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20/06/2023

GIDEON LEVY
Deux Palestiniens, âgés de 2 et 80 ans, morts : affaires classées

Gideon Levy, Haaretz, 18/62023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Coup sur coup, l’armée israélienne a légitimé la semaine dernière deux actes ignobles commis par ses soldats. Ils n’ont pas été jugés et n’ont pas été punis. Les FDI ont totalement innocenté ceux qui avaient envoyé à la mort un Palestinien âgé et ligoté, ainsi que celui qui avait tiré une balle dans la tête d’un enfant palestinien en bas âge, le tuant.

Les deux actes rivalisent par leur degré de barbarie. Pour les commandants des FDI, les deux sont corrects, normaux et acceptables. Désormais, les soldats de Tsahal sauront ce qu’ils savent depuis longtemps : ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent, y compris tirer sur des enfants en bas âge et brutaliser des personnes âgées.

Aucun mal ne vous sera fait, leur dit-on. Vous avez agi comme on l’attendait de vous.

Des parents palestiniens lors des funérailles d’Omar As’ad, 80 ans, dans le village de Jiljilya en Cisjordanie, en janvier dernier. Photo : JAAFAR ASHTIYEH / AFP

Le premier acte ignoble a été commis il y a environ un an et demi, à 3 heures du matin, dans le village prospère et tranquille de Jiljilya, en Cisjordanie. Des soldats du bataillon Netzah Yehuda (qui d’autre ?) arrêtent un homme de 80 ans, Omar As’ad, pour le plaisir sadique de la chose. Il rentrait tranquillement chez lui après avoir rendu visite à un ami dans le village.

Il les supplie de le laisser tranquille. Ils le sortent de force de sa voiture, lui attachent les mains dans le dos, lui bandent les yeux avec un chiffon et lui enfoncent un autre chiffon dans la bouche pour l’empêcher de crier. Ils le traînent ensuite dans la rue. À ce moment-là, l’un des pieds d’As’ad est déjà nu après qu’une tong a glissé. Ils le poussent dans la cour d’un immeuble en construction. Là, ils le jettent à plat ventre sur un sol en béton et l’abandonnent dans l’air froid de la nuit, vêtu d’une simple chemise. Son kefieh est également tombé.

Il reste là pendant environ une heure, sans bouger, jusqu’à ce que les soldats reviennent pour lui détacher les mains avant de partir. Ils n’ont même pas remarqué qu’il était mort. Rien à foutre.

Propriétaire d’une épicerie à Milwaukee, dans le Wisconsin, As’ad est retourné, à un âge avancé, dans son village natal pour y finir ses jours avec ses amis d’enfance. Les soldats, qui l’ont jeté comme un sac pour la seule raison qu’il était palestinien, ont peut-être des grands-pères de son âge. Comment se seraient-ils sentis si leurs grands-pères avaient été traités de la sorte ?

Cette question n’a pas traversé l’esprit des soldats du bataillon Netzah Yehuda, qui se traduit par Judée éternelle. L’éternité d’As’ad a pris fin cette nuit-là, le 12 janvier 2022. Les soldats de Netzah l’ont expédié à la mort.

L’autopsie a révélé qu’il était mort d’une crise cardiaque causée par la violence dont il était la cible. Lorsque j’ai visité le site où il a été jeté dans la nuit froide avec des témoins oculaires qui avaient également été arrêtés sans raison par des soldats qui s’ennuiyaient, il était difficile de comprendre une telle cruauté et une telle insensibilité à l’égard d’un homme âgé, de forte corpulence, pieds nus et sans défense.

Le fait qu’As’ad soit un citoyen usaméricain a fait naître l’espoir que, peut-être, cette fois-ci, les FDI seraient obligées de s’écarter de la dissimulation habituelle. Au lieu de cela, une simple enquête a traîné pendant un an et demi. Personne n’a été arrêté. Personne ne sera jugé. Le porte-parole du département d’État usaméricain a un peu grogné sur l’affaire la semaine dernière, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Les USAméricains pardonneront à leur allié de traiter ainsi l’un de leurs propres citoyens.

Des hommes se tiennent à côté d’une affiche d’Omar As’ad, 80 ans, dans le village de Jiljilya en Cisjordanie, en janvier dernier. Photo : MOHAMAD TOROKMAN / REUTERS

Ce mois-ci, la nuit du 1er  juin n’était pas aussi froide à Nabi Saleh que cette nuit d’hiver à Jiljilya, et depuis, les soldats de Netzah Yehuda ont été renvoyés de Cisjordanie en raison de leur conduite - mais les nouveaux soldats du bataillon Duchifat, de la même brigade Kfir, étaient également très enthousiastes à l’idée de passer leur première nuit dans le village sans maman.

Quelqu’un avait entendu des tirs. Des soldats sont entrés dans le village et ont commencé à tirer en l’air sans se coordonner. Les soldats de la tour de garde n’ont rien signalé.

Un soldat en quête d’action a commencé à cribler de balles une voiture dont les phares avaient été allumés à l’entrée d’une maison à l’orée du village. À travers sa lunette à vision optique, il a vu ou n’a pas vu la petite tête de Mohammed Tamimi, 2 ans, et son père, Haitham. Il a tiré sur les deux, tuant le bambin.

Cette fois, l’enquête au niveau du commandement a été rapide. Le seul soldat réprimandé a tiré en l’air. Tirer sur l’enfant et son père était la bonne chose à faire - correcte, légale et morale.

19/06/2023

Luis E. Sabini Fernández
Borrando el pasado, nublando el presente: águilas y palomas en nuestro gallinero uruguayo

Luis E. Sabini Fernández, 18/6/2023

Nota de Tlaxcala: Lacalle Pou dio marcha atrás con el proyecto de transformación del águila nazi algunas horas después de la escritura de este texto.

Nuestro inefable presidente, Luis Lacalle Pou, cual demiurgo temporal, tras decisiones gubernamentales que configuran el incognoscible futuro de nuestro país, concedió a una empresa transnacional belga [Katoen Natie, propiedad del multimillonario y político “liberal” Fernand Huts] 60 años de administración del puerto de Montevideo –con lo cual su firma tiende a embretar las de los próximos doce presidentes–. Ahora ha decidido también por sí y ante sí, modificar el pasado.

Por supuesto que, como siempre, con las mejores intenciones y en aras de los más altos objetivos. Invocando la paz, no para concretarla pero sí para reverenciarla.

Lacalle Pou, decide que la enorme escultura en bronce del águila “guerrera” –emblema nazi– con su gigantesca esvástica, que fuera extraída de los restos del acorazado Admiral Graf Spee, hundido en aguas territoriales uruguayas, cerca de la costa montevideana, sea fundida y trasmutada en paloma de la paz (para lo cual, cuenta finalmente con la aquiescencia de tal vez el escultor estrella vivo de mayor renombre en nuestro país, Pablo Atachugarry).

Enfrentando o mejor dicho, ignorando el significado histórico que podría tener rescatar todos los restos del Graf Spee, incluyendo el águila en bronce, nuestro presidente opta por la apuesta ideológica y militante: desconocer el pasado, basándose en un planteo que sabe caro a todos los poderes más o menos satisfechos del presente. Porque ya sabemos que todo poder establecido se convierte en defensor nato y neto de la paz: la paz es lo que asegura lo conseguido, lo establecido. En este aspecto, no figura si lo que se ha obtenido es justo o no; es lo que se ha obtenido.

 Tal lo acontecido, históricamente, con la pax romana, la pax britannica. Y es de ese mismo modo, que la dirigencia de EE.UU. ha invocado durante décadas “su” pax americana.

La decisión presidencial nos lleva directamente a George Orwell y su visión de los reconstructores del pasado. Ingsoc, el pesadillesco estado omnipresente de 1984, tenía su Dpto. de Actualización Histórica, que refrescaba la memoria de acuerdo con una geoestrategia imperial siempre presente. Y si ayer había servido tener un pasado condenando un acontecimiento, hoy la coyuntura podía necesitar borrar ese pasado condenatorio y tener, por ejemplo, uno nuevo que glorifique otro punto de vista, de pronto opuesto al anterior. Porque lo que importa no era reconocer la veracidad de lo acontecido sino ajustarse a las necesidades de la coyuntura presente. Y para Luis Lacalle Pou, ¿hay algo más importante que santificar el credo geopolítico actual? ¿Cuál es? La paz, ya todo el mundo lo sabe, al menos desde que “los rusos invadieran”.

Repasemos la historia inmediata: ¿el mundo occidental defiende otra cosa? ¿Qué fue sino defender la paz arrasar Irak y asesinar a su líder, frustrando la formación de una bolsa de monedas para el negocio transnacional del petróleo arrebatándole al dólar su monopolio? ¿O invadir Libia y asesinar a su vez a otro líder empecinado en forjar una moneda panafricana que claramente desafiaba el área dólar? ¿Acaso EE. UU. ha defendido otra cosa que la paz al invadir Panamá para cortar de raíz el populismo de un ex lugarteniente suyo?

Y cuando el eje EE.UU. y su chirolita UE inicia su política de incorporación de Ucrania –valiosísimo granero de Europa– al “mundo occidental”, angostando un poco más el “cerco sanitario” establecido a la Rusia exsoviética, y Putin reclama un derecho de “autodefensa” al estilo del esgrimido por EE.UU. para sus tantas incursiones (las nombradas o Haití, Granada, Colombia, República Dominicana, Siria e incontables etcéteras), la lógica institucional que caracteriza a la mayoría de las representaciones nacionales de la ONU, soslaya semejante demanda y Putin, con torpeza, invade Ucrania, carente del experimentado oficio interventor que caracteriza a EE.UU. en sus frecuentes incursiones internacionales.

Y esta invasión, rusa, sí, puede ser duramente criticada.

La decisión presidencial ha recogido el beneplácito de quienes albergan sin duda la misma noción de omnipotencia que ha caracterizado al presidente con su nueva alquimia. Como siguiendo las leyes del perro de Pavlov, “Roby Schindler, presidente del Comité Central Israelita del Uruguay, dijo que para él es una ’idea maravillosa’ y una ‘muy buena noticia’ la metamorfosis del símbolo nazi.  ‘Es un elemento de odio y de guerra que se transforma en un elemento de paz’.[1]  

Pero afortunadamente el úkase presidencial ha encontrado también reparos en el país: lo cual es muy reconfortante.  

Claudio Invernizzi, por ejemplo, precisó: “Es un disparate. Esa águila, tan brutal y amenazante, es una señal histórica de la barbarie a la que es capaz de llegar la especie. Transformar un pájaro no transforma a la humanidad, la disimula. Y borrar la simbología del horror, alienta al horror. Águila fue. Que águila quede.[2]

Y si la primera parte de su planteo es valioso y nítido, su segundo momento es todavía más sabio porque revela no sólo la inanidad del proyecto sino su misma toxicidad. Si borramos un horror, estamos alentando a repetirlo. Se nos incapacita para generar la resistencia.

De ese modo, estaremos más débiles para rechazarlo al presentarse. Porque no lo hará con las consabidas ropas del pasado: la nueva intolerancia, no se vestirá de Tercer Reich, obviamente.[3]

Ya sabemos cuán cargados estamos al día de hoy de cancelaciones. Y ésas no recaen sobre los casi inexistentes nazis, por cierto.

Notas 

[1]  Declaraciones recogidas por Perfil, Bs. As., 17 jun 2023

[2]  Ibíd.

[3]  Tenemos un ejemplo patente y patético al otro lado del río: Javier Milei se presenta como libertario y postula una serie de medidas draconianas, carentes de toda liberalidad; usar “modelo motosierra” para reducir gastos del estado, dolarizar la moneda nacional y ejemplifica como medida para “liberar”, instaurar un mercado de venta libre de órganos. Como en su momento Behring-Breivik, es un rendido admirador del modelo israelí.

 

LEONARDO MARTINELLI
“Hassan”, passeur tunisien de migrants : “J’ai 30 barcasses prêtes à partir de Sfax vers l'Italie. C’est mon bezness”

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'un des passeurs les plus puissants de Sfax explique comment fonctionne l'industrie du trafic de migrants. “Les départs ont été réduits à cause du vent, mais nous avons déjà des clients pour le mois d'août”. La traversée peut coûter jusqu'à cinq mille euros par personne, un business dans lequel même les cols blancs investissent. Reportage


SFAX (Tunisie) - Dans ce bar bondé de Sfax, ouvert sur une rue poussiéreuse, plein de vie et d'incertitudes, la chanson de Balti, le rappeur tunisien, résonne en fond sonore.


Ici, tout le monde connaît “Allo”, la chanson triste d'un garçon qui a émigré en Italie, suspendue entre nostalgie et remords. « Où est passée ma vie ? Ma jeunesse ? », demande-t-il au téléphone à sa petite amie restée à la maison. Apparemment indifférents, tous les clients du bar boivent un café et s'enfuient dans la ville, si agitée : un carrefour de migrants, Tunisiens et Subsahariens, qui tentent le voyage de l'espoir vers Lampedusa.

Une camionnette s'arrête devant. Au volant, Hassan. Nous l'appellerons comme ça, mais son vrai nom est autre. C'est l'un des passeurs les plus importants de Sfax, à la tête de l'une des organisations (essentiellement mafieuses) qui organisent les traversées illégales de la Méditerranée.

Un peu nerveux, il s'élance dans la circulation dense et anarchique, à la recherche d'un endroit sûr pour parler. Ce une friche, où des sacs en plastique volent dans les airs. En face, une autoroute en construction depuis on ne sait combien d'années : ces projets avortés, comme il y en a tant en Tunisie. Illusions perdues.

Hassan a 29 ans. Il porte une barbe noire bien entretenue et des lunettes de vue légères en métal, un beau visage. On est dimanche. T-shirt et short juste ce qu'il faut, il a l'air d'un directeur financier d'une entreprise milanaise en week-end. Il vient de voir sa petite amie.

Son activité ? Une “agence de voyage illégale”. Il parle souvent de “clients”, d'“offre et de demande”, précis et poli. Nous sommes à des années-lumière de l'image typique et rustique du scafista [conrtebandier, passeur], celui qui conduit les bateaux de migrants. Non, lui, c’est le big boss. « Je suis originaire des îles Kerkennah », explique-t-il. On les aperçoit à l'horizon, au fond d'une mer plate : traditionnellement, c'est la terre des pêcheurs et des passeurs.

« J'ai commencé au bas de l'échelle, il y a cinq ans. Je participais à l'organisation de voyages, mais je n'ai jamais été un passeur. Les clients étaient contents, je me suis fait un nom, puis un pécule. J'ai commencé à investir dans les voyages ». Il s'exprime bien, même en français. Il a fait un peu d’ études universitaires.

 

Migrants à Sfax, 8 juin 2023 

Sociétés de façade

Comme ses collègues, il a une couverture.  « Une entreprise en règle, dans un autre secteur ». Il ne dira pas lequel : il s'agit souvent de sociétés informatiques ou d'agences immobilières. « ça sert à laver l'argent sale et à justifier mon niveau de vie ». Il est au sommet d'une pyramide. En dessous, il y a les “coordinateurs” à différents niveaux : ceux qui collectent les “clients” à travers le pays ou ceux qui se procurent le bateau et les moteurs. Jusqu'au passeur.

« Ils ne se connaissent pas entre eux. Je suis le seul à connaître tout le monde ». Il les dirige comme des marionnettes depuis son téléphone portable. On ne voit jamais Hassan, il ne met pas son visage en avant. Il dit ne pas travailler avec les nouveaux bateaux en métal, trop dangereux, mais seulement avec ceux en bois. Et surtout avec le public tunisien, qui paie plus cher.

« Des femmes avec des bébés ou des familles entières voyagent. Je ne veux pas me salir les mains avec leur sang. De plus, un naufrage est un grand risque pour moi aussi ». Récemment, ils ont attrapé un passeur de Sfax, qui avait déjà été condamné à 79 ans de prison au total, précisément parce qu'un de ses bateaux avait coulé, faisant vingt morts.

« Dieu merci, je n'ai jamais eu de naufrage», dit Hassan. Et il n'est pas clair si c'est plutôt par peur de l'emprisonnement ou parce qu'il doit faire face à sa conscience. Il rappelle que « même ceux qui voyagent doivent prendre leurs risques et leurs responsabilité ». Quoi qu'il en soit, si aucun des clients ne meurt, mais qu'ils l'attrapent quand même, « avec tout l'argent que j'ai gagné, je paierai quelqu'un et je sortirai rapidement de prison ».

Hassan est sûr de lui, calme. « Mais j'ai peur. Même maintenant, parce que je vous parle ». Il n'a aucun intérêt à donner une interview, il la vit probablement comme un défi à lui-même. C'est un caprice, il n'a pas de message à faire passer. Pas même au président Kais Saied. « Qu’il nous laisse travailler en paix, c’est tout ».

Le commerce de la harka*

Lorsqu'on lui rappelle que depuis plus d'un mois, les arrivées à Lampedusa, qui avaient été multipliées par dix l'année précédente, ont diminué et que la raison en est peut-être que les contrôles tunisiens, coordonnés avec les Italiens, fonctionnent, il se montre un peu dédaigneux. « Si les voyages ont diminué, c'est uniquement parce que le temps est bizarre cette année. Un vent fort souffle. C'est le changement climatique. Il ne faut pas se faire d'illusions ».

Pas même sur les accords que Giorgia Meloni et l'UE négocient avec la Tunisie : de l'argent en échange d'un blocage des migrants en Méditerranée. « Même le prophète lui-même ne pourrait pas arrêter la harka* ». C'est ainsi qu'on appelle l'émigration clandestine. Et lui, Hassan, le passeur, est le harak*.

 « Cela ne s'arrêtera pas, car en Tunisie, les gens sont comme étranglés : les empêcher de partir reviendrait à les tuer tout de suite. Ici, on est maintenant à un point de non-retour ici ». Il a consulté des experts en météorologie : même en juillet, le temps sera rude. « Mais pour le mois d’ août, j'ai déjà trente voyages bouclés et prêts à partir. Meloni doit se résigner ».

À propos, faisons quelques calculs. Le prix facturé aux clients, ajoute Hassan, dépend toujours du service fourni. Il est de 2500-3000 dinars (740-880 euros) sur un bateau en bois avec plus de cinquante personnes à bord. Ceux qui, en revanche, paieront 7000-8000 DT iront dans le même genre de bateau, mais avec une trentaine de migrants et deux moteurs au lieu d'un, au cas où le premier tomberait en panne ».

Il y a même ceux qui ne paient pas. « Si quelqu'un n'a pas d'argent, il peut partir gratuitement mais il doit nous amener au moins cinq clients. Et puis, s'il y a des problèmes en mer, il doit être le premier à sauter par-dessus bord ». Il ne peut pas prétendre que “ le client est roi"”

Hassan organise souvent un bateau avec une centaine de personnes. Dans ce cas, dit-il, l'organisation doit investir 240 000 dinars [= 71 000€], y compris l'achat du bateau. Il en percevra 450 000. [= 133 000€] La différence est de 210 000. « Je garde 20 % de cette somme (plus de 12 000€, Ndlr). Le reste, je le répartis entre les coordinateurs, qui sont en général cinq ».

20 % pour les cols blancs

Vu le rythme des départs, si Hassan n'a pas tout l'argent pour investir, il fait appel à des “hommes d'affaires et des membres de professions libérales” locaux : ce sont les cols blancs qui investissent dans le trafic. « Par exemple, ils me prêtent 100 000 DT. Et j’en rends 120 000 au bout d'un mois, une fois que la traversée a été effectuée. Ça me paraît un bon investissement ».

Aujourd'hui, l'un des principaux problèmes est de se procurer une embarcation. « Nous avions l'habitude de convaincre les pêcheurs de nous céder leurs bateaux en payant le double. Ensuite, ils signalaient leur disparition, comme s'ils les avaient volés. Mais il y a de plus en plus de contrôles de police et les pêcheurs ont peur d'être inculpés. Nous faisons donc construire des bateaux en bois ici, dans la région de Sfax, en cinq ou six jours seulement. Les composants sont déjà prêts, il suffit de les assembler. Mais c'est cher ».

Hassan ne veut pas faire cela toute sa vie. « Je me suis donné un but, un chiffre précis, pour réaliser un projet personnel et licite ». Il est, en attendant, en contact avec d'autres passeurs. « Il n'y a pas de concurrence entre nous », explique-t-il. « Dans notre domaine, la demande est très forte : nous avons tous trop de travail. Je dois refuser beaucoup de demandes ».

En fait, entre passeurs, ils s'entraident. Ils sont comme des bandes différentes, séparées mais amies. « Nous échangeons des informations, surtout sur la police. Et nous nous les payons mutuellement à chaque fois. C'est précisément à cette époque de l'année qu’une partie des fonctionnaires de la police et de la Garde nationale, dont dépendant les garde-côtes, sont transférés dans de nouveaux locaux.

« Nous devons identifier, parmi les nouveaux, ceux que nous pouvons corrompre et ceux que nous ne pouvons pas corrompre. Il y a les incorruptibles, mais aussi ceux qui acceptent d'être payés pour fermer les yeux sur les contrôles en mer et à terre. Nous essayons d'obtenir des informations sur ces personnages. Je contacte souvent les passeurs des lieux où ils étaient en service ».

Le temps est écoulé. Les affaires l'appellent. Hassan repasse entre les coups de klaxon de Sfax : cette fois avec moins de fougue, comme s'il s'était confessé et un peu rassuré. Au bar, quelqu'un a encore en tête le refrain de Balti. « Nous sommes partis par désespoir » dit le migrant de la chanson, au téléphone depuis l'Italie, « Ici, ils ne veulent pas de ma gentillesse, il y a ceux qui ne voient que la méchanceté. Nous ne savons plus qui sont nos amis, ni la différence entre l'honnêteté et la trahison ». Parmi les clients, certains pensent déjà à partir. Fuir.

NdT
*L'auteur, ignorant l'arabe, confond harka et harga, harak et harag. On lui pardonnera, d'autant plus qu'en fin de compte, la harga est aussi un hirak (mouvement social)...