans autorisation du gouvernement espagnol ni enregistrement officiel.


Jainaga entre le lehendakari (président du gouvernement basque) Imanol Pradales (à g.) et le conseiller à l’Industrie, à la Transition énergétique et à la Durabilité, Mikel Jauregi Letemendia, lors d’un récent événement (Irekia).

L’enquête judiciaire

Le juge Francisco de Jorge, de l’Audience nationale, enquête sur le président de Sidenor, José Antonio Jainaga Gómez, et deux autres dirigeants pour “contrebande” et “complicité dans un crime contre l’humanité” ou “génocide”, en lien avec la vente d’acier à la société d'abord appelée Israel Military Industries puis IMI Systems, avant de devenir Elbit Systems Land suite à son rachat par Elbit Systems.

Selon le tribunal, le juge considère que les personnes mises en cause savaient parfaitement que le matériel serait utilisé pour la production d’armement.

Ce vendredi, le juge a levé le secret de l’instruction et a indiqué que la vente d’acier aurait été réalisée sans autorisation du gouvernement espagnol et sans inscription au registre correspondant, selon un rapport de la Commissariat général de l’Information daté du 10 septembre.

Les trois personnes poursuivies – à la suite d’une plainte de l’Association Comunitat Palestina de Catalunya et de la Campagne Fin al comercio de armas con Israel– ont été convoquées pour être interrogées le 12 novembre.

Jainaga est une figure majeure du patronat basque, étroitement liée au gouvernement de Lakua* (Vitoria-Gasteiz). Son influence s’est illustrée dans l’opération visant à consolider la propriété du constructeur ferroviaire Talgo, où il a dirigé le “consortium basque”.

Les arguments du juge

Pour le magistrat Francisco de Jorge, les faits commis à Gaza sont de notoriété publique, tant par la couverture médiatique quotidienne que par les qualifications provisoires de crimes émises par la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que par les dénonciations de la Rapporteure spéciale de l’ONU, Francesca Albanese, et par l’UNRWA, entre autres.

Selon lui, ces faits pourraient constituer à la fois un délit de contrebande, au sens de la Loi organique de répression du commerce illicite, et un délit de complicité dans un crime contre l’humanité (articles 29 et 607 bis du Code pénal), ou, à titre subsidiaire, un délit de complicité dans un génocide (article 607).

Le juge estime que ces faits sont également imputables à la société Clerbil S.L., administratrice unique de Sidenor Holdings Europa.

En revanche, il considère qu’il n’est pas approprié, à ce stade, de poursuivre Sidenor Aceros Especiales S.L.U. en tant que personne morale, “en raison du rôle actif de ses salariés, de leur contribution à la dénonciation publique et de leurs efforts pour empêcher la poursuite de l’activité présumée illégale”.

Le tribunal précise que cette décision se fonde sur la Directive européenne (UE) 2019/1937 et sur la loi espagnole 2/2023 du 20 février, qui protège les lanceurs d’alerte et la lutte contre la corruption.

Le juge souligne que cette protection peut s’appliquer à des personnes morales considérées comme informatrices, puisqu’il s’agit ici de protéger les intérêts des travailleurs par le biais de la société concernée, laquelle ne sera pas affectée par les mesures conservatoires ni par d’éventuelles sanctions pénales contre d’autres entités ».

Manifestation contre la présence du ZIM Luanda dans le port de Barcelone

Méga-graffiti à l’entrée sud du port de Barcelone, où sont stockés les containers transportés par la compagnie israélienne ZIM Integrated Shipping Services (créée en 1945 par l’Agence Juive et l'Histadrout)

La plainte pour contrebande et génocide

La plainte à l’origine de l’enquête a été déposée le 1er juillet par la Comunitat Palestina de Catalunya, accusant Sidenor de “possible délit de contrebande” et réclamant des “mesures urgentes”, notamment l’inspection et la saisie d’un conteneur du navire ZIM Luanda au port de Barcelone, où se trouverait le matériel.

Selon l’organisation Prou Complicitat Amb Israel [Assez de complicité avec Israël], le ZIM Luanda était amarré à Barcelone pour charger 40 blocs de barres d’acier produits par Sidenor et destinés au port israélien de Haïfa.

La plainte mentionnait également “un possible crime de génocide et des crimes contre l’humanité.”

Suspension des ventes de Sidenor après des pressions basques

Ce même jour, Sidenor annonçait la suspension de ses ventes d’acier à Israël, justifiant sa décision par la suspension, en avril, des autorisations d’exportation décidée par le gouvernement espagnol.

L’entreprise précisait alors que ses ventes à des entreprises israéliennes représentaient moins de 0,5 % de son chiffre d’affaires total en 2024.

Ce vendredi, Sidenor a publié un communiqué bref, indiquant qu’elle avait confié l’affaire à ses avocats et qu’elle suivrait leurs instructions “pour répondre au juge et lui fournir toutes les informations disponibles”.

Ces événements coïncidaient, le 1er juillet, avec une conférence de presse des syndicats ELA, LAB et ESK**, aux côtés de la plateforme BDZ, qui exigeaient de Sidenor l’arrêt immédiat de toute relation commerciale avec Israël et la suspension de l’envoi prévu d’acier depuis Barcelone ce jour-là.

Le mouvement BDZ Euskal Herria (Boycott, Désinvestissement, Sanctions Pays Basque) dénonçait déjà le fait que que, comme d’autres entreprises basques telles que CAF ou Metro Bilbao, Sidenor entretenait des liens économiques avec Israël.

Après l’annonce de Sidenor, le syndicat LAB a salué une “victoire de la solidarité basque envers la Palestine” et déclaré qu’il resterait “vigilant pour s’assurer de l’application réelle de cette décision.”

BDZ : “Le cas Sidenor n’est pas une exception”

Dans un communiqué, BDZ Euskal Herria a affirmé que cette enquête “confirme ce que nous dénonçons depuis des années : l’implication d’entreprises basques dans le soutien économique, technologique et industriel du système d’occupation et d’apartheid imposé par Israël au peuple palestinien.”

L’organisation ajoute que “le cas Sidenor n’est pas isolé. Des entreprises telles que CAF, impliquée dans la construction et l’entretien du tramway de Jérusalem traversant les territoires palestiniens occupés ; AMC Mecanocaucho, qui fournit des composants destinés à des projets du complexe militaro-industriel israélien ; Metro Bilbao et Osakidetza, ayant sous-traité des services de sécurité à l’entreprise israélienne I-Sec, font partie d’un réseau de coopération économique contraire aux principes fondamentaux d’éthique et de respect des droits humains.”

“Il faut rompre tout lien avec le système colonial et d’apartheid de l’entité sioniste. La bonne nouvelle, c’est que c’est possible. Les gouvernements doivent agir concrètement, la justice doit faire son travail, et le mouvement populaire doit poursuivre son engagement”, conclut BDZ.

NdT

*Lakua : localité où siège le gouvernement basque

**ELA : Eusko Langileen Alkartasuna (Solidarité des travailleurs basques). Il s'agit du syndicat majoritaire au Pays basque et l'un des plus importants d'Espagne.

LAB : Langile Abertzaleen Batzordeak (Commissions ouvrières abertzales), syndicat nationaliste basque de gauche.

ESK : Ezker Sindikalaren Konbergentzia (Convergence de la gauche syndicale). Syndicat de base non lié à des partis politiques, qui défend en particulier les travailleurs les plus précaires.